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1469Quoique moribonde avec un président lame-duck comme le veut la tradition, l’administration Obama ne manque pas d’activités tandis que se poursuivent la campagne électorale et diverses polémiques délicates comme le quasi-conflit entre le directeur du FBI et le Congrès à propos de l’emailgate de Hillary Clinton. Pour ce qu’il en des nouvelles les plus pressantes et les plus importantes, on mettra ensemble celles qui illustrent la puissance des oppositions en cours entre les diverses forces politiques dans une période qui devrait normalement voir se manifester au contraire une sorte de paralysie de l’activisme politique avec la seule activité concentrée autour de la campagne présidentielle. Dans les deux cas, on retrouve la marque du puissant désordre (hyperdésordre) qui touche la situation interne en général des USA, et par conséquent la crise considérable qui se développe.
• Le premier cas est celui de la courte mais très intense bataille de la loi dite JASTA (Justice Against Sponsors of Terrorism Act), qui a vu une terrible défaite du président et pour lui une “humiliation sans précédent” : le premier veto de son mandat mis par Obama à une loi voté à l’unanimité par le Congrès, presqu’immédiatement repoussé par un nouveau vote également très puissant du Congrès, de 97 voix contre 1 au Sénat et de 348 voix contre 77 à la Chambre. (Pour être repoussé par le Congrès, un veto du président à un vote précédent du Congrès doit recueillir, dans un nouveau vote, plus de deux tiers des voix dans les deux assemblées.) Obama n’a pas dissimulé, de la façon la plus officielle, sa colère et son humiliation selon la déclaration qu’il a faite faire par son porte-parole. Josh Earnest a estimé immédiatement à propos du vote du Sénat (la Chambre n’avait alors pas encore voté) qu’il s’agit de “l’acte le plus embarrassant” du Sénat pour lui-même depuis 1983...
ZeroHedge du 28 septembre : « It appears for once, the word (of some politicians) is mightier than the pen (of Obama). The White House has lashed out at The Senate's veto override, which Josh Earnest described as "the single most embarrassing thing that the United States Senate has done." As The Hill reports, in the most overwhelming vote (97-1) since 1983, President Obama's lame-duckedness was exposed and that enraged Obama (and his Saudi friends' money). »
Comme l’on sait, il s’agit, avec JASTA, d’une matière extrêmement sensible, puisque cette loi autorise les familles des victimes de l’attaque 9/11 à porter plainte contre le gouvernement saoudien pour son implication dans cette attaque dans le cadre d’une loi générale sur les actions juridiques autorisées en cas d’actes de terrorisme. L’Arabie était ouvertement intervenue contre cette loi, menaçant même de prendre des mesures économiques (vente de ses bons du trésor US) au cas où elle serait adoptée, – on verra ce qu’il en est. Par ailleurs, certains républicains conservateurs estiment valable l’argument d’Obama qui est que cette loi ouvre une boîte de Pandore en autorisant une action légale à partir des USA contre un pays étranger, ce précédent pouvant se retourner contre les USA avec des plaintes contre les USA en particuliers de victimes d’atrocités (il n’en manque pas) de forces US dans des pays étrangers, – et l’on comprend que l’homme du Pentagone, le secrétaire à la défense Carter, ait tenu à mettre son grain de sel avec une intervention personnelle et sans effet sur les parlementaires. Le principe en cause est celui de la souveraineté, et l’argument vaut dans l’absolu, mais il se réduit à rien, sinon à une inversion caricaturale, parce que l’on sait que les USA, bon outil du Système et de sa “globalisation” surtout avec l’activisme de ses forces militaires partout dans le monde, sont la force qui a le plus fait depuis des décennies pour détruire ce principe avec son interventionnisme systématique et son total désintérêt pour les lois internationales protégeant ce principe.
Mais nous nous trouvons dans une période électoral paroxystique, où plus aucune prudence n’est de rigueur, où les règles même du Système sont contournées ou ignorées. En temps normal, même lors d’une campagne présidentielle “normale”, sans doute une telle séquence aurait été évitée. La candidature de Trump et tous les effets directs et indirects qu’elle produit conduisent à des attitudes très inhabituelles vis-à-vis du Système, y compris de la part d’institutions qui sont considérées comme des citadelles de fidélité au Système, comme l’est le Sénat des États-Unis. Dans Antiwar.com du 28 septembre, Jason Ditz donne une mesure de l’ambiance...
