Élections dans une pochette-surprise

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Élections dans une pochette-surprise

L’enterrement de Donald Trump bat son plein depuis quinze jours-trois semaines, au point qu’on se demande comment il peut encore être là, présent, dans un de ses très-nombreux meetings bondés alors qu’Hillary se retranche noblement et victorieusement dans ses très rares meetings, état de santé oblige, où le pékin se fait extrêmement rare. Ces circonstances confirmant comme on le comprend évidemment la tendance générale et les certitudes partout affichées, le sondage du 16 août de Zogby, institut honorable et réputé, a jeté un froid et a choqué notablement, un peu comme un éclair dans un ciel bleu d’azur. Il nous dit que l’ivresse qui suit régulièrement les conventions a passé et que les deux candidats sont désormais quasiment à égalité compte tenu de l’habituelle marge d’erreur de 3% : 38% pour Hillary, 36 % pour Trump (résultats complémentaires : 8% pour le candidat libertarien Gary Johnson, 5% pour la candidate des “Verts” Jill Stein, 13% de “pas sûr”).

The Washington Examiner : « The convention polling bumps for Democrat Hillary Rodham Clinton and Republican Donald Trump are over, and they are practically even, according to a new poll of likely voters. [...] “It seems the convention bumps are behind us and we are back to a close race!” said the [Zogby’s] analysis. What's new in the online poll is that older millennials are starting to trend to Trump. Trump's team believes that online polls more accurately show the horserace because more and more voters prefer to give their opinions anonymously.

» Pollster John Zogby is a specialist in digging into specific voting blocks, some of which he has given names like NASCAR and Weekly Walmart voters. Zogby revealed in the new poll analysis that those two groups of voters trended Democratic under President Obama, but are now behind Trump. Overall, Zogby said that Clinton leads middle income voters, blacks, women and Hispanics. Trump leads among independents, men and older voters. »

Un commentateur intéressant de cette élection présidentielle, qui ne déteste pas l’humour, c'est Scott Adams, créateur de la bande dessinée Dilbert, fameuse aux USA avec son héros éponyme Dilbert, bande qui exerce sa verve satirique aux dépens du monde se l’entreprise US. (Dilbert est un ingénieur informaticien, en action depuis 1989 dans un grand nombre d’albums, repris par divers journaux en bandes quotidiennes, qui s’est également aventuré dans plusieurs livres, dans la série télévisée évidemment nommée Dilbert et divers autres “produits”.) Depuis neuf mois, Adams s’est institué commentateur politique pour suivre la trajectoire de Trump, dont il n’est pas précisément et politiquement partisan, parce qu'il la juge très intéressante et qu'il estime qu’elle se terminera par la victoire de l’intéressé en novembre. (En fait Adams n’est partisan ni de Trump ni de Clinton, mais encore moins, beaucoup moins, de la seconde ; l’on dirait plutôt de lui qu’il se rapproche d’une position d’anarchiste satiriste, anti-establishment et plutôt incivique par scepticisme, peu intéressé pour son compte par l’exercice démocratique du vote.) Son analyse du phénomène Trump est donc dépourvue de parti-pris, mais son réflexe hostile à l’establishment est avéré, ce pourquoi il donne des analyses à contre-courant qui doivent nous intéresser, sinon nous réjouir à gorge déployée.

Dans sa dernière intervention, le 15 août, il prend en compte le nombre considérable de sondages défavorables à Trump, parfois d’une façon massive, et il explique pourquoi il juge que Trump gagnera tout de même. Le titre (« Polls and the B.S. Detector »), ou “Sondages et détecteur de B.S.” met en scène son instrument principal, sa superbe création d’une technologie avancée et postmoderne, déjà présenté dans son dernier livre, qui est le “BullShit Detector”, ou “détecteur de conneries”.

Considérant la situation statistique de ces dernières semaines, Adams estime que des sondages peuvent être falsifiés (en faveur de Clinton) mais pas tous, et donc qu’ils expriment une situation réelle (défavorable à Trump, sans aucun doute jusqu’ici et depuis trois semaines). Il poursuit en observant que certains signes montrent pourtant une situation différente de ce qu’indiquent les sondages : l’extrême affluence dans les meetings de Trump (au contraire de ceux d’Hillary), la très grande popularité de Trump sur internet, etc. ; il y a aussi le facteur dit “Shy Trump Supporter” qui pourrait être important (“la timidité des supporteurs de Trump”, ou la réticence de se dire partisan de Trump lors de sondages nominatifs, facteur qui était déjà apparu en France pour le Front National). Adams reconnaît qu’il est très difficile de mesurer tout cela et en vient à la conclusion disons intuitive que Trump est pour l’instant en-dessous de Clinton, mais de beaucoup moins que ce que disent les sondages (ce qui revient à rencontrer le sondage Golby, vu plus haut). Intervient alors sa “théorie du choc”, qui s’est d’ailleurs déjà manifestée, à savoir que d’ici novembre il arrivera un ou plusieurs événements majeurs qui changeront de façon importante les votes, et que ces événements seront en défaveur de Clinton parce que Trump a fait le plein de toutes les critiques qui peuvent lui être adressées en se trouvant au terme puisque jugée comme un “idiot congénital” (voir plus loin), tandis que Clinton est encore chargée de diverses casseroles elles-mêmes encore extrêmement sonores...

