Gauche postmoderne & “harcèlement sexuel”

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Gauche postmoderne & “harcèlement sexuel”

Encore une fois, nous prendrons comme référence “nos amis” de WSWS.org, le site de la IVème Internationale trotskyste qui rassemble dans un texte fouillé et très documenté, une remarquable exposition de la vigueur et de la quasi-démence de la campagne contre le “harcèlement sexuel” aux USA. Pour WSWS.org, il s’agit d’une campagne relevant du McCarthysme sans nul doute, et cela est l’occasion, pour le site trotskiste, d’une interprétation politique non moins remarquable.

La première démarche (le McCarthysme) est remarquable par sa justesse impitoyable, la seconde (l’interprétation politique) par sa fausseté capitale. Ainsi retrouve-t-on la contradiction poussée à l’extrême par la qualité du travail de WSWS.org de cette gauche extrême mais classique et qui se veut antiSystème, dénonçant les méfaits épouvantables du Système dans le chef de l’hypercapitalisme (et du progressisme-sociétal !), et transformant complètement le cas par inversion complète du fondement logique du “cause-à-effet” et de la confusion “comment-pourquoi” pour sauver la doctrine.

Le titre complet du texte que nous reproduisons ci-dessous est déjà une indication, et sa longueur extrême (nous le raccourcissons, plus bas) est bien l’indice de la difficulté et, peut-être, d’une gêne inconsciente, à ainsi distordre la logique pour sauver l’idée : « Les intentions politiques répressives derrière la campagne contre le “harcèlement sexuel” plus évidentes que jamais ».

Contrairement à l’Europe (la France) où la campagne féministe (insistons sur le qualificatif) contre la “répression sexuelle” nécessitée selon ses opérateurs par le “harcèlement sexuel“ masculin est dans une phase plus apaisée (avant qu’elle ne soit relancée, sans aucun doute) après l’affaire Tariq Ramadan (qui n’est pas close, certes), aux USA la campagne ne cesse de se développer. Elle le fait dans le domaine quantitatif avec une intensité soutenue, par des dénonciations nouvelles, des sanctions nouvelles prises contre des personnalités ; mais aussi avec une montée à l’extrême extraordinaire dans les propositions de ce que nous désignons, selon l’approche sociétale, comme le “parti féministe”. Car ce “parti féministe” évoluant à très grande vitesse vers ses extrêmes se veut absolument progressiste, sociétal, postmoderniste, etc., c’est-à-dire “de gauche”, – et éventuellement mais fondamentalement castrateur, ce qui coupe net, si l’on peut dire, à toute discussion...

Le texte nous donne des exemples effectivement extraordinaires d’auteurs publiant, pour un tel dans le New York Times, pour tel autre dans le Sunday Times. Pour ces auteurs, que personne dans le monde du Système n’a démenti officiellement ni n’a en aucun cas fustigé, et dont la publication dans de telles institutions de la presseSystème donne toutes les apparences de l’honorabilité, la démarche de “défense” des femmes contre les “agressions sexuelles” des hommes se conclue simplement dans la proposition nette et définitive de l’autocastration :

« ... [N]otamment l’article dément de Stephen Marche publié dimanche dans le New York Times sur la brutalité de la libido masculine, et dans lequel l’auteur déclare que l’autocastration, rien de moins, peut être une réponse au problème. »

Lorsqu’il faut embrasser cet activisme maximaliste (dénonciation) et démentiel (le paradis de l’autocastration), le commentateur trotskiste trace une perspective générale d’analyse et réintroduit la qualification tant attendue, – “de droite” ! – qui nous ramène aux années heureuses de la décennie des années 1930, lorsque le monde était fameusement divisé, vice contre vertu, entre fascistes “de droite” et “antifascistes” de gauche : « Cette croisade est devenue depuis une opération ouvertement de droite dégageant une odeur toujours plus prononcée de réaction et de répression. De façon extraordinaire, des incidents survenus dans l’industrie du divertissement se transforment maintenant en un appel à la restauration de contrôles stricts sur l’activité sexuelle. » (C’est nous qui soulignons par l’emploi de gras.)

