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146312 octobre 2010 — Il y a une occasion de faire avancer un débat intéressant, considérant la position et la dynamique du système, la position des dirigeants politiques, notre propre position par rapport à ce système. L’occasion en est essentiellement la guerre en Afghanistan.
Nous considérons au moins trois éléments…
• La possible/probable dépression du président Obama.
• La présence en Afghanistan, ou dans la réflexion sur l’Afghanistan, du fameux Docteur Folamour de Stanley Kubrick. Nous rappelons quelques extraits du texte de Thomas Ruttig, de Afghanistan Analysts Networks (AAN), publié notamment dans Foreign Policy, et justifiant parfaitement le titre “l’Empire est en train de devenir fou” de l'article.
Sur le monde des “experts” de l’establishment US placé devant l’impasse afghane, Rutting remarque : «The current U.S. clue- and helplessness in Afghanistan, with its strategy that no one knows whether it will work and with no Plan B, is definitely crying out for some “out of the box” thinking. But the ideas which have started to appear on various websites reminds one of the mad Dr. Strangelove, who learned “how to stop worrying and love the bomb” in Stanley Kubrick's 1964 movie. Most frightening is that some of these ideas and plans do not spring from the minds of fringe commentators but from the heart of the U.S. establishment. But for remote-view “experts” and newcomers in the field alike the advice would be: some closer-up knowledge about the country would help.»
Ruttig cite, parmi ces “experts”, Robert D. Blackwill, ancien adjoint au conseiller de sécurité nationale de GW Bush. Blackwill expose un plan de partition de l’Afghanistan, avec une zone Nord pro-américaniste et “sécurisée” comme telle par l’invicible U.S. Army, le reste vivant sous la menace constante, irrésistible et d’une précision terroriste et chirurgicale de la nouvelle merveille de l’arsenal US, le drone, ou UCAV (véhicule aérien de combat sans pilote). D’autre part, Cora Sol Goldstein, professeur de l’université de l’Etat de Californie, qui a beaucoup de regret de ne pouvoir faire bon et expéditif usage du nucléaire… «[…R]egretting that “the national and international political context makes it impossible for the U.S. to fight a total war [sic!] in Afghanistan and Pakistan” and that the “use of nuclear weapons” in the AfPak region is “not yet justified.”»
• Enfin, troisième élément pour notre dossier, qui nous donne les voies de notre réflexion, suivant en cela notre habitude de dialoguer, de notre ami Jean-Paul Baquiast, qui avait déposé un message, le 7 octobre 2010, dans le Forum du texte déjà référencé, sur la dépression d’Obama. Voici ce message, sous le titre Les limites de l'humain, reconstitué des deux parties envoyées par Baquiast suite à un problème technique.
«Dans l'approche anthropotechnique de l'histoire que je vous ai proposé, j'ai indiqué que l'humain (anthropos) pris dans les l'explosion de la technique, atteint très vite ses limites, aussi bien physiques ou physiologiques que cognitives.
»Le possible effondrement de Barack Obama, succédant à ceux d'autres présidents, en serait une nouvelle preuve. Mais la fuite dans la mégalomanie d'un Hitler en serait une autre forme. Dans ces divers cas, plus personne ne dirige de façon rationnelle.
»Cela n'atteint pas seulement les dirigeants. Nous-mêmes, bien que bien informés grâce à dedefensa, nous sommes incapables d'avoir une vue claire, par exemple de la crise actuelle US-Afghanistan-Pakistan ou a fortiori de ce qu'il faudrait faire dans cette crise. Finalement, ne comprenant pas, nous renonçons à comprendre et nous nous résignons à laisser faire les évènements. C'est vrai non seulement du simple citoyen, mais des hommes politiques, généraux et stratèges en principe bien informés. Ainsi vont les systèmes anthropotechniques, en aveugles»
• A cela, on pourrait ajouter, comme illustration du chaos afghan, l’affaire de la mort de l’otage britannique.
