« Bolton ? Bolton ? Mon Dieu, pas Bolton !  »

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« Bolton ? Bolton ? Mon Dieu, pas Bolton !  »

Lorsque, le 15 mars 2018, le colonel Pat Lang recueillit les nièmes rumeurs sur une prochaine nomination dans l’administration Trump de John Bolton à un poste important de sécurité nationale (remplacement du général H.R. McMaster comme directeur du NSC et conseiller du président pour la sécurité nationale), il s’emporta aussitôt dans un bref mais violent lamento sur son site Sic Semper Tyrannis. En voici l’essentiel :

« La rumeur se répand selon laquelle DJT [Trump] pense sérieusement à faire de l'ambassadeur (nomination à la retraite) John Bolton son conseiller à la sécurité nationale si LTG HR McMaster quitte son poste. Je ne suis plus un grand admirateur de McMaster, quelqu'un qui souffre du Syndrome du dérangement pour la Russie et l’Iran [RIDS, pour Russia and Iran Derangement Syndrome], mais Bolton ? Bolton ? Mon Dieu ! Pas Bolton !

» À un moment donné dans ma carrière au sein de la DIA, j'ai dû accomplir la corvée de visiter le département d’Etat pour exposer le point de vue de la DIA sur divers événements en cours. Lors des diverses réunions que nous avons eues à “Foggy Bottom” [surnom affectueux donné au département d’État], John Bolton semblait toujours présent. C'était une présence menaçante, fulgurante, apparemment remplie d'une hostilité flottante envers les populations étrangères sur les terres des Sarrasins. Nous avons eu quelques échanges hargneux. [...]

» Nous devrions envisager un avenir dans lequel Mattis (“l’homme raisonnable” qui déteste l’Iran), Pompeo, le stéréotype de l’ingénieur en mécanique, Bolton le fou-chauvin et la femme tortionnaire [à la tête de la CIA] pourraient constituer ainsi une grande partie de l'équipe de sécurité nationale. »

Le réseau russe RT-USA donne une version des circonstances apparentes de l’événement que nous supposons assez objective par simple effets cumulés de l’incompréhension, des circonstances, des échanges et civilités à l’occasion de l’événement que craignait tant Pat Lang : départ de H.R. McMaster, arrivée de Bolton à la tête du NSC et comme conseiller de Trump. Nous indiquons le texte de RT parce qu’effectivement et en l’occurrence, les Russes sont soumis à un tel déluge de désordre, de contrepieds, d’inepties, etc., de la part des pays du bloc-BAO et de “D.C.-la-folle” avant tout et devant tout le monde, qu’ils en arrivent à prendre les nouvelles telles qu’elles viennent sans chercher à trop les commenter, et donc, nécessairement comme dans tout commentaire, à les orienter.

(Hypothèse de la vertu par lassitude : les organes de presse russes sont, sur les affaires US, les plus proches d’une ligne objective parce qu’ils sont épuisés à l’idée d’apprécier, de mesurer, enfin à l’idée folle de devoir donner un sens à cet extraordinaire bordel.)

La seule indication de quelque intérêt pour notre cheminement dans cette nouvelle péripétie d’ailleurs annoncée et attendue depuis quelques jours sinon quelques semaines est une citation de déclarations de Trump d’il y a trois jours, alors qu’il évoquait la possibilité d’une coopération avec Bolton, au poste qu’occupait McMaster.

« Avant la nomination officielle de Bolton, Trump avait déjà laissé entendre que le vieux faucon belliciste de 69 ans assumerait un rôle “différent”. “Je sais à partir du comportement de John Bolton que sa présence devrait conduire à nous faire travailler d’une façon différente”, avait déclaré lundi le président américain. “John est un gars formidable, nous avons eu de très bonnes réunions lui et moi, il a énormément d’expérience, il a beaucoup d’idées avec lesquelles je dois vous dire que je suis tout à fait d'accord, donc nous parlerons avec John Bolton d’une façon différente” [de celle qu’il y avait entre McMaster et Trump].”

