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65458 janvier 2019 – Peut-être certains des lecteurs de dedefensa.org se sont-ils déjà posés la question, ou fait la remarque, d’un ton interrogateur un peu impatient, ou bien avec irritation, ou bien avec ironie, ou encore une bienveillance amusée (encore un de ces tics/ces lubies de PhG). La question se divise en fait en deux qui se complètent, successivement :
• “Pourquoi dedefensa.org emploie-t-il le terme ‘américaniste’ le plus souvent pour désigner des citoyens ou des entités des USA, en général les plus nocifs, les plus puants, les plus catastrophiques, passant d’un Bolton, d’un Trump, d’un McCain, d’un Obama, d’un Zuckerberg, de tel directeur de la com’ ou lobbyiste corrompu, de tel milliardaire du cinéma qui couvre d’or les progressistes-sociétaux, au Pentagone ou au ‘système de l’américanisme’, un des fils préférés du Système ?”
• “Et là-dessus, pourquoi, alors, parfois, très peu souvent mais tout de même, emploie-t-on le terme ‘Américain’ pour désigner très rarement certaines catégorie de citoyens, le plus souvent les pauvres et très-pauvres, notamment les petits-blancs pauvres honnis, ceux qu’on voudrait physiquement éliminer par les moyens économiques et expéditifs du néolibéralisme totalitaire et génocidaire, les Afro-Américains lorsqu’ils se révoltent contre les pièges grossiers et aguicheurs des sociétaux-progressistes et autres Soros, voire les Latinos paradoxalement lorsqu’ils parlent de Reconquista ? Et également, et surtout dirais-je, les écrivains subversifs par leur nature d’artiste, qu’on voudrait corrompre par les moyens habituels de la pluie de dollars ?”
Un ami m’a récemment posé la question, ou plutôt avoué sans ambages, car son amitié précieuse ne recule devant aucune critique fondée quoique dite avec précaution et bienveillance, son agacement de mon emploi, comme on l’a vu plus haut, très majoritaire d’“américaniste”. J’ai trouvé bonne l’occasion de m’en expliquer.
Ce n’est pas gratuit, ce n’est pas un slogan, ce n’est pas une invective cachée, ce n’est pas une pose un peu prétentieuse, ce n’est pas un tic ou une lubie “à-la-PhG” enfin. Cela a un sens et cela répond à une conception qui a à voir avec la perception fondamentale que je me fais de l’Amérique, alias États-Unis d’Amérique...
(Notez bien que je n’utilise par contre pas le termes “Étatsuniens”, qui semblerait justifié et logique, et qui a à mon sens la cause affichée ou secrète, ou inconsciente, de rabaisser les USA au rang d’une nation comme une autre, et de refuser aux habitants de ce pays une dénomination qui leur donne la vertu de puissance impériale d’être désigné par un dérivé du nom d’un continent entier sinon d’un continent-double, une exceptionnalité imméritée qui leur donnerait in fine le droit de s’affirmer comme citoyen-propriétaire du monde entier. Au contraire, je leur laisse une qualité d’exceptionnalité, parce que le terme “exceptionnel” qui n’a pas de connotation de valeur peut avoir une connotation négative sinon diabolique, autant que dans l’autre sens, – et devinez vers où balance mon jugement... Après tout, nul ne songera à dénier que le IIIème Reich ou l’URSS stalinienne étaient sans aucun doute des entités caractérisée par une situation d’exceptionnalité.)
Pour moi, l’Amérique (gardons ce nom) n’est pas une nation, pas plus qu’elle n’est une République digne de l’antique malgré qu’elle ait singé l’antique à ses origines où l’on trouve également des personnalités qui n’envisageaient pas ce destin qui lui fut finalement donné et que je m’emploie à décrire, et qui s’en désolèrent. (Jefferson sur son lit de mort : « Tout, tout est perdu. ») C’est un pays, puisque le terme a une signification géographique de territoire, dont les composants se fédérèrent ou furent fédérés presque ou complètement de force autour d’un non-État, ou simulacre d’État, dont le vrai statut est d’écarter tout ce qui peut être régalien dans le sens souverain du bien public, au profit des fortunes personnelles. Sa vocation dite-“impériale” ne l’est qu’au sens négatif : chercher partout dans son extérieur la déstructuration, particulièrement des entités qui pourraient figurer comme contre-modèle et pourraient opposer des règles et des principes à ses entreprises de pénétration (commerciale, a-culturelle, niveleuse, etc.). L’Amérique est absolument une production a-historique à finalité anti-historique, née de la modernité et partie prenante du “déchaînement de la Matière”, installée comme garante d’une “Fin de l’Histoire” dont nul n’est autorisé à douter.
