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2668Y a-t-il un mystère George Friedman ? (Ou alors quelque chose comme un pseudo-mystère, parce que vite apprécié à la lumière d’une analyse hypothétique évidente...) Après avoir lu son dernier article, qu’on trouve ci-dessous, nous serions tentés, quoi qu’il en soit, de répondre par l’affirmative. Cette réponse n’est pas simple forme déguisant une hypothèse sans fondement autre que l’intuition, mais bien une hypothèse qui, si elle utilise l’intuition, a aussi quelques faits qui militent en sa faveur. Pour Friedman, nous mentionnerons d’abord celui-ci, extrait banalement du Wikipédia qui lui est consacré (le souligné en gras est de nous...) :
« In 1996, he founded Stratfor, a private intelligence and forecasting company, and served as the company's CEO and Chief Intelligence Officer. Stratfor's head office is in Austin, Texas. He retired from Stratfor in May 2015. In 2015, he founded Geopolitical Futures, a subscription-based forecasting service which provides regular updates to regional geopolitical forecasts. Geopolitical Futures now produces daily articles in the form of Reality Checks and Briefings, weekly features such as proprietary topographical resources and the Geopolitical Pulse (written by George Friedman each week), as well as further, more in-depth studies. »
Enchaînons sur Friedman avant d’en venir à son article... Nous n’avons sur lui aucune information particulière, aucune indication, sauf tout de même l’évidence des faits : pourquoi se dégager de la société Statfor, qu’il a fondée, qui est un puits à fric, pour lancer une nouvelle société en ligne traitant exactement des mêmes problèmes qu’il traitait à sa guise à Stratfor ? Même si le changement dans l’actionnariat de Stratfor, – si c’est le cas, et selon quel apport, et de qui, etc., – a dû apporter un joli pactole à Friedman, selon la participation qu’il y avait, il y a là une occurrence qui nous intéresse évidemment. Elle nous intéresse d’autant plus que, si l’on consulte le conseil de direction post-Friedman de Stratfor, on note que le N°2, Jon Sather, Chief Intelligence Officer de Stratfor, c’est-à-dire le poste fondamental de la responsabilité de l’orientation éditoriale avec le renseignement qui va avec, a été intégré à la firme après 25 ans de carrière à la CIA, en 2015 alors que Friedman s’en allait. Tout cela s’emboîte assez bien avec un CEO, David Sikora, dont la biographie nous dit qu’il est parfaitement à sa place pour avoir en charge de la gestion économique et financière du groupe.
L’occurrence de ces chassés-croisés nous intéresse d'autant plus que le départ de Friedman, en mai 2015, suit de très près celle de ses interventions publiques qui a fait le plus de bruit dans toute sa carrière à la tête de Stratfor. Il s’agit de l’affirmation, dès décembre 2014, puis répercutée à plusieurs reprises dans les premiers mois de 2015, selon laquelle il ne fallait pas parler ni de Maidan, ni d’une machination russe, ni de rien de ce genre pour le renversement de Ianoukovitch, mais bien du “coup de Kiev” complètement monté et exécuté sous la direction US, sans doute en coopération entre une faction du département d’État (Nuland et l’ambassadeur US en Ukraine, Pyat) et la CIA... Les déclarations de Friedman à Kommersant, en décembre 2014, étaient extrêmement précises :
Kommersant : « Et pour ce qui est de la Russie, quelle tactique utilisent-ils ? »
George Friedman : [...] « ...La Russie définit l’événement qui a eu lieu au début de cette année [en février 2014] comme un coup d’Etat organisé par les USA. Et en vérité, ce fut le coup [d’État] le plus flagrant dans l’histoire. »
Kommersant : « Vous parlez bien de la liquidation de l’accord du 21 février [2014], c’est-à-dire du processus Maidan ? »
George Friedman : « Tout le processus. Après tout, les USA ont soutenu ouvertement les groupes des droits de l’homme en Ukraine, y compris par des soutiens financiers. Pendant ce temps, les services de renseignement russes rataient complètement l’identification de cette tendance et sa signification. Ils n’ont pas compris ce qui était en train de se passer, et quand ils ont enfin réalisé ils se trouvèrent incapables de stabiliser la situation, et ils firent une mauvaise évaluation de l’état d’esprit dans l’Est de l’Ukraine. »
De tout cela, on peut continuer sur l’hypothèse que le départ de Friedman est à la fois une sanction et une précaution prises par la CIA pour faire payer le directeur de Stratfor pour son pas de clerc décisif, et pour éviter que cela ne se reproduise. (En passant, on notera par conséquent que cela signifierait bien que les révélations de Friedman ont eu des effets désagréables pour la politique de sécurité nationale des USA, notamment, imagine-t-on, pour les contacts discrets et secrets avec ses alliés, apprenant, pour ceux qui l’ignoraient, comment la crise ukrainienne était montée à l’extrême.)
