Du Magnitski Act à l’effondrement

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Du Magnitski Act à l’effondrement

Nous tentons de faire une analyse de différents éléments sans liens apparents, pour établir l’usage de la complexité des événements vers le but commun et unique de l’effondrement du Système. Au départ, il y a Israel Shamir, dans son dernier article pour UNZ.com du 20 juillet 2018, nous parlant d’un personnage dont il est question actuellement, l’on va voir comment et pourquoi : « L’intouchable Mr. Browder ? L’affaire [William F.] Browder est un cocktail juif capiteux d’argent, d’espions, de politiciens et de crime organisé international… »

Il est question de Mr. Browder parce qu’il est question de l’ancien ambassadeur des USA en Russie McFaul, qui a été cité par la Russie pour une proposition extraordinaire destinée à rompre le cycle infernal du Russiagate. Cette proposition aurait été l’un des premiers mots de Poutine à Trump lors du sommet d’Helsinki, destiné à ainsi couper court à de vaines discussions sur l’implication de la Russie dans la processus électoral des présidentielles US de 2016.

Puisque l’équipe du procureur spécial et spécialement antitrumpiste Mueller venaient de mettre en accusation douze agents du GRU et de demander leur extradition pour interrogatoire, – demande aussi absurde et rocambolesque que l’accusation elle-même, clairement faite pour n’avoir aucune suite mais provoquer l’effet d’assaisonner un peu plus le Russiagate et de torpiller Helsinki, – Poutine proposait ceci : la venue de l’équipe Mueller en Russie et l’autorisation d’interroger les douze officiers du GRU en présence d’officiels russes. En échange, Poutine demanda la même procédure pour des citoyens américains que les Russes voudraient interroger, et notamment l’interrogatoire sur territoire US en présence d’officiels US de l’ambassadeur McFaul à propos de ce que les Russes jugent être son implication dans l’affaire Browder (nous y sommes !), en 2014-2015. Il s’agit d’une affaire de fraude massive, d’évasion fiscale de Russie du fait des manigances de Browder ; lequel a quitté la Russie depuis longtemps, et dans ce cas les Russes soupçonnant McFaul d’avoir servi de missus dominicus de Browder.

(Bien entendu, la proposition russe a soulevé un tollé général à “D.C.-la-folle”, avec évanouissements divers. McFaul a geint considérablement, affirmant que Poutine était plus fou que fou, que même Staline n'aurait pas osé demander que le gouvernement US arrêtât pour son compte un officiel US sur le territoire US. McFaul a eu sans doute un coup de chaleur : il ne s'agit pas d'arrêter qui que ce soit mais de demander à une personne de répondre à des questions d'officiels russes, en présence d'officiels US.)

Shamir, qui est le prince incontesté de la description des coups tordus et des aventures des oligarques, russes certes, et juifs de préférence, explique comment ce Browder peut être considéré comme la cause originelle, disons plutôt “opérationnelle” et “occasionnelle” que conceptuelle, de l’actuelle Guerre froide entre Russes et USA. S’étant trouvé en position d’affrontement avec Poutine après la période dorée du pillage de l’URSS devenue Russie des années 1990, Browder, qui avait quitté la Russie (il est citoyen britannique), s’était adjoint les services de celui qui est généralement désigné comme “avocat”, et que Shamir considère comme un homme un homme de main de Browder. Magnitski, le personnage en question, fut inculpé en Russie, condamné et emprisonné. Au bout de six mois, il mourut dans sa prison. Shamir ne serait pas étonné que Browder, qui s’était réfugié aux USA, ait quelques responsabilité dans cette affaire, de crainte que Magnitski ne parle trop ; dans tous les cas, Browder s’empara avec dextérité de la chose, fit de Magnitski un martyr mort sous la torture de ses bourreaux dans les geôles ad hoc du dictateur infâme Poutine, acheta quelques parlementaires US en solde et parvint à ses fins lorsque le Congrès vota le Magnitski Act.

