De l’insoutenable légèreté du Français

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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De l’insoutenable légèreté du Français

08 mai 2017 – Regardant hier soir quelques secondes, pas plus, cet océan en carton-pâte d’enthousiasme et de drapeaux français, je crois que c’était sur l’esplanade du Louvre, – que Dieu me pardonne mais la seule image qui me vint fut celle de Daladier, le grincheux et taciturne Taureau du Vaucluse, rentrant de Munich-38 et s’attendant à être conspué pour l’affreux accord qu’on sait, et devant cet océan semblable d’enthousiasme, qui marmonna : « Ah les cons ! » Eh oui, ils sont légers et, par conséquent, ils peuvent aisément être ce que Daladier a vu en eux, – sauf que, et là j’insiste en poursuivant l’analogie mais en l’inversant décisivement, comme font les déconstructeurs (Deleuze avec Platon), – sauf que Macron, face à cet océan d’enthousiasme n’a en aucune façon pensé du Daladier façon Munich-38, mais plutôt dans le genre “Ah, les braves mecs !”, comme l’on dit devant une téléréalité réussie. (Décidément, Macron a beaucoup du The-Donald en lui. Leurs rencontres vaudront leur pesant de peanuts et de barbe-à-papa.)

Oui, le Français est léger, et ce fut une de ses vertus, lorsque la légèreté était celle de ses superbes arrangements architecturaux ou celle de la rectitude sublime de se grands Jardins, mais il avait pour faire l’équilibre qui est harmonie, – il avait aussi le sens du tragique, comme il y a dans la franche gaieté de la camaraderie des Mousquetaires de Dumas toujours ce coin sombre prêt à distinguer et à affronter la tragédie du monde. Le Français d’aujourd’hui est léger comme une bulle, et il n’est que cela derrière son charabia postmoderne, et cela me déchire l’âme de penser un instant qu’on ne peut émettre d’autre jugement que ceci qu’il a le président qu’il mérite.

On me dira : voyez les candidats, quel choix leur était offert ! Je n’en disconviens pas, mais il est vrai que l’on a les candidats qu’on mérite, avec lesquels on s’accorde et d’ailleurs ils ont été aussitôt au pire d’entre eux ; mais encore, il est vrai que le Français léger s’il avait eu sa part de tragique, il n’aurait pas eu ce besoin morbide de souligner un tel choix qui est absolument catastrophique, de cet enthousiasme de carton-pâte comme un décor théâtral. Sinon, pourquoi ai-je également pensé hier, en plus de Daladier et Munich-38, à la Fête de l’Être Suprême de la Grande Révolution Française dans ses ablutions initiales ? Fête célébrée et sanctifiée par le ci-devant évêque d’Autun, Talleyrand certes, qui fit son office riant sous cape, avec une légère et énigmatique grimace de mépris et de dérision devant une telle polissonnade...

Hier, sur ce qui doit être l’esplanade du Louvre, en plus de l’absence de Daladier il n’y avait pas de Talleyrand pour rire sous cape. Il n’y avait, planant au-dessus de tout cela, que ce que le professeur Segatori, psychiatre italien qui me semble être de bon renom (*), nous décrit le 3 mai 2017 du Macron, originalement caractérisé comme un psychopathe narcissique et dangereux bloqué en l’état depuis l’âge de 15 ans, marié avec sa violeuse implacable et représentant le monde comme simulacre à son image, avec le seul souci stratégique de la théâtralité de la sorte qu’il nous a montrée tout au long de la campagne. Segatori ne rit pas sous cape, lui, il est inquiet et mesure très sérieusement

« ...à quel point de danger se trouve un pays comme la France face à un [président] de ce genre ».

Le président Coty, accueillant de Gaulle en 1958 pour l’instituer premier président de la Vème République, lui disait « Vous étiez le premier des Français, vous êtes désormais le premier en France ». Daladier était un peu sans nuances avec son exclamation Munich-38 et je crois qu’il faut catégoriser le domaine et aller au détail, et observer notamment qu’il y a les cons sinistres et les cons flamboyants, et que c’est la première catégorie qui accueillera la seconde, dans quelques jours à l’Elysée, et qui lui dira avec cette solennité notariale qui est sa caractéristique : “Vous étiez le plus léger des Français légers, vous êtes désormais le premier à l’Elysée”.

D’une façon qu’on comprendra aisément, j’avais cette humeur d’encre et le sentiment un peu nihiliste lors de l’annonce, hier soir, des résultats qu’on sait. Le professeur Segatori, avec d’autres signes ici et là qui pourraient bien se multiplier, m’a en un sens requinqué. Nous commençons un quinquennat catastrophique qui, à l’inverse des autres du même type, ne se cachera pas de l’être et se fait même vertu de l’être avant que de commencer. A côté de ce qui nous attend, la jument de Caligula aura l’allure d’un temple de sagesse, – ce qui est rendre un juste hommage au noble animal ; or, nous savons bien qu’il faut en passer par toutes les catastrophes nécessaires et visibles pour en venir au point de l’explication finale.

Peut-être, sans doute même ne savent-ils pas ce qu’ils ont fait, tous ses divers sponsors et parrains, en lançant la chose sur orbite. Mon idée est qu’ils n’ont pas lancé une marionnette comme ils le croient, sauf à admettre comme ce devrait être le cas qu’aujourd’hui ce sont les marionnettes qui manipulent les manipulateurs et non le contraire ; mais en plus d’une marionnette, c’est une bombe à retardement qu’ils ont mis sur orbite, qui vendra la mèche et découvrira le pot-aux-roses par la grâce de ses incontinences diverses. Ses divers sponsors et parrains finiront un jour assez proche par être traités comme bien moins que des juments de Caligula par le Macron ingrat du professeur Segatori et les Français eux-mêmes conduits à reconnaître et même à douloureusement ressentir le poids insupportable de leur “insoutenable légèreté”. Ce jour-là, tous ils regretteront sans vraiment le réaliser, inconsciemment en un sens, Talleyrand pour sa grimace énigmatique de mépris et de dérision et Daladier pour son instant de lucidité.

 

Note

(*) Intervention à nous signalée par l’article d’Alexis Toulet. On n’a pas chômé, du côté des internautes, avec depuis le 3 mai 667.104 visions aujourd’hui à 06H00 et 669.423 à 09H00. Bref, pressez-vous d’aller écouter l’insolent avant que la Garde Prétorienne ne crie à l’interférence des Russes dans la campagne post-électorale.