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85175 février 2019 – Les Italiens semblent avoir réalisé avec une certaine discrétion, mais tout de même en prenant garde de le faire savoir, un véritable “coup d’Etat” au cœur de cette forteresse de bureaucratie et de conformisme d’une idéologie radicalisée qu’est l’Union Européenne. Il s’agirait, dans le cadre de la crise vénézuélienne, du blocage par une menace de veto annoncé lors d’une réunion des ministres des affaires étrangères, contre une reconnaissance par l’UE “unanime” du “président par intérim” Juan Guaido à la place du président Maduro.
Diverses indications sur la position italienne spécifique dans cette affaire ont été données hier 4 février à l’agence Reuters. Mais c’est surtout RT.com qui est concerné, par des confidences venues directement d’un des deux partis de la coalition populiste, le M5S (Mouvement 5 Etoiles), qui a manifestement voulu être identifié comme tel dans les informations qu’il a données aux réseau russe. Voici ce qu’en dit RT.com :
« Rome a-t-il fait dérailler une déclaration de l’Union européenne (UE), censée reconnaître Juan Guaido comme dirigeant par intérim du Venezuela si le président Nicolas Maduro n'organisait pas des élections présidentielles anticipées ? C'est ce qu'une source au sein du Mouvement 5 étoiles, parti dirigé Luigi Di Maio, l'un des deux vice-présidents du Conseil des ministres et ministre du Développement économique, du travail et des politiques sociales, a fait savoir à RT.
» Selon cette même source, l'Italie aurait annoncé son veto lors d'une réunion informelle des ministres des Affaires étrangères de l'UE qui s'est tenue le 31 janvier en Roumanie. A travers cette déclaration, qui devait être prononcée par le chef de la diplomatie européenne, Federica Mogherini, l'UE reconnaissait Juan Guaido comme président par intérim si des élections présidentielles anticipées n'étaient pas organisées.
» Ce 4 février, des sources diplomatiques ont affirmé à l'agence de presse Reuters que l’Italie s’était opposée ce même jour à une déclaration commune de l'Union européenne visant à reconnaître Juan Guaido comme “président par intérim”.
» Le Parlement européen a été le premier organe européen à reconnaître l'opposant “en tant que seul président par intérim légitime du pays jusqu'à ce que de nouvelles élections présidentielles libres, transparentes et crédibles puissent être convoquées pour rétablir la démocratie”.
» Il avait exhorté l'UE à faire de même, mais ses efforts ont été suspendus en raison de discordes internes. Ce 4 février, plusieurs pays européens, dont le Royaume-Uni, la France, l'Allemagne, l’Espagne ou encore l’Autriche ont finalement reconnu – séparément – Juan Guaido en tant que président par intérim (ou président “en charge” dans le cas de la France) du Venezuela. »
Comme on le voit, il s’agit d’une affaire qui secoue notablement le monde transatlantique, avec notamment et sans véritable surprise l’habituel rassemblement des pays européens les plus marquants derrière les USA, mais aussi avec l’agréable surprise de ce qui serait l’attitude très indépendante prise par le gouvernement italien. L’événement vénézuélien dépasse donc très largement le cadre régional et envoie une onde de choc dans tous les domaines des relations internationales, à la suite de l’initiative américaniste immédiate, ce que Wayne Madsen nomme (voir ci-après) “la boite de Pandore de Pompeo”.
Bien entendu, personne parmi les grands moralistes de l’UE ne s’attarde sur l’aspect totalement illégal, illégitime, faussaire, etc., de cette “reconnaissance” d’un “président par intérim” faite en pleine lumière, dans une atmosphère d’un cynisme consommé du genre dont le secrétaire d’État Pompeo semble avoir le secret. On imagine ce que pourraient être les conséquences d’une telle pseudo-jurisprudence, l’accentuation exponentiel du désordre que cela implique si l’on devait considérer la chose comme une sorte de nouvelle “légalité” internationale.
