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2584Histoire(s) de JSF (F-35), donc ...
Les dernières nouvelles sont conformes à la “feuille de route” du programme ... L’on vous dit que le F-35B (du Corps des Marines) est sur le point d’atteindre (en 2016, non ?) son statut opérationnel (IOC, ou Initial Operational Capability), mais qu’il sera incapable de remplir sa mission principale qui est le CAS (Close Air Support, ou appui aérien rapproché) parce que l’arme principale de cette mission, – la SMB II (Small Diameter Bomb II), qui permet de faire, ô miracle, de l’appui aérien rapproché de loin [60 kilomètres], – n’est pas encore prête. Elle ne sera pas prête qu’en 2017 ; bon, on attend... D’autre part, ah oui, on vient de “découvrir” que la SDB II n’entre pas dans la soute à bombes du F-35B, qu’il va falloir modifier, ce qui devrait faire un délai supplémentaire ; ah bon, on attendra un peu plus que 2017 alors ... Mais oui, d’autant que le Pentagone ne se presse pas du tout pour faire les modifications nécessaires, parce que, en fait, pour ne rien vous cacher, tout ça (la SDB II, la soute à bombes modifiée, les ennemis qui attendent d’être attaqués) ne pourra pas fonctionner avant 2022 parce que le package électronique correspondant à cette mission ne sera pas utilisable avant cette date. (Bien sûr, 2022 si tout va bien... Sinon, les ennemis au sol seront priés d’attendre encore quelques années.)
Donc, l’IOC de 2016 pour la fameuse mission CAS signifie une entrée en service opérationnel en 2022 ... Ca, au moins, c’est du sérieux. Ainsi, pour qu’on sache qu’il ne s’agit pas d’un scénario de science-fiction sorti des entrailles sarcastiques de dedefensa.org, nous citons Military.com du 9 mars 2015, avec du gras surajouté de notre fait, pour souligner ce qui nous semble être le plus particulièrement significatif de la dynamique en cours, – c’est-à-dire, la capacité d’adaptation du Pentagone aux diverses péripéties de cette aventure merveilleuse du technologisme postmoderne :
«F-35 Joint Strike Fighter pilots will have to wait until 2022 to fire the U.S. military's top close-air-support bomb after the Small Diameter Bomb II enters service in 2017, JSF officials explained... [...] The JSF office has already discovered that the SDB II does not fit onto the F-35B – the Marine Corps variant – without modifications to the aircraft's weapons bay. The Pentagon is not in a rush to make those changes before the F-35B reaches initial operating capability this year because the weapon won't work until the right software package is installed...»
Tout cela, c’était une simple introduction pour faire un tableau général du programme JSF, qu’on commence à décrire un peu comme feraient les historiens du technologisme, ou simplement du Système, explorant les spasmes et les enchevêtrements extraordinaires du système du technologisme en cours d’effondrement. Bien entendu, même si dans le “vrai monde” l’on vous dit le contraire, dans le monde-Système il est moins que jamais question d’abandonner le JSF, et le JSF est plus que jamais une sorte d’opérationnalisation quasiment parfaite du système du technologisme agonisant dans la phase de son effondrement en cours.
Le 12 mars 2015, sur le site POGO dans sa section Straus Military Reform du Center of Defense Information (CDI) qu’il (POGO) a intégré dans ses structures, Mandy Smithberger met en ligne un article kilométrique et étourdissant sur le statut du programme JSF. On pourrait considérer ce texte comme une sorte de première œuvre historique sur l’effondrement du monstre, qui est par ailleurs produit à un rythme très élevé, plus élevé que jamais peut-on dire, car “l’on ne change surtout pas un programme qui s’effondre”, on l’accélère au contraire. Smithberger décrit cette formidable “fuite en avant” de la bureaucratie du Pentagone, décidée à sauver à tout prix l’intégrité complète de la phase intégrale de l’effondrement du monstre. L’approche philosophique de la chose est plus que jamais une référence au dernier film jamais achevé de Marilyn, Something Got to Give (disons “Quelque chose doit craquer”), résumée par ce constat de Smithberger : “A un moment donné, les imperfections inhérentes et les coûts en augmentation d’un programme deviennent si importants que même un système d’achat massif du modèle pour des raisons politiques atteint un point de rupture”...
