A la Recherche du Complot Perdu, – et enfin découvert

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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A la Recherche du Complot Perdu, – et enfin découvert

26 octobre 2016 – A partir d’une certaine époque, sans doute autour de 2011-2012, lorsque vraiment le bloc-BAO commençait à chauffer, parce que la grande crise (septembre 2008) était passée et que rien ne s’était passé sinon la même chose qui recommençait en pire comme s’il existait une volonté hors de notre pouvoir d’aller vers une complète destruction, je me mis à lire épisodiquement un site que je qualifierais sans grande originalité de “platement complotiste”, un peu comme on dit que “la terre est plate”. Ce qui est d’intérêt ici et m’incite à en parler en détails, c’est l’évolution de ce site sur ces quelques années (la tendance au complotisme chez lui n’a pas varié), parce que cette évolution rend compte d’une façon remarquablement illustrative, par démonstration ad absurdo plutôt qu’a contrario selon la tendance exposée, de l’évolution de la réalité vers sa pulvérisation sous les coups des narrative, de l’évolution de la “politique” vers sa néantisation sous les coups de l’affectivisme. Le résultat est absurde puisqu’il conduit à faire le constat qu’il n’y a plus de complot à débusquer ni de false flag à faire claquer dans le vent, parce que TOUT n’est que complots et false flag, que la réalité pulvérisée comme l’on sait est devenue le miroir complet de la pire caricature imaginée par un complotiste qui hisserait un false flag. Le résultat est absurde mais cohérent dans l’évolution de notre temps ; il est donc absurde et catastrophique.

Il avait déjà été exposé deux étapes dans ce processus, qui furent marqués par des articles à ce propos dans dedefensa.org. Je les rappelle sans faire de citations trop longues, simplement une sur le site dit-“platement complotiste” lui-même et l’autre pour distinguer la seconde étape parce qu’elle introduit bien mon propos. Il s’agit, dans le chef de ce propos, du constat que nous sommes entrés dans une troisième étape dont je ne vois pas comment elle pourrait ne pas être la dernière et l’ultime au-delà de quoi nul ne sait sur quelle terra incognita nous allons débucher. Je veux dire par là que cette troisième étape nous a conduit dans une situation générale d’où il nous sera et même d'où il nous est dédormais impossible de revenir, et c’est bien là qu’est l’irréversibilité (“dernière et ultime”) : je ne vois pas comment nous pourrions revenir en arrière, dans des conditions où le Système, en supposant qu’il puisse se mieux contrôler, pourrait rétablir des conditions qui le rendraient supportable et lui garantiraient un empire plus tranquille et assuré, comme on a pu croire, comme certains ont pu croire, à certaines époques, par exemple dans les années 1990, après l’évaporation du communisme.

•  Il s’agit donc de ce site nommé WhatDoesItMeans que je consultai, – ou disons que “nous consultions” à partir de 2011-2012, à la fois pour la détente, pour le folklore, et parfois aussi pour y trouver quelque chose de plus singulier et de plus indicatif. Ce n’est qu’à partir de 2012 qu’il nous a paru intéressant d’exposer certains aspects de la problématique que l’on distinguait autour de la fréquentation d’un tel site, cela étant pris comme un cas typique de l’exploration de l’attitude à observer vis-à-vis d’une telle source. On trouve dans nos textes 27 février 2012 et du 11 mai 2012, dans dedefensa.org, des citations du site et quelques commentaires à son propos. C’est dans notre texte du 15 juillet 2013 que nous donnions notre interprétation la plus explicite, en montrant que dans le fatras de nouvelles fantasmagoriques et farfelues (j’utilise ces qualificatifs dans le but d’une classification technique, écartant toute opinion de fond sur les sujets, inutile dans ce propos), on pouvait parfois trouver l’une ou l’autre information d’un certain intérêt parce que d’apparence crédible et attachées à un problème concret et bien identifié. Il apparaissait que le site avait pris la posture de paraître partir systématiquement de sources officielles russes, ce qui pouvait alimenter toutes les hypothèses : posture faussaire, posture semi-faussaire et en partie vraie, posture pseudo-faussaire et complètement vraie, le site pouvant être complètement farfelu et parfois fondé sans le savoir ni le vouloir, ou en partie farfelu et en partie fondé, ou complètement fondé mais jouant à avoir une partie farfelue... (*) Voici le passage le plus explicite à cet égard du 15 juillet 2013 :

