Du Safari Club au Safari Club-II

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Du Safari Club au Safari Club-II

Le commentateur dissident Wayne Madsen a développé la description d’une initiative originale et d’une réelle importance politique ; ce faisant, il la compare à un modèle initial, également original, dont il faut développer le rappel historique d’un point de vue structurel (“structure souple”) en laissant de côté pour cet exercice la critique idéologique qui va de soi lorsqu’elle s’exerce sur le temps long et lorsqu’il s’agit du combat au profit de l’américanisme comme c’est le cas. Les deux démarches ont chacune leur intérêt et, par conséquent et simple mathématique, le texte de Wadsen est doublement intéressant. Il s’agit du “Safari Club”, ex-“Mt. Kenya Safari Club” (Safari Club du Mont Kenya), et du “Safari Club-II”.

Le Safari Club constitua, durant sa vie opérationnelle (de 1977 à quelque part entre 1983 et 1986) une de ces associations informelles et semi-clandestines, formée pour une ou des circonstances régionales par des dirigeants de services de renseignement ayant les mêmes intérêts et les mêmes buts, dans tous les cas dans les circonstances données extrêmement conditionnées par des circonstances conjoncturelles et dans un cadre régional bien défini. Par leur caractère à la fois informel, libre de toute attache contraignante voyante, de toute bureaucratie, et évoluant plutôt en apparence dans la sphère sociale de l’influence avec relais vers des capacités opérationnelles, ces “structures” sont extrêmement souples et ont une capacité d’agir très vite et très efficacement.

(Autre exemple de la Guerre Froide du même type que le Safari Club, Le Cercle, clairement d’obédience britannique et directement lié au MI6. Toutes ces “structures souples” ayant des liens également avec d’autres structures clandestines d’action directe telles les réseaux Stay Behind/Gladio, ne sont pas elles-mêmes productrices d’“actions directes”. De ce point de vue, cela contribue également à leur souplesse de fonctionnement.)

Le Safari Club initial, qui naquit du rachat d’une association de chasseurs au Kenya détenue par trois actionnaires (dont l’acteur William Holden), le “Mt. Kenya Safari Club” qui servit de couverture initiale, rassemblait plusieurs pays musulmans anticommunistes et du Moyen-Orient, et la France, bien entendu avec une connexion forte mais non contraignante avec la CIA. Dans la description qu’en fait Madsen, le Safari Club est implicitement présenté quasiment comme une création de la CIA, et l’auteur Peter Dale Scott en fait même une “CIA n°2”. Nous aurions tendance à apprécier dans ces jugements implicites et explicites un paradoxal tropisme américaniste, où même des “dissidents” du Système et adversaires les plus acharnés de la CIA voient la CIA partout en la dotant par conséquent de qualité qu'elle n'a pas toujours, exactement comme les partisans des USA voient partout des traces décisives de la présence hégémonique et “bienfaisante” des USA et de leurs divers “organes”.

Nous dirions au contraire que c’est l’absence de mainmise trop écrasante de la CIA (voir plus loin) qui a contribué au succès du Safari Club original, en empêchant la redoutable bureaucratie américaniste, digne pendant de la bureaucratie soviétique, de contrecarrer tous les avantages du projet. Pendant les années de mise en route et de fonctionnement à plein rendement du Safari Club, de 1977 à 1981, la CIA se trouvait en effet emprisonnée dans les suites paralysantes de sa crise de 1975 (enquête de la Commission Church au Congrès, nomination d’un directeur résolument réformiste, l’amiral Stansfield Turner, par le nouveau président US Carter en 1977).