Wayne Madsen donc, s’y essaie… Madsen est un dissident antiSystème mais plutôt de gauche, et un adversaire sans concession de Trump malgré les aspects parfois/souvent antiSystème de l’action de Trump. Il imagine ce que pourraient devenir les affaires internationales à partir de la rocambolesque, de l’abracadabrantesque “jurisprudence Maduro-Guaido”, – laquelle, de plus, est affirmée comme telle près de neuf mois après que Maduro ait été réélu, comme si le monde si sensible du Droit International avait pu vivre dans l’innocence et l’inconscience avec ce cancer de l’épouvantable et scandaleuse élection de Maduro fiché en son flanc absolument vertueux… (Question de Lavrov : « C’est incroyable que l’Union européenne marche de nouveau dans les pas des Etats-Unis et commence à lancer des ultimatums, insistant sur le fait que la réélection du président Maduro pour un second mandat n’ait pas été légitime [...] Mais s’ils affirment que l’élection n’a pas été légitime, pourquoi n’ont-ils rien dit depuis mai 2018 ? »)
Voici un extrait du texte de Wayne Madsen : « Pompeo a véritablement ouvert la “boîte de Pandore” avec son initiative ouvrant le défilé de reconnaissance internationale de Guaido comme nouveau président (“par intérim”) du Venezuela, dans un acte de complète usurpation antidémocratique du pouvoir. Qu'il s'agisse de la boîte de Pandore de Pompeo ou de la “doctrine Trump”, ceux qui se précipitent pour soutenir Guaido pourraient bien voir la situation se retourner contre eux. Bolsonaro, qui a été élu président du Brésil uniquement parce que l’ancien président Luiz Inacio Lula da Silva, beaucoup plus populaire, est toujours en prison à la suite d’un procès politique basé sur des accusations fabriquées de toutes pièces ; nombre de pays pourraient finalement estimer que Lula, bien qu’emprisonné, est le président légitime du Brésil, et le reconnaître comme tel à la place de Bolsonaro.
» Il en va de même pour le Colombien Duque, qui a remporté son élection en 2018 en raison de l’intimidation des électeurs par des cartels de la drogue et de puissants oligarques. Le candidat de gauche défait, Gustavo Petro, pourrait être reconnu comme président de la Colombie par d’autres nations. Le président péruvien, Martin Vizcarra, n’est devenu président qu'après la démission de celui dont il était le vice-président, Pedro Pablo Kuczynski, à cause du scandale de corruption Odebrecht qui a secoué toute l’Amérique latine. Vizcarra pourrait facilement à son tour se voir contesté comme président du Pérou, lui aussi étant impliqué dans le scandale Odebrecht. Des nations du monde entier, dégoûtées qu’un tel criminel soit installé au palais présidentiel à Lima, pourraient se tourner vers le vice-président de Vizcarra, Mercedes Araoz.
» Quant au président de l’Argentine, Mauricio Macri, qui soutient Guaido, sa victoire à l’arraché et largement marquée d’accusations de fraude de 2015 sur Daniel Scioli, pourrait être contestée par des nations progressistes, lui préférant finalement Scioli à la présidence de l’Argentine. Et ainsi de suite pour nombre de dirigeants qui ont reconnu Guaido comme président du Venezuela. Peut-être même qu’un groupe de nations pourrait annoncer qu’elles ne traiteraient plus désormais qu’avec le chef de l’opposition travailliste Jeremy Corbyn comme Premier ministre britannique.
» Et un groupe de pays pourrait toujours proclamer qu'ils croient que Donald Trump a été élu illégalement à la présidence des États-Unis et annoncer qu'ils reconnaissent Hillary Clinton en tant que présidente par intérim des États-Unis. En effet, l’ouverture de la boîte de Pandore par Pompeo laisse entrevoir des possibilités intéressantes. »
On se doute qu’il y a beaucoup de choses à dire dans le domaine général des relations internationales à propos de cette affaire vénézuélienne mais on se doute également que toutes ces choses nous ramènent à une seule observation, à un seul constat, à une conclusion sempiternelle, avec pour en faire la synthèse toujours le même mot répété et répété pour caractériser l’état de ces relations : désordre, désordre, désordre…
Pourtant et pour autant, l’événement qui nous paraît le plus intéressant, – tant il est vrai que le constat du désordre, fut-il rocambolesque et abracadabrantesque, ne parvient plus à vraiment nous émouvoir ni à susciter un commentaire à chaque fois d’un intérêt extrême, – est bien le cas spécifique de cette attitude de l’Italie dans les délibérations de l’UE. Il s’agit là d’un événement important et, surtout, d’un événement nouveau.