Parvenir à mettre quelque chose “de droite” dans cette affaire relève soit de la magie, soit de l’embarras grandissant devant tout ce qu’on découvre qui, comme autant de poubelles plus ou moins de l’histoire, – s’entasse “à gauche”... C’est-à-dire, les vieilles barbes traditionnelles (!), dont tout ce qui relève du marxisme de la modernité du XXème siècle, trotskistes en tête ; aussi bien que les nouveaux-venus post-modernes, antiracisme, féminisme, multiculturalisme et autres “genres” variés, ou LGTBQ si l’on veut. Que les trotskistes, comme bien d’autres, relèvent dans ce que nous nommerons “la crise du harcèlement” une force évidente de McCarthysme, c’est-à-dire une vague de délation, c’est l’évidence. Mais justement, le McCarthysme n’est pas “de droite”, il est universel, et pour cette raison il serait bien préférable de désigner ce phénomène comme une crise de délation collective.

(La dénomination de McCarthysme est trop datée, et qui plus est, à cause de ce qu’on est automatiquement et inconsciemment conduit à penser qu’était le sénateur McCarthy, républicain opportuniste dont on oublie si souvent qu’il avait commencé sa carrière à gauche, en bon rooseveltien, – le fait de dire “McCarthysme” sollicite nécessairement la classification d’un phénomène “de droite“, – chose absolument contestable. Nombre de libéraux [progressistes] US ne se génèrent nullement pour soutenir le McCarthysme au temps de McCarthy, et même avant McCarthy, à la fin des années 1940.)

Cela est le vrai, aux USA comme ailleurs : la “chasse aux sorcières” des origines (à Salem, notamment) est l’enfant de l’esprit puritain, c’est-à-dire du protestantisme qui n’est pas précisément de droite. Le “Politically Correct” aux USA et “politiquement correct” en France (PC), qui est une campagne de délation commencée dans les années 1980, est absolument à gauche ; comme sont à gauche ceux qui affirment qu’un tel et un tel est pro-Trump ou pro-FN, etc. En France même, on vit deux campagnes de délation se succéder directement au même propos, de l’Occupation (1940-1944) à la Libération (1944-1945), – “la gauche“ succédant à “la droite“, et parfois avec les mêmes passant de “la droite” à “la gauche“.

Les LGTBQ actuels, prolongement maximalisé du PC, sont évidemment “de gauche“, sous l’étiquette que nous affectionnons de progressisme-sociétal. Il s’agit d’un McCarthysme qui s’est affublé d’une dimension supplémentaire. Le McCarthysme, ou délation, ne dispose d’aucun degré de gravité dans l’acte, d’aucune nuance offensive : il dénonce, il donne un nom, de celui qui n’est pas en conformité à une règle, une mode, un conformisme, un courant de pensée, etc. Mais les LGTBQ, et pour notre cas les féministes, ont une gâterie en plus : outre de dénoncer, ils proposent des mesures de plus en plus radicales pour, littéralement dans ce cas, arriver aux propositions définitives de “changer l’homme” du point de vue du genre, passer du pénis hard (érection) au pénis soft (“pénis flasque”, effet de l’autocastration), – et ainsi la délation n’aurait plus de raison d’être, ou la vertu par le bistouri...  C’est cet aspect “dément” que traite prioritairement le texte de WSWS.org et l’on ne voit rien là-dedans, dans ce féminisme extrémiste qui puisse se prétendre “de droite” selon la signification que lui attribue WSWS.org.

Le problème pour WSWS.org, problème exacerbé parce qu’il s’agit de trotskistes purs et durs mais qui vaut pour nombre de courant “de gauche”, est que toute la dynamique progressiste-sociétale/LGTBQ qui est incontestablement postmoderne et “de gauche” rencontre complètement le Système, et l’hypercapitalisme qui en est sa transcription économique. La cause de cette rencontre, s’il faut en rester aux étiquettes, est simplement que le Système et l’hypercapitalisme, par leurs tendances déstructurantes et dissolvantes, par leur opposition à l’identité et à tout engagement principiel, ont pulvérisé leurs apparences ces vingt dernières années et se positionnent eux-mêmes “à gauche” et même à l’extrême de “la gauche”. Le philosophe américain (et non-américaniste) Matthew Crawford observe : « Il y a une affinité profonde entre l’économie néolibérale [notre hypercapitalisme] et la ferveur morale avec laquelle les progressistes cherchent à effacer les différences de genre (à mettre en relation avec l’effacement des frontières nationales). Ce que l’économie managériale veut, ce sont des Homo sapiens interchangeables, qui rêveraient en espéranto et seraient malléables face à un lieu de travail androgynisé. »

On comprend son embarras : WSWS.org, c’est-à-dire la dernière gauche “pure et dure” anticapitaliste pour de vrai, qui fait bien son boulot et qui y croit toujours, se trouve placé devant l’alliance évidente de la gauche progressiste-sociétale et de l’hypercapitalisme, où la gauche progressiste-sociétale se réalise pleinement en adorant l’hypercapitalisme, tandis que WSWS.org continue à vouer aux gémonies l’hypercapitalisme en le rêvant, comme dans les années 1930, “à droite”. La passage, dans l’article, à l’époque du “Code Hays” de censure à Hollywood est un signe de cette nostalgie.

