En marge du Brexit, la Hollande intéressante

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En marge du Brexit, la Hollande intéressante

« Le pays dans l’UE qui attend les résultats du Brexit avec le plus d’intérêt n’est peut-être pas la France, comme on le croit communément, comme on le proclame et même comme les sondages semblent le dire ; je dirais bien que c’est, secrètement, la Hollande... ». On pourrait résumer symboliquement cette citation assez fataliste ou ironique d’une source européenne par cette formule hypothétique dans laquelle Nexit représente un retrait de la Hollande (Nederland) de l’euro et de l’UE : “Si le Brexit réussit, la campagne pour le Nexit démarrera instantanément, pour profiter de la ‘dynamique de la victoire’ ; si le Brexit échoue, la campagne pour le Nexit démarrera instantanément, pour relancer l“esprit de la résistance’”.

L’“esprit de la résistance”, expression de notre cru et correspondant à notre propre perception de l’effet de la position hollandaise, c’est l’extraordinaire esprit antieuropéen, isolationniste, anti-immigration, qui se développe aujourd’hui en Hollande. La transformation remarquable de l’état d’esprit de ce pays fournit une exemplarité remarquable, à la fois de la puissance de l’évolution des psychologies et, par raisonnement inductif, de la rapidité de l’histoire qui les influence ; et, au-delà pour notre sujet, une exemplarité remarquable du basculement, conjoncturel ou pas, conscient ou non, d’un alignement-Système à une résistance-antiSystème de la Hollande. Il s’agit non d’un basculement de conviction mais d’un basculement forcé par les circonstances et transformant l’engagement à la fois déterminé et opportuniste d’une fermeté exemplaire de la Hollande dans l’aventure européenne, en un engagement en devenir aussi déterminé et opportuniste d’une égale fermeté dans une posture antieuropéenne. Les Hollandais ne cèdent pas à l’émotion, – ce n’est pas dans leurs habitudes, – mais ils ont leur perception, et donc leurs psychologies, transformées par l’évolution de l’ensemble européen dont ils font partie.

Certes, la Hollande est le pays “européen” par excellence, avec toutes les arrière-pensées, les manigances et l’opportunisme qu’on peut concevoir. La Hollande est, depuis 1945, une des pays fondateurs de la future UE, en même temps qu’un pays à l’engagement transatlantique sans faille ; c’est un pays quasiment bilingue (l’anglais en plus du néerlandais) tant sont grands son atlantisme, sa proximité de l’anglosaxonisme et son engagement mercantile (une vieille tradition du protestantisme de ce pays) dans la logique, sinon la mystique utilitaire du capitalisme libéral puis hyperlibéral.

Très proche du Royaume-Uni (comme la Belgique, ou plutôt la partie de l’establishment bruxellois de la Belgique), ce pays a eu également et disposent toujours de liens avec les USA presque aussi “privilégiés” que ceux du Royaume-Uni avec les USA, sans devoir aucunement passer par ce Royaume-Uni. La reine (jusqu’en 2013) Beatrix fut la filleule de Franklin Delano Roosevelt (les Roosevelt sont de lointaine origine néerlandaise) et la famille royale, disposant d’une fortune considérable, fut souvent une actionnaire importante de diverses entreprises du complexe militaro-industrielle (Lockheed, Northrop). Le prince Bernhardt, père de Béatrix, fut durant toute la Guerre froide, le relais de Lockheed en Europe et nous apprîmes ainsi en 1975, lors d’un des divers “scandales Lockheed”, qu’il avait reçu depuis 1945 $75 millions de Lockheed. Excellent pilote et beau parleur, Bernhardt fut l’un des principaux promoteurs du F-104 (de Lockheed) en Europe, et il fut donc rétribué à mesure par Lockheed dont les pratiques de corruption sont fameuses dans l’histoire de l’aéronautique militaire. La Hollande, bien entendu, s’est toujours équipée made in USA, et elle fut la meneuse du quatuor (Belgique-Danemark-Hollande-Norvège) qui choisit le F-16 en 1975. Elle est bien entendu, aujourd’hui, dans le programme JSF, et elle constitue une plaque tournante des produits US, des filiales US, etc., pour l’Europe, en même temps que le siège social de nombreux conglomérats et entreprises grâce à ses dispositions juridiques très avantageuses.

