De Dilma-suspendue aux JO-boitillant

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De Dilma-suspendue aux JO-boitillant

La présidente du Brésil Dilma Rousseff a été suspendue de ses fonctions pour au moins six mois, le temps que doit durer son “procès” en destitution après les votes successifs des différents corps législatifs dans ce sens. Dans l’intervalle, c’est le vice-président Temer qui assurera les fonctions de président. On se trouve dans une situation extrêmement complexe, où les explications souvent contraires abondent, où domine par-dessus tout la dramatique situation économique et sociale du Brésil, qui va traverser une période surréaliste où vont se mélanger la perspective de troubles très graves en même temps que l’événement, d’une considérable importance économique et de communication aujourd’hui dans le cadre général de la globalisation, que sont les Jeux Olympiques.

Exemple remarquable et condensé de cette situation, le message de l’ancien footballeur brésilien Rinaldo, Ballon d’Or 1999 et champion du monde avec le Brésil en 2002, ce 10 mai 2016 : « “C'est de pire en pire au Brésil”, écrit l'ancien milieu offensif de 44 ans sur son compte Instagram aux côtés de la photo d'une jeune fille tuée par des agresseurs ce week-end à Rio. “Je conseille à tous ceux qui ont l'intention de visiter le Brésil pour voir les Jeux olympiques de Rio de rester dans leurs pays d'origine”, déclare Rinaldo. “Ici, on risque sa vie”. “Et c'est sans parler des hôpitaux publics qui sont à l'abandon ni de tout ce bordel dans la politique brésilienne”, ajoute-t-il. » (Il est vrai que les très faibles ventes de billets d’accès aux stades où se dérouleront les épreuves inquiète le CIO, dont on sait l’aspect comptable de ses préoccupations humanitaires.)

Avec la nouvelle situation politique, on peut être assuré que cette immense crise brésilienne est autant dominée par la crise économique considérable que par la corruption gigantesque, cette dernière concernant notamment les élus qui ont voté la mise en accusation de la présidente. Là-dessus, on peut ajouter l’interprétation, assez courante, selon laquelle Rousseff est victime d’un “coup” où les activismes habituels US & associés, type-“révolution de couleur”, ont évidemment leur part. Quoi qu'il en soit, la période qui s’ouvre n’est pas celle du triomphe de la démocratie-colorée type-USA, d’autant que le vice-président entré en fonction, qui mènerait plutôt une politique anti-Rousseff, est très impopulaire et notoirement corrompu selon les standards brésiliens. La perspective la plus probable pour les mois qui viennent se décline donc, selon les appréciations sans fioritures de Ronaldo, par les mots désordre et chaos, ou bien “ce bordel dans la situation politique” ; et il n’est pas assuré que Rousseff, en position d’irresponsabilité forcée donc hors de toute critique directe, ne soit pas en bonne position pour rameuter ses partisans et rendre la vie très difficile à ceux qui l’on à demi-abattue.

Effectivement, RT annonce sous le titre “Coup & farce” que la présidente-suspendue a l’intention de se battre tout au long de son procès, et l’on ne doit donc pas en douter un instant (« Brazil’s Rousseff vows to fight impeachment with all legal means »). La partie est loin d’être gagnée pour quiconque, et le jury que constitue la course impossible des évènements doit encore rendre son verdict ; lequel pourrait être reporté pour être laissé à l’effet lointain d’une extension considérable du chaos... Dans ce texte cité du 13 mai, RT cite quelques analyses de politologues brésiliens :

« Brazilian political scientist, Bruno Lima Rocha, said that he expects to see the mobilization of both pro-and anti-Rousseff supporters. “It’s going to be the struggle of all the leftists against the regressive laws, which will now be passed at an even greater pace by the congress,” he said. He expects the public support of the new government to “be weak,” adding that “the chance of Dilma’s comeback is slim, but it still remains.”

» The situation in Brazil suggests that accusations of corruption are being used as a pretext to initiate regime change and install yet another pro-US government in Latin-America – something that has already happened in Argentina, according to Adrian Salbuchi, political analyst and RT columnist. “The Vice President of Brazil Michel Temer is very similar to Mauricio Macri of Argentina. With the excuse of corruption they are pushing aside a more populous governments replacing them with very right-of-center pro-business, pro-banking, pro-American regimes of governments like Macri in Argentina and now Mr Temer in Brazil and that is very bad much as economically, financially and socially, or even geopolitically,” he told RT. “It’s very bad for the world because it is weakening the Latin American support that we could give to the BRICS union which is a more global geopolitical construct.” »