Par contraste, et c’est singulièrement ironique, il y a une volée de tweets venus d’élus et notabilités du parti démocrate qui s’emportent comme vierges considérablement effarouchées de l’arrivée du “super faucon“”, du “plus faucon de tous les faucons de l’administration GW Bush”. Soudain, ces messieurs-dames démocrates, qui demandent depuis des années l’écrasement de la Syrie et de surcroit et sans aucune hésitation de Poutine, se découvrent effarouchés par la perspective d’un belliciste à la Maison-Blanche. Il est vrai que c’est d’autant plus l’occasion de crucifier une fois de plus Trump qui, de ce côté, a beaucoup plus de capacités que Jesus : il ne cesse d’être crucifié mais il se porte comme un charme et fait valser ses équipes de travail à un point où l’on se demanderait si ce n’est pas une stratégie : faire valser tous ces gens (un conseiller de haut rang viré tous les 15 jours), n’est-ce pas une façon d’écarter l’emprise de tel ou tel groupe, ou éventuellement du DeepState ?

C’est une conception qui est à considérer, selon notre point de vue, parce qu’elle fait la part belle à la fois à l’imprévisibilité, à l’instabilité et au rythme et au désordre qui sont les principales caractéristiques de la situation washingtonienne à l’ère de l’administration Trump. Ainsi lorsqu’un super-faucons comme Bolton est appelé à un poste de cette importance, cela ne signifie pas nécessairement un tournant de la politique de Trump dans le sens voulu par Bolton, ou représenté par Bolton, mais cela pourrait aussi bien signifier qu’il s’agit d’un “opérateur” qui a plu à Trump pour des raisons insondables, et qui peut-être aussi vite et cavalièrement “jetable” qu’un Tillerson ou qu’un McMaster si l’humeur du président en décide ainsi

Le jugement général, comme c’est le nôtre en principe, –du temps de la période-Bush du personnage, – est que Bolton est un épouvantable “super-faucon”, le pire de l’administration GW Bush ; les circonstances particulières et l’étonnante et imprévisible personnalité de Trump font penser que “l’avis général” peut se révéler une très mauvaise référence. Les déclarations sibyllines de Trump où le président parle de nous faire travailler [lui et Bolton] d’une façon différente” peut signifier qu’il a plus l’intention de se servir de Bolton que de donner l’occasion à Bolton de se servir de lui et de sa position pour influencer la politique de sécurité nationale.

On a souvent l’occasion, depuis 2015-2016, à “D.C.-la-folle”, de constater que fleurissent en même temps des faits très contradictoires, témoignant du désordre comme de la marque évidente que les jugements généraux” sont aujourd’hui confrontés à leur plus furieux défi. Au moment où s’installe autour de Trump une équipe de “super-faucons” et que, par conséquent, devraient résonner les tambours de la guerre, on sait que Trump n’est nullement attiré par l’idée d’une confrontation avec la Russie et que les chefs militaires (les généraux Gerasimov et Dunford) ont recommencé à se parler très longuement et très souvent à propos de la situation en Syrie, pour éviter tout impair. Autrement dit, les militaires, ou bien disons “le bras militarisé” de l’appareil de sécurité nationale à Washington choisit de nouveau l’option d’un rapprochement de circonstance avec les militaires russes parce que l’idée d’un affrontement, – par erreur, par provocation, etc., – n’est réellement pas dans l’option “réaliste” des acteurs du terrain qui ne cessent de comprendre mieux, toujours du côté US, la puissance militaire qu’est devenue la Russie.

