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2225D’abord un mot en guise d’avertissement, qui vaut d’ailleurs pour certains textes de ce Journal-dde.crisis. Ce texte ci-dessous aurait aussi bien pu figurer, sous une forme à peine modifiée (sans les interventions à la première personne) dans une rubrique courant du site. Mon choix a été différent parce que j’ai l’impression de faire ici un peu de cette prospective que l'on s’emploie à éviter dans les analyses du site. Du coup, le traitement du problème devient très personnel et mérite de figurer là où il se trouve. En passant, j’ajoute cette précision plus générale et qui concerne tous les textes en général : le rôle que j’attribue éventuellement à Macron n’implique aucune espèce d’estime, de jugement, d’appréciation sur l’homme, qui n’a pas encore donné de matière à ce qu’on le juge. Pour moi, Macron, comme les autres acteurs, est d’abord un pion de forces supérieures. Je le dis plus loin, je l’annonce d’une façon plus conceptuelle ici.
17 juillet 2017 – Il y a eu cette rencontre Macron-Trump, comme il y avait eu une rencontre Trump-Poutine, comme il y a eu également une ou deux rencontres Poutine-Macron, et la perception qu’on a de ces rencontres, – quoi qu’il en soit de leurs contenues, – et cette même ligne essentielle d’une entente des trois hommes notamment sur le sujet symbolique de la façon de résoudre la question syrienne. Je ne crois pas une seconde que cela la résoudra, cette question syrienne, je vous parle de perception et vous invite à découvrir ce qui unit les deux partenaires de Macron : ils sont les deux protagonistes, – involontaires, réticents, incrédules, etc., qu’importent leurs humeurs, – de l’énorme simulacre qui déchire Washington D.C., et ce simulacre animé par une pression incroyable d’une force quasi-divine, – ou disons complètement diabolique, si vous voulez bien et pour être plus juste, – qui est la haine que le Système porte à Trump (et, au-delà mais vraiment très serré, à Poutine également, au nom d’un antirussisme qui est de la même catégorie haineuse)... Par conséquent, Macron est dans cette galère-là.
Ne cherchez aucune attitude rationnelle d'explication à développer pour expliquer ces quelques observations de départ, aucune ne peut résister à la puissance de la communication et à la contraction monstrueuse du Temps qu’elle suscite, et par conséquent à l’accélération folle de l’Histoire. Cette contraction-accélération est telle qu’il arrive qu’on ne la mesure plus ni ne la ressente, comme avec cette comparaison que j’affectionne de l’immobilité du calme absolument paradoxal qui caractérise l’œil du cyclone alors que l’on se trouve au cœur de la force titanesque de la tempête. Par conséquent, si l’on n’y prend garde on n’y voit que du feu et si vous parlez au quidam moyen de la rapidité folle de l’Histoire, il vous regarde comme on contemple un excité incontinent. Passons...
Les autres acteurs ? Il y a les Chinois assurant leur stature de discrète première économie du monde et, pour rester dans le champ des USA qui doit tous nous intéresser parce qu’en matière de crise c’est là que tout se passe, je serais bien poussé à penser qu’ils vont développer leurs liens avec ce que Madsen nomme The United States of Pacific, en y adjoignant des relations à développer avec le Canada, le Mexique, l’Australie, etc. Vis-à-vis de Washington D.C., les Chinois restent sur la réserve et n’ont pas de tendresse particulière pour Trump qui est le souffre-douleur de Washington D.C. Ils s’arrangent très bien avec Merkel qui déteste Trump, mais elle sans le dissimuler et donc dans un sentiment différent des de celui des Chinois.
