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5715On sait qu’avec Trump, outre le désordre folklorique dont on a chaque jour les échos sans fin, s’est installée à Washington D.C., à côté de “D.C.-la-folle”, une politique d’America First qui a une vieille tradition aux USA. Les échos sont de type isolationniste et protectionniste, mais ils se réverbèrent dans ce que Tom Luongo, – excellent commentateur dont nous donnons un texte ci-dessous, – nomme très justement « la phase tardive de la politique impériale des États-Unis » ; en d’autres termes, l’“empire”, si ce mot peut être donné aux USA, dans sa période ultime, décadence et effondrement mêlés.
L’isolationnisme et le protectionnisme pouvaient être appliqués au mieux de leurs atouts, – et ils le furent effectivement quoique avec diverses nuances et la parenthèse de 1917-1920, notamment de la fin de la Guerre de Sécession aux années 1930, – lorsque les USA disposaient sur leurs sol et sous-sol, dans leurs infrastructure et dans leurs mécanismes de la dynamique économique, voire dans leurs psychologies pétries de certitude d’exceptionnalité, de tous les attributs nécessaires à leur puissance. Ce n’est plus le cas aujourd’hui. En lançant après la Deuxième Guerre mondiale une globalisation qui devait être tout bénéfice pour eux, les USA permirent à diverses puissances manufacturières, financières, bureaucratiques, puis ensuite, électroniques et informatiques, de s’installer hors de leur contrôle direct et de leurs frontières pour servir de relais de l’ensemble. En nous jouant la participation America First – Le retoursous le sigle MAGA (Make America Great Again), Trump a l’air de caracoler à très court terme, pour rencontrer bientôt les premiers obstacles qui s’apparentent à la parabole du “coup de fouet en retour”.
Luongo résume donc ainsi le dilemme, l’obstacle, et bientôt le piège mortel dans lequel se précipitent les USAen déployant toutes leurs puissances financières, commerciales, régulatrices, etc. (et éventuellement militaire) : « Un thème commun sur ce blog est que le contrôle est une illusion. La puissance est éphémère. La meilleure façon d’exercer votre puissance est de l’avoir mais de ne jamais l’utiliser. Dès que vous commencez à l’utiliser, vous amenez vos ennemis à évaluer le coût du non-respect de vos exigences. »
(Il s’agit pour ce cas du système SWIFT, qui est le système mondial de télécommunication bancaire. SWIFT est l’acronyme de Society for Worldwide Interbank Financial Telecommunication ; à côté de cela, le mot swift qui permet dans ce cas à l’anglophone nombre de jeux de mot, signifie “rapide” en anglais, tout comme swiftly signifie “rapidement”.)
Luongo analyse les réactions de la Russie depuis 2014, quand lui furent appliquées les premières sanctions importantes, et la situation actuelle avec le développement du système russe SFPS, destiné à remplacer SWIFT pour la Russie elle-même, et pour la Russie dans ses contacts avec ses grands partenaires. Quelle que soit la situation actuelle du système russe, Luongo développela thèse de l’inéluctabilité de son développement, et par conséquent de l’apparition d’alternatives aux “moyens de puissance” US. Pour lui, dès lors que les USA ont décidé d’utiliser opérationnellement toute cette puissance, ils sont entrés dans la voie de l’affaiblissement en faisant naître chez les autres des puissances alternatives qui, après-demain ou même demain, mettront décisivement en question la puissance US en général.
Tout cela vaut d’autant plus pour SWIFT, qui fait partie des systèmes d’encodage du domaine par essence insaisissable et incontrôlable de l’électronique/informatique planétaire, comme cela vaut pour les grandes entreprises GAFAqui ont commencé à adopter la posture du moraliste progressiste-sociétal et s’entendent dans une sorte d’euphorie d’un simulacre de puissance à jouer au petit censeur-planétaire... L’insaisissabilité de cette sorte de “puissance”, tout comme la “puissance de marché” dont parle Luongo, qui ne s’exerce que si elle reste en place et à sa place, que si elle ne prétend pas se transformer (se transmuter) en instrument “opérationnel”, de coercition ou pour quelque autre usage de force, – cette insaisissabilité est un des caractères fondamentaux des forces et de la dynamique de la postmodernité. L’effet en est le désordre pour ceux qui n’ont aucun principe structurant auquel se raccrocher, et l’impossibilité de l’exercice de l’hégémonie et du totalitarisme selon les normes classiques.