(Le parallèle fait dans l’article entre le “Code Hays“ censurant le contenu des films à Hollywood et l’actuelle crise n’a guère de sens. Dans les années 1930, il s’agissait d’aligner le contenu des films sur une morale approximative, mais surtout, essentiellement, sur une morale optimiste face à la dévastation catastrophique de la grande Dépression. Rien de semblable aujourd’hui : il n’y a pas de Hays pour faire le ménage à Hollywood puisque ce sont des actrices qui s’en chargent, qui ont coulé le producteur pro-sioniste et “de gauche” mais très respectueux du Système Weinstein, et quelques autres. Personne ne met en cause la production hollywoodienne qui, malgré certaines audaces, est extrêmement respectueuse des quotas LGTBQ, promeut à 100% les valeurs progressistes-sociétales, éprouve pour Trump une haine à 120% et ainsi de suite...)

Il y a bien inversion “cause-conséquence”, car l’hypercapitalisme n’est nullement la cause de tout ce chambardement : la “gauche” progressiste-sociétale/LGTBQ va au bout de sa logique (cause), et elle attend les bras ouverts, puis y est rejointe par l’hypercapitalisme qui y trouve tout son avantage (conséquence)... Quant à la confusion “moyen-but”, on voit bien que le McCarthysme (la délation) n’est pas “de droite” comme s’il était le but en soi d’un régime “de droite”, caractérisé par la délation ; il est un moyen, utilisé universellement (“gauche” et “droite”) comme la délation elle-même, et dans le cas qui nous occupe le moyen pour la “gauche” progressiste-sociétale d’amener toute “la gauche” à épouser sans complexe ni retenue l’hypercapitalisme qui s’est complètement “gauchisé”.

Pauvre WSWS.org qui fait bien son travail et qui y croit encore : son embarras n’est pas loin d’être de la confusion... Quoi qu’il en soit, voici le texte (30 novembre 2017, version anglaise originale du 28 novembre 2017) avec beaucoup de précision, et avec un titre initial (« Les intentions politiques répressives derrière la campagne contre le “harcèlement sexuel” plus évidentes que jamais ») raccourci en gardant l’essentiel : il y a bien “répression politique” derrière le “harcèlement sexuel”, mais elle n’est nullement “de droite” ; nous dirions plutôt qu’elle est “de gauche” contre les éléments “de gauche” qui n’ont pas encore compris que, pour “la gauche“, comme disait le brave Dylan, “The Times They Are a’Changing, – et qu’il est temps de laisser ces dames-les-féministes (“à gauche”) faire comme elles l’entendent...

dedefensa.org

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Intentions répressives derrière le harcèlement sexuel

Le torrent d’allégations et de dénonciations d’inconduite sexuelle contre des personnalités médiatiques, des personnalités hollywoodiennes et des politiciens continue d’affluer sans relâche. Rien ne semble plus obséder la classe moyenne supérieure aux États-Unis, sauf peut-être Vladimir Poutine. Entretemps, les masses populaires aux États-Unis vivent leur vie dominée par des problèmes économiques et sociaux.

La présente campagne n’a rien à voir avec la protection des femmes – et surtout pas des femmes de la classe ouvrière – contre le harcèlement sexuel, sans parler de la violence criminelle et autres formes d’exploitation et de répression qu’elles vivent. Avec chaque jour qui passe, les intentions politiques réactionnaires, antidémocratiques et socialement et politiquement répressives de la campagne actuelle menée par les médias deviennent de plus en plus explicites.

Quiconque suffisamment aliéné ou naïf pour s’être fait avoir devrait reprendre ses esprits avec toute la saleté qui émerge maintenant, notamment l’article dément de Stephen Marche publié dimanche dans le New York Times sur la brutalité de la libido masculine, et dans lequel l’auteur déclare que l’autocastration, rien de moins, peut être une réponse au problème.

