Il n'y a pas de commentaires associés a cet article. Vous pouvez réagir.
1951L’annonce qu’un accord a été conclu entre les douze pays partenaires du TPP (TransPacific Partnerships) sur un texte du traité n’a certainement pas suffi à dissiper l’impression d’incertitude et d’affrontement qui caractérise aujourd’hui le sort des trois traités, – les “traités infâmes”, TPP, TTIP et TiSA. Au contraire, à côté de cette nouvelle qui aurait, en d’autres temps, éclipsé toutes les autres, des évènements importants et des tendances caractéristiques qui ne sont pas très favorables la relèguent au second plan. De plus en plus, d’une façon irrésistible, cette affaire des traités devient une plate-forme d’affrontement où les positions-Système et les positions antiSystème, – en ayant à l’esprit l’évidence que les “traités infâmes” représentent le Système par leur dynamique déstructurante, – sont de plus en plus difficiles à définir, à identifier et à situer. La seule observation qu’on peut faire est que le “camp du Système”, c’est-à-dire de soutien aux traités, apparaît infiniment moins puissant qu’il pouvait sembler l’être lorsque furent lancées les négociations, lorsque leur réalisation paraissait irrésistible.
Nous allons mentionner deux des principales nouvelles concernant les traités TTIP et TPP, les plus spectaculaires, en ayant à l’esprit que d’autres prises de position, d’autres dynamiques sont à l’œuvre. Le sort des traités relève de plus en plus d’une conception politique d’une part, de plus en plus de l’affrontement fondamental entre la surpuissance du Système et la résistance antiSystème d’autre part.
• En Europe, la campagne dite Stop-TTIP.org, qui a lancé une pétition massive d’une année, a clos cet effort le 6 octobre avec un résultat exceptionnel de 3.263.920 signatures, ce qui constitue évidemment le chiffre le plus haut atteint pour une pétition soutenant une ICE (Initiative Citoyenne européenne) qui est la démarche structurée par les institutions européennes. La campagne représente un mouvement populaire selon les normes européennes qui est sans précédent, mais qui a jusqu’ici été repoussée par les autorités européennes qui bloquent tout ce qui peut interférer dans l’élaboration de ces traités, faite dans le plus grand secret évidemment dzmocratique. Stop-TTIP.org présentait hier soir sa position de cette façon : « Ce matin [7 octobre], nous avons manifesté devant les bâtiments de la Commission Européenne à Bruxelles pour que nos demandes soient réellement prises en compte: nous demandons l'arrêt sur le champ des négociations sur le TTIP/Tafta et la non-ratification de l'accord CETA avec le Canada. Des activistes venus de toute l'Europe ont déposé dans une immense balance toutes les signatures recueillies par le collectif Stop TTIP, l'autre bras contenant de grands sacs de sable avec le logo des avocats du TTIP - mais au final ce sont les voix des citoyens qui ont pesé plus lourd (comme cela devrait être le cas). Nous avons finalement remis symboliquement les signatures à un représentant de la Commission Européenne, la presse étant largement représentée pour couvrir l'événement.
