BHO, Brexit & TTIP : pavane pour un président défunt

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BHO, Brexit & TTIP : pavane pour un président défunt

On peut se demander précisément l’utilité de la dernière tournée dans le Rest Of the World d’un président US totalement vidée de sa substance et intervenant partout à propos de grands projet sur lesquels il n’a absolument plus aucune prise, et dont il ne sait absolument rien de leur destin. On parle notamment de ses interventions sur le Brexit au Royaume-Uni et, d’une façon générale, au Royaume-Uni également et ailleurs, à propos du TTIP.

En l’occurrence, le TTIP est le meilleur exemple, et semble-t-il il n’y a que quelques chefs d’État européens égarés et l’une ou l’autre bureaucratie européenne pour croire encore que les interventions d’Obama aient quelque importance que ce soit. Voilà un président complètement marginalisé qui vient chapitrer l’Europe, violer les règles fondamentale de la souveraineté d’un bon et fidèle, – ô combien, – “vieil allié” (le Royaume-Uni) pour menacer de ses foudres les uns et les autres s’ils ne s’alignent pas sur le TTIP en votant contre le Brexit. Mais jusqu’à maintenant et jusqu’à nouvel ordre, et à notre avis de plus en plus nettement, les quatre principaux candidats à sa propre succession se sont déclarés adversaires du TTIP, et ont dénoncé la partie américaniste du traité en train d’être négociée alors que nombre d’Européens l’estiment scandaleusement à l’avantage des USA. Il s’agit d’une étrange situation où les délégations des forces concernées par ce traité négocient les arcanes et labyrinthes de son contenu avec entrain alors qu’une majorité grandissante de ces “forces concernées” lui sont de plus en plus hostiles. Voilà dans quelles circonstances Obama s’en est allé faire plutôt le saltimbanque et l'importat que le voyageur de commerce du TTIP. Même aux États-Unis, à Washington, on s’est aperçu de quelque chose... Voyez comment le Washington Examiner chapitre ce président vide comme une outre à propos de sa visite chez les cousins-Britts :

« Obama's threat to demote Britain if it were to return to self-government rather than remaining under the yoke of the EU isn't just petty and ridiculous. It's also impossible; he won't even be in office to carry it out. What's more, his successor would have be a fool to do what he suggests. Were Britain to quit the EU, a wise administration in Washington would rush to make a trade deal with our British cousins. American jobs depend on trade with Britain, and it would be ludicrous to disrupt them over a soon-to-be-former president's personal irritation with British voters.

» There are strong arguments on both sides of the debate over British exit from the EU. Our own columnist Daniel Hannan, a British member of the European Parliament, has argued persuasively that Britain could actually open itself more to the world if it unbound itself from the EU and concomitant limitations on its sovereignty. How large would Britain's population (the world's 21st largest) or economy (fifth largest, according to the International Monetary Fund) have to be before it can be allowed by Washington to govern its affairs according to it's own interests and not Obama's wishes?

» Americans probably won't even notice a difference if British voters do choose on June 23 to quit the EU. Perhaps our president should refrain from pompous pronouncements about other people's business and do his own job instead. »

Les adversaires du Brexit à Londres ont voulu capitaliser sur la visite et l’ingérence extraordinaire du président Obama dans leurs affaires. Cameron a loué la sagesse du “grand Sachem”, d’une manière un peu pitoyable et vulgaire, comme à son habitude, mais le résultat de cette intervention, s’il doit être évalué politiquement, serait plutôt négatif (c’est-à-dire exploitable avantageusement par les partisans du Brexit). Quant au TTIP, ou TAFTA dans la langue de Jean-Baptiste Poquelin, la tournée d'Obama au cours de laquelle il en fut beaucoup question a été une occasion pour le déclenchement d’une vague de protestation qui saluait également un nouveau round (le 13ème) de négociations Europe-USA, – alors que là aussi, plus qu’à d’autres propos, Obama parlait littéralement dans le vide. Cela vaut particulièrement pour son pays, où le TTIP n’est pas loin d’être aussi impopulaire que l’est TAFTA en Europe ; le TTIP est bien loin d’être bouclé, et bien entendu il ne sera pas présenté au Congrès avant les élections présidentielles ; alors l’on doit se tourner vers les quatre candidats qui, dans le lot, sont les concurrents restants pour la fonction suprême. Ainsi confirme-t-on que tous les quatre, d’une façon plus ou moins appuyée, sont défavorables au TTIP (la plus modeste dans son opposition étant Clinton, qui doit effectuer pour asseoir son opposition un reniement de plus par rapport à son activité de Secrétaire d’État).