Elle était donc, plus qu’aucun autre pays, le pilier de l’Europe-CIA (plutôt que l’Europe-Monnet, puisque effectivement la CIA, qui n’en rate absolument aucune, mit évidemment la main à la pâte) et un relais extrêmement fidèle de l’influence US en Europe, ou plutôt de “la surveillance US de l’Europe” ; elle fut l’ennemie acharnée de l’“Europe des nations” de De Gaulle, et ennemie de De Gaulle lui-même ; elle fut et elle est postmoderne et multiculturaliste, avec un maire de Rotterdam et un président du Parlement de confession musulmane ; elle fut et reste un des membres les plus éminents de l’OTAN, cela va sans dire... Et puis soudain, au bout de tout cela, rien ne va plus... Elle semble devenir antieuropéenne, la Hollande, c’est-à-dire contre toutes ses traditions et ses manigances. Elle aspire à retrouver sa souveraineté et les ambitions du dirigeant populiste Geert Wilders, dont le parti est désormais le populaire en Hollande, est de faire de ce pays une nouvelle Suisse, ou une “autre Suisse” en Europe.

En trois ans à peu près, le retournement de la perception est très remarquable. Bien entendu, la “classe politique” comme on dit, n’y comprend rien, qui a comme toujours quelques métros de retard. Le paradoxe de ce retournement est que, selon les analystes de ce phénomène, deux évènements qui auraient dû durcir l'attitude proeuropéenne de la Hollande dans le contexte transatlantique et anglosaxoniste qu’on a décrit sont une des causes de ce retournement : la destruction du vol MH17 au-dessus de l'Ukraine, qui tua, selon l’image souvent offerte, autant de Hollandais que 9/11 tua d’Américains compte tenu des populations respective (voir le texte ci-dessous : « And finally the downing over Ukraine of an airliner, nearly two years ago, killing all 298 on board. Of those, 193 were Dutch, meaning that, relative to population-size, the country suffered a larger loss of life than the US did on 9/11. ») Cet événement, complètement transformé et mis cul par-dessus tête par la narrative fantasmagorique du bloc-BAO en une intrigue personnelle de Poutine, aurait dû durcir la position de la Hollande dans le bloc-BAO, donc dans l’UE, selon la logique de l’antirussisme forcené qui est la marque de leur “politique” – et pourtant il n’en est rien, bien au contraire. Le deuxième événement, c’est la catastrophe grecque, où, pourtant les dirigeants hollandais jouèrent le rôle de supplétifs diligents des Allemands, avec leur ministre des finances à la tête de l’Eurogroupe ; cela, également, aurait du les conforter dans leur position au sein de l’UE, – “et pourtant il n’en est rien, bien au contraire”, puisque les Hollandais y ont vu surtout un signe de l'échec général de la formule-UE.

Là-dessus, on ajoutera l’immigration et le multiculturalisme, autres fleurons hollandais qui les mettaient dans le groupe des pays novateurs et meneurs de la doxa sociétale au sein de l’UE, qui produisent au contraire le cimier sur lequel prolifèrent l’euroscepticisme puis l’antieuropéanisme. Il faut dire que la Hollande a connu, depuis l’assassinat du dirigeant populiste Pim Fortuyn en 2002, divers attentats et agressions de nature politique, des actes de violence spectaculaires qui, tous, ont été mis, – assez curieusement selon la logique et l’esprit du temps et de sa narrative, mais logiquement selon notre point de vue, – au débit de ces conditions postmodernes régnant dans ce pays. (En général, cette violence est instinctivement mise au débit des caractères multiculturalistes, migratoires, etc., alors que ce n’est certainement pas toujours le cas. On sait, par exemple, que l’assassinat de Fortuyn a plus à voir avec le choix du JSF par la Hollande, avec l’emploi du temps de l’ambassadeur des USA en Hollande durant la séquence et avec un activisme type-Gladio redevenu d’actualité qu’avec les conditions générales du multiculturalisme et de l’immigration ; mais qu’importe, la mort de Fortuyn, dirigeant populiste et anti-islamiste, reste souvent perçue comme le résultat de cet engagement-là...)

