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2340On a à l’esprit cette phrase que nous citons souvent, de l’ancien chef du service extérieur de renseignement soviétique Chebarchine : «L’Ouest veut seulement une chose de la Russie : que la Russie n’existe plus.» Cette phrase, dite dans d’autres temps que celui de l’actuelle crise ukrainienne, pourrait sembler théorique, symbolique ou elliptique, tant elle substantive un projet difficilement concevable, et porteur des dangers les plus extrêmes que la raison humaine, voire la métahistoire elle-même, puissent concevoir. Il semble pourtant, à divers signes qui sont aussi bien des analyses que des états d’esprit, qu’elle trouve sa place dans le registre des hypothèses opérationnelles de plus en plus concevables même si elle est rarement exposée en tant que telle. Bien entendu, si ce processus essentiellement d’ordre psychologique continue, cette hypothèse-là va dominer, écraser toutes les autres, et jouer un rôle déstabilisateur universel et colossal. (Lorsque nous disons “Il semble [... que cette hypothèse] trouve sa place dans le registre des hypothèses opérationnelles de plus en plus concevables”, nous parlons d’un processus extrêmement rapide, par conséquent de la possibilité d’événements déstabilisants qui ne le sont pas moins, et d’une évolution des psychologies à mesure.)
• On rappellera d’abord que des théoriciens-stratèges US jouent volontiers avec cette hypothèse si séduisante par sa netteté. Dans notre texte du 22 janvier 2015, on citait aussi bien George Friedman («Mais la question principale est bien de savoir si la Russie peut évoluer dans tout cela en n’éclatant pas. Elle fait face désormais à tous les facteurs qui ont conduit à l’effondrement de l’Union Soviétique... ») que Strobe Talbott («[2015] pourrait voir le déclenchement de la troisième guerre tchétchène qui, à son tour, pourrait être l’arrêt de mort de laz Fédération de Russie dans ses frontières actuelles. [La Russie se démembrerait] elle-même dans ce début de siècle, – à la façon de l’Union Soviétique en 1991...»).
• Ces paroles (théoriques) d’experts qui, dans l’atmosphère survoltés et schizophréniques de Washington se doivent de surenchérir dans les prospectives les plus radicales, rencontrent désormais des observations d’autres experts, dissidents ceux-là, qui commentent les développements courants de la crise ukrainienne. Le cas cité ici est celui de Peter Koenig, anciennement économiste de la Banque Mondiale. Pour lui, les USA veulent le “contrôle complet de l’Ukraine”, mais comme une étape intermédiaire vers leur but stratégique, – la destruction de la Russie. (Sur PressTV.ir, le 16 février 2015.)
«A geopolitical analyst believes that the United States wants to demolish Russian President Vladimir Putin, who is trying to resolve the Ukraine crisis peacefully. All Washington wants “to do is to demolish Russia, demolish the name of President Putin, who has been extraordinary in his diplomacy,” former World Bank staff Peter Koenig told Press TV in a phone interview on Sunday.
• On observe aussi un état d’esprit, en Russie même, qui envisage cette situation extrême d’une attaque contre la Russie, qui même laisse à penser que les Russes n’envisagent rien d’autre que cette attaque-là (nous utilisons ce terme “attaque” dans le sens le plus large quant aux moyens, circonstances, méthodes, etc., l’essentiel du propos étant que le but de cette attaque est perçu comme étant la Russie). Le Saker-francophone rapportait ce point de vue, le 9 février 2015 : «Une des différences les plus notables entre les médias russes et occidentaux, c’est que l’éventualité d’une guerre est constamment abordée dans le premier cas, et pratiquement jamais dans le second. En Russie, le risque qu’une guerre éclate est avancé dans les émissions d’affaires publiques et par des personnalités bien connues, et ce thème revient souvent dans les émissions-débats. [...] Une autre grande différence est la rage et la détermination exprimées par les Russes de toutes les couches de la société. La phrase qui revient le plus souvent ces temps-ci est les Russes ne capituleront pas.»
Plus récemment, et à propos des sanctions du bloc BAO contre la Russie, le Saker-US relève le sentiment qu’il assure général dans les médias de tous ordres en Russie, jusqu’aux réseaux sociaux. Il s’agit de la conviction que ces sanctions ne seront jamais levées, au moins dans les conditions actuelles des forces en présence dans la crise en cours, qu’elles constituent un acte de belligérance permanente contre la Russie, et non contre la Russie à cause de la crise ukrainienne mais contre la Russie en tant que telle, la Russie telle qu’elle est devenue, dans le but implicite de son élimination, par destruction ou par fragmentation... (Vineyard of the Saker, le 16 février 2015.)
«First, nobody in Russia believes that the sanctions will be lifted. Nobody. Of course, all the Russian politicians say that sanctions are wrong and not conducive to progress, but these are statements for external consumption. In interviews for the Russian media or on talk shows, there is a consensus that sanctions will never be lifted no matter what Russia does.
»Second, nobody in Russia believes that sanctions are a reaction to Crimea or to the Russian involvement in the Donbass. Nobody. There is a consensus that the Russian policy towards Crimea and the Donbass are not a cause, but a pretext for the sanctions. The real cause of the sanctions is unanimously identified as what the Russians called the “process of sovereignization”, i.e. the fact that Russia is back, powerful and rich, and that she dares openly defy and disobey the “Axis of Kindness”.»