« Maintenant, la source… Le site WhatDoesItMeans.com dépend d’une plume nommée Sorcha Faal, qui serait russe et féminine, et du monde académique russe, et dont tout le monde s’entend aussitôt pour affirmer qu’elle (cette Sorcha Faal-là) n’existe pas. Alors on parle de David Boothe, qui est successivement ou parallèlement selon les uns et les autres un agent double du GRU; un officier (ex- ou pas ?) de la CIA, du programme COINTELPRO de lutte contre la sédition intérieure dans les années 1960 ; un manipulateur pro-sioniste ; un informaticien à la retraite ; un auteur de best-seller, etc. C’est WhatDoesItMeans.com/Sorcha Faal qui a lancé l’information selon laquelle une expérience tellurique ou une action dans ce sens de l’U.S. Navy avait causé le tremblement de terre d’Haïti de 2010. Il existe une multitude d’affirmations, de dénonciations, de suspicions et de révélations sur WhatDoesItMeans.com/Sorcha Faal. Disons, pour nous en sortir par une pirouette, que le texte du 14 janvier 2011 de Gramercy Images News donne une bonne synthèse du problème particulier WhatDoesItMeans.com/Sorcha Faal, avec quelques liens parmi d’innombrables à ce propos, et, de façon plus générale, quelques appréciations sur les questions de la désinformation (fausse information volontaire), de la misinformation (fausse information involontaire, – ou “mistake-information” ?), et de l’information tout court. Impossible de sortir de tout cela quelque chose de précis, et donc d'assuré. »

• ...Bref, je laisse ici le cas spécifique du site, sans espoir ni intérêt d’en sortir quelque chose d’assuré après en avoir rapidement donné une définition de lecteur, et je passe aux étapes signalées plus haut. Il y eut donc une première étape dans le contenu du site. Une très grande majorité des informations étaient disons des catégories fantasmagoriques ou farfelues (météorite fonçant sur la terre, extra-terrestres, expériences ultra-extraordinaires, etc.). Il y avait très peu ou pas de références du tout (lien-URL donnant une référence externe). Les textes étaient assez peu nombreux, à peu près un par semaine dirais-je de simple mémoire. Cette période dura à peu près jusqu’au printemps 2013, disons pour être symboliquement précis, jusqu’à l’affaire Snowden/NSA (début juin 2013).

• Donc, nous entrons dans la seconde étape à la mi-2013, avec une nette accélération des textes où l’“on pouvait parfois trouver l’une ou l’autre information d’un certain intérêt parce que d’apparence crédible et attachées à un problème concret et bien identifié”. Les références-URL deviennent plus nombreuses, les sujets sont de plus en plus d’actualité et de moins en moins fantasmagoriques/farfelus, se réfèrent de plus en plus à la problématique de l’affrontement entre la Russie et le bloc-BAO et aux crises qui lui sont liées. En même temps, l’évolution du système de la communication utilisé par le Système (la “communication-Système” dans l’alternative-Janus du système de la communication) accélère jusqu’à l’absurde, jusqu’à la caricature de la vérité-de-situation, à un point tel que toutes les sources complotistes, jusqu’aux plus grossières dans le camp antiSystème, ne paraissent plus irrémédiablement discréditées. Voici un exemple d’un commentaire sur cette deuxième phase, le 22 novembre 2015 : 

