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386031 décembre 2016 – Puisqu’il a été question, de façon tout à fait marginale, du général nordiste William Tucumseh Sherman, j’y reviens, mais cela en m’attachant directement au personnage. Il est vrai que j’ai toujours été fasciné par cette photo universellement fameuse et reprise par Infowars.com en y collant le visage d’Obama... Sherman y paraît hargneux et renfrogné, avec une dureté terrible et une intransigeance du puritain, paraissant manquer de cette beauté de l’âme qui nourrit l’élégance du caractère et la fraîcheur de l’esprit, semblant étranger à lui-même tant l’impureté des actes qu’il fut amené à commettre semble habiter ses traits, « avec sa chevelure à la diable, nettement hérissé et le général-massacreur des armées du Nord comme tombé du lit pour massacrer du Sudiste ; avec cette chevelure un peu comme la mode postmoderne du cheveu hérissé, – ou “look hérissé”, ou “spiky hair” ». Sur cette photo et avec le comportement qu’on sait, Sherman m’a toujours paru méchant comme une teigne, dominé par un caractère acariâtre et étroit... On a compris que je suis de parti-pris.
(Je le suis d’autant plus qu’en lisant l’abondante biographie de Wikipédia sur Sherman,– dont le second prénom [Tecumseh] venait très paradoxalement par rapport à ce qui est écrit plus loin, de l’admiration de son père pour un chef indien de la tribu des Pawnees, – on est aussi bien conduit à un jugement beaucoup plus nuancé. Ce détail-là me suffit : cet homme qui fut un des combattants les plus rudes et impitoyables pour imposer l’ordre yankee et américaniste avec tout ce que cela suppose, avait été pendant un temps hors du service et dans “les affaires” de la Grande République capitaliste, avant la Guerre de Sécession, et il avait failli sombrer dans la mortelle dépression, celle qu’entraîne le système qu’il imposa au Sud : « Plus tard, se remémorant l’époque de la folle spéculation foncière à San Francisco, Sherman écrit : “je peux gérer cent mille hommes dans une bataille, et prendre La Cité du Soleil, mais je suis effrayé d'avoir à m’occuper d’un lopin de terre dans le marais de San Francisco.” » Donc, une fois de plus et constat chaque fois relevé, diversité du sapiens-Système, beaucoup plus prisonnier du Système que son adorateur, comme souvent il se force à être avec des formules humanistes pour se dissimuler cette condition d’asservissement où il se trouve.)
Par ailleurs, revenir sur Sherman se justifiait d’autant plus même si indirectement qu’avant-hier, 29 décembre, c’était l’anniversaire du massacre de Wounded Knee qui marqua l’achèvement glorieux et victorieux du génocide des Indiens des Grandes Plaines, devenus depuis, – pour ceux qui ont survécu, – des Native-Americans. Les grands généraux nordistes de la Guerre de Sécession, dont Grant, Sherman et Philip Sheridan, y appliquèrent la philosophie du “un bon Indien est un Indien mort”, formule paraît-il controversée par l’auteur lui-même, qui est plutôt Sheridan que Sherman mais que Sherman aurait pu avoir grommelée de lui-même après tout, pour cette occasion-là. Les généraux nordistes de cette génération de la fin de la Guerre de Sécession, – la “génération Grant”, disons, – semblent tous sortis du même moule qui nous donna le carpet bombing, Curtis LeMay et la tactique de l’US Army au Vietnam précurseuse de la théorie du chaos, du “détruire ce village pour le sauver”. Que certains réalisent parfois cette occurrence et tentent de la justifier n’empêche pas qu’ils en furent.
(Rien à voir avec un Patton, par contre, adepte de la vitesse, de l’enveloppement, de la victoire par la manœuvre et nullement par l’écrasement. Patton, d’une vieille famille de Virginie, eut dans sa famille deux ancêtres qui servirent comme officiers dans les rangs confédérés ; il serait plutôt de la lignée d’un Jeb [James Ewell Brown] Stuart, le magicien de la cavalerie sudiste, qui faisait des raids de plusieurs centaines de kilomètres à l’intérieur des lignes ennemies, parfois avec plusieurs milliers de ses cavaliers. Lui aussi était un maître de la vitesse, du mouvement et de la manœuvre.)
Voici quelques appréciations de bonne source, sur l’un et l’autre aspects cités ci-dessus, qui permettent de faire ce rapprochement qui m’importe particulièrement, hors des idéologies et des partis, mais plutôt autour du “déchaînement de la Matière” et du Système dont le Nord-yankee est l’archétype et le fils prodige ; ainsi la bataille du Nord contre le Sud et la bataille des “Visages Pâles” contre les Indiens me paraissent similaires, du point de vue culturel, et plus encore du point de vue essentiel, qui est celui de la civilisation devenue contre-civilisation. Derrière tous les arguments, toutes les plaidoiries, c’est une entreprise similaire de la culture moderniste-américaniste, niveleuse, ennemie de l’identité (celle de l’“Autre“ comme la sienne, – dans ce dernier cas parce que le Nord-yankee n’en avait aucune et n'en a pas plus aujourd'hui).