« Malheureusement pour eux, SWIFT n’est qu’un code. C’est juste un système de messagerie crypté. Tout comme lorsqu’on essaie d’étouffer les voix alternatives sur les médias sociaux – par exemple, en déclassant Alex Jones et la plate-forme Gab, – le moyen de lutter contre le contrôle autoritaire ne consiste pas à combattre le feu par le feu, mais à utiliser les technologies. Et c’est exactement ce que la Russie a fait. Ils se sont appliqués, ont dépensé de l’argent et ont développé leur propre code. Après tout, on sait qu’un code est extrêmement difficile à contrôler.
» C’est également ce qui se passe actuellement dans toute la chaîne d'approvisionnement des communications Internet. L’infrastructure dont les producteurs de contenu indépendants ont besoin pour résister au contrôle des géants de Silicon Valley est en train d’être mise en place et verra ses activités se développer à mesure que de plus en plus d’utilisateurs prennent conscience de la réalité... »
L’inéluctable équation joue à plein, avec un Trump qui n’a jamais connu que l’application de toute la puissance possible pour forcer le partenaire à faire un bon accord (to make a deal) à son avantage. Trump applique le même raisonnement pour les USA et le reste du monde. Tous ceux qui sont sanctionnés sentent le poids de ces sanctions mais s’emploient à trouver des solutions alternatives, en même temps qu’ils prennent eux-mêmes des mesures de sanction dont les citoyens américains commencent à sentir les effets. Les USA n’ont plus aujourd’hui l’omnipotence d’antan, quand ils n’avaient pas besoin d’user de leur puissance pour faire trembler le monde. Trump applique à la perfection ce pour quoi, à notre estime, il a été élu : déployer toute la surpuissance possible pour enfin atteindre au domaine de l’autodestruction.
Ci-dessous, on trouve l’adaptation en français du textede Tom Luongo sur son site Gold Goats ’n Guns.
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Au cours de la crise du rouble de 2014/15, la Russie avait annoncé, à la suite des sanctions américaines et européennes suivant la réunification avec la Crimée, qu'elle commencerait à mettre en place un système de transfert financier électronique interne, une alternative à SWIFT. Ce système, appelé Système de transfert de messages financiers (SFPS), fonctionne non seulement en Russie, mais selon un rapport de RT, il gère désormais les données de transfert financier de plus de la moitié des institutions russes.
Selon Anatoly Aksakov, président du comité parlementaire russe sur les marchés financiers: « Le nombre d’utilisateurs de notre système de transfert de messages financiers internes est désormais supérieur à celui de ceux qui utilisent SWIFT. Nous avons déjà des discussions avec la Chine, l’Iran et la Turquie, ainsi que plusieurs autres pays, sur l’établissement de liens entre notre système et leurs système. Ces systèmes doivent être correctement intégrés les uns aux autres afin d'éviter tout problème d'utilisation des systèmes de messagerie financière internes des pays impliqués. »
Cela fait suite à l’affirmation du mois dernier par les Russes selon laquelle leur système suscitait un grand intérêt au niveau international. Il reste à voir quelle proportion de cette affirmation relève de la simple vantardise et quelle proportion relève de la réalité, mais le point important ici est que, dès que SWIFT commençait à être manipulé par les États-Unis à des fins de politique étrangère, cette sorte d’initiative était inévitable.
La Chine a son propre système interne et d'autres pays sont en train de construire le leur.
Un thème commun sur ce blog est que le contrôle est une illusion. La puissance est éphémère. La meilleure façon d’exercer votre puissance est de l’avoir mais de ne jamais l’utiliser. Dès que vous commencez à l’utiliser, vous amenez vos ennemis à évaluer le coût du non-respect de vos exigences.
S’il y a une chose à laquelle les êtres humains excellent, c’est la réaction aux exigences identifiées. Une fois que nous pouvons calculer le coût d'un comportement par rapport à un autre, nous pouvons alors décider lequel est le plus important pour nous. Une fois que les coûts liés à l’utilisation de SWIFT dépassent les avantages de la création de votre propre alternative, vous construisez une alternative.
SWIFT est une “puissance de marché” similaire à celle d’un PDG disposant de milliards d’actions de réserve dans son entreprise. On fait beaucoup de bruit autour de l’importance de la fortune d’un Jeff Bezos ou d’un Mark Zuckerberg. Citer leur valeur nette en multipliant leurs avoirs connus par le prix actuel de l'action n’a guère de sens : en fait, ils ne peuvent pas les réaliser à ce niveau. Il s’agit d’une “puissance de marché”, c’est-à-dire ce cas où la richesse perçue s'évapore au moment où ils signalent au marché leur intention de vendre.
