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110823 octobre 2003 — USA Today a publié le texte d’un memorandum du secrétaire à la défense Rumsfeld, en date du 16 octobre, adressé à ses principaux collaborateurs (Wolfowitz et Feith, les généraux Myers et Pace, successivement président et vice-président du Comité des Chefs d’état-major). Il s’agit d’un texte destiné à susciter la réflexion avant une réunion (le 18 ou le 20 octobre) où l’on en discuterait. USA Today publie également un commentaire du memorandum.
Ce texte est, dans sa sécheresse, dans le style habituel de cette sorte de correspondance, très révélateur. Nous dirions même qu’il pourrait apparaître dans la perspective, par ce qu’il nous dit qui ne nous est pas dit d’habitude, comme un document historique. Ce jugement est justifié, à notre sens, par deux perspectives.
Il y a d’abord la plus évidente, celle qui est apparue à tous les commentateurs. Le “mémo Rumsfeld” marque l’amertume, voire le désarroi d’une aventure lancée dans l’emphase et la conviction, l’une des “plus grandes guerres de l’histoire”, et qui s’abîme dans l’impuissance et la paralysie. D’une façon plus large et plus imagée, nous dirions qu’il marque le résultat de la confrontation de l’Amérique avec le mystère du monde, — confrontation qui ne s’est faite qu’à de très rares occasions, et jamais à cette vitesse, ni sur de tels espaces, ni avec de telles ambitions. Plus qu’une longue théorie, c’est l’aveu d’échec d’une ambition impériale sur le monde.
Les commentaires de USA Today sont eux-mêmes lugubres. Ils expriment le sentiment général qu’éprouveront les Américains à la lecture de ce texte, comme le sentiment général de celui qui l’a écrit. Ce n’est pas la puissance de l’Amérique qui est en cause ici, c’est bien plus grave, — c’est l’utilité de cette puissance, l’orientation qu’on peut lui donner, l’usage qu’on en peut faire, la raison d’être même de cette puissance, — la plus grave crise qu’on puisse imaginer pour une nation comme l’Amérique.
« The United States has no yardstick for measuring progress in the war on terrorism, has not “yet made truly bold moves” in fighting al-Qaeda and other terror groups, and is in for a “long, hard slog” in Iraq and Afghanistan, according to a memo that Defense Secretary Donald Rumsfeld sent to top-ranking Defense officials last week.
» Despite upbeat statements by the Bush administration, the memo to Rumsfeld's top staff reveals significant doubts about progress in the struggle against terrorists. Rumsfeld says that “it is not possible” to transform the Pentagon quickly enough to effectively fight the anti-terror war and that a “new institution” might be necessary to do that.
» The memo, which diverges sharply from Rumsfeld's mostly positive public comments, offers one of the most candid and sobering assessments to date of how top administration officials view the 2-year-old war on terrorism. It suggests that significant work remains and raises a number of probing questions but few detailed proposals. »
C’est un document infiniment précieux parce qu’il nous révèle une dimension qui avait complètement disparu de la scène internationale et de cette fameuse “guerre contre la Terreur” : la réalité, c’est-à-dire, du côté des acteurs, et dans ce cas Rumsfeld, la simple vérité. Cela nous conduit à la deuxième dimension de ce mémo, à notre sens la plus importante bien qu’elle soit la moins spectaculaire.
L’on observera que cette simple vérité qui nous est restituée avec ce mémo va en effet jusqu’aux questions les plus fondamentales, pour l’homme qu’est le secrétaire à la défense, tel que nous le connaissons en action depuis son arrivée au Pentagone. (Nul ne peut nier, malgré les critiques très fortes qu’on peut lui adresser, que Rumsfeld est un homme d’une personnalité peu commune, outre la position de pouvoir qu’il occupe : de tels sentiments et de tels jugements ainsi manifestés, à ce niveau de pouvoir et de puissance, doivent être considérés comme très importants.)