La campagne contre l’inconduite sexuelle a commencé dans le Times et le New Yorker avec les présumés méfaits de Harvey Weinstein. Tout le monde peut probablement être induit à détester ce gros magnat d’Hollywood. Mais tout cela s’inscrivait simplement dans un processus d'acclimatation en vue de prendre les gens au dépourvu.

Cette croisade est devenue depuis une opération ouvertement de droite dégageant une odeur toujours plus prononcée de réaction et de répression. De façon extraordinaire, des incidents survenus dans l’industrie du divertissement se transforment maintenant en un appel à la restauration de contrôles stricts sur l’activité sexuelle.

Dans une inhabituelle chronique du Washington Post, « Let’s Rethink Sex» (Repensons le sexe), Christine Emba explique à ses lecteurs ce qu’elle considère être un malentendu commun, à savoir « qu’il y aurait une certaine quantité de sexe que nous devrions obtenir ou que l’on devrait du moins être autorisé à poursuivre. Suite à cela vient l’hypothèse que la capacité de poursuivre et de satisfaire nos désirs sexuels... est primordiale. »

Emba poursuit en expliquant que « puisque les excès de notre éthique sexuelle actuelle se heurtent à leurs conséquences, un réajustement inconfortable devra se produire. S’adapter à cette nouvelle compréhension peut signifier moins de sexe pour certains, à court terme, et plus d’anxiété pour plusieurs. Dommage… ». Puis elle conclut : « Nous ne mourrons pas d’avoir moins de sexe (en effet, cela n’est jamais arrivé à qui que ce soit). D’une certaine façon, les gens trouveront toujours des moyens de se rencontrer, de s’accoupler et de propager l’espèce. Si vous êtes une personne décente, la perspective d’une éthique sexuelle plus claire et plus restreinte ne devrait pas vous effrayer. »

L’argument selon lequel la répression sexuelle « n’a jamais tué personne », et qu’en fait que cela pourrait être un bien positif, est digne de Cotton Mather. En effet, ce ministre protestant de la Nouvelle-Angleterre puritaine conseillait aux jeunes et aux adultes d’éviter toute stimulation sexuelle et de contrôler les désirs qui «sommeillent dans votre cœur».

Nous pourrions demander qui a nommé Emba, cette ancienne critique du « Hilton Kramer Fellow » au New Criterion, une publication de droite, et dont les écrits ont paru dans la National Review, comme Gauleiter sexuel des Etats-Unis ? Pourquoi devrait-on en effet prêter la moindre attention à ses prescriptions morales misérables et à ses définitions de ce qu’est la « décence »? Il n’est pas difficile de supposer qu’Emba a une pile de “A” écarlates dans son placard prêts à être déployés au besoin.

D’où viennent toutes ces idioties ? Nul doute que de toute cette réaction apparaîtra – à la grande surprise et au désarroi de certains – des efforts pour interdire toutes sortes d’activités sexuelles, y compris les relations extraconjugales, ou la « fornication » pour reprendre les termes d’Emba, le mariage homosexuel et autres formes de sexualité désapprouvées par ces nouveaux Victoriens.

Abordant les choses sous un angle légèrement différent, un commentaire du Sunday Times intitulé « The Unexamined Brutality of the Male Libido » (La brutalité ignorée de la libido masculine) de Marche, un écrivain torontois bien lié aux médias et à l’establishment politique canadien, relève tout simplement du délire.

Marche fait référence à « la nature des hommes en général », au « grotesque de leur sexualité », à « la laideur et la dangerosité de la libido masculine », à « la brutalité implicite de la sexualité masculine» et cite la thèse de la « féministe radicale » ultraréactionnaire Andrea Dworkin selon laquelle « le seul sexe entre un homme et une femme qui peut être entrepris sans violence est le sexe avec un pénis flasque. » Marche poursuit en invoquant, du fait de son contexte, l’exemple du « grand théologien catholique Origène (qui vécut au IIIe siècle après J.-C.) qui s’est castré. »

Par la suite, Marche poursuit l’élaboration de son mythe et de son conte de fées à propos de la « peur de la libido masculine», expliquant qu’«un vampire n’était qu’un homme puissant de l’ancien temps avec une faim insatiable pour la jeune chair » et rajoutant que « les loups-garous n’étaient que des hommes perdant régulièrement le contrôle de leur nature bestiale ».

