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248911 janvier 2017 – L’esprit bien loin de Trump, j’étais hier dans une de ces tournées rarissimes, mes seules sorties hors de mon domaine, à Bruxelles pour une après-midi et un début de soirée, pour vérifier quelques attaches familiales et goûter quelques manifestions de l’amitié. Une longue rencontre avec ma fille aînée, une visite d’une tristesse sans fin à ma sœur aînée qui perd ses facultés mentales à cause de la vieillesse, éloignèrent effectivement mon esprit de ses habituelles préoccupations. Je les retrouverais pour mon dernier rendez-vous, avant le train, dans ce charmant petit bistro-restaurant bruxellois, le Mokafé de la galerie de la Reine, où l’on retrouve, entre les cohortes incertaines de touristes, quelques vieux habitués, quelques bohèmes sur le tard, l’une ou l’autre vieille dame pleine d’ardeur et dévorant les gâteaux qui y sont excellents, un solitaire qui vient y lire son journal et un étudiant attardé qui peaufine sa thèse ; et puis nous trois, deux chers amis et moi-même, eux et moi travaillant dans le même champ de préoccupation qui est celui de dedefensa.org.
...Ainsi les vis-je arriver, l’un après l’autre, – car je suis toujours le premier arrivé, bien entendu, – chacun le nez collé sur son machin, – i-phone ? smart-phone ? Je ne sais pas, bref un portable qui donne l’internet et donc l’information en direct... Et tous deux de s’exclamer sur le spectacle en cours à Washington D.C., Trump face à la presse-Système ; de s’exclamer, eux qui connaissent ce domaine de la communication en politique extérieure, sur la maîtrise, l’habileté de Trump. Rentré à mon port d’attache hier soir, je vérifiai rapidement la chose : quelques passages, l’atmosphère, l’ambiance, effectivement le calme et la maîtrise de soi, y compris dans l’accrochage avec Acosta de CNN à la question duquel Trump oppose le refuse formel de répondre. (Contrairement à la remarque du New York Magazine notée par ailleurs [« ...except when he refused to call on CNN reporter Jim Acosta, yelling “You are fake news!” »], je trouve que même dans cette séquence Trump ne s’est nullement départi de son calme.) Les échos recueillis depuis, chez l’une ou l’autre “source sure” comme l’on dit, confirment cette impression générale.
Il ne faut pas s’y tromper : par rapport au decorum, aux us & coutumes de l’Empire, Trump a posé hier des actes incroyables dans le sens du sacrilège. Sa façon de refuser la question de l’Acosta-de-CNN doit rester dans les archives comme une sorte de révolution. Dans le catéchisme de l’empire, où règnent les formules toutes faites type-gri-gri du freedom of speech, de la presse-Fourth-Estate, etc., rejeter une question d’un journaliste accrédité c’est quasiment faire du négationnisme dans le sens le plus sacrilège du terme ; c’est nier “l’existence de l’autre”, comme disent nos sociologues, ou plutôt nos sociétologues (de sociétal) postmodernes, et quel “autre” encore ! L’archétype absolument-bidon, donc à épargner, à protéger absolument, de l’apparence ripoliné de l’américanisme comme torche de la liberté, the Light on the Hill, la déclamation à faire pleurer les midinettes du « Donnez-moi vos pauvres, vos exténués, qui en rangs pressés aspirent à vivre libres. […] Envoyez-les moi, les déshérités, que la tempête m’apporte. J’élève ma lumière et j’éclaire la porte d’or ! » (*) (Cela, de la poétesse américaniste Emma Lazarus, Juive sépharade portugaise d’une famille installée sur The Hill depuis trois ou quatre générations, chantant le Cantique des Cantiques de la postmodernité des USA-1883 accueillant les réfugiés du monde entier, avec quelle tendresse, quel amour, etc., je ne vous dis pas.)
Je m’en avise et vous en avise, je viens de dérouler une pelletée de lieux communs aussi collants que la crasse, poussiéreux, glaireux, mais c’est bien pourtant cela qui tient les USA ensemble, à la satisfaction du Diable ; et le journaliste y a une place sacrée, fut-il le dernier des salopards, et sans doute même pourrait-on dire que ça aide d’être le dernier des salopards ; et c’est ce symbole que The-Donald a balancé d’un coup de latte et d’un doigt vengeur en déniant à l’Acosta-de-CNN son essence même du porteur de la torche ! Mesurez l’impensable et l'indicible à la fois de cet acte-relaps...