« Both the House and Senate passed JASTA unanimously, and while the Obama Administration heavily lobbied after the veto, as did the Saudi government, it ultimately didn’t amount to very many lawmakers changing sides in the override votes, which were both overwhelming.
» President Obama argued that JASTA was a “dangerous precedent” for American taxpayers, as other nations could reciprocate, setting up lawsuits against the US government for its own substantial misdeeds over the years, as well as for bankrolling foreign armed factions that did such things. He added that since the US is way more active overseas than anyone else, they are the most at risk from this precedent. Defense Secretary Ash Carter also lobbied against JASTA, warning it threatens the troops, and that the lawsuit against Saudi Arabia might make public certain “American secrets” that would harm national security. He did not elaborate on what secrets the US might have relevant to a bill regarding pre-9/11 planning. »
• Il y a donc eu cette intervention personnelle du secrétaire à la défense Carter dans l’affaire JASTA. Comme il sied à sa position de complice de facto de la mutinerie en cours, Carter est extrêmement actif au nom de son département, c’est-à-dire en délégué de son département en état de mutinerie comme il se doit à un ministre d’une telle médiocrité, même si cela le conduit dans cette occurrence à se retrouver au côté du président dont le Pentagone fait en général, dans les circonstances présentes, très peu cas de l’autorité. Le désordre tourbillonnaire, ce “tourbillon crisique” de l’hyperdésordre washingtonien, autorisent cette sorte de souplesse d’adaptation aux circonstances.
Mais on retrouve Carter lors d’une expédition à la base de missiles intercontinentaux (ICBM Minuteman III) de Minot, dans le Dakota du Nord, avec un discours extrêmement offensif sinon agressif pour mettre en avant l’importance, la promotion, la nécessité de modernisation de la force stratégique nucléaire des USA. Ce n’est certainement pas un simple discours technique, et il y a sans aucun doute une dimension politique sinon symbolique. WSWS.org a raison, de ce point de vue, d’insister sur l’importance de cette intervention, effectivement comme un acte politique qui, dans le contexte actuel, accentue encore plus la démarche autonome du Pentagone (mutinerie) ; par contre, le site de la IVème Internationale trotskiste ne donne pas assez de place à la dimension symbolique de l’acte, dans la façon dont il sera interprété (le symbolisme n’a jamais été la tasse de thé des doctrinaires trotskistes)... Quelques extraits du texte de WSWS.org, du 29 septembre (version française du texte anglais original du 28 septembre).
« Le ministre de la Défense américain Ashton Carter a prononcé un discours devant des “missileers” (lanceurs de missiles) sur la base du Global Strike Command (commandement des frappes mondiales) à Minot, dans le Dakota du Sud, lundi, défendant la modernisation massive de l’arsenal nucléaire américain et émettant des menaces belliqueuses contre la Russie. [...] L’axe principal du discours de Carter était la défense de la proposition du plan du Pentagone de 348 milliards de dollars pour reconstruire la “triade” nucléaire de Washington de bombardiers stratégiques, de missiles et de sous-marins. On estime que sur une période de 30 ans, ce renforcement nucléaire drainera la somme de mille milliards de dollars de l’économie américaine.
» Prononcé devant les officiers et les soldats professionnels chargés de lancer des missiles balistiques intercontinentaux Minuteman III, chacun portant des têtes [ayant] 60 fois la capacité de destruction des bombes larguées sur Hiroshima et Nagasaki en 1945, le discours semble parfois faire écho au titre du film satirique de 1964 ‘Docteur Folamour ou : comment j’ai appris à ne plus m’en faire et à aimer la bombe’. Cette énorme machine de mort américain, a insisté Carter, fournirait “le fondement de la sécurité” qui “a permis à des millions et des millions de se lever le matin pour aller à l’école, d’aller travailler, de vivre leur vie, de rêver leurs rêves et de donner à leurs enfants un avenir meilleur”. Il a continué prédisant que “compte tenu de ce que nous voyons dans l’environnement de sécurité d’aujourd’hui, il est également probable que nos enfants et leurs enfants doivent probablement vivre dans un monde où il existe des armes nucléaires”. [...]