Impliquant que le sexe est une maladie, Marche affirme qu’« il ne reste plus aucun remède au désir humain ». Que devrait-on faire alors? Faisant référence à Freud, il écrit: « L’idée du complexe d’Œdipe contient comme argument implicite la nécessité d’une répression acharnée: si vous laissez les garçons être des garçons, ils finiront par assassiner leur père pour coucher avec leur mère. »

Mais tout ce délire ne s'arrête pas là. « L’ère post-Weinstein sera une ère de pessimisme sexiste », car il se pourrait bien qu’il n’y ait « pas de réconciliation possible entre les idéaux propres et brillants de l’égalité des sexes et les mécanismes du désir humain ». Prenant un autre chemin qu’Emba, Marche n’en arrive pas moins à la même destination, proclamant triomphalement que « la morale sexuelle, à laquelle résistent depuis longtemps les libéraux, revient avec un esprit de vengeance », et, avec une satisfaction évidente, il souligne que « nous revenons à la honte comme forme sociale primaire de contrôle sexuel ».

Marche conclut plus ou moins comme suit : « Si vous voulez être un homme civilisé, vous devez réfléchir à ce que vous êtes. Prétendre être quelque chose d’autre – une quelconque fiction que vous préféreriez être – n’aidera en rien. Ce n’est pas la morale, mais la culture – le fait d’accepter notre monstruosité et de vivre avec – qui peut nous sauver. » Un tel aveu évoque des images de moines se flagellant et s’immergeant dans l’eau glacée et diverses formes d’automutilation. Marche argumente explicitement que l’enjeu ici est la suppression de la libido masculine.

Cette haine contre lui-même est-elle une prise de position conçue pour s’attirer les faveurs de la foule partisane de la politique du genre ou est-elle authentique ? Peut-être que seul M. Marche peut répondre à cette question. Mais quelle que soit la réponse, ses idées malades et pourries n’en sont pas moins publiées dans le New York Times. Seules les intentions politiques les plus profondément réactionnaires peuvent utiliser des conceptions aussi toxiques.

Le mépris des droits démocratiques dans la campagne contre le harcèlement sexuel apparaît de plus en plus clairement.

De plus en plus, les commentateurs expriment le plus grand manque d’intérêt qui soit quant à l’innocence ou la culpabilité des accusés.

Ainsi, Emily Lindin, chroniqueuse de Teen Vogue, explique sur Twitter : « Je ne suis pas le moins du monde préoccupée par le fait que des hommes innocents puissent perdre leur emploi suite à de fausses accusations d’agression sexuelle ou de harcèlement», puis renchérit par la suite : « Si la réputation d’un homme innocent doit prendre un coup dans le processus pour défaire le patriarcat, c’est un prix que je suis absolument prête à payer.»

Olivia Goldhill quant à elle a titré un article dans Quartz « Naming abusers online may be “mob justice” but it’s still justice. » (Nommer les agresseurs en ligne est peut-être une “justice populaire”, mais c’est quand même de la justice). Goldhill ne semble pas comprendre que l’expression « justice populaire » signifie justement l'absence de justice.

En ce qui concerne les protestations contre les dénonciations de type maccarthystes, Roxane Gay dans le New York Times se plaint amèrement qu’il y ait « beaucoup de tergiversations à propos de la diffamation et de l’éthique de la divulgation anonyme ».

Chez Splinternews, Isha Aran suggère qu’«à la lumière de la campagne #MeToo sur les médias sociaux où des dizaines de femmes de tous les milieux partagent leurs expériences de harcèlement et d’agression, le fait même d’évoquer le concept de fausses accusations est inopportun et grossier.»

Encore une fois, tout cela vient d’une partie très aisée de la population, qui cherche à tirer profit de circonstances dites souffrantes pour accumuler des richesses encore plus grandes.

Des décennies de réaction idéologique et politique sous-tendent ces notions réactionnaires, mais aussi beaucoup d’ambitions.

Comme l’explique l’avocate et écrivaine Jill Filipovic, sur le site Internet de NBC News : « Nous devons faire pression pour un réel pouvoir féminin – pour que les femmes prennent la place des nombreux hommes qui sont actuellement au sommet de presque toutes les industries. Certes cela n’empêchera pas totalement les abus, mais cela les diminuera certainement. »

Cette défense et cette poursuite de la richesse ne peuvent avoir lieu que dans la mesure où la loi et l’ordre bourgeois sont maintenus, que l’opposition politique est détournée ou contenue. C’est là l’une des voies de la répression généralisée.