Il y a même des thèses qui s’appuient sur ces nouvelles recrues pour concevoir une évolution qui impliquerait une tentative audacieuse de réaliser une grande série d’accords révisés ou nouveaux, établissant une situation d’extrême stabilité. Alastair Crooke en développe une, selon l’idée que Trump va utiliser tous ces “super-faucons“ pour faire monter une tension maximale dans les principales crises en cours (Corée du Nord, Iran) et proposer au dernier moment autant d’accords, à l’avantage des USA, évitant le conflit. Mais notre appréciation est bien que la façon dont Alastair tempère, sur la fin de son texte, cette construction intellectuelle et rationnelle d’un scepticisme de bon aloi, exprime finalement le fond de sa pensée. Lui aussi comprend que le facteur essentiel est bien la situation à “D.C.-la-folle” et le désordre qui y règne. On cite ici sa conclusion. (Le texte est écrit alors que Bolton n’est pas encore nommé mais que sa nomination est attendue, aussi pourrait-il aussi bien tenir, dans le texte de Crooke, la place de Pompeo, ou a côté de Pompeo.)

« ...Paix dans notre temps ?

» Peut-être. Mais pour être juste, il faut admettre qu’il s’agit d'un projet très risqué, qui pourrait bien mener à la guerre. La Corée du Nord peut qualifier le bluff de Trump et Pompeo de “provocation furieuse”, ne laissant aucune porte de sorte à Washington sinon l’action militaire que le bluff est censée éviter. L'Iran peut choisir d'ignorer les agitations de Pompeo, tant ce pays a appris à se défier de la parole de l'Amérique. Israël peut craindre autant sinon plus les armes conventionnelles de l’Iran que des capacités iraniennes de guerre nucléaires qui sont inexistantes, et chercher à entraîner les États-Unis dans une guerre pour détruire l'Iran et préserver ainsi l'hégémonie régionale d'Israël.

» Et puis, il y a la question de savoir si l'Amérique est actuellement encore une “faiseuse d’accord” . La situation washingtonienne est considérablement fragmentée. Pour qui ou pour quoi parle Trump ? Est-ce que Trump peut donner à la Corée du Nord ou à l'Iran des garanties de sécurité crédibles, en cas d'accord ? Le Congrès coopérerait-il ? Le DeepState coopérerait-il ? Le super-faucon Pompeo [comme le super-faucon Bolton] restera-t-il fidèle à la vision de Trump ? Les néo-conservateurs vont-ils manipuler ce processus vers les conflits qu'ils cherchent à enflammer ?

» Eliot Cohen dans The Atlantic a écrit de Pompeo: “Il est parfois décrit comme un loyaliste de Trump, mais c'est un non-sens : Personne n'est loyal à Trump – il est trop indécent comme être humain pour susciter cette sorte de comportement humain. L'administration n'est pas divisée en gens qui sont fidèles à Trump et ceux qui ne le sont pas. Elle est divisée entre ceux qui savent comment manipuler sa vanité, ses haines, ses sensibilités, et ceux qui ne le savent pas.”

» Trump peut découvrir que l'intransigeance de ses adversaires présumés n'est pas son plus gros problème ; la capacité de dompter Washington avec toutes ses haines brûlantes, voilà ce qui représente le plus grand défi. »

... « Bolton ? Bolton ? Mon Dieu, pas Bolton ! » Sans aucun doute justifiée in illo tempore cette exclamation, mais peut-être bien exclamation d’un autre temps. Après tout, on renvoie McMaster qui avait été placé là, comme conseiller et directeur du NSC, comme le verrou principal du DeepState pour forcer Trump à à poursuivre la si subtile politiqueSystème du soi-disant “empire”, et voilà que le verrou saute. Dans ces conditions, qui pourra dire qui représente donc le DeepState, et comment peut-on être assuré, de plus en plus chaque jour, des étiquettes et des influences des uns et des autres, sinon de la stabilité et de la cohésion du DeepState lui-même ? On proposera plutôt l’interrogation : Bolton, et alors ? Et l’on complètera par une question désormais dans l’air du temps, question inévitable, incertaine, incontrôlable : avec un personnage comme Trump, quelle nouvelle sorte de désordre la nomination de Bolton va-t-elle nous apporter ?

 

Mis en ligne le 23 mars 2018 à 15H47