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3649L’un des épisodes les plus mystérieux, les plus fascinants et, à notre sens, l’un des épisodes les plus révélateurs de la Guerre froide est le dossier Stay Behind [SB]/Gladio. Il s’agit du réseau d’agents dormants que l’OTAN, ou la communauté transatlantique, mit en place en Europe occidentale à partir des années 1940 pour organiser une résistance sur les arrières de l’ennemi en cas d’invasion soviétique.
On sait déjà que le Dr. Daniele Ganser, qui travaille en Suisse, est devenu un spécialiste du dossier SB/Gladio. (On a pu lire dans la rubrique Notre Bibliothèque, le synopsis du livre NATO’s Secret Armies de Daniele Ganser, sur la question effectivement SB/Gladio.) Aujourd’hui, nous publions, également dans notre rubrique “Notre Bibliothèque”, une interview du Dr. Ganser réalisée en mars 2005 par le magazine Executive Intelligence Report (EIR), et publiée le 8 avril 2005. (L’interview est accessible sur le site ISN, sur lequel Ganser publie ses travaux.)
L’intérêt de cette interview est divers et embrasse plusieurs sujets, — y compris l’attaque du 11 septembre 2001. Nous avons jugé cet intérêt suffisamment grand pour faire de l’interview le sujet d’une Analyse distincte de sa présentation.
Nous présentons ci-après les divers centres d’intérêt que nous avons pu identifier, — au nombre de quatre.
On note les très grandes difficultés rencontrées par Ganser dans son travail de chercheur. Partout, à l’OTAN, à la CIA, au MI6, les mêmes réponses, qui vont du no comment au “nous ne savons pas de quoi vous voulez parler”.
La Guerre froide est finie depuis 15 ans et les SB étaient liés à cette situation. La question des SB est devenue publique en 1989-90, elle a été traitée comme telle par plusieurs ministres de pays de l’OTAN, elle a fait l’objet de plusieurs enquêtes parlementaires. Dans ce contexte, cette attitude de l’OTAN, de la CIA, du MI6, etc., est extraordinaire. Elle est significative d’une chose, pour Ganser : les SB/Gladio restent beaucoup plus d’actualité qu’on croit. Implicitement, on pourrait avancer l’hypothèse que nombre de leurs réseaux sont encore actifs.
« The core problem really is terrorism. One of NATO's ''new missions'' today is fighting terrorism; look at Afghanistan, Iraq, and elsewhere. But, the SB/Gladio data show that at least elements of some of the ''secret armies,'' in which NATO was involved, were linked to sponsoring terrorism. So, SB/Gladio is a very delicate issue for NATO. So delicate, that NATO simply does not want to talk about it. Some NATO officers did speak off the record on SB/Gladio. Their first point is: What's wrong with preparing for a Soviet attack? But their second point is: If, indeed, there had been links to terrorism, in the sense of Strategy of Tension manipulations, that would be buried very, very deep. »
La connaissance de Ganser du dossier SB/Gladio le conduit à clairement détailler la structure de ces réseaux en deux parties, deux aspects (deux activités), devenus au fil des années extrêmement différents. C’est bien entendu l’aspect le plus intéressant du phénomène, celui qui a fait sa notoriété et qui explique la persistance du mystère qui l’entoure.
« It can be firmly stated that the Stay Behind structures trained for operations after a Soviet invasion and occupation of Western Europe. This cannot be disputed; all my data confirm this. But there's a more difficult, far reaching question: Was there a second function of the SB/Gladio structures? And some sources say: Yes, there was a second function, and this function was to ''influence'' the democracies of Western Europe, irrespective of the threat of a Soviet invasion. So, the one function, which I called the ''post invasion task,'' was a military task within the Cold War confrontation with the Soviet Union; whereas the ''second task'' was a domestic manipulation or ''control'' operation in the absence of an invasion. It was very difficult to pin down the ''second task,'' really. »
Ganser parle d’une “zone grise” entre les deux fonctions de Gladio, disons la fonction respectable et la fonction dégénérée. Historiquement, c’est évidemment l’essentiel du propos : quand et comment la deuxième fonction est-elle apparue, quand et comment s’est-elle développée, etc. Le rapprochement avec la situation actuelle est tentant, notamment avec la polémique autour des activités de la CIA. Un fait important doit être rappelé à cet égard : en 1989-90, quand l’affaire SB/Gladio a éclaté en Italie puis en Belgique, il était manifeste que nombre de ministres n’étaient pas au courant. C’était sans aucun doute le cas du ministre belge de la défense Guy Cöme, qui apprit l’existence de SB/Gladio par la presse italienne. La chose a été plusieurs fois confirmée. Il est très possible que les actuels remous autour des activités de la CIA présentent les mêmes particularités (autorités civiles non informées, au contraire des services de renseignement nationaux) ; cela l’est d’autant plus s’il s’avère que les activités actuelles ont une connexion quelconque avec les réseaux SB/Gladio.
Cela nous conduit au centre d’intérêt suivant de l’interview de Ganser.