Selon nous, la cheville ouvrière du Safari Club fut le directeur du SDECE français, le gigantesque et tonitruant comte Alexandre de Marenches, dit “Porthos”, homme aux multiples contacts et amoureux des manœuvres d’influence par les réseaux sociaux d’alors, essentiellement les intrigues de salon, la “Haute Société” (pas encore nommée JetSet mais sur le point de l’être), mais aussi certains réseaux bancaires, de trafiquants, etc. Marenches, proche des Anglo-Saxons avec une femme d’une vieille famille américaine d’origine française (huguenote ayant quitté la France à la révocation de l’Edit de Nantes), proaméricaniste et anticommuniste après une belle guerre (il fut un des chefs d’état-major et officier de liaison du général Juin, futur maréchal, qui commanda avec un brio exceptionnel l’armée française libre durant la campagne d’Italie) et une démission des SR français en 1962 (désaccord avec de Gaulle sur l’Algérie) avant d’être rengagé par Pompidou pour diriger le SDECE de 1969 à 1981.

On verra deux points de vue sur le Safari Club dans les Wikipédia, le français et l’anglais. Du second, nous extrayons cette appréciation de l’un des membres du Safari Club, Prince Turki, chef du SR saoudien, dans une conférence à Georgetown University en 2002, – où l’on voit qu’il n’est pas donné un grand crédit à la CIA dans l’opération et qu’il n’est pas fait mention officiellement d’Israël, – mais par contre l’opération étant placée dans le contexte qui importe, qui était l’écroulement des capacités de renseignement des USA :

« En 1976, après la crise du Watergate qui avait eu lieu ici même, à Washington, votre communauté du renseignement avait été littéralement taillée en pièces par le Congrès. Elle ne pouvait plus rien faire. Elle ne pouvait envoyer des agents en mission, elle ne pouvait écrire des rapports, elle ne pouvait utiliser de l’argent pour opérer. Pour tenter de rétablir cette situation, des pays formèrent un groupe dans l’espoir de combattre le communisme et ils établirent ce qui fut nommé le Safari Club. Il incluait la France, l’Égypte, l’Arabie Saoudite, le Maroc et l’Iran [jusqu’à la chute du Shah]. Le but principal de ce club était de partager entre leurs membres leurs informations et de s’aider les uns les autres à contrer l’influence mondiale de l’Union Soviétique, particulièrement en Afrique... »

Ces précisions ne sont pas sans intérêt pour introduire le deuxième point de l'analyse de Madsen, qui  développe la révélation que les Houthis qui se battent présentement au Yémen contre les Saoudiens sont au cœur d’une organisation informelle du même type que le Safari Club, que Madsen baptise aussitôt et fort logiquement Safari Club-II. Il détaille cette “structure souple” qui rassemble les services de renseignement de l’Iran, du Hezbollah, du Fatah et du Hamas.

Au-delà de cette présentation formelle, il y a la description de diverses opérations réalisées par les Houthis, où cette association Safari Club-II a joué un rôle important. Ces opérations prennent ainsi une dimension d’organisation et d’efficacité qui les font passer du seul plan tactique au plan stratégique impliquant la situation de toute la zone du Moyen-Orient, cela qui justifie le concept présenté dans le titre original de l’article : « Ce qu’est “Safari Club-II” et comment il peut changer la dynamique politique au Moyen-Orient » (“What Is ‘Safari Club II’ and How It Can Change Middle East Dynamics”).

De cette manière, le conflit yéménite perd son aspect strictement régional sinon local d’un affrontement confus provoqué par l’agression de l’Arabie contre les Houthis et le Yémen, cette agression à la fois illégale, absurde et cruelle, et paraissant pourtant d’une importance secondaire pour la situation générale. Au contraire, la composante Houthis, qui se trouve impliquée dans une telle “structure souple” qu’est le Club Safari-II, apparaît comme devant à la fois conserver ses capacités d’adaptation propres à des mouvements s’apparentant à des guérilla, capacités de souplesse justement, mais aussi acquérant une dimension politique et stratégique importante, effectivement capable de modifier des situations de grande politique et de grande stratégie. De ce point de vue, le conflit yéménite pourrait constituer non seulement une erreur absurde de l’Arabie, mais également une erreur catastrophique, pouvant se transformer en situation politico-militaire où la stabilité et la structure même du royaume seraient menacées, avec conséquences telluriques en chaîne pour toute la région.