Il va de soi que dans mon rangement général, je place l’Amérique comme factotum principal du Système, lui-même entité opérationnelle du “déchaînement de la Matière” et moteur de la modernité. Dans la structuration et la substance que je viens de décrire, l’Amérique est à la fois le bras-armé, le notaire, le banquier, le procureur, le pirate et l’exécuteur des hautes œuvres du Système ; elle n’a pas d’ontologie propre, elle est irrémédiablement créature du Système.
L’Amérique est, au niveau fonctionnel, complètement créature de la communication ; elle sait que la réputation, l’“image”, comptent énormément, dans ce monde “de toc” qu’elle contribue à installer et à faire prospérer sans souci des déséquilibres autodestructeurs qu’elle contribue ainsi à créer, comme par automatisme. Par conséquent, elle a besoin d’une apparence de légitimité (pseudo-légitimité). C’est pour la “bonne réputation”.
Pour se légitimer (pseudo-légitimation) elle-même autant que ses entreprises de déstructuration extérieure, l’Amérique s’est “idéologisée” ; son idéologie se nomme naturellement l’“américanisme” (What else ?). C’est expressément pour cette raison que je parle d’“américanistes” en désignant les acteurs qui sont plutôt des figurants de ce simulacre, sa politique, ses entreprises, son influence, etc. L’Américaniste est nécessairement, peu ou prou, en grande partie ou en passant, un serviteur et un employé du Système, et si c’est un gros calibre il est alors zombieSystème et fait partie des élitesSystème, – ou de la presseSystème, cela va de soi.
Pourtant, à côté de cela, je parle aussi, quoique bien moins souvent à mesure que la chose se décompose, d’“Américains”. Il s’agit de ceux qui résistent, qui refusent, qui ont pour une raison ou une autre découvert le vrai visage de l’Amérique, sa face immonde, et qui la dénoncent. Ces gens qui refusent le simulacre sont évidemment des marginaux du Système, des “dissidents” comme il y avait des “dissidents” en Union Soviétique. Aux USA, c’est historiquement dans la littérature que cette sorte de “citoyens” se trouvait en plus grand nombre.
(L’emploi du passé [“se trouvait en plus grand nombre”] est certainement de mise à cause de la confusion et du désordre qui caractérisent aujourd’hui le situation générale. La “dissidence” s’est donc étendue à d’autres domaines, selon les fluctuations du désordre et les événements politiques comme le phénomène Trump et la crise qu’il a ouverte. D’autre part, le concept de “littérature américaine” s’est largement déprécié à cause des conditions de pression du Système et de tous ses moyens de répression, du développement de la posture de censure dans tous les milieux de la communication, de l’émigration des écrivains vers les milieux alternatifs de la communication et de l’édition, etc., et enfin d’une façon générale à cause de l’abaissement décisif du niveau de la littérature du fait d’une part du déclin et de l’effondrement de notre civilisation, d’autre part de l’urgence de la situation qui pousse nombre de ces “dissidents” à préférer l’activité de la l’écrit politique à celle de la littérature pure.)
... Cela signifie que, pour moi, des gens comme Thoreau, Poe, Henry Miller, Jack Kerouac, etc., étaient de véritables Américains, de véritables “citoyens” d’une nation qui n’existait pas et qui existe moins que jamais, dont ils avaient tant cru à son existence qu’ils auraient tant aimé l’honorer de leurs écrits. Au contraire, leurs écrits ont dénoncé directement ou indirectement ce simulacre de nation, cefactotum principal du Systèmequi sait utiliser tous les moyens pour tenter de lutter contre cette “dissidence” qu’ils représentent en cherchant à la priver de l’arme ultime de l’antiSystèmeet de la raison d’être de la dissidence : l’identité, ou l’ontologie de l’être.
Voyons le cas de Jack Kerouac.
Une héroïne du mouvement Beatnikfort peu célébrée, Joyce Johnson qui fut un temps la “petit amie” comme l’on disait à l’époque, “la compagne” comme l’on dit aujourd’hui, de Jack Kerouac, nous décrit le calvaire que subit le “dissident” lorsque le Système se saisit de lui, notamment au moyen de ces armes absolues que sont le succès, la renommée, la célébration dans les normes du Système, produites par la publicité, la communication, etc. Ainsi en est-il du mouvement (la Beat Generation, ou Beatniks) qui, de la fin des années 1940 au début des années 1960, accoucha de l’énorme vague de révolte et de contestation des années1960.
(Johnson écrit cela dans son magnifique livre Personnages secondaires, le bien-nommé, montrant combien les femmes tenaient une place effacée dans le mouvement Beatnik. « Au mieux, elles furent des comparses. Ce qu’écrivirent Johnson et la femme de Neill Cassady, ce qu’aurait pu écrire Joan Burroughs font regretter qu’on les ait cantonnées à l’arrière-plan. » Il est possible qu’un jour très-prochain, la Beat Generation soit passé au tamis impitoyable et au révisionnisme-vertueux des LGTBQ.)
