De la DIA à l’USAF, à la Fed...

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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De la DIA à l’USAF, à la Fed...

22 septembre 2015 – Dans le flot gigantesque de la communication avec ses innombrables interférences d’interprétations, de tromperies, désinformation et mésinformation, ignorances assurées et certitudes trompeuses, etc., nous devons mesurer la difficulté que nous avons à accueillir et à identifier des informations que nous pouvons tenir comme représentant une vérité de situation. Ces informations peuvent très bien n’être même pas comprises dans toutes leur importance par ceux qui les communiquent, tant notre univers est devenu complètement, absolument relatif, subjectif, encombré d’orientations et de desseins divers, comme dans une immense circulation sur des autoroutes à six, sept bandes, avec des sorties constantes, et les uns et les autres sans aucun rangement, soudain passant d’une file à l’autre sans aucun avertissement préalable après avoir réalisé qu’il était nécessaire d’en sortir sans être assuré que c'est la bonne sortie. Combien de fois ce sujet a-t-il été abordé sur ce site, au moins depuis le texte « Je doute donc je suis », mis en ligne le 13 mars 2003 mais datant du 10 janvier 2002. Pour mon compte, il s’agissait d’affirmer, presque symboliquement et dans tous les cas comme un principe de mon travail, qu’on ne pouvait plus désormais considérer quelque source que ce soit, principalerment et surtout les sources officielles, comme une référence de confiance. Cela revenait à affirmer que notre univers dépendant dans une mesure considérable de la communication était devenu complètement subjectif à cet égard, et cela impliquait certains constats qui devaient être transformés en principes de travail.

Désormais, le monde est devenu absolument, totalement subjectif d'une façon visible et indubitable (même si cette “vérité de situation” est la manifestation éclatante et visible de ce qui existait déjà), l'important est que cela est éclatant et visible) ; par conséquent, la conscience qu’on veut et qu’on doit avoir du monde doit absolument tenir compte de ce fait. L’on peut avancer que cette chose qu’on nomme “réalité” n’existe plus objectivement, et c’est pourquoi chacun doit trouver sa formule d’adaptation à cette nouvelle et complètement paradoxale “réalité” de l’absence de “réalité” objective ; pour mon compte toujours, j’ai déterminé qu’il faut s’orienter vers un concept que je nomme “vérité de situation” , à propos duquel diverses précisions ont été données dans différents textes et sur lequel il faudrait revenir d’une façon générale, de toute urgence, pour  en donner une définition précise, avec tioute son ampleur et ses ambitions. (Ce n’est pas la première fois que je fais cette promesse destinée la rubrique Glossaire.dde, et il serait temps de la tenir.)

L’expérience, l’intuition, le sens du détail révélateur, ce qu’on sait et ce qu’on devine de la logique interne des forces envisagées, le bon sens jouent chacun leur rôle dans cette démarche. Personne ne peut trancher à propos de la véracité de la conclusion mais la conviction sert de guide et constitue en la matière, si elle est formée d’une manière ferme et loyale, un juge qui a fait ses preuves. Ces précautions méthodologiques que je prends concernent effectivement et précisément une conviction que je ressens de plus en plus fortement à propos de l’évolution psychologique que je dirais collective, de l’américanisme, sinon du Système. Cette conviction, qui s’est forgée à partir d’une expérience sans cesse renforcée par l’attention portée aux évènements, se nourrit cette fois et plus précisément du rassemblement de trois situations faites de déclarations ou de postures venues de créatures du Système, à, la fois complices et victimes du Système, que je relie par une sorte de fil rouge que suggère ma conviction ; la chronologie es suffisamment resserrée (une année) pour justifier ce rassemblement...

