GAFA-la-gaffe ?

Journal dde.crisis de Philippe Grasset

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GAFA-la-gaffe ?

09 août 2018 – Certes, ils ont frappé, – et cela va continuer, car lorsque les crétins friqués ont commencé à produire leur sottise infamantes, c’est comme une diarrhée, plus rien ne les arrête plus... (C’est même à ça qu’on les reconnaît.) L’affaire est en train de nous confirmer pour la nième fois que la transformation des sapienscourants en zombieSystème se fait par l’équation américanisme + fric. En effet, je tiens pour évident et absolument convainquant le jugement que l’action de censure lancée par les GAFA & le reste sur consignes du DeepState représente une action tactique extrêmement visible dans ses buts illégaux, et dont l’effet stratégique se révèlera rapidement catastrophique.

L’opération de censure gigantesque qui est en cours se déroule dans la plus complète hypocrisie juridique d’où pourraient naître des querelles juridiques sans fin qui ne pourraient être interrompu que par un excès d’arbitraire supplémentaire mettant un peu plus en question la fragile fiction de l’État de droit sur laquelle reposent les institutions nécessaires au maintien de la bonne apparence du DeepState. L’hypocrisie se trouve dans l’intervention d’entités commerciales prétendant n’être que des “plateformes” qui, comme une compagnie de téléphone, ne sont censées intervenir que sur le fait technique de la communication, et agissant en fait comme des éditeurs qui ont un droit de regard sur le contenu de ce qui fait l’objet de la communication. Pour ajouter l’insulte à l’infamie, ce comportement des GAFA & Cie a été recommandé, sinon ordonné par l’hystérie régnant actuellement au sein du Congrès des États-Unis.

Bien entendu, tout cela est de l’argutie presque surréaliste au regard de l’évolution flagrante du Système dans un monde complètement réinterprété sous la forme d’unenarrative. (Bien entendu, nous mettons dans le concept “Système” tout ce qui en dépend, et notamment les géants de la Silicon Valleytransformés en censeurs, que nous symbolisons par l’acronyme GAFA.) Mais cette narrative, justement, prétend dire le vrai et répondre à la loi, ce qui implique effectivement la possibilité d’actions juridiques qui ne feront qu’accentuer la confusioncréée par le développement d’un fantastique réseau de communication (l’internet) au départ (et en principe toujours) caractérisé par une complète liberté du contenu de ce qui est “communiqué”. Le problème est, comme on pourrait dire, que “le ver est [déjà] dans le fruit”, du point de vue du Système ; le “ver” étant l’ensemble considérable de la presse alternative, ou antiSystème, qui s’est développée au sein d’internet justement... Comme purger internet ? Comment chasser le ver du fruit ?

Car le ver doit très vite trouver une/plusieurs manières de rester dans le fruit et d’en profiter encore plus, tout en affichant plus que jamais sa dénonciation du poison que diffuse ce fruit... D’abord, il y a diverses pistes alternatives qui se sont développées depuis plusieurs années, avec des “plateformes” offrant des services sans la moindre activité de censeur, et faisant même de cette caractéristique un argument en leur faveur. Il faut faire confiance, en bon antimoderne qui sait apprécier les qualités de la postmodernité, aux capacités modernistes de développement d’une technologie qui a vu réussir un nombre considérable d’initiatives hors des normes pour franchir des obstacles érigés par des autorités quelconques. Un article récent (6 août 2018) de Spoutnik-français indiquait diverses possibilités de trouver des alternatives à Google, l’espion officiel du DeepState et le fournisseur fidèle de la NSA : « Google a pénétré dans tous les domaines de votre vie et vous ne pouvez plus imaginer votre existence sans ses produits ? En même temps, vous avez l’impression qu’il en “sait” beaucoup trop sur vous, ce qui vous préoccupe ? Voici donc des alternatives qui vous permettront d’y renoncer. »

Alex Jones et son site Infowars.com, et ses centaines de milliers, ou millions selon l’hyperbole qu’on adopte, de spectateurs-lecteurs, sont déjà sur le sentier de la guerre pour développer des moyens de poursuivre par d’autres moyens, en brandissant vélocement des hashtag de guerre #FreeInfowars et #IamAlexJones... Depuis, d’autres ont été frappés, notamment par Twitter, notamment dans les milieux libertariens. L’attaque fait l’objet ce jour mêmed’un long commentaire de Justin Raimondo, libertarien dans l’âme, qui appelle à se rassembler autour d’un système internet fonctionnant selon les seules règles de la liberté du marché : « Relever le défi des petits-Maîtres de l’internet ».

Même WSWS.org, lui-même victime d’actions de censure de Google, a été obligé de parler de l’action contre les extrémistes-complotistes-fascistes-populistes d’Infowars.comqu’il déteste, du bout de ses lèvres trotskistes et trois jours après l’attaque, – mais il faut bien en dire un mot à la fin, qui comprend d’ailleurs une remarque intéressante qui me permettra de poursuivre.. Quoi qu’il en soit, admirez la rhétorique “ils ont attaqué Alex Jones pour mieux pouvoir nous attaquer, nous la vraie gauche trotskiste qui sommes leur cible principale” ; elle permet d’éclairer la confusion totale caractérisant la situation générale, confusion qui favorise selon mon expérience bien des échappées audacieuses et constructives malgré l’idéologisation entêtée, dont on a ici un exemple excellent et convainquant :

« Cette semaine, Apple, Facebook, YouTube et Spotify ont tous supprimé ou bloqué le contenu du théoricien des complots d’extrême droite Alex Jones, censurant ses podcasts, ses vidéos et ses livestreams. Les sociétés ont justifié leurs actions en prétendant que Jones avait violé leurs politiques contre les “discours de haine” et le “harcèlement”. Les actions de ces sociétés sont marquées de l’hypocrisie et de la mauvaise foi. Quelle que soit leur justification, il n'en reste pas moins qu'une telle censure constitue une violation fondamentale de la liberté d'expression.