Il est vrai que la situation de l’Amérique du Sud, disons depuis la mort de Chavez, s’est totalement modifiée par rapport à la position d’indépendance anti-US qu’elle avait acquise dans les années 2000. Le Venezuela, qui était avec Chavez le leader du mouvement d’affirmation de l’Amérique du Sud, est entré dans un état d’anarchie complète et complexe, où la préoccupation des populations devient la survie. (Voir ZeroHedge.com, qui présente les troubles comme le résultat du “socialisme” hérité de Chavez sans plus guère de souci de cohérence antiSystème.) L’Argentine n’est plus dirigée par Kirchner, qui ne pouvait se représenter, mais la nouvelle direction que certains jugent comme adversaire de la ligne indépendante suivie par elle ne rencontre guère de succès, et l’on pourrait assister à un retour de la même Kirchner lors des prochaines élections présidentielles. Quant au Brésil, on voit la situation où il se trouve, et c’est une situation dont on ne peut à notre sens tirer aujourd’hui aucune conclusion : le “coup”, ou “révolution de couleur“, ne débouche pour l’instant que sur un chaos en constante aggravation.

Il est vrai que, dans ces conditions, l’on pourrait penser que c’est un rude coup porté aux BRICS, dont le Brésil était un membre éminent, et la logique conduisant à dire que l’éviction de Rousseff verrait le Brésil devenir un poids mort, voir pire, pour les BRICS... Mais la question réelle qui se pose, avec une réponse évidente pour nous, est de savoir si l'association BRICS a aujourd’hui encore l’importance qu’elle avait, disons il y a quatre ans … Cette question vaut aussi bien pour l’Amérique du Sud modèle-années 2000.

La situation évoluant avec la vitesse qu’on sait, les paramètres encore valables en 2013-2014, sont en train de perdre toute cohérence, d’autant plus que le principal de ces paramètres, – la puissance subversive des USA au service de la globalisation, – est entré dans une crise fondamentale et paradoxale puisque marquée par une insurrection contre le centre washingtonien, qui est aussi et d’abord une insurrection contre la globalisation. Dans de telles conditions, l’importance fondamentale des BRICS jusqu’en 2013-2014 est en train de se réduire dans le champ de son rôle de force antagoniste cherchant à équilibrer le bloc-BAO, et de force antiSystème tout court. Aujourd’hui, la crise la plus violente et la plus virulente se trouve au cœur du bloc–BAO, en Europe et aux USA, conduisant ces éléments vers des situations de paralysie et de chaos. Le paradoxe est que c’est cette situation de paralysie et de chaos qui touche certains membres des BRICS (le Brésil certes, potentiellement la Chine), et d’ailleurs assez logiquement dans la mesure où, comme l’on sait, les BRICS représentaient une force antiSystème du type “un pied dedans-un pied dehors” par rapport au Système... En fait, le but des BRICS était de contester la direction du monde dans le cadre du Système et de la retourner à leur avantage, – et, par conséquent, leur objectif devient extrêmement incertain alors que la crise du Système prend l’ampleur qu’on lui voit.

C’est dans cette perspective qu’on doit placer l’actuelle tragédie brésilienne, plus que dans le schéma de la subversion “colorée” conduite durant les années 2003-2014 dont, peut-être bien, le Maidan et le “coup de Kiev” qui suivit pourraient s’avérer le dernier fruit, – catastrophique évidemment, comme tout ce qui a précédé. C’est-à-dire que cette “tragédie brésilienne” fait partie de l’énorme mouvement d’“insurrection contre la globalisation” qui se développe désormais, avec l’accélération qui lui est donnée par la crise de l’américanisme conduite tambour battant par The Donald.

(En supplément, on pourrait mentionner les réflexions désormais désabusées des dirigeants de l’UE, – dont notamment le président du PE Martin Schultz et le président de l’UE, Donald Tusk, – dont Jacques Sapir se fait l’écho dans un de ses récents commentaires. Là aussi, il s’agit de mouvements de communication qui s’inscrivent dans le cadre de cette “insurrection contre la globalisation”, cette fois de la part de fieffé partisans de la globalisation se montrant fort dépités du calvaire que leur font subir les avatars de cette globalisation.)

En un sens, pour ce qui concerne le Brésil, les JO de Rio ont une importance au moins égale que la procédure de destitution de Rousseff, tant les manifestations supranationales de cette sorte ont pris leur place dans l’arsenal économique et de communication de la globalisation. Il est probable que nous assisterons à nouveau à des affrontements de communication sur le caractère de ces manifestations, sur les sommes énormes investies, sur les dégâts causés aux structures des pays d’accueil au nom d’une modernisation accélérée, et ainsi de suite, – c’est-à-dire le flux de critiques désormais connues qui ne manque plus désormais de concerner la globalisation. Là-dessus, si Rinaldo n’a pas tort, pourraient se greffer des événements de désordre et de chaos qui auront nécessairement un effet politique... Bref, il importe d’adapter sa pensée et son jugement aux changements extraordinaires qui se déroulent sous nos yeux, avec une rapidité et une vélocité non moins extraordinaires.

 

Mis en ligne le 13 mai 2016 à 12H54