Nous allons proposer plusieurs remarques, d’abord en nous référant à ces divers éléments sans ordre déterminé, ou nous appuyant sur eux, ou en argumentant sur des différences ; nous développerons parallèlement une réflexion générale.
La première de ces remarques concerne l’état psychologique des différents acteurs du système, plutôt à l’intérieur du système, en considérant notamment l’hypothèse implicite de Baquiast que l’Afghanistan joue un rôle essentiel dans l’évolution psychologique d’Obama, hypothèse que nous tiendrions pour juste. Il n’est pas tout à fait assuré que ce soit exactement le cas (“rôle essentiel”), Obama ayant d’autres problèmes qui peuvent expliquer son évolution, mais il reste manifestement incontestable que l’Afghanistan a évidemment un rôle très important. Le raisonnement est donc complètement acceptable, d’autant qu’il sert de modèle pour d’autres crises en cours, selon le même schéma.
Ce qu’on observe est que les réactions psychologiques, aux USA essentiellement parce que là se trouve le centre de notre crise générale, ne sont pas toutes du mode dépressif. Nous suggérions dans notre texte initial qu’il pouvait y avoir des réactions de type maniaco-dépressif. Manifestement, Blackwill-Goldstein sont de cette sorte, avec la réaction exacte correspondant au mode de l’exaltation maniaque. On y retrouve les obsessions américanistes, au point de se demander si l’américanisme n’est pas une affection maniaco-dépressive privilégiant la première phase dans ce cas ; exaltation, d’abord pour la guerre, si possible pour la guerre totale, qui nous fait penser que l’état d’esprit neocon n’est pas une spécificité néo-conservatrice mais une attitude exaltée courante chez les “experts” US en général ; ensuite, pour des moyens de guerre typiquement américaniste : le drone, la guerre technologique, automatique, déshumanisée, destructrice, sans avertissement et sans risque pour l’attaquant, et profondément méprisante pour l’“adversaire”, c’est-à-dire tout ce qui n’est pas américaniste (celui qui risquerait le mot “lâcheté” ne serait pas démenti par nous, – et, dans ce cas, un des caractères du déséquilibre psychologique) ; l’invincible attirance pour le nucléaire pour “solde de tous comptes”, solution finale américaniste de tout conflit par anéantissement type Ground Zero de l’“adversaire”, dans ce cas identifié comme le Mal absolu.
Ce que nous voulons dire est que la faiblesse psychologiques des uns et des autres face aux pressions du système (cette faiblesse de la psychologie est un des grands axes de notre appréciation de l’affirmation du système et de la matière sur l’entreprise humaine depuis le XVIIIème siècle) ne se traduit pas uniformément par la dépression. La réaction inverse est possible, comme ce fut sans doute le cas de GW Bush dans certaines occurrences, et cela nous procure, au contraire d’une prostration paralysante, l’exaltation de projets considérables et sans mesure. En général, la bureaucratie se bat pour les freiner parce qu’elle n’aime pas l’aventure, tout comme elle se bat pour profiter de la prostration paralysée du dépressif (le président ?) pour faire avancer ses pions ou, plus justement dit, les laisser en place en estimant (faussement) qu’elle ne prend pas trop de risques supplémentaires (cas de l’Afghanistan). La conclusion que nous tirons à ce stade est que l’effet général de ces troubles psychologiques divers occasionnés par les pressions du système, c’est d’abord la confusion et le désordre ; s’il y a paralysie et impuissance ce sont la paralysie et l’impuissance pour changer des situations qui sont hors de contrôle, y compris paralysie et impuissance du système lui-même pour changer (à son avantage) les situations qu’il a engendrées ; effectivement, le résultat est confusion et désordre partout et pour tous.