» La longue expérience a montré que la censure politique exercée par l’État et les entreprises ne nuit pas à la droite fasciste, mais la renforce en grossissant ses affirmations absurdes d’opposition à l’État et à l’establishment politique. La censure de Jones par les géants de la technologie a reçu une large couverture dans tous les grands journaux et réseaux de télévision, qui ont largement ignoré la censure des organes d'information de gauche. L’extrême droite bénéficie en outre d’un soutien aux plus hauts niveaux de l’armée, de la police et de l’État.

» La censure de l'extrême droite crée un précédent politique pour la censure des mouvements politiques de gauche – la cible principale. Cela justifie la fausse équivalence morale entre le fascisme et l'opposition de gauche au capitalisme, affirmant que les deux représentent des “extrémismes” politiques. De tels amalgames réactionnaires sont utilisés en Europe et en Australie pour mettre en œuvre des atteintes aux droits démocratiques... »

Mais non, enfin ! L’essentiel est ailleurs : il est dans ce que, par cette action, le Système est en train de créer officiellement une “dissidence”, en reconnaissant l’existence de ses adversaires, en rendant compte de la force des coups qu’il lui portent. Comme le gémit WSWS.org, il fait la pub d’Alex Jones auprès des amateurs ; mais les coups portés déjà par Google, ont fait aussi, dans les milieux qui vont bien, la pub du site trotskiste, – ou disons la notoriété, pour faire dialectiquement plus chic.

... “Dissidence” naturellement, exactement comme un rappel de ce que fut le système du Samizdat dans l’URSS finissante, dans la période pourrie du brejnévisme conduisant à la rupture gorbatchévienne. En juillet 1999, à la lumière de ce qu’avait été l’information durant la guerre du Kosovo, la référence du Samizdat (voir « Notre Samizdat globalisé » du 10 juillet 1999 et « Notre Samizdat globalisé (suite) » du 31 mai 2004) me vint naturellement pour qualifier les premières manifestations de la presse alternative dans l’internet à ses débuts.

Je me suis bien amusé dans Frédéric Nietzsche au Kosovo à reconstituer le théâtre de l’absurde, du montage et de la narrative que fut la guerre du Kosovo, dont le principal théâtre d’opération se trouvait dans la salle de presse du siège de l’OTAN, à Evere, banlieue de Bruxelles. La naissance de la dissidence à l’Ouest ne ressemblait en rien du tout à celle du Samizdat en URSS, qui offrait une toute autre allure, beaucoup plus parcellaire, artisanale, chaleureuse aussi, avec ses relais en Europe, notamment à Bruxelles où j’ai très bien connu le principal relais des Cahiers du Samizdat (Voir notamment la note [1] du texte du 24 décembre 2014). Mais l’esprit est le même : je crois que cette attaque officielle du Système contre tout ce qui n’est pas lui, de l’impie Alex Jones au vertueux WSWS.org qu’importe, et en passant par d’autres bien entendu, établit comme “officiellement” le fait antiSystème. On y trouve, comme dans tout (comme dans les rescapés du Samizdat tels qu’ils apparurent après 1989-1991), à boire et à manger, et autant d’amertume que d’heureuses surprises. Mais je ne parle ici que de la symbolique du plus haut niveau, la symbolique métahistorique, qui salue la naissance de l’officielle “dissidence” du Système, comme le Samizdat saluait l’opposition au système soviétique.

Pour le reste, je vous concède qu’il y avait une grande différence entre les gens du Samizdat, qui croyait à nos propres vertus, à nous autres à l’Ouest, et la “dissidence” d’aujourd’hui qui n’a pas cette sorte de référence. Mais tout bien pesé, c’était tout de même une perspective similaire : les Samizdat qui comptaient vraiment s’aperçurent vite, une fois l’URSS liquidée, qu’il leur faudrait affronter une nouvelle “dissidence”, cette fois contre le Système puisque l’Ouest n’était qu’un simulacre. Même un Volkoff, que j’avais connu si complètement anticommuniste qu’il en état proaméricaniste, reconnut, sur la fin de sa vie, qu’il existait quelque chose qui, après la mort de l’URSS, équivalait bien à l’IURSS en fait de nocivité.

Aujourd’hui, l’enjeu est clair : le simulacre en est bien un, et ne fait qu’un avec le Système, et la “dissidence” est notre sort commun. Lourde tâche mais de plus en plus débarrassée de ses ambiguïtés, de ses illusions, de ses chicaneries (malgré les évidences trotskistes). Personne ne se faisait vraiment d’illusion mais je crois qu’en sortant du bois comme ils l’ont fait pour faire œuvre de Censeur Suprême, ils se sont mis imprudemment à découvert. Les dieux ne le leur pardonneront pas et même le Diable va commencer à les considérer comme des connards maladroits, – une catégorie particulièrement détestable.