» Pour nous assurer que nos demandes deviennent réalité, nous devons accentuer la pression! Samedi prochaine, le 10 octobre, des milliers de personnes à travers toute l'Europe battront les pavés de Berlin, Amsterdam, Londres, Athènes et bien d'autres lieux. Vous trouverez ci-dessous toutes les informations sur cette journée de mobilisation internationale. Mais même après ces manifestations, le combat continue : notre mouvement européen de protestation s'est étendu à plus de 500 organisations et a battu un record de signatures après l'autre. Le prochain pas est d'accentuer la pression sur les parlementaires pour qu'ils ne ratifient ni le TTIP ni le CETA. Nous voulons également créer un guide d'action contre le CETA et soutenir les demandes de référendum contre ces traités dans les différends pays. »
• Le TPP vient donc d’être paraphé par douze pays de la zone du Pacifique alors que des rumeurs d’échec possible avaient circulé à Atlanta, en septembre, lorsqu’avait lieu la rencontre finale. Le traité a été bouclé à l’arraché et demeure très fragile selon d’éventuels remous intérieurs du fait que tous les signataires sont au bout de leurs concessions et ont du accepter des dispositions qui ne leur conviennent pas. De plus en plus d’interprétations font du TPP un “traité de guerre commerciale” destiné à isoler la Chine, ce qui va contre divers intérêts commerciaux et économiques, y compris dans les pays signataires bien entendu, et fait intervenir une géopolitique qui ne fait pas l’unanimité et divise même, notamment aux USA, ceux dont l’union aurait pu être un soutien précieux pour le traité si l’on était resté dans un contexte raisonnable. Le site WSWS.org donne “sa” définition du traité ce 8 octobre 2015 : « Comme le Financial Times le notait, le TPP concerne plus la géopolitique que le commerce. “Souvent désigné comme l’élément principal du pivotement de la politique US vers l’Asie selon la doctrine du président Obama, le but pour les USA et le Japon est de se débarrasser de la Chine, qui n’est pas incluse dans le TPP, et de créer une zone économique dans l’espace du Pacifique qui peut équilibrer la puissance économique de la Chine dans cette région”. En réalité, le but ultime n’est pas tant d’“équilibrer” la Chine, mais plutôt de l’affaiblir fortement du point de vue économique et éventuellement forcer le régime chinois à se soumettre à la domination économique US. »
• A côté de ces grandioses considérations théoriques et effectivement très géopolitiques qui nous laissent au moins perplexes sinon complètement effarés qu’on puisse entretenir de telles ambitions dans le climat présent et la situation crique explosive des relations internationales, voici aux USA une nouvelle certainement plus importante que toute cette littérature bureaucratique sur l’hégémonie. Elle concernant directement le sort du TPP aux USA, qui dépend désormais d’une ratification par le Congrès. Il s’agit de la surprise complète de l’annonce par Hillary Clinton qu’elle s’oppose à la ratification du traité.
Il s’agit bien entendu d’une prise de position politique, puisque Clinton est de plus en plus menacée “sur sa gauche” (notamment par Bernie Sanders) et qu’elle évolue en fonction de cette pression. Tout au long de sa présence au sein de l’administration Obama comme secrétaire d’État, Clinton a soutenu sans restriction le TPP, dans la logique de l’administration de son mari Bill, qui avait lui-même mené à bien l’adoption et la ratification de l’accord de libre-échange NAFTA (nord-américain) qui s’est révélée socialement si dévastateur. Désormais, Clinton recherche des soutiens à gauche, notamment des syndicats US, et elle change complètement d’orientation, sans les encombrants états d'âme des sapiens courants, démentant ou trahissant c’est selon des décennies d’activisme libre-échangiste. Il s’agit d’un événement majeur, et pour le traité TPP lui-même, et pour les autres traités par conséquent puisqu’une logique générale les tient liés entre eux, et pour la campagne des présidentielles aux USA... La nouvelle est commentée notamment par le Washington Times le 8 octobre, avec des remarques qui situent la décision de Clinton dans un contexte effectivement très politique, c’est-à-dire “politicien” pour son cas. L’importance du commentaire situe l’importance de la prise de position d’Hillary, qui n’en finit plus de trahir le pauvre Obama remâchant la funeste décision qu’il prit lorsqu’il décida de proposer le Secrétariat d’État à la sénatrice Clinton.
« Former Secretary of State Hillary Rodham Clinton broke with President Obama over the massive new Pacific trade deal Wednesday, announcing she now opposes the agreement she helped shepherd during her time as the country's top diplomat. The 2016 Democratic presidential front-runner revealed her stance in an interview with PBS, then released a statement saying given what she knows now about the Trans-Pacific Partnership deal, which negotiators from the U.S. and 11 other nations reached earlier this week, “I can't support this agreement.”