En réalité, s'ils essayaient de vendre leurs actions en une fois, leur valeur s’effondrerait, les acheteurs se détourneraient d’eux à grande vitesse et ils réaliseraient bien moins que leur valeur nette déclarée avant le début de la vente. En quelque sorte, ils sont prisonniers de leur propre succès, ils doivent gérer avec soin sa situation pour ne pas nuire à sa réputation, à sa position sur le marché et, en fin de compte, à son activité.
SWIFT est un système de monopole, un monopole né de la commodité et de l’inertie grâce à sa neutralité face aux caprices des instances politiques internationales. Mais voici que nous entrons dans la phase tardive de la politique impériale des États-Unis, alors que notre contrôle sur les affaires mondiales s’efface d’abord dans les cœurs et les esprits de nombreux acteurs dans le monde, puis dans la politique qu’ils déterminent et vous avez alors le commencement de la fin de SWIFT comme seul système de transfert financier international.
Je me souviens qu’en, 2010 Jim Sinclair avait critiqué bruyamment la menace lancée contre la Suisse, pressée de révéler les données des clients de son système bancaire pour identifier les coupables d’évasions fiscales dans le cadre de la loi FATCA. Il avait alors déclaré que l'administration Obama était stupide d’agir ainsi.
C’est là que j’ai compris la maxime: “Une fois que vous avez choisi l’option nucléaire, vous n’avez plus d’autre choix.
Et il avait raison.
Ensuite, l'Iran a été exclu de SWIFT en 2012 dans le but de susciter dans ce pays un changement de régime, opération qui échoua. Cela révéla au reste du monde la nouvelle réalité. Les États-Unis et l’Europe tenteront de détruire votre équilibre interne si vous osez vous opposer à leurs revendications unilatérales.
Ceux qu’on appelle The Davos Crowd (“la foule de Davos”), notre élite politique et financière ne reculera devant rien pour assurer votre alignement sur ses exigences.
Malheureusement pour eux, SWIFT n’est qu’un code. C’est juste un système de messagerie crypté. Tout comme lorsqu’on essaie d’étouffer les voix alternatives sur les médias sociaux – par exemple, en déclassant Alex Jones et la plate-forme Gab, – le moyen de lutter contre le contrôle autoritaire ne consiste pas à combattre le feu par le feu, mais à utiliser les technologies.
Et c’est exactement ce que la Russie a fait. Ils se sont appliqués, ont dépensé de l’argent et ont développé leur propre code. Après tout, on sait qu’un code est extrêmement difficile à contrôler.
C’est également ce qui se passe actuellement dans toute la chaîne d'approvisionnement des communications Internet. L’infrastructure dont les producteurs de contenu indépendants ont besoin pour résister au contrôle des géants de Silicon Valley est en train d’être mise en place et verra ses activités se développer à mesure que de plus en plus d’utilisateurs prennent conscience de la réalité.
Les banques et les entreprises russes commencent à tirer profit des avantages de ne plus se trouver sous l’épée de Damoclès de SWIFT. D’autres vont s’attacher à bénéficier des mêmes avantages.
C’est ce que je répète depuis le début de l’année. Plus l’administration Trump utilise les tarifs et les sanctions pour atteindre ses objectifs politiques, plus elle affaiblit en définitive la position des États-Unis dans le monde. Certes, cela ne se fera pas du jour au lendemain. La situation évolue progressivement jusqu’au jour où la substance de la menace US se dissipera.
Nous sommes peut-être déjà arrivés à ce moment puisque le président Trump a écarté l’idée de faire pression sur SWIFT pour éliminer l'Iran du système. Dommage que son diabolique secrétaire au Trésor, Steve Mnuchin, ne soit pas d’accord avec lui. Mnuchin vit dans le passé, il n’évalue pas convenablement la résistance qui se forme face à l’hégémonie financière américaine. Il le fera quand il sera trop tard, quand cela se révélera inefficace.
Le SFPS de la Russie attirera des clients en Iran, en Turquie, en Chine et chez les autres partenaires commerciaux les plus proches. Cela accélérera la dédollarisation du principal flux commercial de la Russie, les hydrocarbures, étant donné que nombre de ces pays sont de gros acheteurs de pétrole russe.
Lorsque vous entendrez l’annonce par une banque allemande placée sous la menace de sanctions américaines pour l’achat de de pétrole ou de gaz russes qu’elle va utilisez le SFPS comme système de transfert, vous saurez qu’il s’agit du signal d’avertissement général pour les marchés.
Le changement viendra alors, – le jeu de mots est tentant, – swiftly.