Nous avons souvent rappelé l’extraordinaire discours de Rumsfeld du 10 septembre 2001, où il dénonçait le plus grave danger pour l’Amérique, — et ce n’était pas le terrorisme mais le cancer bureaucratique du Pentagone, cela dit la veille de l’attaque. Passés trois ans de pouvoir absolu dans son domaine, de moyens budgétaires extraordinaires surtout depuis le 11 septembre 2001, d’une action globale lui permettant de mettre en oeuvre indirectement les forces qu’il jugeait essentielles pour briser ce monstre bureaucratique et l’obliger à se réformer dans l’action, Rumsfeld pose in fine dans ce mémo le constat de son échec, et, par conséquent, la question de savoir si l’Amérique saura jamais dompter son véritable monstre, qui est cette bureaucratie qui prolifère et réduit à la paralysie la puissance américaine. Dans cette perspective historique des trois dernières années, les questions que se pose Rumsfeld concernant la possible nécessité de mettre une nouvelle organisation en place (à la place du DoD ?!) sont simplement pathétiques : « Is DoD changing fast enough to deal with the new 21st century security environment? Can a big institution change fast enough? ». Et, aussitôt après (et ce sont là les deux paragraphes introductifs du mémo) :
« DoD has been organized, trained and equipped to fight big armies, navies and air forces. It is not possible to change DoD fast enough to successfully fight the global war on terror; an alternative might be to try to fashion a new institution, either within DoD or elsewhere — one that seamlessly focuses the capabilities of several departments and agencies on this key problem. »
Ce n’est qu’une hypothèse, mais, dans une époque de complet virtualisme où la réalité est impossible à manifester, il ne nous étonnerait pas que l’auteur de la fuite soit, indirectement, Rumsfeld lui-même — malgré les dénégations à cet égard. Quoiqu'il en soit, il s’agit d’un cri d’alarme dont il y a peu de précédents dans cette sorte de situation.
Ce texte mérite sans aucun doute une publication. Le voici.
October 16, 2003
TO: Gen. Dick Myers — Paul Wolfowitz — Gen. Pete Pace — Doug Feith
FROM: Donald Rumsfeld
SUBJECT: Global War on Terrorism
The questions I posed to combatant commanders this week were: Are we winning or losing the Global War on Terror? Is DoD changing fast enough to deal with the new 21st century security environment? Can a big institution change fast enough? Is the USG changing fast enough?
DoD has been organized, trained and equipped to fight big armies, navies and air forces. It is not possible to change DoD fast enough to successfully fight the global war on terror; an alternative might be to try to fashion a new institution, either within DoD or elsewhere — one that seamlessly focuses the capabilities of several departments and agencies on this key problem.
With respect to global terrorism, the record since Septermber 11th seems to be:
We are having mixed results with Al Qaida, although we have put considerable pressure on them — nonetheless, a great many remain at large.
USG has made reasonable progress in capturing or killing the top 55 Iraqis.
USG has made somewhat slower progress tracking down the Taliban — Omar, Hekmatyar, etc.
With respect to the Ansar Al-Islam, we are just getting started.
Have we fashioned the right mix of rewards, amnesty, protection and confidence in the US?
Does DoD need to think through new ways to organize, train, equip and focus to deal with the global war on terror?
Are the changes we have and are making too modest and incremental? My impression is that we have not yet made truly bold moves, although we have have made many sensible, logical moves in the right direction, but are they enough?
Today, we lack metrics to know if we are winning or losing the global war on terror. Are we capturing, killing or deterring and dissuading more terrorists every day than the madrassas and the radical clerics are recruiting, training and deploying against us?
Does the US need to fashion a broad, integrated plan to stop the next generation of terrorists? The US is putting relatively little effort into a long-range plan, but we are putting a great deal of effort into trying to stop terrorists. The cost-benefit ratio is against us! Our cost is billions against the terrorists' costs of millions.
Do we need a new organization?
How do we stop those who are financing the radical madrassa schools?
Is our current situation such that “the harder we work, the behinder we get”?
It is pretty clear that the coalition can win in Afghanistan and Iraq in one way or another, but it will be a long, hard slog.
Does CIA need a new finding?
Should we create a private foundation to entice radical madradssas to a more moderate course?
What else should we be considering?
Please be prepared to discuss this at our meeting on Saturday or Monday.
Thanks.
[Notre recommandation est que ce texte doit être lu avec la mention classique à l'esprit, — “Disclaimer: In accordance with 17 U.S.C. 107, this material is distributed without profit or payment to those who have expressed a prior interest in receiving this information for non-profit research and educational purposes only.”.]