Le refus de cette question, cet instant est absolument terrible. Trump a réduit en bouillie, d’un seul coup, il a renversé d’un seul geste tout un rang d’oignons des idoles du temple. Quel acte impie ! Et lui, il s’en fiche, il continue, il passe à quelqu’un d’autre (je crois qu’il a donc effacé le d’Acosta-de-CNN et est passé à quelqu’un de chez Breitbart.News, rien que cela). On ne mesure pas les effets & conséquences de telles démarches sacrilèges : moi-même, je n’en peux rien dire de précis ni ne vous offrir la moindre prévision mais je sens bien qu’un tel acte de sacrilège ne peut absolument pas rester sans effets & circonstances d’une extrême gravité, d’une dynamique bouleversante... Dans quel sens, pour qui, comment ? Pas de réponse sauf, pour mon compte, et particulièrement satisfait : le désordre, bien entendu l’hyperdésordre... Et, au-delà, à tous les coups et de toutes les façons dans ces temps affreux de déstructuration et de dissolution, la désacralisation du simulacre impérial, c’est-à-dire, objectivement parlant, la désacralisation de ceci qui n’est rien d’autre que l’anti-sacré (l’américanisme, ses contes et ses sornettes diaboliques, réduisant en bouillie le sens du sacré sur lequel s’est construit l’histoire de notre civilisation, et les autres civilisations avant elle) ; la désacralisation de l’anti-sacré, nous en sommes là ! Rude perspective, que le Trump lui-même ne peut mesurer ni juger en aucune façon. Mais bon, c’est du lourd, du très-révolutionnaire.
Comment, comment donc ! m’exclamai-je, enfin comme tous ces gens-là, ces journalistes, ces représentants de la Plume de la Liberté-éclairant-le-Monde, ne se sont-ils levés d’un seul mouvement pour quitter la salle dès lors que Trump refusait à d’Acosta-de-CNN le droit de poser une question ? Ce geste de solidarité était la seule sauvegarde possible : pas un n’y a songé, eh bien c’est donc ça, c’est donc qu’“il y a quelque chose de pourri” dans le vieux simulacre impérial, et quelque chose de vraiment puant, d’insupportablement réduit à la pourriture même. Et ainsi le d’Acosta-de-CNN est-il devenu, par le fait, par la force de transmutation du sacrilège, CNN-le-Maudit... Mesure-t-on la profondeur du gouffre, – par ailleurs insondable, alors, – qui s’ouvre devant nous ?
Mais Trump, lui, il s’en fout. Il a parlé avec son bon sens bien commun, son Common Sense à la pseudo-Thomas Paine, son attention pour l’“image”, son goût du théâtre dont il sait que c’est une part de la façon de négocier l’installation d’un nouvel Empereur, fût-ce d’un empire de carton-pâte en train de bouillir. On ne peut juger cet hurluberlu à la mesure habituelle, avec les références sempiternelles, la pesée bien connue des ingrédients, ses déclarations, les choix de ses collaborateurs, ses inclinations “idéologiques”, son “programme”, ses idées politiques, la répartition de la corruption et des privilèges, etc. Il est d’ailleurs et il vient d’au-delà du Mur, il est extra-terrestre dans le sens où il a pris l’habitude de marcher sur l’eau parce que cela lui fait gagner du temps, pour le business si vous voulez, il se fout de tous les apparat de la Tradition et des normes de l’empire-bidon, ainsi s’élève-t-il sans y prendre garde et avec une sorte de nonchalance pachydermique contre la machinerie qui, depuis deux siècles, s’emploie à détruire tous les restes de la vraie Tradition pour lui substituer son fac-similé.
En un sens, il est comme intouchable avec son sens de l’ambiguïté, son côté “déplorable” dont vous devez bien savoir, comme Hillary a semblé complètement et sottement l’ignorer tout du long de sa campagne, que cela veut dire « Qui est très mauvais » mais aussi « Digne qu'on pleure sur son sort ; digne de pitié »... Trump, ce serait comme si Dieu avait chipé la formule du Diable pour faire avancer ses affaires, et, décidant d’agir en postmoderne, en maître de l’inversion renversée à son profit, – qui est qui, et qui est le Gentil, et qui est le Méchant ?, – comme s'Il l’avait lancé dans le jeu de quilles, et ainsi l’objet-Trump mis en position d’avant-centre antiSystème, lui qui en fait est né-Système, qui est fabriqué-Système, qui est authentifié/estampillé-Système.
Écoutez, hier cette conférence de presse c’était la première de USA-2017 sous le 45ème POTUS, c’était comme une fosse aux lions, comme sont d’habitude ces choses, où le conférencier est jeté en pâture aux lions. Eh bien, c’est lui, Trump, qui a rugi, grimé, permanenté, maquillé exactement comme le fameux lion de la Metro-Goldwyn-Mayer, pur hollywoodisme complètement inverti... Je ne sais pas où tout cela nous mène, mais je sais qu’on y va absolument au pas de course et que cela fait de plus en plus désordre, et bouleversement garanti de l’ordre-Système, ordre devenu hyperdésordre à la Grâce de Dieu.
(*) Inscrit, dans l’anglo-américain original, sur le socle de la Statue de la Liberté offert par le Français qu’on sait, et brandie comme la torche de la liberté-Rive Gauche en titre de Libé, d'un édito de l’inusable et inoxydable Laurent Joffrin posté sur Long Island, déguisé en statue de la liberté, le 20 août 2015.
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