Ainsi serions-nous conduits à adopter une attitude un peu différente de celle de notre ami Baquiast sur un point central. Nous sommes d’accord sur la faiblesse des psychologies, sur leur épuisement, sur les limites évidentes de la raison à contrôler la situation. Nous avons une idée bien précise pour ce qui concerne le jugement que peuvent avoir les esprits de cette situation. Si Obama est bien dépressif à propos de l’Afghanistan, au moins en bonne part, c’est à cause de sa psychologie fragile ou de sa psychologie fragilisée, mais nullement à cause de l’absence d’«une vue claire, par exemple de la crise actuelle US-Afghanistan-Pakistan ou a fortiori de ce qu'il faudrait faire dans cette crise». Dans un texte sur son site, Jean-Paul Baquiast nous le dit d'ailleurs : «On peut penser qu'Obama était assez intelligent pour se rendre compte de l'absurdité de cette stratégie mais qu'il était psychologiquement trop faible pour en prendre une autre plus radicale, se retirer d'Afghanistan, en l'imposant aux divers lobbies qui lui imposaient le maintien. D'où sans doute un début de dépression de sa part.»
La question n’est pas tant, à notre sens, d’avoir une appréciation “claire” de la guerre en Afghanistan ni d’y comprendre quelque chose. Au point où nous sommes d’enchaînements divers de causes en effets, tous plus catastrophiques les uns que les autres, tous développés à partir de prémisses faussaires et de décisions catastrophiques puisque basées sur ces prémisses faussaires à partir d’un jugement lui-même déformé, il est évident que personne ne peut rien comprendre à l’Afghanistan, quant à dégager une vision “claire” de cette guerre, parce qu’en vérité il n’y a donc plus rien à comprendre depuis longtemps, et aucune vision “claire” possible. Hors les esprits qui s’enferment volontairement dans une vision parcellaire des choses comme l’appréciation d’une situation tactique limitée, de la qualité des matériels, voire du comportement humain et psychologique des forces, – ces esprits-là, d’ailleurs, affaiblis eux-mêmes par leur psychologie épuisée, – la perception d’un événement catastrophique dans le fait de la guerre d’Afghanistan dépasse largement les chipotages d’une raison dépassée dans sa vaine tentative de “comprendre” cette guerre, pour atteindre le stade de l’évidence intuitive. Il suffit, pour cela, d’accepter justement cet effort de l’appréciation générale, autant que l’évidence intuitive, – et ainsi renvoyer la raison humaine aux erreurs qu’elle ne cesse de susciter depuis des siècles. La question est plutôt de tirer les conséquences de ce constat et d’agir selon ces conséquences.
Le système agit certainement “en aveugle”, c’est-à-dire sans aucune élaboration, sans aucune orientation sinon celle de la dynamique sa masse. Cette dynamique, dans le cas de l’Afghanistan, représente une situation d’“occupation”, une réticence pathologique à céder la moindre de ses positions acquises, à envisager le moindre arrangement qui signifierait selon ses conceptions grossières un recul. Il ne peut être question de manœuvres, de feintes impliquant un recul temporaire, l’abandon d’un avantage pour en conserver plus sûrement un autre, parce que cela suppose une réflexion adaptative dont le système est totalement dépourvu. Les “experts” cités, qui représentent évidemment, au travers de leurs propres pathologies, la pathologie du système, en viennent à imaginer des plans désespérés type “plan B” dont la caractéristique serait un repli (une partition) pour mieux écraser sous la force ce qui aurait été laissé à l’“adversaire” ; le repli, prétendument habile, devient un moyen de plus d’encore aggraver la situation.