Ainsi la Hollande présente-t-elle un cas unique, remarquable, et pourtant exemplaire de la profondeur en train de se faire de l’hostilité populaire qui affecte désormais l’idée européenne réduite à sa catastrophe-UE (et éventuellement aux ébats éthyliques du président de la Commission Juncker, qui font beaucoup pour l'entrain de l'“imagerie européenne”). La Hollande est sans doute le seul pays qui, objectivement, avait tout pour rester jusqu’au dernier jour, le dernier pays partisan de l’Europe et de l’UE. Même ses caractéristiques de “plus petit parmi les grands pays européens” comme aiment à dire les Hollandais (plutôt que “plus grand parmi les petits pays européens”) lui permettent, dans l’actuelle formule semi-fédéraliste, de prétendre à un rôle important dans l’ensemble européen, et donc de prétendre se mettre au niveau des plus grands grâce au processus semi-fédéral qui lui profite objectivement. Pourtant, on découvre ce pays dans cet état d’esprit d’hostilité antieuropéenne et de frustration, qui est remarquablement décrit dans l’article de Joris Luyendijk pour le Guardian du 6 juin (sous le titre « In a traumatised Netherlands, faith in the EU is plummeting », raccourci pour des raisons techniques).

Il y a là une occurrence du plus grand intérêt, opposant les faits politiques, ou les faits de la narrative politique si l’on veut, à l’évolution des psychologies. C’est une occurrence remarquable, comme on le constate dans cet article où la situation nouvelle est présentée sans véritable explication ni grand souci des contradictions que nous avons relevée ; nous dirions alors qu'il n’y a pas tant une dénonciation de cette narrative (pas le moins du monde, certes) qu’une évolution psychologique assez peu explicable par la logique politique de cette narrative. Tout se passe comme si l’imposture de cette narrative, sans être mise à jour, était inconsciemment perçue comme telle par les psychologies, provoquant ces réflexes d’antieuropéisme et de repli sur le domaine national. (De ce point de vue, la Hollande, vieux pays européen, qui eut souvent des occasions historiques d’afficher une puissance remarquable pour sa petitesse, dispose d’un récit historique sur lequel elle peut se replier. Peut-être, sans doute ceci explique-t-il cela : la disposition de ce récit historique d’une grande puissance permet effectivement de se concevoir sans l’UE, et hors de l’UE, avec bien des avantages.) Si c'est le cas, c'est une belle leçon de la marche de l'Histoire sans souci des agitations narrativistes des sapiens-Système.

 

dedefensa.org

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In Netherlands, faith in the EU is plummeting

Once a beacon of progressive politics, the Netherlands today is a traumatised, angry and deeply confused nation. Support for immigration and the European project are at all-time lows. Synagogues and Jewish schools need police protection from homegrown jihadists, and freedom of expression is under serious pressure. Leading pundits and comedians incite hatred against Muslims in much the same way that antisemites rage against “the Jews”.

It seems a long time since “Dutch” was synonymous with tolerance. A founding member of the European Union, the Netherlands developed from the 1970s onwards into a laboratory for social and cultural change, boldly pioneering the legalisation of prostitution, soft drugs, euthanasia and gay marriage.

Those were the days when Dutch politicians and opinion-makers would refer to the Netherlands, without any apparent irony, as a “gidsland”, or “guide country”: a small nation leading by example. Its proudest moment probably came in June 1988 when an ethnically mixed team of Dutch footballers won the European Championships, beating the all-white teams of arch-rival Germany and then Russia. It felt like the ultimate vindication of multiculturalism.