Dans ce cas, le Safari Club originel apparaîtrait rétrospectivement comme une initiative effectivement originale, mais plus encore, une initiative prophétique pouvant servir de modèle à une organisation qui s’adapte parfaitement aux “guerres hybrides” que l’on connaît aujourd’hui, exemple d’application effectivement de ce que William S. Lind désigne comme la “Guerre de 4ème Génération” (G4G). Manifestement Wayne Madsen a été informé, “briefé” dans ce sens, par une ou des source(s) qui apprécie(nt) l’association Safari Club-II de ce point de vue.

Par conséquent, nous sommes conduits à observer le conflit yéménite d’un autre point de vue que l’habituelle vision d’une agression absurde, assorti d’un carnage effectué par des forces saoudiennes incapables de maîtriser leurs capacités de feu contre une population et une organisation qui se défendent comme ils peuvent, avec de faibles moyens. Au contraire pour ce dernier point, les combattants Houthis apparaissent disposer d’une maturité, d’une organisation et d’une efficacité beaucoup plus grandes que supposé tandis que se mettent en place des techniques de coopération et d’organisation à partir d’entités que la critique stratégique du bloc-BAO jugeait également reléguées à des formes primitives de guerre incapables de résister à l’assurance arrogante du maximalisme technologique de la postmodernité. Il est effectivement ironique mais aussi significatif et plein d’enseignement logique de constituer pour lutter contre l’agression bureaucratique et prédatrice du Système, un “modèle” de l’aventure du Safari Club qui fut une réussite du Système essentiellement parce que le poids paralysant de la bureaucratie américaniste était obligé de relâcher son étreinte.

Le texte de Wayne Madsen, dont une traduction-adaptation est présentée en ligne ci-dessous, a été mis en ligne sur Strategic-Culture.org le 26 janvier 2018.

dedefensa.org

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Comment “Safari Club-II“ peut changer le Moyen-Orient

Pendant la guerre froide, la Central Intelligence Agency avait convaincu certains alliés d’Europe et du Moyen-Orient d'établir une alliance informelle de renseignement dont les liens avec les États-Unis devraient être officiellement “contestables de manière plausible”, – selon le langage typique de la CIA. En 1976, un groupe de directeurs d'agences de renseignement pro-occidentaux s’étaient secrètement rencontrés au “Mt. Kenya Safari Club”(“Safari Club du Mont Kenya”), à Nanyuki au Kenya, pour élaborer un pacte informel visant à limiter l'influence soviétique en Afrique et au Moyen-Orient. Le groupe s’était réuni sous les auspices du marchand d'armes saoudien Adnan Khashoggi, du président kenyan Jomo Kenyatta et du secrétaire d'État américain Henry Kissinger. Si Khashoggi était présent à la première réunion de ce groupe informel qui allait être connu sous le nom de “Safari Club”, Kenyatta et Kissinger étaient absents.

Les signataires de la charte originale du Safari Club au Kenya comprenaient le comte Alexandre de Marenches, directeur du Service de Documentation Extérieure et de Contre-Espionnage (SDECE, prédécesseur de la DGSE) ; Kamal Adham, le chef d'Al Mukhabarat Al A'amah, le service de renseignement saoudien ; le général Kamal Hassan Aly, directeur du service de renseignement égyptien ; Ahmed Dlimi, chef du service de renseignement marocain ; enfin, le général Nematollah Nassiri, chef de l'agence de renseignement SAVAK en Iran. Il y a des indications, mais aucune preuve réelle, que le chef du Mossad d'Israël, Yitzhak Hofi, aurait informellement participé à cette première réunion du Safari Club.

