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1816On connaît la phrase fameuse d’un officiel US haut placé de l’époque Eisenhower, un ambassadeur peut-être bien ou bien même Harriman soi-même, ou l’un et l’autre frères Dulles (département d’État et CIA à cette époque), à propos d’un obscur dictateur sud-américain qui faisait des siennes mais qui était sur la fiche de paie de la CIA : “C’est certainement un fils de pute, mais c’est notre fils de pute”. (En anglo-US type-Patton, avec son of a bitch comprimé et machouillé à mesure, cela donne : « He’s a sonovobitch but he’s our sononovobitch »). C’est dans cet esprit qu’il faut entendre le compte-rendu désolé que le général Joseph Votel, US Army et commandant en chef de Central Command (CinCCENTCOM), a fait devant les éminences réunies au fameux séminaire d’Aspen, dans le Colorado.
Votel dit toute sa peine et sa souffrance de voir la plupart de ces généraux turcs qui collaboraient parfaitement “avec nous” (CENTCOM, OTAN, etc.) se retrouver en prison comme c’est le cas depuis le putsch. Cette affliction est partagée par le DNI (Director of National Intelligence) James Clapper, qui a sous son autorité la CIA, parlant à la même conférence exactement dans le même sens et selon les mêmes termes “opérationnels”. The Daily Caller et RT rapportent cette occurrence indirectement à partir de déclarations d’Erdogan citant effectivement Votel.
Daily Caller le 29 juillet : « Turkish President Recep Erdogan accused U.S. General Joesph Votel [CinCCENTCOM] of siding with coup plotters in the Turkish military Friday, marking the latest sign of fractures within the NATO alliance. Erdogan’s troubling comments come after Votel told an audience at the Aspen Security Conference that several of the U.S. military’s closest partners in the Turkish military have been jailed. Secular elements of the Turkish military attempted a coup against Erdogan on July 15, alleging the Turkish president was amassing too much power and becoming too Islamist. [...]
» “I’m concerned about what the impact is on those relationships as we continue,” Votel told the audience. U.S. Director of National Intelligence Eric Clapper concurred with Votel, telling the same audience “many of our interlocutors have been purged or arrested. There’s no question that this is going to set back and make more difficult” the U.S.’s Middle East strategy.” »
RT rapporte les mêmes informations le 30 juillet, dans un article consacré d’abord aux accusations du procureur turc qui dirige l’enquête sur le putsch, concernant l’aide et l’entraînement que le FBI et la CIA auraient donnés à des partisans de Gülen dans cette affaire. RT rapporte aussi la précision d’une autre réaction du CinCCENTCOM, mais sous forme d’un communiqué formel de Vogel, diffusé bien loin de la conférence d’Aspen, Colorado :
« On Friday, general Votel rejected Turkey’s [Erdogan’s] claims. “Any reporting that I had anything to do with the recent unsuccessful coup attempt in Turkey is unfortunate and completely inaccurate,” Votel said, according to the statement from US Central Command. Votel added that “Turkey has been an extraordinary and vital partner in the region for many years.” »
On devra être très attentif à la forme et au mode de diffusion des deux déclarations. Celle d’un communiqué émanant du quartier-général de CENTCOM est un document officiel classique, à destination extérieure (non-US), et illustrant l’habituelle narrative dans ce genre d’occurrence (“Nous n’avons rien à voir avec le putsch, indeed, monsieur Erdogan nous calomnie”). L’autre, l’intervention de Vogel au cours du séminaire d’Aspen, du 27 au 30 juillet, appuyée par une même remarque dans ce sens du DNI, les deux hommes faisant partie des intervenants du séminaire, est d’une nature complètement différente, de la sorte dont on prut dire qu'elle est une vérité-de-situation.
(Les séminaires d’Aspen, précisément le Aspen Security Forum [ASF], sont des réunions annuelles fondamentales pour la diffusion des informations, des conceptions et des consignes de la communauté de sécurité nationale US/bloc-BAO. En général, ils diffusent les-orientations les plus fondamentales à cet égard. Vogel parlait le vendredi matin 29 juillet, dans un panel réuni sous le titre « Central Command: At the Center of the Action ». Au même séminaire, on notait la présence, comme modérateur d’un autre panel [« Defeating ISIL »], du journaliste Mark Urban, de la BBC, dont on a relevé l’intervention dans un autre texte, où il mettait en évidence la gravité de la situation anti-US en Turquie et les positions anti-US de certains généraux se trouvant du côté d’Erdogan ; cette présence crédibilise Urban du point de vue de la communauté de sécurité nationaleUS/bloc-BAO, donc la crédibilité de ses informations dans ce sens.)