» Democrats and Republicans alike accused her of a political flip-flop of historic proportions, but Mrs. Clinton said the evidence is that the deal Mr. Obama finalized falls short of her goals. “I still believe in the goal of a strong and fair trade agreement in the Pacific as part of a broader strategy both at home and abroad, just as I did when I was secretary of state,” she said. “I appreciate the hard work that President Obama and his team put into this process and recognize the strides they made. But the bar here is very high and, based on what I have seen, I don't believe this agreement has met it.”
» The announcement is a major blow to Mr. Obama just as he begins a push to get Democrats in Congress to join with the GOP in approving the deal. Some key Republicans have already been skeptical of the final compromises Mr. Obama made, and losing Mrs. Clinton creates an even tougher climb for the White House. [...]
» Mrs. Clinton's stance comes a week before Democratic presidential candidates face off in their first debate and as she is trying to boost sagging poll numbers and stifle a challenge from her political left. In recent weeks Mrs. Clinton has tacked to the left of her former self and/or the Obama administration on a number of issues such as public opposition to the Keystone XL pipeline, the number of illegal immigrant deportations, the racial legacy of her husband's mid-1990s crime bill and Obamacare's "Cadillac tax" on certain generous health plans.
» Sen. Bernard Sanders, Vermont independent, has taken the lead in polls in New Hampshire, which hosts the first primary next year. And Mr. Sanders and Vice President Joseph R. Biden, who hasn't even decided on a bid yet, have siphoned off enough support in national polls to bring Mrs. Clinton to less than 50 percent. Mr. Sanders has been particularly vocal in opposing the TPP. In a recent Twitter post, he wrote that NAFTA cost the U.S. almost 750,000 jobs, and normalizing trade relations with China cost another 3 million. As for the TPP, he said, “let's not find out.”
» After Mrs. Clinton announced her stance Wednesday, Mr. Sanders recounted his own votes against NAFTA, China trade relations and the Central American Free Trade Agreement, and said he was happy Mrs. Clinton “has now come on board.” “I hope that, with her help, with the efforts of virtually every union in the country and with the opposition of many environmental groups, we can defeat this agreement, which was largely written by Wall Street and corporate America,” he said. »
La nouvelle position d’Hillary Clinton change d’une façon assez notable la situation aux USA, d’ailleurs aussi bien sur le plan politique général (“politicien”) que du point de vue de la situation du traité TPP. Il faut mettre en évidence que cette décision constitue un point de départ pour un débat interne aux dimensions nouvelles, aux USA sur le TPP, qui connaîtra son apogée durant le délai imparti au Congrès (60 jours) pour étudier le texte du traité en vue du vote sur la ratification, et durant le début des primaires pour les présidentielles qui auront lieu parallèlement à la réflexion du Congrès. C’est dire si le climat sera surchauffé, très ouvert à la polémique. D’ores et déjà, il se confirme que la Chambre des Représentants, avec le départ du Speaker John Boehner, pourrait, sinon devrait rejeter la ratification du TPP ; la nouvelle position de Clinton, qui renforce notablement la dynamique de l’opposition au TPP, pourrait modifier certaines positions-clef au sein du Sénat. Pour l’organisation Flush-The-TPP.org, équivalent US de Stop-TTIP.org en Europe, l’adoption du traité TPP ne clôt pas la bataille, mais au contraire “ouvre la véritable bataille” autour de ce traité. Flush-The-TPP.org annonce que vont s’organiser des réseaux mondiaux de lutte contre les traités, y compris et principalement avec l’Europe.
On comprend, avec le cas Clinton, combien il est très difficile de fixer les lignes de partage entre Système et antiSystème. Voici la politicienne sans doute la plus corrompue, dans tous les cas psychologiquement et sans doute vénalement parmi les plus expérimentées, de l’histoire politique des USA ; la plus activiste du point de vue de la politique-Système dans sa version humanitariste-interventionniste ; la plus impitoyable praticienne des coutumes du Système, notamment dans l'élimination de ses adversaires politiques et dans l’enrichissement par le jeu des influences et des soutiens... Il est difficile de rêver un pedigree plus conforme au Système, au point qu’elle mériterait le Grand prix Nobel du Système, – et pourtant la voilà qui introduit dans la machinerie des “traités infâmes” un grain de sable d’une dimension colossale. Elle le fait à sa manière bien entendu, pour les plus viles des raisons, pour tente de rattraper une tendance à la dégringolade qui menace son “plan de fin de carrière” à la Maison-Blanche.
