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3 juillet 2003 — On a eu déjà pas mal d’occasions de signaler une certaine insatisfaction, des malaises, des récriminations chez les coopérants européens du programme JSF. C’est le cas d’abord des privilégiés, les Britanniques dont les “relations spéciales” avec les USA sont connues ; c’est le cas des Norvégiens également. C’est enfin le cas, d’une manière générale, des Néerlandais, voire des Danois (et des Australiens hors d’Europe).
Tous ces coopérants font les mêmes remarques, s’étonnant de n’avoir que peu de retour en fait de contrats dans le programme JSF, ayant des difficultés au niveau des transferts de technologie, etc. Un article récent paru dans Aviation Week & Space Technology (AW&ST), le 30 juin 2003, devrait les fixer. (Pour plus de facilité, nous reproduisons cet article dans “Nos choix commentés”.) Il fait mieux comprendre quelles sont les règles du jeu à l’intérieur du programme. Le titre nous en dit beaucoup : « No Free Lunch » ; en d’autres mots : “nos amis de ROW ne sont pas dans le programme JSF pour y imposer leurs règles mais, au contraire, pour avoir l’occasion assez rare d’appliquer celles de l’Amérique”.
« Partner countries that have been relatively passive participants on the F-35 Joint Strike Fighter program — expecting subcontracts to automatically flow to them by virtue of their involvement — are apt to pay a huge penalty in terms of the financial returns they can expect from their original investments.
» Such a likelihood comes through loud and clear in a new Defense Dept. study examining the international acquisition strategy being used for JSF — a program that’s as much an experiment in how the Pentagon does business as in the application of new technology.
» Even if these countries — Italy and the Netherlands, among others — dramatically alter their approach to how they compete for JSF work, there will still be a huge disparity in the returns they obtain versus those of the most successful partners. While JSF is less than two years old and will remain in the system design and development phase until around 2008, many of the most lucrative subcontracts already have been awarded. »
Ce que dit le Pentagone aux partenaires non-US, c’est que leur investissement en R&D dans le programme ne leur garantit rien en fait de volume de contrats divers. Ils entrent dans un vaste, énorme programme, qui devient une sorte de “marché libre” où seront choisis les meilleurs et les moins chers, — avec, bien sûr, un juge-arbitre seul et unique servant également de Cour d’appel, de comptable du tout, etc, — le Pentagone bien sûr (et Lockheed Martin éventuellement). Avec le JSF, le DoD expérimente dans tous les domaines : « as much an experiment in how the Pentagon does business as in the application of new technology ».
Ceux qui sont choisis ne sont pas ceux qui s’attendaient le plus à recevoir des marques de ce qu’ils croyaient être leur privilège (privilège du volume d’investissement, privilège des alliés favorisés d’Europe, etc). Les contrats d’ores et déjà passés, puisqu’il y en a beaucoup, « have gone to countries where governments, such as Canada’s, have been extremely proactive in marketing the capabilities of their domestic aerospace industries. Something else that winning bidders share in common is an understanding of the concept of “best value.” That means bid proposals that meet the requirements of JSF — nothing less, nothing more — at the lowest possible price. » Les bureaucrates du Pentagone trouvent cette expérience fascinante et extrêmement encourageante. Ils croient qu’elle va former peu à peu le reste du monde aux méthodes de business à l’américaine, qui ont tant fait leurs preuves en matière d’efficacité et de rentabilité (voir le cas du B-2, le cas du F-22, etc). La question posée est de savoir si les uns et les autres seront assez malins et assez lestes pour s’adapter à ce véritable “nouveau monde” :
« These intrinsic lessons would seem to have considerable value for non-U.S. companies seeking to do more business with the Pentagon, especially on projects that involve broad international competition. Less clear is whether Italy, the Netherlands and others recognize what they must do to increase their industries’ content on JSF, and thus improve the returns they are likely to earn. »
Ces nouvelles doivent être extrêmement intéressantes pour les coopérants du JSF, qui devraient commencer à comprendre ce qu’on attend d’eux. Les mêmes ne seront pas sans s’interroger sur ce qui pourrait leur paraître comme une certaine contradiction, — le programme JSF est novateur en tout.
• Ici, on leur demande de s’adapter aux règles pures et vertueuses de la concurrence et du marché libre, avec toujours l’arbitre impartial et efficace qu’est le DoD.
• Là, lorsqu’il s’agit du Congrès qui s’intéresse à tout, on leur annonce que les matières propres au JSF dépendent de la sécurité nationale et que nombre de décisions concernant les transferts de technologie, la production, etc, dépendront de la philosophie fameuse de cette chose nommée Buy American Act. Dans ce cas, certes, ce n’est plus la compétitivité, le coût, la souplesse commerciale qui comptent, mais purement et simplement la nationalité, — toujours sous le même oeil attentif et bienveillant du même juge-arbitre, le Pentagone.
Le programme JSF est une plongée dans un monde complètement nouveau. C’est le monde de l’Amérique triomphante qui conquiert des pays, qui aménage le monde selon ses conceptions et qui considère que ceux qui ont été pressés d’y entrer et ont accepté, avec un balluchon plein de millions ou de milliards de dollars comme droit d’entrée, ont ainsi gagné le droit de pouvoir concourir pour s’y adapter.