• Il y a la déclaration d’août 2014 du général Flynn, directeur de la DIA, dont on a déjà beaucoup parlé et qu'on a rappelée à plus d’une occasion, pour son importance extraordinaire par rapport à la position de cette personne, au poids qu’il représentait dans l’appareil de sécurité nationale US lorsqu’il l’a faite. (« Ce que je vois, c’est la géographie stratégique et les frontières sur la carte du monde qui changent littéralement sous nos yeux. Ce changement est sans cesse en train d’accélérer à cause de l’explosion des médias sociaux. Et nous, dans la communauté du renseignement [US], nous essayons d’y comprendre quelque chose... »)

• Les déclarations du général de l’USAF Hesterman sur la présence russe en Syrie, signalée dans une Brève de crise, le 19 septembre. Plus j’y songe, plus je trouve dans cette déclaration, faite d’une façon mesurée, sans pression excessive des évènements ou des circonstances, l’absence complète de cette affirmation de puissance qui a toujours marqué l’attitude de l’hybris américanistes depuis des décennies, et plus précisément depuis 9/11. Le commentaire de dedefensa.org qui accompagne cette déclaration doit être répété, très fortement appuyé, renforcé, comme constituant une mesure significative d’un état d’esprit extraordinaire de la part d’un officier général US : « Sur ce dernier point, on peut comprendre qu’il y a là la crainte que la présence russe constitue une très sérieuse mise en cause de la prépondérance US qui régnait jusqu’alors dans la région, ce qui est notamment l’analyse israélienne. Mais Hesterman ne semble pas estimer que quoi que ce soit puisse, ni même doive être fait contre cela. C’est un des premiers signes que la direction militaire US est prête à reconnaître un sérieux déclin de son statut hégémonique dans la zone vitale contrôlée par CENTCOM, au profit de la Russie. »

• La même appréciation, je veux dire dans le même sens (avec rappel de la déclaration-Flynn) est faite hier, dans le texte sur la récente décision de la Fed : « La référence de la Federal Reserve à la situation internationale qui tient désormais une place essentielle dans ses analyses jusqu’à les influencer d’une façon décisive... [conduisant à...] une conclusion politique intéressante, sur la réduction accélérée de l’hégémonie US dans le système financier et le système économique mondial... [...] Le résultat, cette décision de la Fed, qui est vraiment une façon de décider de ne rien décider parce qu’on ne comprend rien à ce qui se passe, ressemble à s’y méprendre, selon notre point de vue de non-spécialiste de la chose, à l’aveu que faisait le directeur de la DIA, que nous avons déjà repris à deux reprises... »

On comprend qu’il n’y a rien d’assuré, de formel, de structuré selon les normes et les références du système de la communication lorsqu’il est manipulé par le Système, – normes et références nécessairement faussaires dans ce cas puisque manipulés par le Système. D’une certaine façon, cette absence me conforte, en fonction de ma conviction et de mon expérience énoncées plus haut concernant ces normes et ces références : puisqu’il n’y a rien d’assuré, de formel et de structuré dans ces déclarations et situations selon le normes et références du Système, c’est que nous sommes sur la bonne voie. Ce qu’il m’importe alors d’avancer, c’est la conviction intuitive que j’ai par rapport à ces trois situations/déclarations de responsables opérationnels de l’américanisme, qui sont alors comme un reflet inconscient d’une psychologie en pleine débâcle. Hors des faits dont on connaît aujourd’hui l’extrême relativité, hors des analyses des experts nécessairement orientées, des déclarations politiques encore plus, je parle d’une façon très différente d’une imprégnation sous-jacente des psychologies individuelles par un courant psychologique collectif qui prend acte d’une situation générale de l’américanisme/du Système, dont ces acteurs sont les témoins, sans doute en grande partie inconscients et par conséquent d’autant débarrassés de l’habituelle autocensure, cela rendant d’autant plus forte et véridique l’impression qu’il suscite.

Bien entendu, cette impression, ce rendu presque “impressionniste” à la manière des peintres de cette école, de la perception de l’effondrement accéléré de la puissance dans la psychologie profonde de ceux qui sont censées la manifester, s’accompagnent de la perception aussi forte du désordre général. Les deux phénomènes coïncident, aussi proches que des frères siamois, avec la même parenté dans le Système, et cela me renforce dans cette autre conviction que l’effondrement des USA et l’effondrement du Système sont liés jusqu’à être le même phénomène, et que l’événement unique auquel on parvient est producteur d’un désordre à mesure que nous devons et devrons tous affronter. Dans ce monde totalement déstructuré, aucune transition aimable et civilisée n'est à attendre.