(Voir avec toutes les précautions d’usage le Wikipédia ou s’en tenir à la version ultra-courte française de la Loi Magnitski. Shamir précise que Browder, entre autres vertus, est un virtuose de la “censure opérationnelle” : « Ses plumitifs réécrivent constamment le Wikipédia qui lui est consacré, expurgeant même les discussions sur le sujet : malgré des centaines d’interventions, rien ne subsiste sinon sa version officielle. »)

Le reste du texte développe une explication nous informant que Browder se trouve en difficultés à cause d’un documentaire qui lui a été consacré, qu’il avait lui-même suscité mais dont l’auteur, le dissident russe Andrei Nekrasov, prit tant de liberté avec la narrative prévue au départ que Browder en sort fort diminué. Il reste de tout cela que Browder restera comme l’initiateur du Magnitski Act auquel Shamir donne donc une importance si fondamentale, celle d’être le véritable déclencheur de la nouvelle Guerre froide et donc de la vague d’antirussisme qui a complètement transformé les relations internationales. A ce propos, il écrit un passage qui nous paraît des plus intéressants (avec des remarques que nous signalons en gras) même s’il ne concerne pas directement son sujet, et qui au contraire justifie complètement l’attention que nous lui portons ici.

« Le Congrès américain s'est précipité pour voter [en 2012]the Magnitski Act [la Loi Magnitski]la première salve de relance de la Guerre froide. Par cet acte, n'importe quelle personne russe peut être jugée sans procès nécessaire responsable de la mort prématurée de M. Magnitsky et du détournement des capitaux de Mr. Browder. Ses biens peuvent être saisis, ses comptes bancaires gelés – sans aucune décision de justice ni possibilité de défense. Cet acte a bouleversé nombre d’oligarques russes, qui avaient 500 $milliards de dépôt dans les banques occidentales/US ; cet argent a été retiré et cette situation perdure.

» L'effet réel de la loi Magnitski a été minime : quelque vingt $millions gelés et quelques douzaines de personnes peu importantes privées du droit d’’entrée aux les États-Unis. Par contre, son effet psychologique a été considérable. Les oligarques russes réalisèrent qu'ils pouvaient voir leur argent et leurs biens confisqués à tout moment – pas dans la Russie de Poutine, mais dans l'Occident libre où ils avaient préféré chercher refuge. La loi Magnitski a ouvert la voie à la confiscation par Chypre des avoirs russes, aux sanctions post-criméennes et à une nouvelle vraie Guerre froide à part entière.

» Cela a été douloureux pour la Russie, comme la première désillusion adolescente dans son histoire d’amour avec l'Occident, et à mon avis, au contraire, plutôt bienvenu et revigorant. Une bonne giclée de Guerre froide (très froide, avec beaucoup de glace s'il vous plaît) est excellent pour les gens ordinaires en Russie, tandis que son contraire, une alliance russo-américaine, est bon pour les élites du type-oligarque. Les pires moments pour les Russes ordinaires ont été 1988-2001, lorsque les Russes étaient amoureux des États-Unis. Les oligarques ont volé tout ce qu’il y avait à voler pour vendre le produit de leurs larcins à l’Occident pour des bouchées de pain [avec leurs commissions]. Ils ont acheté des villas en Floride pendant que la Russie s'effondrait. Ce fut une bien vilaine époque pour tout le monde : les États-Unis ont envahi le Panama et l’Afghanistan sans opposition, l’Irak a été sanctionné à mort [après la Guerre du Golfe], la Yougoslavie a été bombardée et brisée en morceaux.

» Lorsque la Guerre froide est revenue, une certaine normalité a été rétablie : les Russes ont empêché les États-Unis de détruire la Syrie, et les autorités russes ont appris à aimer Sotchi au lieu de Miami. Pour cette seule raison, Mr. Browder peut être considérée comme faisant partie du pouvoir qui veut éternellement le mal et qui produit éternellement du bien. Le gouvernement russe, cependant, n'a pas apprécié la douche froide... »

C’est souvent dans de telles réflexions annexes au sujet traité que l’on trouve quelques solides vérités-de-situation d’un climat général si difficile à déchiffrer, et vérités-de-situation aussi clairement et justement affirmées, sans complications inutiles. Ainsi, selon la logique développé, on conclurait, –et c’est complètement notre cas, – que les meilleures relations que Trump tente d’établir avec Poutine, et que Poutine accueillent à bras ouvert, ne sont pas une chose souhaitable.

Il est bon, il est excellent que Trump rencontre Poutine, que les hommes entretiennent de bons rapports, mais non à cause de ces bons rapports et de ce qu’ils peuvent établir de durable entre la Russie et les USA, mais parce que ces bons rapports exacerbent la situation à Washington à un point tel que, par exemple, et exemple on ne peut plus récent et éclairant pour notre compte, un commentateur du Washington Post en arrive à réclamer d’une façon ouverte et bien entendu sans précédent (article du 20 juillet, présenté ce 21 juillet 2018) une action aux USA selon le processus observé dans ces pays dictatoriaux où il est arrivé à ce fameux “État profond” d’intervenir par un putsch décisif (notamment en Turquie d’avant-Erdogan, pays d’où vient l’expression d’État profond”).