Le “Mt. Kenya Safari Club”, fondé en 1959, était la copropriété du magnat du pétrole de l'Indiana, Ray Ryan, qui avait des liens avec la CIA et la Mafia ; de Carl W. Hirschmann Sr., le fondateur suisse de Jet Aviation, une société internationale d'aviation d'affaires ayant des liens étroits avec la CIA et qui a été vendue à General Dynamics en 2008 ; et de l’acteur William Holden. Le 18 octobre 1977, après que le Safari Club ait installé son quartier général opérationnel au Caire, Ryan fut tué dans une voiture piégée à Evansville, Indiana. William Holden est mort dans son appartement de Santa Monica, en Californie, le 12 novembre 1981, apparemment après avoir trébuché sur une table de chevet et s’être fait une blessure au crane qui entraîna le décès par hémorragie ; Holden était seul et il agonisa pendant plusieurs heures, son corps n’étant découvert que trois jours plus tard. Le meurtre de Ryan est une affaire classée mais non résolue tandis que des questions sans réponses caractérisent la mort solitaire de Holden.

En 1977, Khashoggi profita des problèmes fiscaux de Ryan avec le gouvernement américain et des difficultés financières de Hirschmann pour acquérir le contrôle total du “Mt. Kenya Safari Club” qui devint simplement le Safari Club, peu de temps avant le meurtre de Ryan. Avec le transfert clandestin de son siège au Caire, le Safari Club devint un élément-clef dans le recrutement de combattants irréguliers arabes pour lutter contre l'Union Soviétique en Afghanistan. Khashoggi a joué un rôle clé dans le financement de la “Légion arabe” en Afghanistan en s'appuyant sur le soutien de la famille royale saoudienne et du sultan Hassanal Bolkiah du Brunei.

La couverture du “Mt. Kenya Safari Club” continua à jouer un rôle utile dans les réunions clandestines du Safari Club, y compris celle du 13 mai 1982 entre le ministre israélien de la Défense, Ariel Sharon ; le président du Soudan, Jaafar al-Nimeiri ; Omar al-Tayeb, chef des renseignements soudanais ; le milliardaire américano-israélien Adolph “Al” Schwimmer, fondateur d'Israel Aerospace Industries ; Yaacov Nimrodi, ancien officier de liaison du Mossad à Téhéran du tempsde la SAVAK du Shah ; enfin, le directeur adjoint du Mossad, David Kimche.

Le chef du Safari Club était George “Ted” Shackley, qui, en tant que directeur adjoint de la CIA pour les opérations, était le chef des opérations clandestines de la CIA sous la direction de George W. Bush [Bush-père] en 1977-1978. Shackley, dont le surnom était “Blond Ghost”, fut mis à pied par le directeur de la CIA de Jimmy Carter, l'amiral Stansfield Turner, puis rappelé au service par le chef de la CIA de Ronald Reagan, William Casey. Agissant comme un agent de renseignement privé, Shackley a joué un rôle-clef dans la mobilisation de l'ancien réseau SAVAK du Safari Club en Europe pour contribuer à la tristement célèbre affaire Iran-contra.

Le Safari Club était responsable de la plupart des opérations clandestines de l'Occident contre l'Union soviétique dans les zones de conflit s'étendant de l’Afghanistan à la Somalie et de l'Angola au Nicaragua. Il est ironique qu’un groupe d'agences de renseignement et de groupes de guérilla soutenant les Houthis au Yémen reprenne aujourd’hui le modèle de l’ancien Safari Club pour combattre les Etats-Unis, l'Arabie Saoudite, Israël et leurs mandataires au Yémen, la Corne de l'Afrique, et le grand Moyen-Orient.