... Et tout cela nous conduit logiquement à l’article ci-dessous de George Friedman, qui est une appréciation des mouvements en cours, des bouleversements que l’on ne cesse d’observer, notamment et particulièrement au sein du bloc-BAO, allant de Donald Trump aux USA, aux réactions nationalistes et souverainistes en Europe, à l’euroscepticisme, à la crise des réfugiés, etc. L’article (signalé par ailleurs avec empressement par Sputnik le 1er juin) paraît sur le nouveau site de Friedman, GeopoliticalFuture.com, le 31 mai 2016, et développe la thèse qui devrait être fondamentale dans la perception antiSystème que la ligne d’évènements mentionnée ne constitue nullement une sorte de “renaissance du fascisme”, mais plutôt une résurgence du “nationalisme”.
A ces termes employés par Friedman, qui raisonne en géopoliticien, nous préfèrerions les termes de “renaissance des nations” ou “résurgence du souverainisme”, d’ailleurs tout ceci considéré de manière conjoncturelle comme des outils opérationnels de l’antiSystème, parce que nous parlons plutôt en termes de métahistorien. (De même, certains aspects des définitions que donne Friedman, notamment du fascisme, nous paraissent contestables, mais cela est accessoire puisque le mot “fascisme” est de toutes les façons employé par ceux qui en usent dans ce cas, et dans le sens de l’antifascisme qu’ils croient représenter, d’une façon absolument caricaturale qui n’exige aucune correction sérieuse quant au sens.) Pour le reste, c’est-à-dire pour le sens de l’article de Friedman, le raisonnement suivi est généralement et par simple logique de type antiSystème, par rapport à la doxa globaliste qu’impose le Système ; il l’est d’autant plus que cette doxa-Système tend à devenir de plus en plus stricte, de plus en plus intransigeante dans le sens narrativiste qu’on connaît, imposant à ceux qui y reste soumis un déterminisme de fer, et mettant d’autant plus violemment à l’index ceux qui y dérogent en abandonnant “la ligne (stricte) du Parti”.
(Ces remarques ne concernent pas vraiment les “dissidents” et antiSystème assumés, dont nous prétendons être évidemment, qui n’ont nul besoin d’être mis à l’index puisqu’il s’y mettent eux-mêmes, de leur plein gré et d’une façon ouverte, considérant cette position comme une raison d’être, sinon leur honneur et leur dignité. Ceux-là ne font pas vraiment partie du débat de savoir s’il faut être ou non antiSystème, si l’on doit ou non être antiSystème, si l’on risque ou non de devenir antiSystème. Ils ont déjà tranché et sont ce qu’ils sont, tout simplement.)
C’est dire qu’à la lumière de cette hypothèse, on est conduit à observer que Friedman est passé dans le camp de l’antiSystème à cause d’une conduite un peu trop indisciplinée. (Il avait déjà donné ici et là des signes d’indiscipline, – mais la discipline était moins tatillonne à l’époque, – lorsque, par exemple, il écrivit ce texte sur la Russie, sur son patriotisme, etc., à l’occasion de la mort de Soljenitsyne.) On remarque que son site conserve par ailleurs certaines grandes lignes américanistes qu’affectionne Friedman, ce qui tend à montrer que son départ est moins la conséquence de son écart de conduite stricto sensu que du durcissement continuel des exigences du Système vis-à-vis de ses serviteurs, – quitte à faire ouvertement et sans grande habileté de Stratfor ce que tout le monde soupçonnait, à savoir qu’il s’agit d’une succursale pure et simple de la CIA. Ce durcissement-Système correspond bien à l’évolution vertigineuse que nous connaissons aujourd’hui, avec l’accélération stupéfiante des évènements dans le sens des grandes confrontations, avec un Système en mode-surpuissance correspondant d’une façon symétrique à une panique grandissante de verser dans l’autodestruction.
En d’autres occasions, nous avons souvent raillé Friedman et son américanisme mis au service de Stratfor. Dans ce cas que nous découvrons aujourd’hui en fouillant un peu l’histoire récente de Stratfor-Friedman, nous serions plutôt tentés, selon notre tactique absolument réaliste que certains, un peu trop moralistes, jugeraient cyniques, mais dans tous les cas sans le moindre état d’âme, – bref, nous serions tenté selon cette tactique de tout mesurer à l’aune de la fonction antiSystème de dire à Friedman : “Bienvenu au club”. Même s’il ne joue pas selon précisément les mêmes règles, même si ce n’est pas tout à fait la même tasse de thé que nous buvons, on ne doit pas hésiter lorsque l’ennemi est de la taille écrasante et de la fureur dévastatrice du Système. Aucun autre “ennemi principal” n’est possible que le Système et tout ce qui le déforce ou le met en fureur est bienvenu.
