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1532Comme l’on sait ou disons comme l’on devrait le savoir, le premier ministre israélien est en grand danger de graves suites judiciaires concernant des affaires de corruption et d'obstruction à la justice. Israël Shamir, qui consacre son texte du 26 février 2018 à la situation de Netanyahou, présente cette affaire de cette façon abrupte :
« “Le meilleur premier ministre du pays”, c’est ainsi que Benjamin Netanyahou est défini par ses nombreux partisans. Il est le plus ancien, depuis le fondateur de l’État juif, David Ben Gourion, il a servi dans sa fonction plus longtemps que Vladimir Poutine. Mais apparemment, il est sur le point de suivre la voie de son prédécesseur, le Premier ministre Ehud Olmert, c’est-à-dire la prison. Olmert a été libéré il y a six mois à peine après plusieurs années passées en prison pour corruption et obstruction à la justice. Ce serait donc au tour de Netanyahou de goûter au pain sec de la prison au lieu du champagne rosé qu'il affectionne tant. Ou bien arrivera-t-il à y échapper ? »
Suivent quelques paragraphes d’éclaircissements qui ne font pas de Netanyahou un coquin pire que ses confrères du point de vue de l’éthique et de la morale, mais sans doute pas meilleur non plus. Manifestement, ce n’est pas cette question qui passionne Shamir, et nous non plus d’ailleurs. La question qui le passionne nécessairement, et nous aussi bien entendu, est de savoir quelle situation va se développer s’il est condamné, ou dans tous les cas obligé de quitter ses fonctions pour une raison ou l’autre. Si l’on s’en tient à la réputation qu’a le premier ministre israélien chez les antiSystème, la politique qu’il conduit, – “criminel de guerre”, etc., – la perspective évoquée devrait soulever certaines observations de complète satisfaction. Shamir lui-même s’est rarement montré tendre à son égard.
Pourtant non : Shamir développe dans la deuxième partie de son article les options possibles en cas de départ du PM, et ce qu’il faut en attendre, et sa conclusion est particulièrement sombre. Il s’avère, nous explique Shamir, que Netanyahou n’est pas si catastrophique que l’on dit, bien au contraire, dans tous les cas par rapport à ses remplaçants potentiels et dans le climat régnant aujourd’hui en Israël...
« Comparé à ces candidats [à sa succession], Bibi est prudent et mesuré. Bien que beaucoup de ses admirateurs en Israël et aux États-Unis l’aient poussé à la guerre, il a évité de le faire la plupart du temps (à l'exception de Gaza, la pauvre bande de Gaza qui sert de terrain d'essai aux fabricants d'armes israéliens. Gaza ne peut pas riposter, il est très facile de tuer les enfants de Gaza ; Gaza est là pour justifier les antisémites au Jugement dernier). Malgré ses nombreuses menaces contre l'Iran et le Hezbollah, Netanyahou a évité la guerre. Ses successeurs possibles seraient-ils aussi prudents que lui ? Il est plus que probable qu’ils choisiraient la guerre car la guerre est le meilleur moyen de s’assurer la popularité, la reconnaissance et la gloire. Bibi est déjà populaire, alors que n’importe quel successeur éprouvera le besoin d’établir sa propre popularité.
» Ne regrettez pas que la “gauche” israélienne ait peu de chance de gouverner. Israël ne déclenchera probablement pas de guerre alors que le parti travailliste (ou union sioniste) est en dehors de la coalition gouvernementale. Si la gauche et la droite formaient un gouvernement d'unité nationale, la probabilité de la guerre se transformerait en certitude. Historiquement, la droite israélienne, malgré ses efforts constants pour la guerre, n'a jamais mené une guerre sans l'approbation de ses frères travaillistes Ashkenazi. Par ailleurs, le parti travailliste n’a aucun problème avec l’idée de faire la guerre. De même, toute action énergique contre les Palestiniens sera prise avec le soutien de la “gauche”, ou de l'initiative “de gauche”.
» Cette “apologie” d’un Netanyahou-prudent ne signifie pas que j’ai quelque espoir dans sa façon de gouverner et dans sa politique. Je n’en ai pas et l’Administration Nationale Palestinienne n’en a aucun non plus. C'est plutôt une triste observation que Netanyahou serait probablement remplacé par un politicien encore pire que lui, de type juif religieux “à-la-Daesh” ou juif-laïc-fasciste. C'est la terrible logique de l'apartheid. Il y aurait une issue : l'élimination de l'apartheid et l'égalité des juifs et des non-juifs dans le pays. Apparemment, ce n’est pas une option considérée.
» Dans le contexte international, la chute de Netanyahou aurait un impact important. Cela constituerait une victoire de poids des mondialistes libéraux, car Netanyahou est un partenaire de même tendance que Trump et Poutine. Cependant, les libéraux ne profiteraient guère des fruits de leur victoire, Israël continuant à dériver vers le fondamentalisme religieux. »
Si l’on peut se trouver choqué par ce constat que Netanyahou est bien meilleur que nombre d’autres (possibles remplaçants), et peut-être même le meilleur Premier ministre du point de vue de la retenue, de la prudence, etc., on observera qu’il n’est pas du seul Shamir.
Interviewé par Spoutnik le 27 février 2018, à partir du thème de la possibilité d’une guerre entre Israël et l’Iran dont une analyse de The National Interest situe la possibilité pour l’année 2019, l’expert en géopolitique d’origine serbe Navid Nasr développe une approche différente de celle de Shamir pour aboutir à la conclusion similaire de l’importance actuelle de la situation interne en Israël, avec la conclusion implicite qu’un départ de Netanyahou du fait des affaires de corruption où il est impliqué pourrait aboutir à une situation beaucoup plus dangereuse en Israël.