» [...L]e discours de Carter contenait des passages faisant allusion au fait indéniable que la menace d’une conflagration nucléaire est maintenant plus concrète qu’à n’importe quel moment depuis le plus fort de la Guerre froide. Il a averti que si “au cours des plus de sept décennies depuis 1945, les armes nucléaires n’ont pas encore été utilisées dans la guerre, ce n’est pas quelque chose que nous pouvons prendre pour définitivement acquis”. Il a ajouté : “Dans le contexte de l’environnement de sécurité actuel, qui est radicalement différent de la dernière génération, et certainement de la génération d’avant celle-là, nous faisons face à un paysage nucléaire qui continue de poser des défis […] qui continue à évoluer, à certains égards, de manière moins prévisible que durant la Guerre froide, même si beaucoup de gens dans le monde entier et même certains aux États-Unis restent figés dans leurs conceptions héritées de la guerre froide”. »
Le symbolisme de cette intervention et la puissance qu’elle exalte d’une force nucléaire renforcée et rajeunie, et “prête à servir”, ont une profonde signification dans ces temps d’extrême tension entre les USA et la Russie, que Carter a évidemment attaquée selon les habituels thèmes de la propagande du Pentagone. Cette critique extrêmement primaire a le charme et l’utilité d’être parfaitement retournable dans un mouvement désormais courant d’inversion et de s’appliquer parfaitement à la pensée et au comportement des esprits-“stratèges” de Washington, celui de Carter en premier : « Les rodomontades récentes et la construction de nouveaux systèmes d’armes nucléaires de Moscou soulèvent de sérieuses questions quant à l’engagement de ses dirigeants envers la stabilité stratégique, leur respect pour l' horreur profondément ancrée face à l’utilisation des armes nucléaires et leur respect de la profonde prudence que les dirigeants de l’époque de la guerre froide avaient montré par rapport à l’étalage menaçant d’armes nucléaires. »
On ne peut alors pas ne pas penser à la thèse de la First-Strike (capacité de frapper en premier avec le nucléaire et de détruire suffisamment des capacités nucléaires de l’adversaire pour l’interdire de riposter d’une façon efficace, – formule de destruction absolue de l’équilibre nucléaire qui a prévalu à partir des années 1960 et de la doctrine MAD, et des succédanées qui ont suivi). La thèse de la First-Strike n’est pas ici, pour nous, de nature stratégique ni opérationnelle et peu nous importe qu’elle soit réaliste ou fantasmée ; elle est à la fois symbolique et de communication. Il ne s’agit pas de savoir si les USA peuvent ou non avoir cette capacité, s’ils l’ont ou non déjà, mais bien de comprendre que son affirmation, son évocation, son existence inconsciente dans les esprits en font un acte symbolique et de communication qui abolit toutes les règles de coopération, de coordination, etc., dans la gestion commune de ce danger absolu que constitue l’option nucléaire stratégique. La thèse implicite ou explicite de la First-Strike, c’est, si l’on veut, une sorte de “déclaration de haine” lancée contre la Russie, – pour le cas qui nous occupe, – qui rejoint l’idée de l’ancien chef des services de renseignement russes Leonid Chebarchine, observant que « l’Ouest ne veut qu’une chose de la Russie : que la Russie n’existe plus ». (“Déclaration de haine” plutôt que “déclaration de guerre” : encore une fois, le champ est symbolique et de la communication, et nullement stratégique et opérationnel.)
• Quoi qu’il en soit, même s’il s’agit de symbole et de communication, et d’ailleurs parce qu’il s’agit de symbole et de communication, la thèse de la First-Strike a une importance fondamentale, un “poids stratégique” paradoxal (selon l’idée de la “stratégie” que suscitent aujourd’hui le symbole et la communication). Du coup, la déclaration faite par Donald Trump lors du débat de lundi dernier acquiert une importance considérable, qui a été notée aussi bien par le site The Intercept de Glenn Greenwald que par Justin Raimondo, de Antiwar.com ; en effet, Trump a déclaré que, s’il était élu, les USA abandonnerait officiellement toute idée de First-Strike, inaugurant ainsi une doctrine du No-First-Strike (comme version raffinée et adaptée aux folies postmodernes du no-first-use classique) dont tout le poids symbolique et de communication constituerait une avancée majeure, c’est-à-dire une vérité-de-situation fondamentale marquant la démarche de Trump et substantivant d’autant plus la haine qu’il suscite chez les agents et employés du Système. Quelques extraits du texte de Raimondo (il cite “trois avancées majeures” dans la position de Trump et l’on ne cite ici que la première ; la suite de l’article doit être lue pour s’informer à ce propos).
