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16672 février 2003 — Le 31 janvier 2003, au Journal Télévisé de 12H45 de la RTBF1 (radio-télévision belge francophone), un journaliste du Wall Street Journal [WSJ] (Europe), Mike Gonzales (deputy editorial editor de l'édition européenne du WSJ, en poste à Bruxelles), a laborieusement expliqué comment il était à la base de la fameuse “lettre des huit” (les huit Européens pour la guerre). Explication assez confuse, qui permet d’entrevoir ou de deviner les conditions surréalistes où se font aujourd’hui les événements qualifiés en général d’“historiques”, par conséquent la substance qu’ils ont, le crédit qu’il faut leur accorder, et cela sans mesurer les conséquences, dont certaines peuvent être complètement inattendues et contradictoires, qu’ils peuvent amener.
Mike Gonzales explique que le WSJ a proposé à Aznar et à Berlusconi de publier un texte commun sur la question de la guerre contre l’Irak, dans les colonnes du WSJ. Jusqu’ici, rien à redire, semble-t-il, du moins à s’en tenir à cette indication : c’est du travail de journaliste. A partir de là, les choses deviennent confuses. Qui a rédigé le texte ? Aznar et Berlusconi semble ( ?) dire Gonzales.
(D’autres sources, par exemple le journaliste Pépé Escobar, tiennent que Aznar et Blair sont les auteurs. Notre appréciation continue à être que Aznar est au centre de cette affaire, bien évidemment en liaison directe et sans guère de doute à l’“inspiration” des Américains, précisément du groupe des néo-conservateurs, puissamment organisés en lobbies, — tel le Committe on Liberation of Irak, — qui sont des courroies de transmission quasiment directes de la Maison Blanche. Notre hypothèse serait même que ces Américains-là sont les auteurs de cette démarche et qu’ils sont intervenus dans le choix des pays, notamment des pays de l’est. Le fait d’avoir choisi les trois pays de l’Europe de l’est déjà membres de l’OTAN est à notre sens un signe direct de la psychologie américaine, la “qualité” effective de membre de l’OTAN faisant à cet égard une vertu évidente à leurs yeux et paradoxalement une garantie de crédibilité pour la lettre.)
D’autre question : Comment arrive-t-on, aujourd’hui, d’un article de journal qui engage deux personnes, fussent-elles premiers ministres, à un manifeste politique de l’importance qu’on sait, dont on dit qu’il engage huit pays ? (Ou bien est-ce qu’un article de journal devient en soi un manifeste politique ? Il ne faut repousser aucune hypothèse.) Ou bien encore : ces huit pays sont-ils engagés, et engagés à quoi ?
Mike Gonzales est interrogé : pourquoi avoir transformé ce texte en manifeste, pourquoi ne pas avoir interrogé les présidents du Conseil des ministres de l’UE (les Grecs) à propos de ce texte dès lors qu’il devient un manifeste ? Gonzales marmotte quelque chose où l’on pourrait comprendre que ses interlocuteurs avaient parlé d’en aviser eux-mêmes les Grecs. Autre question, qui s’avère plutôt un constat : « Vous avez aidé la diplomatie américaine ? » (nous avons bien entendu “diplomatie”, pas “démocratie”, comme il est dit dans la transcription) ; marmottage à nouveau où l’on distingue une sorte de dénégation, — dans tous les cas, d’après ce que nous avons entendu, là encore, qui peut être comparé à la transcription. Ci-après, la transcription de ce court entretien d’après la RTBF1 :
« Qui est à l'initiative de cette lettre commune, vous ou eux?
» On a téléphoné pour leur demander s'ils voulaient écrire un article pour nous sur leur avis, donc c'est eux qui se sont mis en contact entre eux et l'initiative d'écrire un article entre eux, c'est venu des délégués européens.
» Vous avez aidé la démocratie américaine?
» Je ne crois pas, je ne crois pas, pourquoi, pas du tout.
» Parce que vous avez montré que l'Europe était divisée?
» Mais je n'ai pas montré que l'Europe était divisée, l'Europe était divisée déjà la semaine dernière.