Le système agit donc “en aveugle”, mais aussi “en prisonnier” (disons, prisonnier de ses propres entreprises, de ses propres tendances de puissance devenues autodestructrices). Il n’est pas question qu’il recule, mais il ne peut pas non plus avancer sinon en s’enfonçant plus encore dans le bourbier où il se débat. Dans ces conditions, il importe assez peu de “comprendre” la guerre en Afghanistan, pour examiner comment la faire évoluer. Il faut admettre qu’elle représente en soi un cas de paralysie et d’impuissance du système, qu’elle est incompréhensible en soi et n’est compréhensible qu’en tant qu’elle est l’expression du système, par conséquent qu’il importe de briser le système et nullement de s’occuper de la guerre. Bien sûr, “briser le système” c’est agir sur la guerre, mais sans se préoccuper de la “comprendre” pour éventuellement la faire évoluer d’une façon acceptable ; sans se préoccuper de la reprendre sous contrôle…
Nous avons toujours considéré que le “génie” de Gorbatchev avait été de comprendre, dans le cas similaire (quoique bien moins grave en intensité et en finalité) du système soviétique (dont une guerre en Afghanistan), qu’effectivement il s’agissait d’un système et qu’il importait d’agir contre lui sans plus tenter de “comprendre”. (D’ailleurs le premier emploi de “comprendre” dans la phrase est certainement inapproprié, et Gorbatchev n’a certainement pas “compris”, – et, aujourd’hui encore, il ne “comprend” pas vraiment ce qu’il a fait ; il a senti, d’instinct et d’intuition, et il a agi, presque d’une façon primaire, en s’extrayant du système et en le frappant de l’extérieur, sans surtout chercher à… “comprendre”.) C’est pourquoi nous n’avons cessé, au début de son mandat, d’avancer qu’Obama ne pourrait être ce qu’on attendait instinctivement qu’il fût qu’en étant un “American Gorbatchev”.
Qu’est-ce que cela signifierait pour l’Afghanistan ? Partir, abandonner les combats, sans condition ni rémission, etc. Cela signifierait un Obama mobilisant les radios et TV des USA et annonçant qu’il faut partir, le plus vite possible et sans conditions, et qu’il donne aussitôt l’ordre à ses généraux, etc., – bref, un coup d’Etat, pas moins, dans un pays où l’Etat n’existe pas. C’est-à-dire, observera-t-on aussitôt, quelque chose d’impossible, d’inenvisageable, parce que c’est militairement impensable, politiquement inenvisageable, qu’Obama serait aussitôt l’objet d’une procédure de destitution, d’une révolte au Pentagone, etc.… Evidemment ! C’est là qu’est tout le sel amer et tragique de la situation, observerait-on cyniquement. Nous avons été beaucoup trop loin avec le système pour pouvoir espérer revenir sur nos pas, d’une part ; nous ne pouvons rien envisager d’autre comme issue raisonnable que de revenir sur nos pas, à tout prix, d’autre part, – finalement, blocage partout s’il est question d’espérer faire “quelque chose”. Le jour où il n’a pas songé à tenter d’être l’“American Gorbatchev”, d’une façon ou l’autre, sur quelque affaire que ce soit, y compris et naturellement l’Afghanistan, Obama a perdu. Cela se passait, cela ne pouvait se passer, disons, que dans les derniers jours de janvier 2009 ou dans les premiers jours de février 2009, – à peine inauguré 44ème président des Etats-Unis (POTUS). Cela ne fut pas et, comme l’on dit, “ainsi soit-il”.
Il n’y a là nulle raison de désespérer, et nous dirions même : au contraire. L’Afghanistan (ou autre chose, les arguments ne manquent pas, de crise en crise) ne sera pas seulement la fin des ambitions politiques de Barack Obama ; ce sera aussi, en conjonction avec le reste, de crise en crise, un pas de plus dans l’effondrement du système, lequel s’organise avec une rapidité si remarquable qu’il pourrait se montrer suffisamment véloce pour accompagner Obama dans son échec ou dans sa chute. Nous ne suscitons pas, nous n’applaudissions pas la logique du pire, nous la constatons parce que c’est la seule logique des événements du monde encore en activité, et avec quelle puissance. Si nous n’en pensons pas moins (en disant qu’il faut laisser les choses aller à leur terme), c’est bien parce que le système, qui est effectivement “la source de tous les maux”, ou encore le mal en action sans frein, nous conduit sinon nous oblige à cette pensée. Par conséquent, sur le fait lui-même (la guerre en Afghanistan), il n’y a rien à comprendre, et nulle raison d’être découragé de n’y rien comprendre. Le contraire, – que nous y comprenions quelque chose, – devrait nous inquiéter grandement car il serait fort inquiétant pour notre équilibre intellectuel de trouver un sens à ce qui est pur désordre nihiliste et mécanique.