Je cite ci-dessous un passage d’un articlede ce site, où je décris, sous l’inspiration de la plume de Johnson, le calvaire de Kerouac à l’occasion du phénoménal succès de son livre On the Road, en 1957. On voit bien que la démarche du Système est bien la complète éradication de l’identité : puisque le “dissident” rechigne à devenir un Américaniste, il sera donc un Américain réduit à la néantisation...
« Le mouvement de la Beat Generation, dont le jeune Morphet nous dit qu’il fut aussitôt “récupéré” par Hollywood, tient dans le projet que je voudrais conduire à terme de mon récit du mystère américain, une place centrale et essentielle. Le mouvement de la Beat Generation nous est nécessaire dans sa pureté et dans son impureté. C’est dans cette complexité contradictoire, à la fois pathétique et indigne, qu’il est complètement historique, et c’est la cause de mon intérêt pour lui. Il restitue l’histoire de l’Amérique dans le récit que j’en fais et il rend compte par antithèse, presque d’une manière glacée et dans tous les cas irrévocable, de la nature même de l’américanisme. Ces jeunes gens (et ces jeunes femmes, après tout) qui enflammèrent les jeunesses du monde occidental, qui firent passer le frisson de la liberté et qui firent naître l’espoir, qui inspirèrent les révoltes en en découvrant les fondements, ces enfants égarés étaient fils et filles de la tragédie, promis au destin absurde de l’autodestruction et de l’amertume. Ils ne furent heureux à aucun moment. Ils furent très malheureux quand ils parvinrent au seuil de la réalisation de leurs ambitions artistiques et spirituelles. Il faut lire cette explication superbe dans sa vérité de Joyce Johnson, décrivant la brutale crise du caractère de Jack Kerouac lorsqu’il est investi avec tant de brutalité par la “célébrité”, en 1957. Kerouac a publié son grand livre, celui qui fera date. On the Road est aussitôt accueilli pour ce qu’il est, – une œuvre inspiré, une œuvre de rupture, aussitôt et justement comprise hors du champ littéraire, événement politique de description d’une évolution sociologique et psychologique de rupture, – une œuvre aussitôt conquise, annexée, broyée, réduite parce que finalement dangereuse, stérilisée selon la méthode générale, portée aux nues et ainsi réduite à volonté, et l’auteur avec. La “récupération” est si parfaitement accomplie que Kerouac en est abasourdi, psychologiquement hébété. “La célébrité,” écrit Joyce Johnson, “était un pays aussi inconnu que le Mexique, et j’étais son seul et unique compagnon [de Kerouac] en cette terre étrangère. Il avait très vite compris que les frontières de ce pays étaient hermétiques. On ne pouvait le quitter quand on avait assez de lui, mais il pouvait vous chasser quand il en avait assez de vous. Il vous ligotait, vous lapidait, vous flattait et se moquait de vous, – parfois, dans la même journée. Il vous extorquait tous vos secrets, chuchotait des insinuations blessantes derrière votre dos. Ses miroirs aux alouettes corrompaient votre existence. Il envahissait vos rêves….”
» Nous voici au cœur de l’acte central de la Beat Generation, de son effet, de sa force même, qui est l’apparition du livre qui en porte toute la signification révolutionnaire, et nous sommes en même temps au cœur de son désarroi, de sa tragédie et de son désespoir, de son échec complètement inéluctable comme la fatalité de la tragédie pure. Jack est transporté d’une interview à l’autre, d’un cocktail à l’autre, d’une émission à l’autre, d’une provocation à l’autre ; soumis à des journalistes trompeurs, à des présentateurs hautains, à des femmes voraces dont l’une dit à Joyce : “Tu n’as que vingt et un ans. Moi j’en ai vingt neuf. Il faut que je baise tout de suite avec lui.” Lui, écrasé, saoul, mal peigné, le regard empli de terreur par instants, répondant au présentateur John Wingate de ‘Nightbeat’ (fameux programme télé de l’époque) qui l’interroge dédaigneusement mais sans ostentation, comme cela se fait : “Dites-moi, Jack, que cherchez-vous au juste ?”, – lui, ingénu, perdu, désespéré : “J’attends que Dieu me montre Son visage.” On entend d’ici les éclats de rire et les ricanements, devant les téléviseurs et les petits fours. Plus tard, il fait faux bond à une soirée organisée pour lui par Gilbert Millstein ; il reste au lit, sans forces, “tremblant de tous ses membres”. Joyce doit téléphoner pour l’excuser. Mais John Clellon Holmes, le poète et critique qui écrivit le premier article sur la Beat Generation (le 16 novembre 1952 : “This Is the Beat Generation”), est venu spécialement du Connecticut pour le voir. Jack lui fait demander, toujours par Joyce, de venir le retrouver. Holmes arrive. Selon Joyce, Jack “dit à Holmes qu’il ne savait plus qui il était” »
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