Le mouvement Houthi anti-Saoudien au Yémen, dont les membres adhèrent à la secte Zaidi-Shi’a de l'Islam, s'oppose aux pratiques fondamentalistes rigides du Wahhabisme saoudien. Les Houthis, qui sont alignés religieusement et politiquement avec l’Iran chiite, ont établi un service de renseignement externe sous la direction d'Abdelrab Saleh Jerfan. S’inspirant de la formule du Safari Club, les services de renseignement Houthi ont conclu des accords informels avec le Corps des gardiens de la révolution islamique (IRGC) ou Pasdaran ; le Service de sécurité préventive (PSS) de Palestine ; les trois branches du renseignement du Hezbollah libanais, y compris l'Unité 1800, la branche du renseignement des opérations spéciales du Hezbollah ; enfin, avec le service de renseignement du Hamas, basé à Gaza mais dont les agents sont répartis dans tout le Moyen-Orient. Maintenant que le président syrien Bashar al-Assad a mis en déroute la plupart des armées de guérilla djihadistes de son pays, notamment avec l'aide du personnel des forces expéditionnaires houthi, la Syrie est mieux placée pour fournir une assistance militaire à la coalition Houthi au Yémen. Ensemble, cette alliance de forces antisionistes et anti-wahhabites, que l’on pourrait surnommer “Safari Club-II”, peut lancer des opérations de pénétration de la frontière saoudienne du Yémen et mener des opérations militaires contre des cibles militaires et gouvernementales saoudiennes dans la province d'Asir en Arabie saoudite.

La coalition suscitée et menée par l’Arabie saoudite, qui comprend des troupes des Émirats arabes unis, du Pakistan, de l'Égypte, du Koweït, du Maroc, du Soudan, de Jordanie et de Bahreïn, est intervenue dans le guerre civile yéménite en 2015, sous l’impulsion de sa direction saoudienne. Cette intervention a conduit les Houthis à riposter et, dès 2016, ils ont étendu leur action en territoire saoudien. Les forces houthies sont entrées dans trois régions frontalières saoudiennes, notamment Asir, Jizan et Najran. Avec l'appui des services de renseignements des Pasdaran et du Hezbollah, les Houthis ont créé un groupe sécessionniste saoudien, Ahrar al-Najran, ou “les Indépendants de la région de Najran”. Najran faisait partie jusqu'en 1934 du royaume de Mutawakkilite au Yémen, gouverné par la dynastie Zaidi jusqu'en 1962, lorsque le roi a été renversé. Les irrédentistes du côté saoudien de la frontière veulent la réunification avec le Yémen. La tribu yéménite Hamdanid, qui avait été le principal soutien de la dynastie Zaidi, a prêté serment d'allégeance à la coalition menée par les Houthis au Yémen, marquant ainsi un succès considérable du Safari Club-II.

Le renseignement Houthi effectue également une surveillance et des reconnaissances des bases navales israéliennes en mer Rouge dans l'archipel des Dahlak, en Érythrée et dans le port de Massawa. Les Houthis ont également surveillé les opérations militaires saoudiennes et émiraties dans la ville portuaire d'Assab en Érythrée. En 2016, les forces houthies auraient attaqué le quartier général de la marine érythréenne à Assab après l'arrivée des forces saoudiennes dans la ville portuaire. Les Houthis ont peut-être été aidés par un autre allié du Safari Club-II, le groupe d'opposition érythréen, l'Organisation démocratique Afar de la mer Rouge (RSADO), qui reçoit également le soutien de l'Éthiopie.

En 2016, les Houthis ont mené avec succès une incursion dans Asir et capturé une base militaire saoudienne, ainsi qu’une cache d'armes américaines et canadiennes. Le parrainage par Safari Club-II d'un mouvement sécessionniste en Arabie Saoudite ressemble au soutien que le Safari Club originel avait apporté à divers groupes insurgés, dont l'UNITA en Angola, la RENAMO au Mozambique et les contras au Nicaragua.

