26 ans après, l’environnement au centre de la stratégie

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26 ans après, l’environnement au centre de la stratégie

La communauté de sécurité nationale et du renseignement aux USA a décidé que les questions de dégradation de l’environnement et de réchauffement climatique constituaient désormais une priorité fondamentale. Surprise? Evolution décisive?

Le site WSWS.org rapporte en les commentant, ce 11 août 2009, les nouvelles publiées le 9 août 2009 par le New York Times à cet égard.

«US military and intelligence agencies are studying the strategic implications of global warming, including preparations for military interventions, the New York Times reported Sunday.

»“The changing global climate will pose profound strategic challenges to the United States in coming decades, raising the prospect of military intervention to deal with the effects of violent storms, drought, mass migration and pandemics, military and intelligence analysts say,” the Times explained. “Such climate-induced crises could topple governments, feed terrorist movements or destabilize entire regions, say the analysts, experts at the Pentagon and intelligence agencies who for the first time are taking a serious look at the national security implications of climate change.” […]

»As well as examining the potential impact of climate change on food and water supplies, disease, and mass migration, some of the official studies carried out have pointed to more direct implications for the military.

»Many key installations are vulnerable to rising sea levels and intensified storms. The headquarters of the Atlantic Fleet, located in Norfolk, Virginia, could be submerged with just a three-foot ocean level rise. Similarly, the US air base on the British island protectorate of Diego Garcia in the Indian Ocean lies just above current sea levels. Diego Garcia has played a critical role in US imperialism’s drive to control the Middle East’s oil and gas reserves; the air base provided the platform for the air bombardment of Afghanistan in 2001 and Iraq in both 2003 and the 1991 Gulf War.

»Washington’s concern over the long term implications of climate change is directly bound up with concerns over its declining global hegemony and control over key resources in the face of challenges from rival powers in Asia, Europe, and Latin America.»

Les détails sur certaines bases US essentielles, menacées d’être sous eau selon la rapidité des changements du niveau des mers en fonction de la déstructuration de notre cadre climatique, indiquant ainsi que la crise climatiques parviendrait peut-être à réussir cette quête impossible de nous débarrasser de quelques-unes des près de 750 bases US qui parsèment le monde, – voilà au moins, dans cet océan de catastrophes probables, une conséquences qui a un côté constructif. Quoi qu'il en soit, l ‘alarme est infiniment justifiée, comme l’explique le général Zinni, ancien chef de Central Command : «We will pay for this one way or another. We will pay to reduce greenhouse gas emissions today, and we’ll have to take an economic hit of some kind. Or we will pay the price later in military terms. And that will involve human lives…»

Par conséquent, l’alarme de la communauté de sécurité nationale est compréhensible, on devrait croire qu’elle est fondée et qu’elle va aboutir à des mesures, – quoi qu’on se demande lesquelles, dans quel sens, pour quoi faire, alors qu’il s’agit de faire face à l’imprévisible qui est en général appréhendé par des experts qui ont montré depuis un certain nombre d’années une sorte de morbide atonie devant les mêmes menaces... En effet, si l’article du New York Times fait grand bruit et paraît même révolutionnaire, on est en droit de se demander si tous ces experts qui se trouvent soudain mobilisés comme s’ils découvraient un nouveau Saint Graal réalisent qu’ils ne font que balbutier ce qui se dit gravement et de toute urgence depuis 26 ans.

Pour indication, et pris sans volonté systématique de tout exhumer, on pourrait rappeler… (en remontant le temps, disons jusqu'au déluge, puisque c'est bien le cas.)

• En 2007, le Congrès ordonne au DoD d’examiner de toute urgence le problème de la crise de l'environnement avec ses effets dramatiques sur la sécurité nationale. De nombreux détails sont alors donnés, dont nous nous faisons l’écho le 11 octobre 2007.

