Aristote et le vide, Syrie et State Department

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Aristote et le vide, Syrie et State Department

Il n’est pas passé complètement inaperçu que, ces derniers jours, le secrétaire d’État Kerry était encore à Moscou pour une nouvelle visite, la quatrième en une année depuis la fin du printemps 2015. C’était l’ultime tentative sans doute, du fait de la brillante et performante administration Obama, de régler une entente entre la Russie et les USA pour une coopération des deux puissances en Syrie. Kerry et Lavrov ont été de concert porter des fleurs à l’ambassade de France pour saluer les victimes de l’attaque de Nice, ce qui montre sans aucun doute la proximité des esprits. Kerry a rencontré Poutine et a longuement discuté avec lui d’une nouvelle proposition US. Ces conversations ont été officiellement décrites comme “extrêmement franches et très sérieuses”, – ce qui a le mérite de la clarté pour souligner le plus complet échec.

Le 15 juillet 2016, Alexander Mercouris constate cet échec et il le commente en ne dissimulant pas une certaine stupéfaction devant “l’incapacité des USA de s’ajuster à la réalité de la Russie avec laquelle ils négocient”. Il faut préciser qu’en substance, en effet, la proposition US semble revenir à “offrir” aux Russes un nouveau plan pour renverser Assad, cette fois avec leur aide (celle des Russes), en échange d’une place dans la coalition que contrôlent, dirigent et manipulent les USA :

« If that is in outline what Kerry was proposing then it is not difficult to see why the Russians would reject it. Essentially what Kerry seems to have offered them was yet another plan to overthrow President Assad, this time with their assistance, in return for a place in a US led military coalition.

» Assuming that that was the offer – and all the indications are that it was – then it provides a further example of the US’s inability to adjust to the reality of the Russia it is now dealing with.  What the US offered Russia was essentially nothing more than a symbolic gesture in return for the sacrifice of Russia’s entire position in Syria.  The days are long past when the Russians were prepared to sacrifice fundamental positions in return for symbolic gestures.  It is the sort of offer a Gorbachev or a Yeltsin might have accepted.  With Putin it stood no chance.  It is perplexing the US has still not grasped the point... »

Sur le même site TheDuran.com, le 14 juillet 2016, Oliver Richardson donne une analyse générale de la situation en Syrie, notamment certaines difficultés rencontrées par les Russes après leurs succès initiaux depuis leur intervention de septembre 2015. Richardson explique que ces difficultés sont essentiellement dues à la “politique” US, qui est quasiment de la seule nature de l’obstruction sans autre raison que l'obstruction, avec soutien à divers groupes “rebelles”, certains labellisées “modérés” mais la plupart pouvant être en réalité identifiés comme des groupes terroristes divers, y compris sans doute Daesh dans l’une ou l’autre occasion, – personne ne sait très bien mais l’on peut conjecturer que “oui, sans aucun doute”... De ce fait ou malgré ce fait c’est selon, enchaîne Richardson selon la plus impeccable logique, la politique russe et la campagne militaire qui va avec sont « fortement conditionnées par les espoirs d’une coopération avec les USA qui ne pourrait être effective que dans l’hypothèse d’une victoire de Donald Trump aux élections présidentielles ». Autrement dit, la Russie ne cherche pour l’instant qu’à gagner du temps en attendant novembre, et en espérant que Trump l’emportera.

« ...After the core of Palmyra was liberated, Russia then focused its attention on Aleppo. Turkey and Saudi Arabia issued rhetoric threatening an invasion. Iran then sent 6000 “Al-sabereen” troops to Aleppo to totally block such a possibility. By this time, the US’ proxies – both the “moderate rebels” and Al-Nusra – had started to create demarcation lines, which the US aims to use to partition the country. This resulted in Aleppo being split into two – North and South, with the latter being a source of Takfiri infighting (Jaish al Islam and Faylaq Al-Rahman). Due to Russia’s “withdrawal” and a lack of air support for the Syrian Arab Army, Jabhat Al-Nusra was able to reclaim what it had lost when Russia initially began its campaign. This created a scenario where Russia was forced to focus on North Aleppo in order to help cut the supply off to the South. Fortunately, the Syrian Army was able to capture some key areas in Aleppo such as Al-Mallaah Farms, thus cutting major terrorist supply routes.