L’intervention de Vogel à Aspen est donc, elle, complètement à destination “intérieure” et d’un intérêt évidemment beaucoup plus grand qu’un communiqué de CENTCOM. Elle s’adresse aux participants du séminaire qui sont généralement le gratin du personnel de sécurité nationale des USA et des quelques amis sélectionnés du bloc-BAO. La précision et le détail sont là beaucoup plus importants, et il s’agit alors de ceci : “La Turquie a éliminé nos principaux correspondants dans l’armée turque, ce qui représente une mesure catastrophique qui nous prive du contrôle de la sécurité nationale turque”. De telles déclarations impliquent que les autorités de sécurité nationale US (CENTCOM mais aussi la CIA, comme une des agences sous l’autorité de Clapper), révèlent ou confirment par cette reconnaissance publique, indirectement et a contrario si l’on veut mais d’une manière absolument formelle, que les acteurs du complot étaient essentiellement des correspondants/des agents de la nébuleuse US/OTAN, et cela impliquant effectivement cette nébuleuse dans la manufacture du putsch, – simplement parce que ces “correspondants/agents” ne peuvent agir dans une opération de cette importance sans le “feu vert” actif, sinon le “feu vert”-organisateur de l’appareil de sécurité nationale US.
Selon notre point de vue et notre expérience, c’est la première fois qu’au travers des observations en apparence “techniques”, que certains jugeraient “anodines”, que des autorités de sécurité nationale US reconnaissent publiquement l’existence de réseaux puissants (Gülen ou pas, qu’importe) d’influence et de courroies de transmission de l’influence US/bloc-BAO, et par conséquent, dans les circonstances existantes, leur implication indubitable dans un putsch contre l’autorité politique. Tout cela exposé si rapidement du point de vue de la chronologie, alors que l’affaire est encore en plein développement, représente une circonstance exceptionnelle et sans précédent. On doit bien la comprendre qu’elle est exceptionnelle et sans précédent, essentiellement du point de vue de sécurité nationale US/bloc-BAO : quoi qu’en fasse Erdogan, quelles que soient ses intentions, tactique ou stratégiques, dictatoriales ou pas, néo-islamistes ou pas tant que ça, tournant décisif vers la Russie ou pas, etc., le fait demeure pour ce qu’il est ... Et il est indicatif de ce qui est jugé comme une situation extrêmement grave en Turquie par rapports aux intérêts de sécurité nationale USA/bloc-BAO, par cette communauté de sécurité nationale elle-même.
On peut alors avancer l’hypothèse que la communauté de sécurité nationale US/bloc-BAO considère d’ores et déjà Erdogan comme un adversaire à abattre, et cela depuis un certain temps, avant même le putsch bien entendu. Elle a essayé une fois de l’abattre, elle pourrait à nouveau essayer, par un nouveau coup de la même sorte, – avec la réserve que, vue l’ampleur de la purge et Turquie, ses moyens d’action vont se trouver très limités. De l’autre côté, cette pression antagoniste effective va largement pousser Erdogan à aller dans la novelle direction qu’il envisage (essentiellement vers la Russie), d’un point de vue stratégique plus que tactique. Dans cette occurrence, en effet, Erdogan a besoin des Russes, de leur appareil de renseignement, de leur puissance militaire, pour renforcer sa protection contre l’autre côté.
Au total enfin, on admettra à ce point que l’échec du putsch d’Ankara est une très grave défaite, stratégique encore plus que politique pour les USA/le bloc-BAO, et représente une première action directe, avec résultats à mesure, contre les réseaux d’occupation des forces US dans le monde. A cette lumière et tenant compte de l'importance stratégique considérable de la Turquie, on peut avancer sans aucun doute qu’à terme rapproché, selon les circonstances, l’aggravation de la tension, la présence de la Turquie dans l’OTAN, donc la cohésion de l’Alliance avec tout ce que cela suppose vis-à-vis de son existence même dans le climat actuel, oui tout cela est sur la table.
Mis en ligne le 30 juillet 2016 à 11H24
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