«Inside-the-Beltway wisdom holds that the $1.4 trillion F-35 Joint Strike Fighter (JSF) program is too big to cancel and on the road to recovery. But the latest report from the Defense Department’s Director of Operational Test and Evaluation (DOT&E) provides a litany of reasons that conventional wisdom should be considered politically driven propaganda. The press has already reported flawed software that hinders the ability of the plane to employ weapons, communicate information, and detect threats; maintenance problems so severe that the F-35 has an “overdependence” on contractor maintainers and “unacceptable workarounds” (behind paywall) and is only able to fly twice a week; and a high-rate, premature production schedule that ignores whether the program has demonstrated essential combat capabilities or proven it’s safe to fly. All of these problems are increasing costs and risks to the program. Yet rather than slow down production to focus resources on fixing these critical problems, Congress used the year-end continuing resolution omnibus appropriations bill—termed the “cromnibus”—to add 4 additional planes to the 34 Department of Defense (DoD) budgeted for Fiscal Year 2015. The original FY2016 plan significantly increased the buy to 55, and now the program office is further accelerating its purchase of these troubled planes to buy 57 instead.
»At some point, the inherent flaws and escalating costs of a program become so great that even a system with massive political buy-in reaches a tipping point. The problems described in the DOT&E report show that the F-35 has reached a stage where it is now obvious that the never-ending stream of partial fixes, software patches, and ad hoc workarounds are inadequate to deliver combat-worthy, survivable, and readily employable aircraft. This year’s DOT&E report also demonstrates that in an effort to maintain the political momentum of the F-35, its program office is not beneath misrepresenting critically important characteristics of the system.
»In sum, the old problems are not going away, new issues are arising, and some problems may be getting worse...»
• Une partie de ce texte est consacré au problème central du monstre, puisqu’il s’agit du système électronique central, le fameux software, qui contrôle toutes les fonctions de la chose. On dira que c’est là le principal problème du JSF, simplement parce qu’il s’agit de son principal système de fonctionnement ; bien entendu, c’est un problème d’une complication extraordinaire qui suit parfaitement la courbe d’effondrement du système du technologisme une fois atteint et dépassé son pic d’efficacité ultime ; il en résulte que plus on essaie de résoudre “le” problème général, plus on ajoute des éléments nouveaux qui ajoutent leurs propres problèmes et aggravent la situation générale. Il s’agit d’une application impeccable de l’équation surpuissance-autodestruction, quand la phase surpuissance s’est transmutée en phase d’autodestruction. Chaque effort fait pour résoudre la crise aggrave la crise en la compliquant par des nouveaux facteurs. On citera abondamment deux passages à cet égard qui, stricto sensu, sont incompréhensibles pour le sapiens courant (dont nous sommes en l’occurrence) aussi bien en anglais qu’en français si on le traduisait : ces passages décrivent justement l’incompréhensibilité du problème posé, et son naufrage dans une complication catastrophique toujours en développement.
Il suffit donc de parcourir ce texte en observant la massivité technologique qu’il décrit, la complexité kafkaïenne, bureaucratique, budgétaire, etc., autant que technologique, qui l’accompagne, pour obtenir une impression générale qui permet de comprendre le diagnostic qu’on peut faire de cette catastrophe. Il suffit de savoir, pour avoir un ordre de grandeur, que le software du JSF dépasse 30 millions de lignes de code, soit trois fois plus que pour le programme F-22 (lui-même catastrophique), et que le volume évalué des problèmes identifiés dont on a repoussé la résolution (qu’on nommerait plus tard pudiquement “modernisation”) pour pouvoir poursuivre la production est évalué à un coût total de $67 milliards, soit le coût entier du programme F-22. (Dans ce dernier cas, il s’agit d’une évaluation “optimiste” puisqu’elle assume que le nombre de ces problèmes dont la résolution est repoussée n’est pas plus grand sur le F-35 que sur le F-22, ce qui est tout à fait improbable dans la logique de l’augmentation géométrique des effets de cette phase d’autodestruction.)