Il est tout à fait approprié de qualifier cette campagne de chasse aux sorcières sexuelle, au sens politico-juridique du terme. Le dictionnaire Collins en ligne définit la chasse aux sorcières (britannique) comme «une campagne rigoureuse pour rassembler ou exposer des dissidents sous prétexte de sauvegarder le bien-être public» et (américain) comme une «enquête menée ostensiblement pour découvrir la déloyauté, l’activité politique subversive, etc., généralement avec beaucoup de publicité et souvent en s’appuyant sur des preuves non concluantes et en capitalisant sur la peur du public à l’endroit des opinions impopulaires.»

Or si l’offensive contre les opposants politiques n’a pas encore commencé, ça ne saurait tarder u!

Le Code de production d’Hollywood, qui se référait principalement aux comportements sexuels et antisociaux de toutes sortes et qui ne mentionnait jamais la politique ou la lutte des classes, a été strictement appliqué le 1er juillet 1934. Cette année-là avait été exceptionnellement explosive, dominée par trois grèves largement suivies et dirigées par des socialistes de gauche, des trotskystes et des membres du Parti communiste – à savoir les grèves de Toledo Auto-Lite, des chauffeurs de camion de Minneapolis et des débardeurs de San Francisco.

L’application du Code en plein milieu de la Dépression reflétait incontestablement la nervosité généralisée et bien compréhensible au sein de la classe dirigeante à propos de l’effondrement de toutes sortes de tabous moraux et sociaux et des conséquences plus profondes qu’avait une telle rupture. Comme nous l’avons déjà dit il y a quelque temps : « l’imposition du Code de Production était précisément l’un des moyens par lesquels l’industrie cinématographique et ses superviseurs pouvaient veiller à ce que les réalités de la Dépression ne s'expriment pas à l’écran. »

La campagne contre l’inconduite sexuelle est malhonnête à bien des égards. Il y a la prétention ridicule par exemple qu’Hollywood et l’industrie du divertissement sont le reflet général des rapports entre les sexes et professionnels aux États-Unis. Dans le General Social Survey, une enquête menée en 2014, un échantillon aléatoire d’Américains se sont fait poser cette question : « Au cours des 12 derniers mois, avez-vous été harcelé sexuellement par quelqu’un pendant que vous étiez au travail ? » En réponse, 3,6 % des femmes ont répondu affirmativement, ce qui est une baisse par rapport au chiffre de 6,1 % de 2002. Ce n’est certes pas là une statistique définitive d’aucune sorte, mais on est loin tout de même de l’«enfer» décrit par les différents chroniqueurs et experts.

Ces derniers d’ailleurs ne se soucient jamais des conditions de la grande masse de la population américaine ou mondiale, qu’elle soit féminine ou masculine. La pauvreté, la destruction des retraites et des soins de santé, l’itinérance, la crise des opioïdes et le taux de suicide – ou même l’annulation brutale du droit à l’avortement, l’attaque contre les mesures de planification familiale et autres programmes essentiels pour la santé des femmes – ne les préoccupent en effet nullement. Et quand ont-ils jamais protesté contre les massacres en Irak et en Afghanistan, les frappes illégales de drones et les «listes de personnes à abattre»?

Le Parti démocrate en particulier est profondément plongé dans les affaires de crimes sexuels. Aux élections de 2016, la stratégie d’Hillary Clinton pour l’emporter était basée sur l’affaire Brock Turner à Stanford, l’accès aux toilettes pour les personnes transgenres et le « privilège blanc ». Les démocrates ont énormément investi d’efforts dans tout cela, et cela a échoué. Maintenant ils mettent les bouchées doubles. Au « privilège blanc » vient s'ajouter « la sexualité masculine ». Ces idées sont logées dans une section bien précise et privilégiée de la population.

Quiconque étudie les procès des sorcières de Salem arrive à la conclusion qu’il n’y avait pas là simplement une crise d’hystérie collective, mais que des processus économiques et sociaux précis étaient à l’œuvre. Comme le remarque Christopher Bigsby, dans sa préface à l’ouvrage Les Sorcières de Salem d’Arthur Miller, « Salem en 1692 était en pleine tourmente. La Charte royale venait d’être révoquée. Les titres fonciers originaux avaient été annulés et de nombreux autres n’étaient pas encore sécurisés. Tous se regardaient avec suspicion, craignant que leurs terres ne soient réaffectées à leur voisin. C’était aussi une communauté profondément déchirée par des schismes... »

Toute personne voulant sérieusement comprendre l’hystérie sexuelle actuelle doit fouiller sous la surface de la société américaine pour saisir la spécificité de la « tourmente » qui la hante.

David Walsh, WSWS.org