« My best guess is that Trump is genuinely behind in the polls, and unless something big changes, he will lose the election.But something big always happens. Probably several big things will happen between now and November. And it might include one or more of these things... [...] Anything can happen. But I think there are more potential shocks on the Clinton side because any bad news about Trump’s character or business dealings are already baked into the cake. He is virtually shock-proof. Clinton is not.

» I still predict a Trump landslide, based on the 3rd act movie formula. Trump is in his deepest hole right now. This is when the surprise happens (next two months) if it is going to happen. He’s had other deep holes, but none as deep as this. This is the big one because time is running out. »

Dans un article précédent (du 12 août, repris le 15 août par Russia Insider), Adams développait l’idée selon laquelle un formidable phénomène de dissonance cognitive s’est développé dans l’ensemble de ce que nous nommons la communication-Système, ou le Système pour faire court ; ce phénomène est d’estimer que Trump est un imbécile complet, sorte d’idiot ou imbécile congénital (“a dumb”), donc de tout interpréter à l’aune de ce jugement pris comme un absolu qui ne souffre aucune nuance ni exception.

A cet égard, on observera que l’image de Trump a évolué, le “raciste”, le “xénophobe”, le “fasciste” (le “fasciste-narcissique”, avions-nous proposé), le “macho”, etc., — toutes sortes de qualifications qui restent encore, disons “relativement relatives”, – ont abouti au jugement absolutiste, quasiment pathologique et biologique : l’“idiot congénital”, d’où rien de sensé, de juste, de raisonnable, de logique, de constructif, encore moins de brillant, ne peut sortir. (Jugement de l’acteur De Niro, par exemple, car l’on pense beaucoup à propos de Trump, du côté de Hollywood & Cie où le conformisme de la pensée progressiste est présenté comme l’archétype de la pensée originale et brille de tous ses strass : « Trump is totally nuts. ») Tout doit être jugé selon cette référence, et cela impose une bien plus lourde charge qu’on ne croit, – et d’abord des erreurs de manœuvres, comme le détaille Adams dans le cas de la fameuse apostrophe de Trump, selon laquelle Clinton et Obama sont “les fondateurs de ISIS” (Daesh) ; certes, il s’agit d’une formulation abusive, mais qui n’est pas sans quelques fondements ici et là... Ainsi tout le monde (du Système) s’est-il récrié devant cette “dernière de l’imbécile”, mais aussitôt engageant un débat délicat pour complètement disculper Clinton-Obama, ce qui s’avère extrêmement difficile, et au contraire fait ressurgir de vilains souvenirs, où ni l’un ni l’autre n’ont les mains vraiment blanches (pour BHO, ce n’est qu’une image). C’est ce que cherchait l’“idiot congénital” estime Adams, merci les gars...

« 1. The mainstream media knows they are smarter than Donald Trump. They see evidence of this truth all the time, although much of that evidence is confirmation bias.

» Then…

» 2. Trump does something smart – accusing Obama and Clinton of being “founders” of ISIS. This is a clever way to get the world to debate Clinton and Obama’s ineffectiveness during a time when ISIS expanded. In other words, it is brilliant media manipulation, and it worked.

» 3. CNN and other Clinton supporters interpret Trump’s statement about ISIS as absurd and uninformed because they can’t imagine a scenario in which Trump does something brilliant. Trump being brilliant isn’t one of the options, as far as they know.

» The reality of Trump’s clever persuasion is crystal-clear to anyone who thinks Trump is smart. Trump was clearly joking about the “founder” part to get people squawking, and it worked. Total success. Brilliant technique.

» Now the media has a big problem. They can’t admit that they were extraordinarily dumb in this situation and Trump was brilliant. That reality is invisible to them because it doesn’t fit their worldview.

» So…cognitive dissonance happens.

» This is a textbook set-up for cognitive dissonance. The facts we observe (Trump is smart, the media is gullible) is opposite of the media’s worldview in which they are smart and Trump is uninformed. So what do they do?