Spoutnik : « Dans le même temps, les luttes internes israéliennes, à savoir l'enquête de corruption sur M. Netanyahu sont souvent minimisées. Il y a évidemment un paradoxe dans cette désinformation qui est en cours... Pouvez-vous nous donner votre perception et votre analyse de la situation de corruption de Netanyahu et du fait que les médias occidentaux ne s’attachent absolument pas à la recherche de la vérité à cet égard ? »
Navid Nasr : « Il y a bien des raisons à cela. Netanyahou se présente au Congrès US et il reçoit un accueil et des ovations bien plus enthousiastes que n’importe quel président n’en a jamais obtenu, à l’exception de Clinton ou de Trump. Il y a un grand degré d’asservissement quand il s’agit du gouvernement américain vis-à-vis d’Israël et du gouvernement israélien, mais aussi il y a un peu comme une sorte de scénario à-la-“Wag the dog” qui se joue en ce moment avec Netanyahou et les opérations qu’il ordonne contre la Syrie, et les dénonciations et menaces contre l’Iran. On doit prêter toute son attention à la situation en politique interne en Israël : il y a beaucoup plus de gens qui détestent Netanyahou et tout ce qu'il a fait depuis plusieurs décennies, remontant jusqu'aux années 1970, que de gens qui le soutiennent. Les gens qui le soutiennent sont pourtant, pour l’instant, plus puissants ; quant à ceux qui le haïssent et veulent sa chute, ils doivent faire attention aux conséquences, un peu à la manière de ce que dit le vieil adage : “Après moi le déluge”. Netanyahou est loin d'être le seul personnage détestable en Israël et les gens doivent vraiment faire attention à ce qu'ils souhaitent comme situation, par rapport à ce qui se passerait après Netanyahou. »
Ce qui nous apparaît à la lecture de ces analyses concordantes concernant d’une part les difficultés de Netanyahou, d’autre part l’appréciation réaliste que la direction de Netanyahou est sans doute la moins mauvaise situation souhaitable pour une politique israélienne qu’on voudrait la moins agressive possible, c’est le constat de l’extrême instabilité interne de la direction politique du pays et la possibilité de verser vers des initiatives aventuristes en cas de départ de Netanyahou. Au-delà des spécificités de cette situation et des possibilités ainsi décrites, si on ne s’attache ni aux personnalités, ni aux étiquetages politiques pour seulement considérer la situation générale, on trouve une sorte de proximité, un parallèle entre les situations internes des directions politiques américaniste et israélienne. Dans les deux cas, il s’agit de puissances militaristes et bellicistes, qui se jugent dominatrices chacune dans leurs catégories, qui jugent également leur hégémonie menacée par divers conflits et tensions, avec comme principales “menaces” selon leurs perceptions l’Iran et la Russie, avec comme principal terrain d’affrontement la Syrie, enfin avec une psychologie régnante à la fois maximaliste et complètement perdue dans les illusions des puissances en cours d’effondrement.
Juger “instable” la situation interne israélienne est évidemment une approche assez inattendue selon la notion fort répandue que ce pays agit agressivement avec un plan stratégique de grande envergure, comme il est inattendu de proposer le jugement que Netanyahou pourrait s’avérer comme le plus “modéré” parmi le dirigeants israéliens, – son départ pouvant avoir des conséquences catastrophiques où le désordre aurait sa part, comme le même type de désordre a sa part considérable dans la situation à Washington D.C. C’est là, dans cette dimension d’un désordre interne poussant à l’extrémisme et à l’aventurisme, éventuellement avec de pouvoirs morcelés également dans le cas israélien (avec des généraux s’arrogeant une certaine indépendance), qu’on peut faire l’analogie la plus sérieuse entre les deux directions.
Il faut noter la remarque intéressante de Shamir, selon qui il faut classer Netanyahou dans les anti-globalistes (ne disons pas [encore ?] “antiSystème” pour notre compte, mais selon une appréciation purement tactique nous en sommes fort proches) ... « Dans le contexte international, la chute de Netanyahou aurait un impact important. Cela constituerait une victoire de poids des mondialistes libéraux, car Netanyahou est un partenaire de même tendance que Trump et Poutine. » Dans ce même registre on mentionnera l’importance des bonnes relations entre Netanyahou et Poutine, qui constituent une quasi-institutionnalisation des “liens privilégiés” entre la Russie et Israël à cause notamment de la présence en Israël d’un contingent massif de juifs d’origine russe, et qui conservent toutes leurs attaches avec la Russie. Ainsi disposera-t-on d’un facteur de plus pour renforcer le jugement sur la confusion des positions des uns par rapport aux autres, et la difficulté de trancher selon des jugements précis et indiscutables.
Les maillons rompent ou affichent leurs faiblesses les uns après les autres, — on comprend que nous parlons des maillons du Système. L’évolution d’une situation qui conduit à considérer un Netanyahou, belliciste en corrompu, à la fois comme une sorte de “modéré” et un rempart contre le désordre intérieur est pour le moins singulière, si l’on se réfère à la carrière de l’homme politique. Il s’agit bien d’une mesure de plus de l’accélération en augmentation constante sinon exponentielle de la destruction des structures les plus fondamentales du Système (déstructuration, ou le Système pris à son propre piège). La psychologie, qui règle ces folies de la perception, joue un rôle fondamental dans ce processus.
Mis en ligne le 28 février 2018 à 16H42