«The F-35’s software includes over 30 million lines of code between the F-35’s onboard computer and its ground-based Automatic Logistics Information System (ALIS) combat data and logistics system. To put this in perspective, the GAO testified in 2012 that the amount of code on the plane was approximately three times more than the F-22A and six times more than the F-18E/F Super Hornet. DOT&E found that developing and then testing this unprecedented amount of code is discovering significant performance failures and resulting in schedule slips. These include navigation system inaccuracies and instabilities that are delaying weapon delivery accuracy testing, failures in software fusion of multiple sensor inputs that create false alarms and false target tracks, and so much growth in the size and weight of the ALIS multi-computer system that it cannot be deployed with the F-35. The size and weight of ALIS is so substantial that it necessitates the design and development of a whole new set of ALIS computers, which will require a whole new round of validation testing.
»Moreover, ALIS software worsens F-35 reliability and maintainability problems. DOT&E finds, “ALIS continues to be cumbersome to use and inefficient, and requires the use of workarounds for deficiencies awaiting correction.” Specific workarounds noted in the report include having to manually enter consumable information like oil usage and frequent submission of formal support requests to Lockheed Martin because “troubleshooting functionality is incomplete.” The diagnostic capability of ALIS, its fault and failure management, has “demonstrated low detection rates, poor accuracy, and high false alarm rates.” To compensate, “fielded operations have had to rely on manual workarounds, such as maintainer-initiated built-in tests, extra scheduled inspections, and reliance on contractor personnel.”
»Like the airplane itself, its essential support component, ALIS, is not ready for operational employment. [...]
«The expense of the deferred test flight hours is only the tip of the iceberg. Far more expensive are the redesign and fleetwide retrofit costs resulting from the shortcomings that inevitably emerge during those deferred flight tests. The longer those tests are deferred and the more we ramp up production now, the more expensive retrofits will be necessary for the larger fleet of flawed F-35s.
»Even more expensive than the cost implications of deferred testing are the costs of achieving the capabilities being deferred to Blocks 3F, 4A, 4B, and later, including the more vaguely defined Blocks 5, 6, and 7. These deferred capabilities are major cost items, many of which fall beyond the five-year budget and are not even included in the current $400 billion acquisition cost estimate. They include B-61 nuclear bomb integration, external weapons pylons and load integration, external fuel tanks, 25mm gun pods, 25mm combat ammunition, JSOW guided weapons integration, adding long range infrared scan and track, new radio/data links for interoperability with the F-22s, F-15s, and F-16s, integrating the six-AMRAAM load, AIM 9X integration, all-aspect passive threat detection, maritime radar mode, and more.
»The total cost of test, retrofit, and capabilities deferral can be significant. In the $67.3 billion F-22 program, the Air Force deferred so many fixes and capabilities past the end of production that the resulting F-22 “modernization” package added $11.3 billion of previously unacknowledged costs—a 17 percent add-on to the F-22 procurement. (This package, which largely fixed deferred shortcomings and deferred capabilities, is included in this year’s DOT&E report as a separate major acquisition program suffering additional “stability and radar performance shortfalls.”) Simply based on the DOT&E analysis of deferred testing and the Joint Program Office’s descriptions of Blocks 4, 5, 6, and 7 capabilities, the F-35 program appears to be deferring significantly more testing, fixes, and capabilities than the F-22 did. Assuming the proportion of F-35 deferred work to be no greater than the F-22, the F-35 program’s hidden “bow wave” can be calculated to amount to $67 billion, an overrun equal to the entire program cost of the F-22.»