Fast-forward 28 years, and heading the polls today is Geert Wilders’ PVV or Freedom party. Voted “politician of the year 2015”, Wilders is the sole member of the party he founded, ruling over it as undemocratically as the Arab dictators he so despises. He wants the Netherlands to drop the euro and leave the EU. Like Donald Trump he demands an end to all immigration from Islamic countries. A typical Wilders tweet: “As long as we have ‘leaders’ such as [Dutch prime minister] Rutte, Merkel, Obama and Cameron denying Islam and terror are one and the same, there will be more terrorist attacks.”

Of course there was racism and intolerance in the Netherlands during the 70s, 80s and 90s, too, and the country of old has not entirely disappeared. A slim majority continues to vote for pro-EU parties that abhor discrimination against Muslims. The popular mayor of Rotterdam, Ahmed Aboutaleb, is openly and proudly Muslim. The speaker of parliament, Khadija Arib, is of Moroccan descent; and in 2007 Dutch readers voted the book The House of the Mosque by Iranian-born Kader Abdolah to be the second “best Dutch book ever”.

Yet the influence of the PVV is widely felt, particularly because the steadily growing far-left Socialist party shares many of its views on the EU. And with every new terrorist attack, wave of refugees or expensive euro bailout, the forces of regression grow stronger, both on the far right and the far left.

Many of the reasons for the “Dutch turn” mirror those elsewhere in Europe. As the EU struggles to get on top of jihadist terrorism and the refugee crisis, some voters look for fresh faces promising simple solutions: torture, deportation, closed borders. And as the eurozone limps from panic to panic, people wonder whether the currency can and should be salvaged in the first place. Is “more Europe” really the answer to every crisis?

These questions, formerly taboo, are now being debated across the continent, reflecting a deep loss of faith in the competence and trustworthiness of traditional elites. Yet no country seems quite as disoriented as the Netherlands. One important reason must be the unprecedented series of catastrophes to have hit the country over the past 15 years. Three high-profile political murders. The country’s first mass shooting. An attempt on Queen Beatrix’s life in which eight people died. And finally the downing over Ukraine of an airliner, nearly two years ago, killing all 298 on board. Of those, 193 were Dutch, meaning that, relative to population-size, the country suffered a larger loss of life than the US did on 9/11.

These are major traumas that deeply shook the country’s complacent consensus that bad things did not happen around here. And when a frightened population looked to its elites for leadership, those elites looked painfully incompetent – a second reason for the Dutch turn. There were the lost wars in Afghanistan and Iraq – which the Netherlands was almost alone from mainland Europe in joining, where 25 died. There was the disaster of the financial crash that took the entire policymaking elite by surprise. And then there is the Greek euro-crisis.

Each of these debacles made the traditional elites look helpless and inept – in Wilders’ favourite slur, “naive”. When those same elites then implore their voters to trust them on the EU, the euro and immigration, many voters now think twice.

There are still those in the Netherlands who believe that the country needs to “sit out” the PVV. They point out that there have not been even low-level defections from the elites to the PVV and that, unlike Marine Le Pen in France, Wilders is not building a political machine. Quite the contrary. As soon as anybody in his party assumes any kind of profile they are quickly sidelined. In this respect Wilders resembles Nigel Farage – though with none of the latter’s cheerfulness.

Yet it would be a grave mistake to think that once Wilders leaves the scene, so will the questions that, beneath all the offensive and incendiary rhetoric, he has put centre stage. What if the European project is an edifice with fatally flawed foundations? How does an open society based on equality survive, when every year it takes in tens if not hundreds of thousands of immigrants from countries with no tradition of openness, equality or democratic debate? Especially when those immigrants consistently have more children than the native Dutch?

There was a time when mainstream Dutch politicians and opinion-makers would answer breezily that the EU was a work in progress and that successful integration would simply take a generation: why would the children of immigrants remain socially and culturally conservative if they could also be Dutch?

That self-confidence is gone and what will take its place is anyone’s guess. What seems certain is that the heady days of progressive optimism are not coming back.

As for the football, the Netherlands did not even qualify for this year’s European Championship.

 

Joris Luyendijk (Guardian)

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