• En février 2004, un rapport extrêmement détaillé, commandité par le Pentagone, examinait en détails toutes les conséquences de la crise climatique pour les questions de sécuritév nationalre. On y trouvaot un luxe de détails, que nous rapportions le 22 février 2004, et à partir desquels le New York Times aurait pu publier l’article qu’il a fait paraître le 9 août 2009.

• Enfin, nous nous attardons surtout à plusieurs textes que nous avions publiés, en 1988, à partir notamment du rapport Discriminate Deterrence publié par le même Pentagone. Nous avons repris deux de ces textes le 5 mars 2004, en ligne sur ce site. Nous en détachons ci-dessous quelques extraits, pour une lecture sollicitée et plus rapide. On verra que la plupart des lignes de raisonnement et des évocations mentionnées ici, en 2009, sont présentes. Il s’agit de réflexions qui datent de 26 ans et qui avaient bénéficié à l’époque d’une très grande publicité. Il y aurait sans doute quelques enseignements de fond à tirer sur ces délais extraordinaires à propos d’un problème pressant pour lequel nous n’avons pas fait grand’chose d’extrêmement sérieux pour seulement ralentir son aggravation. C’est une image convaincante de notre civilisation, de sa rapidité de communication, de sa capacité d’adaptation, de l’ouverture de tous les canaux de réflexion grâce à la globalisation…. Nous commencions par imaginer, assez naïvement quant à la vitesse de la chose, que tout cela allait changer la définition du concept de sécurité nationale puis enchaînions sur certaines conséquences concrètes.

Vers une redéfinition du concept de sécurité nationale?

«L'année 1987 restera historiquement comme le grand tournant des relations internationales au niveau du contrôle des armements avec un Traité organisant pour la première fois dans l'histoire de l'après-guerre une réduction effective. L'année 1988 pourrait être celle de l'apparition d'une nécessité dont on commence à peine à mesurer l'urgence: la redéfinition fondamentale du concept de sécurité nationale. Il s'agit d'un changement de substance, une révolution plus qu'une évolution. La question posée est de savoir comment le monde des experts et spécialistes des problèmes de sécurité nationale va pouvoir l'appréhender. Le problème méthodologique est de déterminer si ce monde extrêmement fermé et spécialisé est capable d'effectuer une révolution méthodologique et sociologique telle qu'elle lui fasse considérer comme d'importance désormais relative, et peut-être relativement négligeable, des domaines jusqu'alors absolument impératifs et exclusifs: diplomatie, stratégie, contrôle des armements, technologie.

»Le concept de sécurité nationale est défini par des facteurs nettement identifiés: volume d'armements, tensions dans les rapports Est-Ouest, capacités des forces armées, à commencer par le nucléaire, capacités industrielles et technologiques, conflits régionaux nettement suscités par l'une ou l'autre des puissances. Le phénomène qui caractérise 1988 est l'apparition de nouveaux facteurs. Ils sont caractéristiques d'une tendance qui invite à élargir considérablement le concept en lui adjoignant nécessairement et impérativement des domaines de société, d'environnement, voire des facteurs médicaux.

Extraits de réflexions sur “Discriminate Deterrence”

«Le problème de l'environnement: alarme pour l'économie – Il est apparu de façon concrète en 1988 dans la mesure où la grande sécheresse du Middle West américain est considérée par certains scientifiques comme le premier effet de “l'effet de serre” en haute atmosphère (concentration de C02 d'origine industrielle amenant des modifications climatique). Cette sécheresse qui s'additionne à celle de la Chine a comme immédiate conséquence une diminution importante des réserves céréalières. Leur niveau est tombé à 54 jours, plus bas encore que le niveau de 57 jours de 1972, le plus bas de l'après-guerre (alors avec une population mondiale moindre). Lester R. Brown, président de World-watch Institute, estime d'ores et déjà que la famine et les prix très élevés des céréales vont être un élément déterminant des années quatre-vingt-dix. Là aussi, on imagine la possibilité des conséquences stratégiques.