« Vendredi, le chroniqueur du Washington Post, Eugene Robinson, a publié une chronique intitulée “Que Dieu bénisse l’État profond”, dans laquelle il présente les “fonctionnaires ridiculisés par les Trumpistes comme un ‘État profond’ pouvant être un parfait antidote à un président-traître et un Congrès inefficace. [...]

» Les professionnels “compétents et expérimentés” composant la bureaucratie de l'État et du renseignement “ne participent à aucune sorte de sombre conspiration”, écrit-il. Plutôt “ils ont passé des années, voire des décennies, à maîtriser les détails de la politique étrangère et intérieure.” “Que Dieu les bénisse. Avec un Congrès en décrépitude qui ne veut pas jouer le rôle qui lui est assigné par la Constitution, l’État profond se tient entre nous et l’abîme.” Il conclut: “Les démocrates au Congrès sont impuissants; la direction républicaine, veule. Les fonctionnaires expérimentés du gouvernement savent que leur travail consiste à servir le président. Mais que faire si le président ne sert pas les meilleurs intérêts de la nation ? Dans cette situation d'urgence, l’État profond loyal et honorable a un devoir plus élevé. C'est ce qu'on appelle le patriotisme.” »

Il semble donc bien qu’Helsinki, qui devrait être suivi d’un autre sommet à Washington (Poutine invité par Trump) dont l'annoince a provoqué une nouvelle vague de stupeur et de colère, notamment chez tel homme du DeepState qu’est le DNI (Director of National Intelligence) Dan Coats ne suscite ni détente ni “reset” des bonnes relations entre Moscou et Washington, mais accroisse au contraire le désordre de “D.C.-la-folle” et l’incertitude tendue et explosive des rapports russo-américanistes.

Dans ce cas, on retrouve la thèse de Shamir, pour s’en féliciter : surtout pas de détente avec Washington, pour le bien de la Russie et le désordre du Système, parce que les véritables puissances dans la capitale US sont des forces décidées, de toutes les façons, à détruire la Russie, opération qui serait bien plus aisée sous le couvert d’une “détente”, par infiltration de l’influence US, comme on l’a vu dans les années 1990. Dans ce cas, le rappel que fait le chroniqueur original qu’est Shamir de la source occasionnelle mais néanmoins effective de cette tension, le Magnitski Act, prend toute sa valeur et tout son intérêt.

La futilité et la médiocrité des actions de ces divers bandits que sont les oligarques russes à la Browder, cause principale du Magnitski Act, la bassesse de la cause, la petitesse sinon l’inexistence du concept, fournissent une voie inattendue à un conflit de première envergure, au conflit fondamental lui-même autour de l’effondrement du Système. Shamir a tout à fait raison d’observer que le Magnitski Act n’a guère d’importance en lui-même mais qu’il a une “importance psychologique” fondamentale : « L'effet réel de la loi Magnitski a été minime : quelque vingt $millions gelés et quelques douzaines de personnes peu importantes privées du droit d’’entrée aux les États-Unis. Par contre, son effet psychologique a été considérable... » Et certes, nous irions bien plus loin que l’effet de cette loi sur les oligarques russes, à quoi Shamir se tient, pour envisager qu’en plus et essentiellement elle contribue décisivement à ouvrir complètement la psychologie de l’américanisme à l’affrontement avec la Russie et participe ainsi à son engrossement de tous les événements que nous avons connus depuis, que nous connaissons aujourd’hui, et que nous connaîtrons demain. Le dérisoire Magnitski Act correspond bien aux caractéristiques de cette époque étrange où des actes erratiques de corruption ordinaire et somme toute effectivement dérisoires participent parfois décisivement à la manufacture de formidables événements que personne ne pouvait évidemment prévoir.

Les choses étant devenues ce qu’elles sont devenues, comme aurait pu dire le Général, il faut que se poursuive cette Guerre froide 2.0 comme le recommande Shamir, que la tentative de rapprochement de Trump ne se concrétise pas dans une nouvelle politique mais qu’il la poursuive néanmoins jusqu’à faire exploser le désordre de “D.C.-la-folle” dans les affres de l’effondrement. Plus que jamais, le but poursuivi, à partir des effets psychologiques de l’origine dérisoire, est bien le vertige de l’effondrement du Système, jusqu’à sa réalisation.

 

Mis en ligne le 21 juillet 2018 à 12H58