» They act as if Trump is the dumb one in this situation. Because that fits their worldview.

» And…they…fact-check his claim.

» Meanwhile, the unhypnotized laugh themselves into a stupor watching this spectacle of cognitive dissonance. Humor aside, it is a marvelous and incredible thing to behold.

» One of my smartest friends just emailed me to say he thinks Trump really believes that Obama and Clinton “founded” ISIS. My friend has a very high IQ and he’s well-informed. But cognitive dissonance isn’t influenced by intelligence. He believes whatever fits his worldview. Just like the rest of us.

» The fun part is that we can see cognitive dissonance when it happens to others – such as with my friend, and CNN – but we can’t see it when it happens to us. So don’t get too smug about this. You’re probably next.

» I think this story will end up in psychology textbooks. You rarely see such a clean example of cognitive dissonance in public.

» Oh, and Trump hates babies, and he also wants a 2nd amendment supporter to assassinate his opponent. As long as the media is being dumbasses, they might as well fact-check that stuff too.

» I have never been so entertained. »

... En fait, ce que nous décrit Adams, c’est le couple maudit narrative/déterminisme-narrativiste dont l’on a pu parfaitement identifier l’existence et l’identité à l’occasion de la crise ukrainienne, lorsque le grand sport postmoderne du déterminisme-narrativiste a pris son élan puis son essor : vous affirmez quelque chose avec une grande force, qui ne correspond pas à une vérité-de-situation déterminée par une enquête, mais quelque chose qui est la conséquence, la création, l’enfant difforme et monstrueux de la narrative que le Système vous enjoint de déployer ; ensuite, vous êtes lié à cette production de la narrative, à cette narrative, et toute votre démarche et votre logique est désormais et absolument conditionnée par elle ; et plus le jugement exigée par la narrative est extrême plus le conditionnement/le déterminisme est exigeant ...

(Et le jugement exigée par la narrative est hors de toute vérité-de-situation, par définition, quelle que soit cette vérité-de-situation, puisque cela est exigé par le Système qui ne peut par définition accepter la moindre vérité-de-situation parce qu’il est ennemi absolu de toute vérité qui ne soit de lui, sa prétention ontologique étant qu’il est, lui seulement, toute vérité possible et seul créateur d’une vérité éventuelle [sinon, il ne serait ni Système, ni enfant du “déchaînement de la Matière”]. Ainsi a-t-on été conduit à considérer Trump comme un “idiot congénital”, ce qu’il n’est manifestement pas ; il est peut-être vicieux, narcissique, déloyal, menteur (quoique non, c'est le domaine d'Hillary), vantard, faussaire, vulgaire, impoli, etc., – mais “idiot congénital”, non certes pas. C’est d’ailleurs pour éviter toute possibilité de rencontrer une vérité-de-situation que le Système n’a cessé d’exiger un jugement de plus en plus extrême de Trump, jusqu’à l’absolu de l’idiotie congénitale, quasiment pathologique et biologique, absolument sans retour. Le Système ne plaisante pas ces jours-ci, lorsqu’il est et puisqu’il est en phase de surpuissance-autodestruction.)

On comprend que cette dynamique à l’œuvre est grosse de tous les affrontements extrêmes. A l’issu des onze semaines qui nous restent d'ici l'élection du 8 novembre, lorsqu’il y aura un vainqueur et s’il y a un vainqueur, – le principe d’incertitude règne en véritable maître écrasant sur ces élections, à la grande fureur du Système, – la situation normale qui est la sorte de réconciliation sur le nom de l’élu que demande à l'issue de l'élection le système de l’américanisme qui a absolument besoin de cette réconciliation comme légitimation du processus, la situation sera à peu près comme si vous deviez réconcilier dans la concorde retrouvée et l'estime partagée la Kiev-la-folle de Porochenko qui hait littéralement le Russe et la Russie d’un Poutine soutenu par plus de 80% de ses concitoyens qui sont horriblement excédés par l'Ukraine de Porochenko. C’est dire vers quelle situation de tension, d’affrontement larvé ou exprimé violemment, nous nous dirigeons. (Au fond et à l’extrême de cette logique, l’on comprend que peu importe qui sera élu, l’essentiel dans cette situation de tension qui sera établie à la suite de l’élection.)... Et tout cela, d’autant que d’ici là, comme le suppose Adams, “Anything can happen”, et l’on peut être sûr qu’il y en aura certaines qui vaudront le déplacement. Le Système, avec l’aide obligeante du Le-Donald, nous donne, conformément à l’exceptionnalisme de la chose, The Biggest Show On Earth.

En un mot, « We have never been so entertained »...

 

Mis en ligne le 17 août 2016 à 15H25