»Un autre exemple de l'influence des problèmes de l'environnement sur les politiques stratégiques est donné par le phénomène de déforestation dans les grandes régions boisées équatoriales (Indonésie, Zaïre, Brésil). A peu près 200.000 km2 de forêt disparaissent chaque année. Aux inquiétudes des environnementalistes et des scientifiques (rôle de la forêt dans le processus de régénération de l'atmosphère, 50% des espèces animales vivant dans les forêts qui ne couvrent que 2% de la surface du globe) s'ajoute désormais l'inquiétude des politiques dans la mesure où ce phénomène acquiert une dimension politique. Ces forêts donnent les conditions ou des ingrédients pour le développement ou l'amélioration de certaines denrées alimentaires, notamment au niveau des céréales. Leur rôle dans la production de matières naturelles pour les médicaments est également essentiel (elles donnent 25% des médicaments prescrits aux Etats-Unis). Dans le futur des conflits ne sont pas à exclure, éventuellement contre des groupes d'intérêt privés, dans la mesure où il deviendrait impératif d'interrompre la destruction de forêts dans certains pays.

»Un des principaux enseignements de cette évolution est que la défense de l'environnement, jusqu'alors cantonné à une attitude idéaliste anti-économique, acquiert très rapidement avec les nécessités de survie qu'elle implique un intérêt économique impératif.

»Un tournant historique: deux siècles en arrière ... – Le phénomène le plus important de cette évolution potentielle hors du contrôle humain est le retour à une situation historique passée, — ironie : qu'on retrouverait essentiellement à cause de l'action de l'homme sur les conditions naturelles.

»Depuis deux à trois siècles, avec l'apparition de l'industrie et du moteur à vapeur, l'homme s'est doté de moyens techniques dont l'effet a été décisif. Le moteur à vapeur constitue le progrès essentiel à cet égard. Il a fait tout basculer en libérant les moyens de production et de déplacement des contraintes naturelles (des moulins à eau et moulins à vent aux usines, du cheval à la voiture, du navire à voile au navire à moteur, etc). Cette libération des contraintes de l'environnement, les progrès de la médecine parallèlement, beaucoup plus au niveau des produits chimiques disponibles (médicaments) que du diagnostic lui-même, ont amené que les facteurs naturels ont constitué des éléments de plus en plus négligeables de la grande politique et de la stratégie.

»Les perspectives appréhendées ci-dessus font soudain envisager qu'on soit obligé à revenir pour les conditions d'élaboration de la grande politique et de la stratégie à deux siècles en arrière et en-deçà. Si l'on prend le cas du SIDA: la situation envisagée fait plutôt penser aux situations politiques et stratégiques du Moyen-Age confronté à des phénomènes sanitaires tels que la peste noire qui impliquaient par exemple la rupture des liens commerciaux avec les pays où la maladie proliférait. A la simple évocation de ces références, on comprend quel bouleversement psychologique implique la situation ainsi envisagée. Les attitudes rationnelles qui ont jusqu'ici été la marque apparente du comportement de l'établissement politico-stratégique apparaissent totalement impuissantes à appréhender ces éventuels développements. Pour la première fois au XXe siècle (et pour l'entrée dans le XXIe) se profile une situation qui contredit fondamentalement et substantiellement la formation et l'éducation des élites dirigeantes dans les pays de notre hémisphère, dans les pays ayant adopté notre mode de traitement des affaires publiques, et qui contredit de la même manière tant la philosophie que la morale de ces élites. A terme, cette question de l'inadaptation probable des directions (des élites) des pays industrialisés devant les situations en formation potentielle induit la plus grave crise possible de notre civilisation à l'orée du XXIe siècle.»

Voilà… Nous commençons à atteindre le stade de la confirmation officielle de ces alarmes lancées en 1988. Après mûres réflexions.

 

Mis en ligne le 11 août 2009 à 18H17