« Tout cela doit nous permettre de comprendre combien l’épisode actuel diffère des épisodes de cette sorte qui ont précédé. Bien des hypothèses, notamment des hypothèses de false flag s’insèrent là-dedans, mais de toutes les façons avec un effet assez faible parce qu’avec Daesh, qui est lui-même un false flag dont on ne sait plus le pour-qui, pour-quoi, pour-quoi-faire, la notion de false flag n’a plus aucun intérêt et effectivement un effet très réduit. (L’hypothèse du false flag est si universelle dans une époque qui est elle-même un immense false flag que nous attendons avec intérêt le jour où quelqu’un aura l’audace de titrer à propos d’un épisode de cette Grande Crise : “This is NOT a false flag”. Nous saurons ainsi que nous avons enfin atteint la quintessence même du false flag : parvenir à ne pas l’être dans une époque qui n’est que cela) Les conditions même de l’épisode sont telles que les sites qui nous servent de référence pour l’observation des hypothèses les plus originales, les plus exotiques, les plus abracadabrantesques et les plus folles pour expliquer les évènements n’ont, dans ce cas, guère besoin de chercher dans leur imagination des prolongements extraordinaires et hors de tout contrôle pour faire leur office. Ainsi, le site WhatDoesItMean de Sister Sorcha Faal n’a besoin d’aucun référence mystérieuse pour faire un de ses textes plus récent à ce propos, le 19 novembre : il lui suffit de se référer à des sources considérées toutes comme sérieuses, et notamment au texte du Washington Post signalé plus haut. La nature de la chose (false flag et le reste) est parfaitement défini par cette description du désordre des mots et des attitudes, correspondant aux circonstances et nullement à des logiques stratégiques, que donne Olie Richardson dans FrontRus le 21 novembre, – qu’il soit question de G4G, de la “guerre hybride” ou de la “guerre stealth”, autant d’expression pour décrire les conflits postmodernes où la communication joue le rôle le plus écrasant, le plus omniprésent... »

• La troisième phase s’est mise en place tout au long de cette année 2016, essentiellement autour du thème de l’élection USA-2016, avec une place importante faite à l’aspect russe dont on a bvu qu'il est une des structures du site en question, d’ailleurs aisément développé puisqu’on sait combien l'aspect russe est présent dans USA-2016, et notamment avec les menaces les plus catastrophiques et terribles qui y sont liées (menace de Troisième Guerre mondiale). Le résultat, et c’est là le principal où je veux en venir, est le constat qu’un “site complotiste” de cette sorte, avec tous les caractères que j’ai développés n’a plus besoin ni de sources extra-terrestres ni de son imagination pour trouver de quoi faire ce qu’il estime être son travail. Pendant le dernier mois, du 24 septembre 2016 au 25 octobre 2016, il a publié 25 textes (presque un par jour) qui, tous, sont plus ou moins liés à USA-2016 (et souvent en connexion avec la Russie), à l’aide de très nombreuses références-URL renvoyant à des sources référencées souvent très crédibles.

Bien, l’on comprendra aussitôt, je l’espère, sans nécessité d’explications supplémentaires, qu’il ne m’importe pas ici de faire la publicité d’un site ni d’en déterminer la valeur mais de montrer, à l’aide d’une référence que je connais, et sur un laps de temps conséquent, une évolution extrêmement caractéristique. Il s’agit d’observer combien nous n’avons plus besoin de chercher dans “nos sources extra-terrestres” ni dans notre “imagination” pour trouver des sujets, des faits, des événements, des déclarations, des attitudes dénotant le caractère extraordinaire, sans précédent et sans exemple de l’époque que nous vivons. Le complot est dépassé, le false flag aussi, et non seulement “la réalité dépasse la fiction” mais elle la pulvérise, elle la hache en mille petits morceaux menus... Et pourtant, comme ce site ne cesse de le répéter et comme moi-même ne cesse d’en être de plus en plus persuadé, la réalité est elle-même totalement pulvérisée par l’action de la communication,  – dans un sens (Système) ou dans l’autre (antiSystème), – au point qu’il nous faut chercher comme un enquêteur avec sa loupe des vérités-de-situation, comme l’on dit encore chez nous, pour espérer s’y retrouver. Mais tant pis, moi je m’y retrouve !

Cela ne signifie pas que je suis capable de démêler le faux du vrai dans tous les événements crisiques et les crises événementielles ou non qui s’accumulent ; cela signifie que je sais de quoi il retourne, que nous vivons bien dans le monde essentiellement, sinon exclusivement, des “unknown unknowns”. (**) Rien ne m’est assuré dans ce bas-monde sinon mon étoile polaire, qui se nomme “delenda est Systema” ; cela ne simplifie en rien mon enquête, car il faut à chaque instant, sur chaque événement, savoir où se trouve le Système et où se situer soi-même pour être antiSystème ; cela ne simplifie en rien mon enquête mais cela l’éclaire glorieusement et lui donne un sens qui n’est pas dépourvu d’héroïsme.