Ainsi entendit-on, grâce aux interventions d’Obama, plus haut et plus fort qu’il n’était prévu les protestations anti-TAFTA en Europe (pour saluer le 13ème round), avec une grande manifestation en Allemagne, diverses interventions en France jusques et y compris une opposition du gouvernement français, lequel semble s'être manifesté plus fermement qu’à l’habitude. (Mais certainement pas assez pour Mélenchon, certes, ni pour Marine Le Pen qui a défini TAFTA comme « une bombe atomique économique ».) Victoria Issaïeva, de Sputnik-français a effectué un tour de table auprès de divers parlementaires européens, – où l’on voit qu’il est en train de devenir de bon ton de ne pas être très satisfait de TTIP/TAFTA, un peu à la façon des jumeaux pour l’occasion Sanders-Trump qui éructent contre ce traité... Tout cela montre un ordre parfait dans le chaos-nouveau régnant au sein du bloc-BAO.

« Jérôme Lambert, député PS, explique ce qui gêne les élus français dans cet accord : “On ignore encore comment la négociation va se terminer, mais les termes dans lesquels elle se déroule sont plutôt inquiétants. Beaucoup de Français, beaucoup de partis politiques en France pensent qu'il faut être très prudents avec les Américains parce qu'on…ne doit pas accepter de leur part des conditions assez contraires à nos propres intérêts dans de nombreux domaines en particulier dans l'agriculture. L’accès aux marchés publics aux Etats-Unis est une clé aussi de la réussite ou non de l'accord. On a fixé des conditions qui rendront sans doute l'accord très difficile à conclure de la part des Américains qui veulent un accord très libéral, ce qui n’est pas notre volonté. [Obama] n’est pas le maître de l'accord puisque pour qu'il y ait un accord, il faut justement l’accord des deux parties. Donc ce n'est pas M. Obama qui fixera les termes ni la durée dans laquelle devra se conclure l’accord. Les Américains voudraient bien avoir libre accès à tout en Europe, mais ils ne voudraient pas que les Européens aient un accès libre à tout aux USA. Donc un accord doit être de ce point de vue-là équilibré pour être régulier, acceptable. On veut également le respect de tout ce qui est appellations contrôlées. A l’Assemblée nationale, quand on a discuté de cela à la Commission des affaires européennes, il y avait déjà plusieurs communications qui avaient été faites, l’avis était unanime. Tout le monde dit: nous devons défendre un avis des Européens, défendre nos intérêts et s'ils ne sont pas bien respectés, à ce moment-là on sera contre l’accord”... [...]

» Côté citoyens, la pétition “Stop TTIP” a déjà recueilli plus de 3.400.000 signatures. Une tendance vivement saluée par le député européen belge Marc Tarabella du Groupe de l'Alliance Progressiste des Socialistes et Démocrates au Parlement européen. “C'est un projet d'accord qui n'est pas encore ficelé. J'espère qu'il ne le sera jamais notamment dans le domaine qui m'est cher qu'est l'agriculture… On abandonne le mécanisme de régulation des marchés. Les prix plongent. Les Américains, eux, sont protégés par le Farm Bill. Ici en Europe, que ce soit en matière de lait, de céréale ou de viande, tout accord avec les USA ferait plonger les prix et ne protégerait pas les producteurs. Au-delà de cela, les mécanismes de règlement privé des conflits entre les multinationales et les Etats, seront utilisés pour attaquer des lois protectrices de l'environnement, les lois sociales et les lois de santé publique. Et voilà pourquoi c'est un mécanisme très dangereux. Et qu’est-ce que vont devenir les normes? On a des normes plus protectrices qu’aux USA qu’on va aller brader sur l’autel [de l’accroissement des] échanges. Je me réjouis qu'un nombre croissant de citoyens en prennent conscience en Allemagne, en France, partout en Europe mais aussi aux Etats-Unis. Je crois que la pression citoyenne est nécessaire à la décision politique… Ce n’est pas une décision prise rapidement. Elle ne sera prise avant l’élection américaine, ça c’est certain. Il faut qu’on ait le temps de faire analyser par nos spécialistes tous ces dossiers et des impacts, secteur par secteur, sur l'économie européenne qui a bien besoin d'être redressée et pas menacée...” »