Les arguments purement économiques qui ont souvent été avancées concernant la Guerre de Sécession (libre-échangisme du Sud, protectionnisme du Nord) avaient été bien mis à nu par Lucien Romier, encore récemment cité : « Ce protectionnisme qui caractérisa la politique des USA de leur création jusqu’en 1941-1945, qui fut notamment une des causes de la Guerre de Sécession (les Yankees protectionnistes et voulant disposer d’un vaste marché intérieur contre les Sudistes libre-échangistes et soucieux d’exporter leur coton), était qualifié par l’historien Lucien Romier, dans son livre Qui sera le maître, Europe ou Amérique ? (Hachette, 1927), de “protectionnisme heureux” : “Il y a un protectionnisme conservateur et un protectionnisme jaloux, un protectionnisme de défense et, en dépit de sa logique apparente, un protectionnisme d’attaque, un protectionnisme tranquille et un protectionnisme inquiet ... [...] Ce cas de protectionnisme heureux est pleinement réalisé en Amérique...” »
Le “protectionnisme heureux” des Yankees présumait, je dirais inconsciemment et comme par intuition maléfique, que l’importance énorme du marché nord-américain, qu’il importait de protéger, suffirait à la formation d’un capitalisme américaniste, matrice originelle du globalisme et de l’hypercapitalisme monopolistique ; statiste difforme en un sens puisqu’entretenu par l’État ou ce qui en fait fonction, c’est-à-dire l’État débarrassé de tous ses attributs insupportables (souveraineté, légitimité, etc.) ; enfin porteur de la culture niveleuse et entropique-nihiliste qui va avec et ne supporte rien d’autre qu’elle-même, et en cela parfaitement totalitaire. Cela impliquait l’insupportabilité absolue de la sécession du Sud, danger à la fois économique et culturel d’une alternative au matérialisme darwinien du Nord ; et parallèlement la liquidation des Indiens, sous-race à prétention mystique par la fusion avec la nature et l’inaptitude, sinon l’hostilité au progrès de la mécanique et des système, et donc chargée elle aussi du vice et du danger culturel de la différence.
L’élimination des Indiens fut un fait accompli avec le massacre de Wounded Knee, dont l’anniversaire est célébré par un récit de l’événement, le 29 décembre 2016 sur le site History.com (« December 29, 1890 : U.S. Army massacres Indians at Wounded Knee »), avec quelques remarques qui nous rappellent l’aspect culturel et identitaire de la nécessité de détruire les croyances pouvant mettre en question la dynamique du progrès :
« On this day in 1890, in the final chapter of America’s long Indian wars, the U.S. Cavalry kills 146 Sioux at Wounded Knee on the Pine Ridge reservation in South Dakota.
» Throughout 1890, the U.S. government worried about the increasing influence at Pine Ridge of the Ghost Dance spiritual movement, which taught that Indians had been defeated and confined to reservations because they had angered the gods by abandoning their traditional customs. Many Sioux believed that if they practiced the Ghost Dance and rejected the ways of the white man, the gods would create the world anew and destroy all non-believers, including non-Indians. On December 15, 1890, reservation police tried to arrest Sitting Bull, the famous Sioux chief, who they mistakenly believed was a Ghost Dancer, and killed him in the process, increasing the tensions at Pine Ridge.
» On December 29, the U.S. Army’s 7th cavalry surrounded a band of Ghost Dancers under the Sioux Chief Big Foot near Wounded Knee Creek and demanded they surrender their weapons. As that was happening, a fight broke out between an Indian and a U.S. soldier and a shot was fired, although it’s unclear from which side. A brutal massacre followed, in which it’s estimated almost 150 Indians were killed (some historians put this number at twice as high), nearly half of them women and children. The cavalry lost 25 men.
» The conflict at Wounded Knee was originally referred to as a battle, but in reality it was a tragic and avoidable massacre. Surrounded by heavily armed troops, it’s unlikely that Big Foot’s band would have intentionally started a fight. Some historians speculate that the soldiers of the 7th Cavalry were deliberately taking revenge for the regiment’s defeat at Little Bighorn in 1876. Whatever the motives, the massacre ended the Ghost Dance movement and was the last major confrontation in America’s deadly war against the Plains Indians.