• Ce n’est évidemment pas un hasard si l’on cite et si l’on salue ce texte de Smithberger en tant que tel, parce qu’un tel texte aurait du être écrit par Winslow Wheeler, l’un des vieux survivants de la bande des “réformateurs du Pentagone”, qui fut ces dernières années la principale plume du POGO/CDI et le maître de l’attaque critique du JSF. La raison en est simple et mérite d’être saluée par un commentaire : Wheeler, l’ennemi intime du JSF, vient de quitter le “service actif”...
Ainsi, un texte de Politico, du 5 février 2015, à l’occasion du “pot d’adieu”de Winslow Wheeler, salue le départ du vieux guerrier, – après tout encore jeune (68 ans) selon nos critères. Wheeler était connu également sous sa signature patronymique de Spartacus. Le texte mentionne la présence des autres “vieux” survivants de la bande des “réformateurs du Pentagone” (Spinney, Sprey) qui se battirent contre le monstre tentaculaire que Rumsfeld dénonçait fameusement (pour nous) le 10 septembre 2001. (Cela vous dit quelque chose, – à nous aussi, “la veille du 11”...).
«Spartacus was getting a little choked up.
»For 30 years he had battled the profligate spending of the military colossus across the river. He had tried with limited success to shame legislators over their pork-barrel ways. He had taken on the F-35 fighter, the Pentagon’s costliest weapons program, and fought to save the A-10 Warthog attack jet, which was relatively cheap but Air Force brass wanted to retire. When he couldn’t put his own name on his blistering reports, he wrote under the pen name of the famed leader of the Roman slave rebellion. Everyone knew it was him anyway.
»Winslow Wheeler, 68, was a legend, and now he was retiring. One evening recently he stood in a small conference room in downtown Washington, surrounded by gray-haired comrades from long-ago campaigns. It was a party fit for the frugal registered Republican, nothing ostentatious... [...] There was Chuck Spinney, who graced the cover of Time magazine in 1983 sitting at a congressional witness table under the headline, “Are billions being wasted?” Spinney, now 69 and slightly hunched, sipped a Diet Coke as he chatted with 30 other defense budget mavericks. There was Pierre Sprey, 76, a member of the 1970s “Fighter Mafia” inside the Air Force that eschewed whiz-bang technology in favor of lightweight and highly maneuverable jets...»
Comme disait fameusement le General of the Army (équivalent US du maréchal) Douglas MacArthur devant le Congrès en présentant ses adieux à une carrière tumultueuse, “les vieux soldats ne meurent pas, ils s’effacent...” Wheeler s’efface donc... Il n’a pas eu le scalp du JSF, parce que cela est une tache surhumaine, et qu’il n’y a en fait qu’à attendre que le monstre se scalpe lui-même, en l’accablant de sarcasmes, de critiques, de fureurs vengeresses et joyeuses, de récriminations, d’accusations, etc. et encore plus, pour attiser sa nervosité de masse informe qui ne cesse de se charger et de surcharger de systèmes à l’intérieur du système, pour créer des sous-systèmes ou des sur-systèmes chargés de résoudre les problèmes nouveaux créés par les systèmes qu’ils redoublent, eux-mêmes développés pour résoudre les précédents problèmes nouveaux engendrés par les précédents nouveaux systèmes installés à l’intérieur du système. L’usine à gaz aura raison d’elle-même, et plus elle grossira pour tenter de survivre plus l’effondrement sera important et conséquent.
Le programme JSF ressemble de plus en plus, il se confirme en fait comme une opérationnalisation “en grandeur réelle” du Système lui-même ; son effondrement est donc, logiquement, une sorte de répétition de l'effondrement du Système. Il faut l’observer comme l’un des signes massifs des grands événements prometteurs à venir très rapidement. Wheeler a fait sa part de travail de mise à nu de l’image du monstre, pour faire prendre conscience de l’horreur technologique ; il peut s’effacer avec les honneurs...
Mis en ligne le 13 mars 2015 à 08H48
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