Le président Obama termine d’une façon exceptionnellement étrange un mandat qui, historiquement, finira sans doute par être également considéré dans ce sens (exceptionnellement étrange). Puisque nous sommes dans l’ère du règne du système de la communication, il n’est pas surprenant d’observer que jamais les actes personnels du président des USA n’auront été autant réduits à des paroles, et la puissance du pays qu’il représente à une rhétorique étrangement exceptionnaliste. L’“exceptionnalisme” des USA fut sans cesse affirmé par lui (Obama) durant son mandat alors que tout ce qui prétend représenter les caractères exceptionnels de la Grande République n’a cessé de s’amoindrir et de s’atrophier sous sa direction.

(Ton Engelhardt note que John Gans, Jr., observait en novembre 2011, dans The Atlantic, ceci à propos d’Obama, selon une tendance rhétorique qui n’a fait que s’amplifier depuis : « Obama has talked more about American exceptionalism than Presidents Reagan, George H.W. Bush, Bill Clinton, and George W. Bush combined: a search on UC Santa Barbara's exhaustive presidential records library finds that no president from 1981 to today uttered the phrase ‘American exceptionalism’ except Obama. As U.S. News' Robert Schlesinger wrote, ‘American exceptionalism’ is not a traditional part of presidential vocabulary. According to Schlesinge's search of public records, Obama is the only president in 82 years to use the term. »)

L’ensemble donne une extraordinaire (exceptionnelle) impression d’un chaos où l’on peut distinguer à profusion des contradictions béantes, la cohabitation de narrative totalement étrangères les unes des autres, des évolutions complètement désordonnées sans que personne ne semble songer à en mesurer les effets. La phase de chaos où nous sommes entrés implique la perte de contrôle non seulement des évènements et des politiques, mais des narrative elles-mêmes, et de la cohésion rhétorique entre les divers alliés du bloc-BAO qui semblent évoluer sans réellement se voir comme autant de zombies-Système. Dans cette situation étrange, les projets deviennent de plus en plus gigantesques, labyrinthiques, paralysés et totalement incontrôlables. Pour le cas envisagé, on est conduit à observer que le TTIP/TAFTA est en train de se transformer en une sorte de “JSF du libre-échange” tandis qu’Obama entame le terme ultime de son mandat, bien au-delà de la simple inutilité, mais bien comme un sympathique facteur d’accroissement du chaos. Ce super-président super-cool devrait lui aussi rester dans l’Histoire comme une sorte de “président-JSF”, tandis que l’élection présidentielle US produit elle-même un tel chaos s’accordant si bien avec le reste qu’on aura du mal à ne pas la baptiser la “présidentielle-JSF”.

On observera l’étonnante exclusivité (exceptionnalisme oblige) que le bloc-BAO est en train d’affirmer quant à l’opérationnalisation du chaos. Mis en place pour montrer l’exemple du développement et de la gouvernance vertueuse (et à ambition mondiale, certes), le bloc-BAO est en train de dérouler presque voluptueusement le tourbillon crisique de son chaos, au point qu’on en oublierait l’Ukraine et Assad, la Syrie et Poutine, Daesh et Erdogan pour ne plus voir que le sourire éclatant de Barack Hussein Obama. Il est intéressant de s’interroger pour savoir où tout cela nous mènera, tout en avançant l’hypothèse que ce sera, comme tout le reste et comme Washington D.C., – tout à fait exceptionnel.

 

Mis en ligne le 26 avril 2016 à 21H42