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102418 juillet 2003 — Simple question : le discours de Tony Blair devant le Congrès sera-t-il retenu par l’Histoire comme le premier pas vers la retraite du brillant Premier ministre britannique ? Les commentateurs britanniques ont tous noté, dans le discours de Blair au Congrès, la phrase : « History will forgive us », comme le fait le Guardian. Pardonner quoi ? Eh bien, les éventuelles erreurs qu’on relèverait dans les affirmations qui furent faites pour préparer et surtout convaincre les pays impliqués, USA et UK, qu’il fallait partir en guerre.
« In a significant softening of Downing Street's stance on Iraq's banned weapons, the prime minister stood before hundreds of members of Congress to admit that he may eventually be proved wrong. “Can we be sure that terrorism and weapons of mass destruction will join together?” the prime minister asked his audience of Republicans and Democrats, who are beginning to voice doubts about whether Saddam Hussein still possessed banned weapons in his final months in power.
» Mr Blair then made a rare admission of fallibility: “Let us say one thing. If we are wrong we will have destroyed a threat that, at its least, is responsible for inhuman carnage and suffering. That is something I am confident history will forgive.” The prime minister's remarks, as he became the fourth British prime minister to address a joint meeting of Congress, will be seen as another watering down of Downing Street's previously tough stance on weapons. »
La question elle-même est de peu d’importance, sinon d’introduire ce texte. Il nous importe peu de savoir si ces gens se sont trompés ou pas, s’ils ont menti ou non. L’affaire irakienne et ce qu’elle recouvre n’en est plus à quelques sornettes près ; elle est littéralement un océan de mensonges, elle n’est même que mensonges, et nous en faire le détail, pour le reconnaître ici et pas là n’a que peu d’intérêt. C’est une sorte de micromangement d’une crise énorme, c’est-à-dire une façon de ne pas voir les réelles dimensions de cette crise. Ce qui nous importe avec ce discours de Blair (dont on dit que Blair attend un effet sur sa popularité au Royaume-Uni, ce qui laisse sans voix sur les conceptions et la vision de ces gens qui n’apprécient aujourd’hui rien d’autre que l’effet), ce qui nous importe est bien qu’il montre une retraite du Premier ministre britannique sur la question hautement symbolique de la guerre.
La seule stratégie de Blair, surtout dans cette question de la guerre, n’a jamais été qu’une tactique primaire, celle du maximalisme : toujours affirmer et affirmer, contre toute évidence, contre tout bon sens, en martelant les mots sur l’airain de sa conviction et de son honnêteté héroïque d’homme d’État qui ne craint pas l’impopularité. (C’est d’ailleurs vrai : il n’y a aucune raison de mettre en doute la conviction et l’honnêteté de Blair, et c’est bien là et nulle part ailleurs ce qui doit nous désoler absolument.) A Washington, pour la première fois, Blair a retraité, abandonné conviction et certitude, pour tirer un chèque sur l’Histoire qui nous dira qu’il avait raison, de toutes les façons.
C’est un pas psychologique important, qui marque la fatigue de l’homme. Nous ne faisons aucun pronostic politique, dans une époque qui ne sait plus ce qu’est la politique. Nous nous appuyons sur la psychologie car c’est par là que tout craque. En temps normal, Blair devrait avoir été balayé depuis longtemps. Il ne l’est pas parce que, dans l’affrontement psychologique qui règle l’équilibre des forces dans les partis, Blair était resté de marbre tandis que les autres ne sont que des comparses aux psychologies faiblardes. C’en est fini du marbre du Premier ministre.
Quelle est la cause de cette évolution ? Laissons de côté, encore une fois, le bordel irakien dans nos capitales occidentales qui s’en occupent encore : ce n’est pas cela, où il estime avoir raison contre tous, comme Jésus-Christ, que Blair s’est affaibli. Un de nos amis lecteurs nous propose (en date d’aujourd’hui) une autre explication. Nous proposons, quant à nous, une autre hypothèse, d’un domaine radicalement différent.
La fatigue de Blair, qui s’est justement exprimée à propos de son voyage à Washington, a à voir avec le travail de déconstruction nationale qu’il effectue à une vitesse sidérante, au bénéfice de Washington, et avec un discours d’une sidérante conviction. Blair est quelque chose (en ce sens qu’il est sur ce point plus un phénomène qu’un être humain) de complètement stupéfiant, qui a porté le comportement décrit par La Boétie vers des certitudes insoupçonnables, une façon de le “post-moderniser” en un sens — si l’on veut, son comportement consistant à passer de la “servitude volontaire” (Discours sur la servitude volontaire) à la “servilité volontariste” (ou, différemment dit : la servilité péremptoire), — (Si bien qu’en entendant la musique sans écouter les paroles, vieille habitude de parlementaire, les députés et sénateurs US auraient pu avoir l’impression que c’était le patron qui parlait).
Aujourd’hui, il se trouve qu’on arrive à des limites proches de l’insupportables dans le bradage de la souveraineté nationale britannique (lire le magnifique article de David Leigh et Richard Norton-Taylor, dans le Guardian d’hier sur cette question et relire bien sûr celui de Monbiot) ; notre analyse est que cette situation commence indirectement à peser sur Tony Blair et sur sa puissance de conviction, et cet affaiblissement doit s’exprimer indirectement sur l’Irak et sur d’autres problèmes.
Mais le sort de Tony Blair est ici de peu d’intérêt. La première “seule question” qui compte est de savoir si la crise de la disparition de la souveraineté nationale va éclater au Royaume-Uni, et notre conviction est qu’il ne peut y avoir d’autre issue parce que la situation actuelle est une tension trop grande pour être supportée longtemps ; et puisque cette “seule question” est résolue d’avance, la seconde “seule question”, et la seule en réalité, est bien de savoir quand cette crise va éclater. L’affaiblissement de Blair est, indirectement, un indice à cet égard.