» Despite these successes, Russia now finds itself in a testing situation. The US wanted Russia to enter Deir Ezzor at the same time as its units were aiding the YPG in Raqqa. Russia was unwilling to do this as priorities change all the time, and at this moment Aleppo is the “mother of all battles”. The benefit of liberating Deir Ezzor would be securing the highway that goes to Iraq, as well as a key area near Raqqa. As a result, Russia did something that angered many – they signed a ceasefire deal with the US. It is this deal that leads us to the main point: Russia is waiting for Donald Trump’s election victory in November. »

Pour diverses raisons par conséquent et pour ce qui est du temps présent et de l’administration en cours, les Russes se heurtent à une politique US qu’ils ne comprennent pas, essentiellement pour la raison qu’elle est rationnellement sinon complètement incompréhensible. Richardson note qu’une des lignes stratégiques US actuelles dans le conflit général de la région est la libération des villes de Faloujah et de Mossoul, en Irak (ou prétendu-Irak) selon l’argument effectivement stratégique et dans tous les cas péremptoire que le président Obama veut voir réaliser ces (ou ses) deux “conquêtes” pour en faire état dans son legs, ou disons son curriculum vitae (« The US is actually more interested in liberating Fallujah, and soon Mosul. Both these conquests will give Obama the legacy he wanted... »).

Cette seule hypothèse “stratégique” n’exclut aucune autre, – bien au contraire, – des très nombreuses hypothèses qui pourraient être considérées par un observateur neutre comme étant de type-dyspraxie et de type-dysphasie, et qui répondent en vérité aux deux grandes normes de la psychologie américaniste de l’inculpabilité et de l’indéfectibilité. Pour autant, on conviendra qu’elle (cette hypothèse “stratégique”) dessine gracieusement une belle et bonne illustration parmi ces nombreuses autres de la diplomatie US parvenue à l’ère du vide caractérisant la postmodernité, et y barbotant en faisant des bulles avec le plus grand délice, et faisant donc de l’“Empire“ tant vanté par ses thuriféraires appointés autant que ses adversaires secrètement fascinés, – ce qu’on nomme aujourd’hui “l’Empire du Vide”. (Cela proposé comme expression, en se rapportant à la référence que forme sans aucun doute la pertinente observation de ce qu’est la postmodernité selon Karel Kosic, référence étendue à toutes les activités, dont naturellement la manufacture de la politique de sécurité nationale et des relations internationales des USA : « [A]vec l’accroissement rapide de la consommation et du niveau de vie, s’accroît et se répand un fléau auquel le temps présent est également impuissant, comme le fut le Moyen Âge avec la disette et le choléra, le fléau de l’ère de la globalisation : le vide. »)

Cela conduit Mercouris à observer que même Aristote ne comprendrait pas la politique extérieure des USA, et ne pourrait donc en donner une explication cohérente. Tout cela n’est d’ailleurs nullement incompréhensible, puisqu’il est effectivement impossible d’expliquer ce qui est inexplicable par simple absence, par le seul vide : là où il n’y a rien, il n’y a rien que soit explicable sinon “le rien” lui-même (ce qui n'est pas rien, au reste). Mercouris, donc, cite une porte-parole du département d’État dans une passe fameuse, dont il dit qu’il ne faut en aucun cas lui en tenir rigueur puisque commenter le vide est aussi délicat et complexe que comprendre et expliquer le vide (14 juillet 2016, “Not Even Aristotle Could Explain US Foreign Policy”)... « Watching the video post and comments from Alex Christoforou entitled, “Watch the US State Department Try To Explain Why US Weapons Keep Ending Up in Al-Qaeda’s Hands” I thought to myself… It is easy and usually right to ridicule State Department spokespersons. However let us be kind to them and admit they have an impossible job. Trying to give coherent explanations of US policy would be beyond the skill of a mind as great as Aristotle’s – and of course none of them is an Aristotle. »

Une fois n’est pas coutume (sort of...), place au vide et au commentateur du vide, la porte-parole du département d’État, madame Trudeau. Il s’agit d’un extrait du briefing quotidien du ministère, le 27 juillet 2016, au cours duquel madame Trudeau s’emploie à répondre qu’elle ne peut répondre aux questions dont l’assaillent les journalistes accrédités, dont l’inévitable Matt Lee, de AP (celui qui dit “Je retiens mon souffle [jusqu’à ce que vous me donniez une réponse” – « I’m going to hold my breath »). Madame Trudeau répond mécaniquement, avec une constance et un courage louables, qu’elle ne peut faire de commentaire, qu’une “enquête est en cours“ pour chercher une réponse aux questions posées (qui concernent effectivement la livraison d’armes US qui se retrouvent dans des groupes divers, dont un certain nombre terroristes, lesquels ouvrent le feu sur des forces alliées des US, ou tout simplement US, ce qui revient à observer que les livraisons d’armes US par le gouvernement US finissent par servir à donner des instruments servant à tuer des soldats US, ce qui n('est pas bien et n’est pas le but recherché). Elle, madame Trudeau, déploie donc devant nous une certaine catégorie de vide, l’une des plus riches, le vide par l’abondance du déni, le vide par l’empilement bureaucratique, le vide par la quantité de choses négatives, impuissantes et infécondes, accomplissant ainsi parfaitement les consignes et autres “feuilles de route” du Système. Certes, il y en aura pour considérer que c’est cela, la puissance, et plus précisément la puissance de l’Empire ; certes, puisqu’il s’agit de l’Empire du Vide...