» Pourquoi vous n'avez pas sollicité l'avis de la présidence européenne, est-ce que ça ne compte pas la présidence grecque? »
» Non ce n'est pas que ça ne compte pas, ce sont eux les ministres qui se sont mis à contacter leurs amis, leurs collègues à l'Europe. »
Quelques questions qui viennent à l’esprit, plutôt pèle mêle que dans l’ordre du bon sens : de quelle diplomatie s’agit-il là ? quel sérieux accorder à ces trucs qui relèvent de la manipulation, du lobbyisme comme pratique courante (le WSJ est lié aux plus extrémistes des néo-conservateurs US, c’est le journal pro-guerre par excellence, joliment baptisé par les anti-guerres : “War Street Journal”), — ces trucs qui constituent aujourd’hui, par leurs voies d’influence et de lobbyisme, à peu près la seule substance de ce qui reçoit l’étiquette de “politique étrangère des États-Unis” ? Quel sérieux accorder au sens de la responsabilité de chefs d’État et de gouvernement qui suivent une initiative d’un journaliste du “War Street Journal” pour en faire une soi-disant prise de position politique qui doit bouleverser un continent et le destin du monde ? Prétendent-ils réellement engager leurs pays, avec ce qu’on sait des positions de leurs opinions publiques vis-à-vis de la guerre ?
Il faut évidemment ranger la “lettre des 8” plus aux rayons des péripéties du marketing politique washingtonien qu’à quelque chose qui ressemblerait à cette sottise répétée à satiété de la “mise à jour d’une division de l’Europe”. (Cette phrase sous-entend que l’Europe n’était pas divisée auparavant ; mais c’est le contraire qui est vrai comme le fait justement remarquer l’ami Gonzales : la division de l’Europe existait il y a un mois, un an et plus, elle ne date évidemment pas de la lettre. L’on ajoute cette ironie assez curieuse que l’union de l’Europe est aujourd’hui en train de se faire, au forceps, comme on le voit dans des pays comme les Pays-Bas [qui a refusé de signer la lettre] ou de la non-UE Norvège où se font jour au niveau du gouvernement des positions anti-US très fortes, dont a été avisée l’UE. La “lettre des 8”, comme repoussoir et marque des psychologies corrompues, participe évidemment de cette dynamique.)
Le spectacle offert par la diplomatie américaine et celle de ses sous-fifres est étonnant. Il y a actuellement deux shows mineurs, en plus de celui de la guerre qu’on va faire séance tenante, qui se poursuivent systématiquement et parallèlement, caractérisés par la répétition, sur tous les tons possibles, des mêmes affirmations improbables et des mêmes manoeuvres encombrées de fils blancs : l’affaire des preuves et l‘affaire des alliés (les willing et les able, à laquelle la “lettre des 8” se réfère). Concernant les “alliés” que Washington ne cesse de recruter, qui sont, au dernier décompte des chronométreurs, au nombre de 9 (participants) et 20-22 (soutien technique), on se référera à un article de the Independent du 1er février, où l’on lit notamment cette remarque : « “We are not certain where that number [of nine] came from,” one senior diplomat observed anonymously. “We tend to think that it came out of a hat and is to do with American spin. It is a bit odd to spell out numbers now when so much depends on the circumstances when we get to that point.” »
Après avoir rédigé le texte ci-dessus, nous avons eu accès à un article qui concerne cette affaire. L’article, publié sur un site dépendant du Los Angeles Times, traite l’affaire du point de vue américain et du point de vue journalistique, et fort peu du point de vue politique et européen. Nous présentons cet article dans notre rubrique Nos Choix,, avec les réserves d’usage concernant son accès. Pour notre part, il ne modifie pas l’approche que nous avons choisie pour cette affaire, qui nous paraît plus importante pour ce qu’elle dit des moeurs politiques, que l’approche médiatique pour ce qu’elle nous dit des moeurs médiatiques, la seconde étant à notre sens l’obligée de la première. Par ailleurs, nous pensons que l’approche médiatique acceptée dans ce texte par les gens du Wall Street Journal n’enlève rien, bien au contraire, de l’approche politique du soi-disant “War Street Journal”. Mais certes, l’information à propos de l’aspect médiatique reste intéressante.
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