L’affaire vénézuélienne, dès lors que les USA ont “reconnu” un nouveau président à la place du président légal, est devenue une affaire de cœur et d’âme pour l’UE, quelque chose d’essentiel. Elle est entrée dans la confrérie des grandes dynamiques transatlantiques, de la partie des non-dits impératifs, qui caractérise ce qu’il y a de plus extraordinaire dans l’alignement de l’UE sur les USA. C’est le domaine de la servilité comme raison d’être selon l’UE, plutôt que la “servilité volontaire”, car la volonté est une denrée inconnue dans l’UE … (S’il faut des qualificatifs, on proposerait bien le duo “servilité arrogante et besogneuse“, – “servilité arrogante” pour Macron, “servilité besogneuse” pour Merkel.)`
Cela concerne ces grandes affaires sans queue ni tête, lancées à partir de narrative, essentiellement sinon exclusivement par les USA devenus “D.C.-la-folle”, et que l’UE se doit de suivre aveuglément, même si c’est contre son intérêt, et l’on dirait même : surtout si c’est contre son intérêt. Les sanctions contre la Russie sont le meilleur exemple de cette sorte d’activité parano-schizophrénique et maniaco-dépressive ; mais quoi, l’UE doit suivre, et à l’unanimité. Il y a parfois des grognements, mais tout le monde suit, d’autant que les deux grands leaders France-Allemagne ont tout de suite déclaré qu’ils défendaient une Europe indépendante et souveraine et que, pour cette raison, il fallait absolument suivre, yeux fermés et nez bouchés, la trace des USA, fussent-ils les USA du haïssable Trump. La bureaucratie-UE fait le reste, chargé de mettre des verrous partout où il se doit.
C’est de cette sorte que l’affaire vénézuélienne était devenue en quelques jours, et donc tout devait aller comme sur des roulettes comme on en a décrit le modèle, avec une décision unanime de l’UE pour adouber le nouveau président légalement non-élu et donc complètement illégitimement légitime. Pourtant, ce ne fut pas le cas, et la surprise dut être aussi terrifiante qu’une explosion nucléaire ! L’on mesure combien cette transgression du non-dit sacré et proaméricaniste constituerait une révolution copernicienne.
Les Italiens se seraient donc dressés et auraient dit : nous ne marchons pas et ne voulons pas d’une position commune de l’UE qui nous engagerait, et nous ferons usage si nécessaire de notre droit de veto pour interdire cette position commune. Ce dut être un beau tintamarre, car il y a tout lieu de croire que tout s’est ainsi passé, mais finalement l’on céda et l’on abandonna l’idée d’une reconnaissance de Guaido par l’UE. Que ce soit le M5S qui ait fuité cette affaire spécifiquement vers RT.com n’est pas exempt de signification. On peut interpréter les deux aspects tels qu’ils nous ont été restitués de cette façon :
• Des deux composants du gouvernement populiste, l’intervention de M5S serait logique dans la mesure où ce parti est à gauche (la Liga à droite), soit plus proche de Maduro et du bolivarisme vénézuélien.
• La fuite vers RT.com, là aussi de façon spécifique où la source s’identifie elle-même, constituerait un acte de défiance vis-à-vis de la presseSystème italienne et européenne et une reconnaissance du rôle de RT auprès des antiSystème, comme le seul réseau à grande diffusion qui ne soit pas sous le contrôle des forces oligarchiques au service du Système.
En fait de jurisprudence, celle que l’Italie aurait imposée au cœur des règles non-écrites les plus sacrées de l’UEest d’une immense importance, certainement plus importantes que l’acte délictueux des USA par rapport au Venezuela. Elle ouvrirait une brèche dans une forteresse psychologique et bureaucratique qu’on jugeait inexpugnable jusqu’alors, sous l’influence qu’on jugeait être de fer des Franco-Allemands. Tout cela est brusquement ébranlé jusqu’au tréfonds, et il s’agirait bien d’une sorte de coup d’État, – sans tambour ni trompette, que personne ne signalera, pour ceux qui s’en sont aperçus, – mais pourtant bien plus important que nombre d’affirmations bombastiques dont l’UE est coutumière lorsqu’il s’agit des droits de l’homme et de toute cette sorte de choses.
Bien entendu, nulle surprise que cela vienne du gouvernement populiste italien, que l’UE et ses partisans ne cessent de maudire davantage chaque jour. L’antagonisme entre la France et l’Italie, déjà bien alimenté, n’en sera que plus exacerbé. Ce qu’on craignait de ce gouvernement populiste Italie, c’était essentiellement des actions internes de la sorte qu’il a jusqu’ici développées (rassemblement des populismes notamment). Par contre, l’on n’attendait guère d’action de ce gouvernement sur la politique extérieure de l’UE de strict alignement sur le Système, via les USA et les réflexes transatlantiques.
Mauvaise surprisepour le Système, caractéristique d’une époque nouvelle.
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