» Conflict came to Wounded Knee again in February 1973 when it was the site of a 71-day occupation by the activist group AIM (American Indian Movement) and its supporters, who were protesting the U.S. government’s mistreatment of Native Americans. During the standoff, two Indians were killed, one federal marshal was seriously wounded and numerous people were arrested. »
Citant ce récit du massacre de Wounded Knee, l’historien libertarien Thomas DiLorenzo, spécialiste de la période et auteur d’un livre démystificateur sur Lincoln, fit ce commentaire où il mêlait effectivement le plus étroitement du monde la guerre du Nord contre le Sud et la guerre des Yankees contre les Indiens. (Sur le site LewRockwell.com, le même 29 décembre, sous le titre « The U.S. Army Has Been Massacring People for a Long Time ») :
« Wounded Knee was horrific, but almost trivial compared to the totality of the U.S. government’s twenty-five year campaign of genocide against the Plains Indians in which tens of thousands of Indian women and children were slaughtered “to make way for the railroads,” as General Sherman, who was in charge of it all, declared. The survivors were sent to concentration camps known as “reservations.” The Indian Genocide Wars were orchestrated by such “Civil War luminaries” as Grant, Sherman, Sheridan, and Custer. In fact, they commenced it during the war with such atrocities as the Sand Creek Massacre in Colorado. Sherman himself declared that racial purification was a big part of his purpose as he considered Indians, like Mexicans, to be “mongrels” (his exact language as quoted in my article in the link). He cynically recruited ex slaves (the “Buffalo Soldiers”) to assist in the mass murder of another non-white race. In a letter to his son a year before his death, he said that his greatest regret was that his armies did not kill every last Indian. He even described his policy toward the Indians as “the final solution to the Indian problem.” These are just a few reasons why there are myriad bronze statues of William Tecumseh Sherman littering the American landscape. »
Il est extrêmement difficile de trancher pour juger (on a vu plus haut les nuances que je m’impose à moi-même par rapport à mon appréciation initiale et d’ailleurs conservée de Sherman) ; si difficile qu’il est peut-être préférable de ne pas juger les hommes, y compris les sapiens-Système. Il suffit alors de les placer dans les grands courants historiques, voire métahistoriques, et de mesurer la part qu’ils y prirent, et dans quel sens ; alors, l’appréciation, plus que le jugement, vient d’elle-même, et l’on est plus conduit à considérer avec une compassion mêlé de regrets pour eux, ceux que l’on aurait été conduit à juger et à condamner dans un premier mouvement. Ceux que j’ai nommés ont participé à ce mouvement terrible, ce que je nomme “Système”, dont on mesure aujourd’hui l’affreuse ambition de la déstructuration-dissolution jusqu’à l’entropisation totale. Je le regrette pour eux mais ils en furent, et ils doivent porter une part de la responsabilité de ce qui s’avère aujourd’hui une catastrophe historique et une folie métahistorique sans précédent.
J’ai revu récemment le Danse avec les loups de Kevin Costner. Le metteur en scène y interprète le rôle du capitaine Dunbar, officier en rupture de civilisation et affecté à sa demande aux confins des terres “civilisés”, sur les terres indiennes. (Dunbar est nordiste d’ailleurs et ceci explique peut-être cela, – je veux dire que je verrais mal un officier sudiste tourner le dos à sa civilisation en pleine guerre ; parce qu’il défendait autre chose que l’idéal de puissance du Nord-yankee.) Dunbar, donc, ayant averti ses amis indiens du passage d’un énorme troupeau de bisons, part à sa poursuite avec eux. Soudain, la troupe parvient sur un monticule dominant un vaste espace de carnage : des chasseurs blancs ont massacré des dizaines de bisons pour leur prendre leur peau et leurs langues. Les carcasses écorchées des bêtes commencent à pourrir, comme en un spectacle ignoble qui deviendrait le symbole de la grande crise de notre monde, comme le Mordor jailli à la surface des Grandes Plaines. Le capitaine Dunbar se sent soudain écrasé par la responsabilité, voire une sorte de culpabilité, lui qui se juge soudain comme seul représentant du symbole sanglant de cette civilisation capable d’une telle sauvagerie furieuse, gratuite et futile, cette civilisation qui n’a plus de lien avec la nature du monde. De ses amis indiens, Dunbar dit qu’il devine et ressent lui-même “leur désarroi” devant ce spectacle terrible, comme “s’ils ne savaient plus quel était leur avenir”. (Ensuite me vint la remarque que les Indiens eux aussi étaient partis pour tuer des bisons, mais pas une seconde cette remarque ne brise le sentiment que je rapporte. Ici il y a la loi du monde, avec le respect de tout être, même celui qu’on a tué ; là, la puissance machiniste, hors de tout principe, de tout respect, de tout lien avec le monde dans son unité.)
Nous sommes comme ces Indiens, sauf que nous sommes à la fois les bourreaux et les victimes du carnage qui symbolise une sorte d’holocauste de notre avenir.
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