Les bouleversements politiques au Yémen et en Arabie Saoudite ont débouché sur de nouvelles alliances entre la coalition saoudienne et les membres du Safari Club-II. Le 4 novembre 2017, le prince héritier saoudien, Mohammed bin Salman, a entrepris de consolider son pouvoir politique en arrêtant plusieurs princes de la Maison des Saoud, ainsi que d'éminents ministres, dignitaires religieux et hommes d'affaires. Un hélicoptère transportant le prince Mansour bin Muqrin, le vice-gouverneur de la province d'Asir, et sept autres hauts responsables saoudiens, s’est écrasé près d’Abha, dans la province d'Asir, près de la frontière avec le nord du Yémen contrôlé par les Houthis. Selon plusieurs rapports, l’hélicoptère aurait été abattu par les Saoudiens après qu’ils aient eu appris qu’il volait vers le Yémen contrôlé par les Houthis où le prince et son parti avaient reçu l'assurance de l'asile politique. Un prince saoudien se joignant aux Houthis aurait constitué un coup symbolique et de communication majeur pour le Safari Club-II. Dans tous les cas, cette intervention signale que les Houthis ont pris position dans la lutte pour le pouvoir au sein de la maison des Saoud.

Dans le même temps, les services secrets Houthis, aidés par les impressionnantes capacités de renseignement de communication du Hezbollah, ont intercepté des communications téléphoniques entre le président yéménite Ali Abdullah Saleh, ancien allié des Houthis, avec les EAU et la Jordanie, alliés des Saoudiens. Ces écoutes ont permis de découvrir que Saleh négociait un accord séparé avec la coalition saoudienne-émiratie, une orientation qui a été considérée par les Houthis comme la trahison ultime. Les Houthis ont pris d'assaut la résidence de Saleh dans la capitale yéménite de Sanaa et l’ont exécuté sur place.

Il est remarquable et ironique à la fois que le Safari Club-II se bat contre de nombreux membres du Safari Club original. À l’exception de l'Iran, membre du Safari Club-II mais sous un régime complètement différent, il s’agit de l'Arabie saoudite, d’Israël, de la France, de l’Égypte, du Maroc et d’autres satellites des Etats-Unis, et du Soudan. Henry Kissinger, un des parrains du Safari Club originel, conseille maintenant le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, relais du Mossad à la Maison Blanche, sur ses contacts fréquents avec les dirigeants saoudiens et d’autres acteurs régionaux de la même clique, y compris les Israéliens.

Le Safari Clb-II dispose de ce dont manquait le Safari Club originel : un soutien populaire. La coalescence des intérêts des populations opprimées du Yémen, du Liban et de la Palestine (Cisjordanie et Gaza), ainsi que les préoccupations géopolitiques de sécurité de l’Iran, expliquent ce soutien populaire. Plus récemment l’évolution du Qatar à la suite de la querelle de cet Émirat avec l’Arabie, a fait profiter le Safari Club-II d’un nouvel avantage de communication et sans doute plus. Le Safari Club-II bénéficie désormais d’une oreille sympathique à Doha, capitale du Qatar, membre à l’origine de la coalition saoudienne au Yémen mais désormais cible du boycott économique par les Saoudiens, les Bahreïnis, les Koweïtiens et les Emiratis. La Chine, qui a coopéré avec le Safari Club d'origine en Afghanistan et en Angola, a reçu des délégations Houthi à Beijing. Cette puissance fournirait également des armes à la coalition Houthi au Yémen via l'Iran. Oman, qui est resté neutre dans la guerre civile yéménite, est devenu en 2016 un relais pour fournir des armes aux Houthis dans des camions portant des plaques d'immatriculation omanaises. Le gouvernement irakien dirigé par les chiites est également connu pour apporter son soutien aux Houthis.

La CIA et ses alliés de la guerre froide ont fourni, avec la Safari Club originel, un modèle inestimable pour les peuples assiégés et menacés du Yémen, de la Corne de l'Afrique et de l’ensemble du Moyen-Orient. Le Safari Club-II donne aux Saoudiens, aux Israéliens, aux Américains, aux Égyptiens, aux Marocains et à d'autres, y compris l'État islamique financé par l’Arabie saoudite et les guérillas d’Al-Qaïda au Yémen, un avant-goût amer de leur propre médecine.

Wayne Madsen