Du coup, l’“infâme Clinton” se range temporairement dans le camp antiSystème puisqu’opposée, avec tout son poids politique sonnant et trébuchant, aux “traités infâmes” qui représentent inéluctablement le camp du Système. Peu importe la créature, ses motifs bas et ses calculs sordides, sa décision est une excellente nouvelle qu’on qualifierait presque de vertueuse, au moins pour l’ironie de la chose, qui complique remarquablement le sort du TPP, et, dans la foulée, des autres traités qui suivent le même destin.
Il est assuré, à notre estime, qu’un débat très polémique aux USA autour du TPP, avec désormais une possibilité non négligeable de son rejet par le Congrès, doit alimenter en vigueur polémique le débat européen autour du TTIP. La réception du Parlement Européen faite hier au “couple” Merkel-Hollande, avec des interventions polémiques extrêmement violentes, montre des points de rupture absolument radicaux entre les différentes tendances, et notamment entre la tendance-Système de “l’Europe des notaires révolutionnaires-et-déstructurants” type-Hollande, et la fronde antiSystème. Il s’agit véritablement de mondes différents entre lesquels aucune entente n’est possible et, dans cette situation, la pétition aux 3.200.000 signatures prend la dimension d’un adoubement démocratique et populaire à l’échelle européenne de la tendance antiSystème. D’un autre côté, les situations nationales peuvent évidemment interférer sur la situation des traités, comme par exemple la crise des “migrants-réfugiés”, autre avatar du globalisme effréné du Système, qui fait naître des oppositions d’une intensité prodigieuse, notamment en Allemagne où Merkel, avec ses va-et-vient sur la question de l’accueil des migrants-réfugiés, se trouve de plus en plus isolée, – et l’on comprend qu’elle cherche des points de chute pour éviter des avatars politiques qui briseraient sa carrière, comme un poste de Secrétaire Générale des Nations-Unies à la fin 2016, avec d’ici là un beau Prix Nobel de la Paix comme gâterie-Système pour bons et loyaux services et un CV à mesure. La situation française n’est pas moins énigmatique, avec des commentateurs pondérés comme Jacques Sapir envisageant une évolution de type-“guerre civile”. Tout cela pèse son poids et influencera les positions diverses dans la bataille des traités, qui s’insère de plus en plus dans le système crisique générale, ou “tourbillon crisique”.
Effectivement, tous ces faits polémiques et brutaux sont désormais liés et destinés à l’être de plus en plus. La bataille des “traités infâmes“ se confirme comme étant une bataille globalisée qui légitime un vaste mouvement antiSystème lui-même globalisée, utilisant des canaux, des structures et des opportunités politiciennes émanant du Système pour les retourner contre lui. Le Système a voulu la globalisation, on ne peut que constater qu’il l’a plus que jamais, et que cela ne présente pas que des avantages pour lui. La situation de la globalisation, qui réalise de facto une intégration de toutes les crises à certains moments-clef, conduit à des affrontements de plus en plus définis par la formule bien connue du “tout ou rien”, où le “rien” devient de plus en plus une option très-possible. Comme nous l’avons déjà dit et pour en rester à la seule crise des “traités infâmes”, la globalisation est désormais un processus qui, en poursuivant la dynamique surpuissante de sa situation d’ores et déjà réalisée, accouche parallèlement et avec une fécondité de plus en plus affirmée, d'une critique féroce d’elle-même de plus en plus dévastatrice.
Mis en ligne le 8 octobre 2015 à 15H31