Ce texte très long et très répétitif, et néanmoins très instructif, qui peut d’ailleurs être entendu sous la forme sonore et visuelle de la vidéo du briefing du 27 juillet, constitue un document intéressant sur le fonctionnement de l’Empire du Vide.

dedefensa.org

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Département d’État : “Yeah, We Can’t...”

QUESTION : Hi. There was a joint Al Jazeera/New York Times report – rather, I should say New York Times/Al Jazeera report – alleging that some members of the Jordanian intelligence structure may have taken weapons intended for rebels fighting against the Assad regime and sold those weapons on the black market. What is this building’s reaction? What conversations has it had with the Jordanian Government? We all know that weapons turn up on the black market all the time, but given the complexity of the situation in Syria, it does raise some alarm bells.

MS TRUDEAU: Okay, so thanks for the question. We have no comment on that report. There is an ongoing investigation. The United States remains committed to Jordan’s security and stability, and we’re proud to stand side by side with Jordan in the global counter-ISIL coalition. But on that particular report, there’s an ongoing investigation. I just can’t speak to it, Ros.

QUESTION: The CIA does not comment either on its covert transfers of weapons, and yet, it is a U.S. Government policy. Who else should we ask about this?

MS TRUDEAU: As I said, I have no comment on that.

QUESTION: More of a policy – these weapons potentially ending up in the hands of extremists – is it a consequence that the U.S. is willing to accept in order to prop up rebel forces in Syria?

MS TRUDEAU: As it’s an ongoing investigation, I just don’t have a comment on that report.

QUESTION: It’s a policy. It’s not the only red flag out there. For example, last September, the Pentagon acknowledged that the Syrian rebels that it trained gave at least a quarter of their weapons cache to al-Nusrah. How many red flags do there have to be for the U.S. to stop arming rebels?

MS TRUDEAU: So we’re going to leave it where I left it.

Matt, you had a question?

QUESTION: Yeah, I – who’s doing the investigation?

MS TRUDEAU: It’s actually an interagency investigation, but the State Department is contributing to it.

QUESTION: So what are the other agencies involved?

MS TRUDEAU: Yeah, I can’t speak to all the different agencies, but it’s multiple U.S. agencies. We’re contributing information.

QUESTION: Well...

QUESTION: But she does raise a good point, that...

QUESTION: Wait, hold on, hold on.

QUESTION: Sure.

QUESTION: Just one thing. Just, I mean, the White House was just asked about this in their briefing, right?

MS TRUDEAU: I believe they were.

QUESTION: Yeah. You know what they did?

MS TRUDEAU: They refused to comment on it.

QUESTION: No, no. They referred the questions to the State Department and to the FBI.

MS TRUDEAU: Yeah. So... and on this I’m saying there’s an ongoing investigation...

QUESTION: But you won’t even say who’s doing the investigation?

MS TRUDEAU: It’s my understanding it’s interagency. It’s multiple government...

QUESTION: So which ones?

MS TRUDEAU: I don’t have a rundown of who exactly. If I have anything more, we’ll come back to you on that.

QUESTION: I’m going to hold my breath.

MS TRUDEAU: Hold on one second.

QUESTION: How long should I hold it?

MS TRUDEAU: Probably not until the end of the briefing.

Said.

QUESTION: I wanted to ask you... there were also allegations that these weapons were actually used to kill Americans, American trainers and so on, in Jordan.

MS TRUDEAU: Yeah.

QUESTION: Can you comment on that?

MS TRUDEAU: I...

QUESTION: You’re not aware?

MS TRUDEAU: As it’s ongoing, I really can’t, Said. I’m sorry.

Okay, Ros.

QUESTION: She was raising... she was touching on a really good point.

MS TRUDEAU: Yeah.

QUESTION: Is there any reason why the U.S. Government should be in the business of providing weapons to anyone who is not a part of a nation-state’s military? Because it seems every time that some rebel group gets its hands on U.S.-provided weapons, they end up in the wrong hands, they end up being sold for whatever on the black market. Is this something that U.S. foreign policy and military policy really should even be considering?

MS TRUDEAU: I know you’d like a comment on it, Ros. I just can’t at this point. If we have more that I can offer it, we certainly will.

QUESTION: But just in general terms, is this just...

MS TRUDEAU: Yeah, I can’t Ros. I’m sorry.

U.S. State Department, Daily Press Briefing