Certes, je verrais bien ces deux acteurs, la Chine et Merkel, s’arranger d’une certaine distance sinon une distance certaine vis-à-vis de Trump (avec l’esprit différent entre les deux qu’on a vu), et cela les mettant par conséquent, avec plus ou moins d’engagement et plus ou moins d’empressement, proche ou très proche d'un camp qui est celui du Système et du vrai Washington D.C. (Tout cela informel, certes, mais ayant du poids dans les perceptions réciproques.) Encore une fois, revenez à l’Australie, qui est par ailleurs et pour des raisons différentes dans les plans des Chinois, et rappelez-vous à nouveau ce point essentiel qui était déjà rappelé le 14 juillet dans une allusion analogique valant exclusivement pour Merkel dans ce cas, qui est un point si fondamental, sur lequel je ne cesserais d’assez insister :
« [...L]a mauvaise humeur et la dureté de Merkel vis-à-vis de Trump ne signifient en rien une révolte contre l’hégémonie US mais exactement le contraire, c’est-à-dire une bonne et stricte obéissance aux conseils du Deep State [et du Système]. C’est bien le sénateur McCain puis l’ancien directeur du renseignement national James Clapper qui sont allés en Australie, début juin, dire, l’un après l’autre, qu’un bon allié des USA, aligné sur les USA comme il doit l’être, doit aujourd’hui complètement tourner le dos au président Trump, bras d’honneur compris, et attendre paisiblement sa chute qui ne saurait tarder. »
Il faut absolument cesser de percevoir les USA/Washington D.C. comme une seule entité, naturellement hégémonique, et par conséquent avec Trump comme son représentant, mais bien comme une “Guerre Civile” opposant la puissance énorme de la bureaucratie, du Système, contre l’Usurpateur, le Traître-absolument-inexpiable. Et là-dessus, je crois qu’il faut absolument insister sur ce point que cette “guerre civile” n’a aucun sens rationnel, stratégique, ni même de simple corruption des intérêts en jeu ; même si ces facteurs demeurent, elle est pour l’essentiel sinon toute entière animée, sinon noyée par une haine incompréhensible par la seule raison. La puissance de la communication ne cesse d’alimenter cette haine et interdit donc à la raison de s’exercer pour en démontrer le ridicule complet et, au-delà, le terrible effet autodestructeur. Cet aspect influence tout le reste : je veux dire par là que les positions des uns et des autres, nécessairement considérées par rapport à la crise US comme ils l’étaient par la puissance US, subissent les effets et les conséquences de cet antagonisme de haine.
La raison n’a plus sa place, cela est un constat impératif même si la ou les causes de cette absence doivent encore être déterminées avec précision. Il n’y a pas de phrase plus vraie que celle-ci, ricanante et sarcastique puisque venue d’un personnage de fiction qui semble parfois plus vrai que nature, qui doit avoir le cynisme comme ligne de conduite... « Bienvenue à la mort de l’Âge de la Raison », dit le président Underwood (Kevin Spacey) dans la Saison 5 (2016-2017) de la série The House of Cards.
Il y a donc une situation très particulière, complètement inédite, sans précédent possible parce que dépendante en vérité de la vitesse et de la puissance d’un phénomène inédit, lui-même sans équivalent ni précédent : la communication, dans des conditions où la raison ne peut plus lui imposer aucun frein. C’est d’ailleurs elle, la communication, qui, en un sens, du point de vue des moyens opérationnels, a totalement annihilé la raison en ne lui laissant plus aucun espace de temps pour opérer. Pour cette raison (!), il me semblerait extrêmement concevable et logique (ce constat venu du travail de notre raison intérieure, pour les happy few qui encore la capacité de la consulter) que cette pression constatée à Washington D.C., démente, fondée sur une haine incompréhensible et d’autant plus indélogeable, ne cessera pas de se renforcer jusqu’à des conséquences extraordinaires de rupture. Les conditions d’alliance, de coopération, d’antagonisme en sont complètement modifiées, comme si nous réalisions en un sens une répétition en temps réel de la disparition des USA.
Voilà donc mon hypothèse centrale : l’alliance avec les USA ne représente plus aujourd’hui le régulateur global qu’il était (qu’on l’appréciât ou qu’on le détestât) parce que ce lien se modifie à une vitesse stupéfiante, non pas entre ceux qu’il lie mais en plusieurs liens différents. Une proximité avec Trump ne signifie en aucun cas une proximité avec les USA, et Merkel comme les Australiens, qui travaillent directement avec les courroies de transmission du Washington D.C. anti-Trump, sont beaucoup plus tributaires et soumises à la vassalisation des USA que ceux qui entretiennent de bons rapports avec Trump. La Chine dépend moins si pas du tout de cette logique, bien entendu parce qu’elle est toujours un peu à part ; elle peut effectivement préférer travailler avec les USA d’une manière tangentielle par rapport au(x) pouvoir(s) US et sans trop s’occuper de Trump ni de Washington D.C., selon une logique océanique (l’Océan Pacifique), mais elle le ferait avec sa prudence et sa discrétion coutumières.