Vivre aujourd’hui, c’est identifier cette époque comme passant de la postmodernité à la post-postmodernité, c’est-à-dire à l’époque post-complotiste puisque l’“isme” de complotisme n’a plus de raison d’être. Nous ne nous battons plus autour de “complots”, ici les dénonçant, là dénonçant ceux qui les dénoncent, parce que l’époque est devenue un immense complot, un complot à ciel ouvert, et qu’il n’est ainsi nul besoin d’en chercher un ici ou un là. Il suffit de décrire l’époque pour décrire le Complot-du-Système, le Complot universel, le Complot-Cosmique parce qu’à prétention “cosmique” que seul un “événement cosmique”, – celui que nous attendons parce que nous savons qu’il viendra, qu’il est déjà là dans sa latence, – est capable de dénouer et de pulvériser. Ainsi les “sites complotistes” se contentent-ils aujourd’hui de décrire, en les ornant d’hypothèses fleuries et aventureuses, les événements accouchés par le Système monstrueux dont tout le monde devrait  savoir qu’ils ne sont que narrative que le Système tente de faire prendre pour la nouvelle réalité.

C’est à cet égard que l’élection USA-2016 avec tout ce qui l’accompagne et ce qui va suivre est un événement sans précédent, à cause de ses caractères propres et des caractères du système (de l’américanisme) qu’il affecte. (Parfois je me dis mon étonnement devant l’indifférence avec laquelle l’événement est suivi de l’extérieur de la Grande République, sans parler de la ridicule marche picrocholine que suit notre misérable petite presse-Système, à nous pays européens de vieille civilisation, aveugles, geignant avec cette suffisance à ne pas croire, perdus dans ce monde que nous avons tant contribués à cochonner, à déstructurer, à détruire après l’avoir reçu en héritage de nos glorieux Anciens.) Jamais effectivement autant que dans l’événement USA-2016 un complot, nécessairement manifestation du Complot-Cosmique enfin découvert en raison de l’enjeu, se sera déroulé avec une telle impudence, un tel cynisme, une telle arrogance, une telle indifférence à l’identification par les autres ; et aussi mais aussi, je le soupçonne en bon enquêteur opiniâtre, avec une telle absence d’attention à cause de la panique et de l’hystérie intérieures qui habitent les comploteurs placés devant la possibilité d’être perdus après avoir été mis à jour et mis à nu.

Ainsi vivons-nous des jours sans égal, des heures lourdes de la tension formidable de l’affrontement qui se déroule sous nos yeux et où nous sommes partie prenante. Car jamais non plus, un tel Complot-Cosmique se déroulant de cette façon à ciel ouvert n’aura-t-il levé contre lui une résistance de cette force et de cette résilience, et où chacun de nous doit avoir sa part. Je dis cela en même temps que me revient le constat que ce Journal-dde.crisis que j’avais voulu, il y a un peu plus d’un an lorsqu’il fut entamé, être au moins autant inactuel que lié aux événements, s’avère chaque jour où j’y ajoute une page, incapable d’accueillir, pour la quasi-totalité des thèmes, autre chose que des choses de réflexion, de description, de méditation se rapportant de près ou de loin à cet événement sans égal. Ainsi ceux qui auront vécu cette époque pourront-ils dire plus tard, avec le goût  sombre et sublime d’une gloire immense et incertaine : “Nous aussi, nous fûmes sans égal”.

 

Notes

(*) Certes, c’est un peu une charade à la Rumsfeld (voir note suivante). Rappel de cette charade :

« “[T]here are known knowns; there are things we know we know.

» “We also know there are known unknowns; that is to say we know there are some things we do not know.

» “But there are also unknown unknowns – the ones we don't know we don't know.” »

(**) Sacré Rumsfeld ! Un lecteur se demandait récemment pourquoi Rumsfeld et sa charade sont si souvent cités dans dedefensa.org... Parce que sa charade ne manque pas d’intérêt et délimite fort bien les domaines différents de la connaissance et de l’inconnaissance ; et parce qu’un Rumsfeld, bien plus qu’une brute comme Cheney, que le troupeau d’hallucinés des neocons et que le simplet fait Commandant-en-Chef, et même plus que Powell, celui qui avait la flatteuse réputation de se rendre compte de beaucoup de chose et qui n’a jamais rien fait, – Rumsfeld donc, quoique indiscutable crapule en de nombreux points, était certes le plus intelligent de la bande, celui qui avait compris le mieux les limites de l’entreprise (l’Irak) et qui mesura le mieux également l’étendue du désastre pour le dire dans certaines de ses interventions.