On voit qu’on ne parle pas ici de faits politiques fondamentaux, à l’heure où les accords de Minsk-2 sont en application et où l’attention se concentre sur les possibilités d’une stabilisation de la situation en Ukraine, voire d’une possibilité d’amélioration pouvant conduire à une ouverture vers une résolution de la crise. Deux textes peuvent être consultés, qui sont intéressants dans le sens où, d’une part ils ne dissimulent rien des difficultés sur cette voie ; où, d’autre part, ils mettent en évidence l’enjeu même de cette problématique réduite à la seule Ukraine, qui n’est rien moins que les relations entre l’Europe occidentale et les USA, c’est-à-dire la cohésion interne du bloc BAO : Jacques Sapir, le 14 février 2015, sur RussEurope ; Michael Hudson, le 16 février 2015, sur CounterPunch.
Il n’empêche qu’entretemps est intervenu, peu après l’accord Minsk-2, un nouvel ajout de sanctions de l’UE contre la Russie, introduisant un élément surréaliste si l’on s’en tient à la seule situation ukrainienne (sanctionner l’un des principaux instigateurs de Minsk-2 alors que Minsk-2 démarre et qu’on attend des résultats encourageants de son application), – avec ce commentaire du ministère russe des affaires étrangères, marquant son découragement de trouver la moindre cohérence, la moindre logique, le moindre bon sens dans l’action de l’UE : «L’UE a encore une fois renoncé à une analyse critique et impartiale des véritables raisons de l’aggravation du conflit dans le sud-est de l’Ukraine et s’est laissée tromper une fois de plus par le “parti de la guerre” à Kiev. Nous relevons une incohérence et une absence de logique dans le fait que, lorsque le règlement pacifique de la crise semble possible, à chaque fois, Bruxelles ne manque pas d’introduire de nouvelles sanctions contre la Russie. De telles décisions paraissent d’autant plus bizarres qu’un accord a été conclu à Minsk le 12 février avec la participation active des dirigeants des pays européens. Il semble que Bruxelles n’arrive plus à maîtriser la vague des sanctions ou prend ses désirs pour des réalités et veut persuader l’opinion publique de l’efficacité du régime des sanctions sur la politique russe...»
Il n’empêche, si les nouvelles sanctions de l’UE sont appréciées du point de vue mentionné plus haut qui est celui de la volonté de destruction de la Russie, alors elles retrouvent toute leur raison d’être et leur cohérence. Il n’est bien entendu pas question d’avancer que ce point de vue est effectivement la cause des sanctions, explicitement ou même implicitement ; les processus de l’UE sont d’ailleurs suffisamment insaisissables, incompréhensibles, presqu’autonomes dans leur mécanisme d’entité, pour qu’on écarte effectivement une explication de cette sorte. Il n’y a pas, à ce niveau, de plan défini et décisif, pas “de faits politiques fondamentaux” comme nous disions plus haut, ni même de stratégie, même dissimulée, édictée comme une consigne fermement déterminée. Mais il y a une logique supérieure, dont la puissance est difficilement contenue, pour ne pas parler de tenter de l’arrêter ; et cette logique supérieure, qui renvoie à des conceptions de métahistoire, ne peut évidemment être englobée dans la seule approche rationnelle du sapiens, encore moins explicitée par elle.
On observe d’ailleurs que, même si l’on se concentre sur le seul problème de l’Ukraine, comme le font les commentateurs cités plus haut, on débouche tout de même sur un problème fondamental qui est celui des relations entre les USA et l’Europe, c’est-à-dire le problème de la cohésion interne du bloc BAO, c’est-à-dire enfin le problème de la stabilité et de la structuration interne du Système ; et, revenu à ce niveau, on retrouve effectivement l’option de l’attaque contre la Russie qui est l’un des deux termes de l’alternative envisagée, ce qui signifie que les deux termes sont absolument liés l’un à l’autre : ou bien une attaque contre la Russie dans l’intention de détruire cette entité souveraine, ou bien un règlement de l’affaire ukrainienne conduisant à un affrontement interne au Système. Revenu à cette logique générale, notre appréciation générale est qu’on ne peut s’en tenir là et qu’il est nécessaire pour considérer une prospective plus probable de réunir les deux termes de l’alternative en une seule séquence prenant en compte les attitudes politiques des uns et des autres : plutôt qu’un règlement de la crise ukrainienne, une tentative de règlement de la crise ukrainienne se heurtant à des tensions internes dans le bloc BAO, lesquelles déclencheraient parallèlement une réaffirmation de l’attaque contre la Russie, ce développement conduisant encore plus décisivement, et selon un état d’esprit préparé à cet égard, à un affrontement à l’intérieur du bloc BAO et, éventuellement, un processus de déstructuration interne autodestructeur du Système. En effet, cette sorte de “ligne rouge” de l’affrontement direct avec la Russie nous semble être, de plus en plus, et cela en fonction de la capacité de résistance de la Russie, le point décisif de basculement de la cohésion interne du Système. Le Delenda Est Russia est la voie décisive conduisant au Delenda Est Systema.
Mis en ligne le 17 février 2015 à 12H26
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