Mon constat est donc que les liens et les lignes stratégiques habituels, établis selon les règles de la globalisation appuyées sur des puissances fortes et centralisées (USA d’abord, puis USA et Chine selon les schémas classiques) ont tendance à perdre leurs positions impératives. Qui plus est, dans une telle occurrence, je choisis sans hésiter de ne faire intervenir aucun plan nouveau, aucune stratégie novatrice, car il faut garder à l’esprit que cette sorte d’évolution se ferait alors que la plupart des acteurs seraient marqués, à cause de leurs habitudes et de leurs structures bureaucratiques solidement liés à leurs systèmes de communication et à leurs élites, par des psychologies effectivement secouées, voire endommagées gravement et donc erratiques par le climat actuel exacerbé par les événements US, et d’autant plus que l’absence d’affirmation sinon de réalisation de ces événements laissent ces psychologies à découvert. A mon sens, dans les acteurs principaux occupant actuellement une place traditionnelle, seules la Russie et la Chine disposent encore d’une certaine liberté de leur raison pour juger de la situation, mais ils sont d’une telle prudence que leurs initiatives rationnelles seraient toujours marquées du sceau de la retenue, du refus aussi affirmé que possible du bouleversement, etc., et nécessairement de type défensif là où il se peut ...
Dans cet environnement, il s’avère objectivement qu’il y a quelque chose de nouveau et que c’est pour la France. En un sens, la France est bien placée parce qu’elle dispose de la réputation d’une loyauté européenne (relations avec Merkel) et transatlantique classique (ce qui est devenu la faction Deep State anti-Trump) héritées des nullités précédentes, tandis qu’elle a très récemment noué de bons contacts avec deux forces nécessairement mises dans le camp adverse par la haine dominante à Washington D.C., Trump lui-même et Poutine ; et, d’une certaine façon, Trump et Poutine ayant besoin d’alliés de bonne réputation face à Washington D.C.-la-haine. C’est exactement le cas de la France, qui peut encore plus assumer cette position qu’il lui reste une tradition et certains outils de son indépendance nationale. S’il n’est pas assuré du tout que Macron ait voulu tout cela, il n’empêche qu’il faut observer qu’il a voulu sans attendre des rencontres avec Poutine et avec Trump.
Tout cela n’assure en rien qu’il (Macron) soit conscient de cette distribution du jeu, ou plutôt de cette hypothèse de distribution du jeu que je soulève. Il est donc difficile de savoir ce qu’il en ferait 1) si l’hypothèse se vérifiait complètement, et 2) s’il s’en apercevait d’une façon vigoureuse et lucide. Il n’est même pas nécessaire de s’interroger sur le fait de savoir s’il pourrait être un “grand homme”, hypothèse risquée et chose qui m’importe assez peu ... Mais l’on doit encore une fois observer l’étrange tournure des événements, car ce sont bien les événements eux-mêmes qui agissent dans leurs enchaînements si improbables et inattendus pour nous puisque si dépourvus de moteurs rationnels humains ; ils placent potentiellement, dans le jeu international, un pays (la France) qui avait tellement sombré qu’il en était devenu absolument insignifiant jusqu’à l’inexistence et le non-être, dans une situation potentielle complètement nouvelle à la fois dans la capacité d’arbitrer en étant sollicité par plusieurs parties, à la fois dans la capacité de s’engager dans une démarche où il pourrait travailler dans un sens antiSystème... L’on peut en déduire que la France, même lorsqu’elle hérite d’une diplomatie nulle au-delà de toute description (la succession Sarkozy-Hollande avec l’époustouflant enchaînement Kouchner-Juppé-Fabius-Ayrault), trouve chez les dieux la possibilité d’un complet renversement avec l’option d’une diplomatie renversant le courant pathétique des dix dernières années.
Macron saura-t-il avoir un destin quelle que soit sa propre valeur ? La question est bien délicate et l’on ne devrait pas se risquer à y répondre positivement et je ne m’y risquerais pas, et d’ailleurs sans juger cette question-là véritablement intéressante ; il suffit, pour notre édification et pour croire alors à la possibilité d’un pseudo-destin de Macron, d’avoir toujours à l’esprit qu’il y a les événements métahistoriques eux-mêmes, soufflant comme des grands vents dominants, en mode de tempête, qui peuvent pousser dans un sens intéressant et inattendu. Les temps courants ne cessent de devenir, de périodes en périodes de plus en plus courtes, eux aussi de plus en plus intéressants et inattendus.
Peut-être que les dieux jouent aux échecs mais nous qui servons de pions, nous sommes joués à quitte ou double... C’est quand même mieux que d’être “quitte” avant même de jouer, comme ce fut le cas pendant une décennie.