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Recently, there have been a number of articles and statements asserting that fascism is rising in Europe, and that Donald Trump is an American example of fascism. This is a misrepresentation of a very real phenomenon. The nation-state is reasserting itself as the primary vehicle of political life. Multinational institutions like the European Union and multilateral trade treaties are being challenged because they are seen by some as not being in the national interest. The charge of a rise in fascism derives from a profound misunderstanding of what fascism is. It is also an attempt to discredit the resurgence of nationalism and to defend the multinational systems that have dominated the West since World War II.
Nationalism is the core of the Enlightenment’s notion of liberal democracy. It asserts that the multinational dynasties that ruled autocratically denied basic human rights. Among these was the right to national self-determination and the right of citizens to decide what was in the national interest. The Enlightenment feared tyranny and saw the multinational empires dominating Europe as the essence of tyranny. Destroying them meant replacing them with nation-states. The American and French revolutions were both nationalist risings, as were the nationalist risings that swept Europe in 1848. Liberal revolutions were by definitions nationalist because they were risings against multinational empires.
Fascism differs from nationalism in two profound ways. First, self-determination was not considered a universal right by fascists. Adolf Hitler, Benito Mussolini and Francisco Franco, to mention three obvious fascists, only endorsed nationalism for Germany, Italy and Spain. The rights of other nations to a nation-state of their own was at best unclear to the fascists. In a very real sense, Hitler and Mussolini believed in multinationalism, albeit with other nations submitting to their will. Fascism in its historical form was an assault on the right of nations to pursue their self-interest, and an elevation of the fascists’ right to pursue it based on an assertion of their nations’ inherent superiority and right to rule.
But the more profound difference was the conception of internal governance. Liberal nationalism accepted that the right to hold power was subject to explicit and periodic selection of the leaders by the people. How this was done varied. The American system is very different from the British, but the core principles remain the same. It also requires that opponents of the elected have the right to speak out against them, and to organize parties to challenge them in the future. Most important, it affirms that the people have the right to govern themselves through these mechanisms and that those elected to lead must govern in the people’s name. Leaders must also be permitted to govern and extra-legal means cannot be used to paralyze the government, any more than the government has the right to suppress dissent.
Fascism asserts that a Hitler or Mussolini represent the people but are not answerable to them. The core of fascism is the idea of the dictator, who emerges through his own will. He cannot be challenged without betraying the people. Therefore, free speech and opposition parties are banned and those who attempt to oppose the regime are treated as criminals. Fascism without the dictator, without the elimination of elections, without suppression of free speech and the right to assemble, isn’t fascism.
Arguing that being part of the European Union is not in the British interest, that NATO has outlived its usefulness, that protectionist policies or anti-immigration policies are desirable is not fascist. These ideas have no connection to fascism whatsoever. They are far more closely linked to traditional liberal democracy. They represent the reassertion of the foundation of liberal democracy, which is the self-governing nation-state. It is the foundation of the United Nations, whose members are nation-states, and where the right to national self-determination is fundamental.
Liberal democracy does not dictate whether a nation should be a member in a multinational organization, adopt free trade policies or protectionism, or welcome or exclude immigrants. These are decisions to be made by the people – or more precisely, by the representatives they select. The choices may be wise, unwise or even unjust. However, the power to make these choices rests, in a liberal democracy, in the hands of the citizens.
What we are seeing is the rise of the nation-state against the will of multinational organizations and agreements. There are serious questions about membership in the EU, NATO and trade agreements, and equally about the right to control borders. Reasonable people can disagree, and it is the political process of each nation that retains the power to determine shifts in policy. There is no guarantee that the citizenry will be wise, but that cuts both ways and in every direction.
The current rise of nationalism in Europe is the result of European institutions’ failure to function effectively. Eight years after 2008, Europe still has not solved its economic problems. A year after the massive influx of refugees in Europe, there is still no coherent and effective policy to address the issue. Given this, it would be irresponsible for citizens and leaders not to raise questions as to whether they should remain in the EU or follow its dictates. Similarly, there is no reason for Donald Trump not to challenge the idea that free trade is always advantageous, or to question NATO. However obnoxious his style and however confusing his presentation, he is asking questions that must be asked.
In the 1950s, the McCarthyites charged anyone they didn’t like with being communists. Today, those who disapprove of the challengers of the current system call them fascists. Now, some of the opponents of the EU or immigration may really be fascists. But the hurdle for being a fascist is quite high. Fascism is far more than racism, tinkering with the judiciary, or staging a violent demonstration. Real fascism is Nazi Germany’s “leader principle” – which dictated absolute obedience to the Führer, whose authority was understood to be above the law.
We are seeing a return to nationalism in Europe and the United States because it is not clear to many that internationalism, as followed since World War II, benefits them any longer. They may be right or wrong, but to claim that fascism is sweeping Europe and the United States raises the question of whether those who say this understand the principles of fascism or the intimate connection between nationalism and liberal democracy.
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