« For all Hillary Clinton’s reputation as a policy wonk, her debate performance consisted almost entirely of personal attacks. And while our media is out there proclaiming a Clinton “victory,” their evaluation merely shows how distanced they are from ordinary Americans, who don’t revel in nastiness. Trump, on the other hand, although he allowed himself to be distracted by her cattiness, was focused on the issues, and in the course of the evening he made three important points of interest to my readers.
» 1) The most important issue of our time, or any time – nuclear weapons and the looming possibility of nuclear war: “The single greatest problem the world has is nuclear armament, nuclear weapons, not global warming, like you think and your — your president thinks. Nuclear is the single greatest threat”… “I would like everybody to end it, just get rid of it. But I would certainly not do first strike. I think that oncoin
e the nuclear alternative happens, it’s over.”
» This is the most under-noticed – and most significant – moment of the debate. Although, to be sure, it was immediately noted by the folks over at The Intercept, who opined: “That may seem like common sense, but it’s actually a commitment that President Obama has been reluctant to make. The Pentagon argues that unless the U.S. is prepared to threaten a nuclear strike, it is less likely to deter Russian and Chinese aggression. Arms control advocates have been pushing President Obama to vow ‘no first use,’ ironically in part to try and reign [sic] in a future president.” »
... Si nous réunissons ces deux nouvelles, bien entendu, c’est au nom du désormais-fameux hyperdésordre washingtonien, qui progresse à son rythme, parfois dissimulé mais toujours dévastateur. Hyperdésordre, en effet, que de planter un coin aussi spectaculaire et assourdissant, entre deux piliers du pouvoir washingtonien, à propos des liens inaltérables et si anciens (depuis 1945) entre les USA et l’Arabie ; hyperdésordre, en effet, que de vois s’ébaucher une opposition si frontale, dans l’esprit de la chose sans aucun doute, sur un sujet si complètement fondamental, entre le Pentagone en état de mutinerie et l’un des deux candidats. Tous ces divers incidents ne cessent de s’empiler au lieu de s’estomper comme certains pourraient le croire parce qu’on n’en parle plus deux jours après ; ils ne cessent d’élargir les dimensions de la crise, d’accentuer sa profondeur, d’accélérer sa diversité...
Certes, quand nous parlons de “crise”, c’est moins celle des sujets à propos desquels elle se manifeste (ici les relations avec l’Arabie, là la question du nucléaire avec un Pentagone en état de mutinerie), que de la crise générale de l’américanisme, à l’intérieur du système de l’américanisme, à Washington D.C. A chaque nouvel “incident”, cette crise ouverte et en pleine activité devient plus structurelle, et l’on peut être alors de plus en plus assuré que sa résolution dépend de moins en moins du résultat de l’élection, qu’au contraire cette élection entre dans la structure de la crise pour en assurer le rythme. C’est dire que le 9 novembre au matin, quel que soit l’élu, cette crise sera plus forte que jamais et imposera au système de l’américanisme des conditions complètement nouvelles... La période commençant le 9 novembre au matin tend à figurer de plus en plus comme une énigme potentiellement catastrophique, bien plus que la campagne elle-même qui fait de plus en plus figure de “galop d’essai” à cet égard ; une terra incognita secouant de fond en comble le “modèle exceptionnaliste”, et notre American Dream se transformant naturellement, avec une grâce entêtée, en un cauchemar destiné à secouer tout le bloc-BAO et à mettre le Système dans une posture qui l’invitera à susciter les initiatives les plus extrêmes, accélérant l’hyperdésordre au rythme de sa surpuissance pour pouvoir se transmuter en autodestruction.
Mis en ligne le 29 septembre 2016 à 13H24