La possibilité d’un lien direct ou indirect entre SB/Gladio et l’attaque du 11 septembre 2001 est un des deux points inédits qu’apporte cette interview. Là aussi, le terrain est très glissant, très inexploré, puisque Ganser laisse entendre qu’il est très possible que les structures terroristes des SB ou un modèle s’en rapprochant aient été impliquées, d’une façon ou l’autre, directement ou indirectement, dans l’attaque du 11 septembre. (« People very often ask me: It is very interesting what you write about what happened in the 1970s, but I am living now, what is going on now? My usual answer to that is that SB/Gladio, as such, is not operative anymore, but what obviously is still going on is secret warfare. We have secret warfare going on here and now. »)
Depuis que cette interview a paru (le 8 avril 2005), nous n’avons jamais vu cette hypothèse reprise (et, pour autant, nous ne l’avions pas vue évoquée précédemment, disons d’une façon aussi documentée). Cette absence de réactions est particulièrement étonnante si l’on considère à la fois l’intérêt, la logique et le potentiel considérable de l’hypothèse.
Mais voyons les choses différemment, en fonction de ce que nous savons aujourd’hui de l’extraordinaire contingence de la situation de l’information, de l’angoisse proche de la panique qui habite la plupart des journalistes “officiels” lorsqu’il est question de s’écarter de la ligne officielle d’interprétation de la “guerre contre la terreur” (particulièrement l’explication de l’attaque du 11 septembre). Il devient alors logique de ne pas s’intéresser à une telle hypothèse, de l’ignorer simplement. Quelques mots expéditifs sur le journal qui a publié l’interview feraient éventuellement l’affaire.
D’une façon qui paraîtrait paradoxale mais qui ne l’est peut-être pas tant si l’on considère la façon dont vont les choses aujourd’hui, ce manque d’intérêt pour l’hypothèse devrait être la confirmation de son intérêt, et un pas sérieux vers la considération de sa véracité. (Aujourd’hui, dans 80% des cas, on n’a pas d’intérêt pour cette sorte d’hypothèse par peur du pouvoir américaniste, et, pour les 20% restants, par arrogance et mépris pour les sources qui ne s’affirment pas par un capital à décompter en $milliards. Ainsi va le monde de la liberté de l’information.)
En d’autres mots, l’autre hypothèse sur l’hypothèse “si l’on n’en parle pas, c’est parce qu’elle est très dérangeante ou bien très crédible, et plutôt, d’ailleurs, les deux à la fois”, — cette hypothèse est très acceptable. Si l’on considère l’absence d’écho à cet égard, par opposition au très grand cas qui fut fait de la responsabilité US dans le soutien des moudjahiddines en Afghanistan, notamment ben Laden et ses hommes, on est renforcé dans l’idée que l’hypothèse d’une certaine actualité des réseaux SB/Gladio est très crédible et déstabilisante, et garde une certaine actualité. L’explication de Ganser d’une façon générale pour expliquer la discrétion concernant SB/Gladio est sans doute la bonne : on est discret, sinon muet comme une tombe, parce que la question reste en partie d’actualité à cause des prolongements terroristes aujourd’hui, au contraire de nombre de situations datant de la Guerre froide.
Cela nous renforce dans ce jugement général, autant alimenté par l’expérience que par l’intuition. Tout, absolument tout ce qui concerne SB/Gladio est du plus grand intérêt et garde une actualité bien réelle pour la compréhension de la situation générale actuelle, avec sa perspective historique de la Guerre froide.
Finalement, le plus intéressant dans l’interview est peut-être involontaire. On le trouve dans la description que fait Ganser des recherches dans les milieux académiques sur l’attaque du 11 septembre 2001. Il expose la situation générale de cette façon : « Academics who study secret warfare find themselves between these three theories LIHOP, SURPRISE, and INSIDE JOB. They all are ''conspiracy theories,'' by the way. Researchers try to find out which theory is best able to account for all the known facts »
Les trois théories sont les suivantes:
• La théorie LIHOP: « Did the Bush Administration deliberately allow the 9/11 attacks to happen, in order to have a pretext for attacking Afghanistan and Iraq, to be able to increase military spending, and to cut back on civil liberties in the U.S.? This is the so called LIHOP theory Let It Happen On Purpose. »
• La théorie SURPRISE: « Or were Bush and his Administration totally surprised by Osama bin Laden, as they claim? This is the so called SURPRISE theory, which dominated the early media reports. »
• La théorie INSIDE JOB: « Or did Osama bin Laden have nothing to do with the attack at all, while conspirators at the Pentagon carried out the operation, as well as the subsequent anthrax attacks? This is the so called INSIDE JOB theory, which builds on the 1962 ''Operation Northwoods'' plans of the Pentagon to blow up planes and stage terror attacks in Florida in order to create a pretext for invading Cuba and overthrowing Castro. »
Ce qui apparaît complètement surprenant par rapport au cas méprisant qui est fait habituellement fait dans la grande presse officielle et les milieux politiques courants (et complaisants) de tout ce qui n’est pas la version officielle (SURPRISE), c’est justement que SURPRISE est considérée ici comme une version parmi trois versions plausibles, — mais pas plus plausibles que les deux autres, après tout. Peut-être moins, d’ailleurs, si l’on considère le cas que Ganser fait de l’administration GW Bush : « The Kean report is poor, no doubt. Does that mean that SURPRISE is dead? Not necessarily. All three theories are still in the air and require further testing. The problem is, however, that trust in the White House has been decaying rapidly during the last years. When President Bush and Vice President Cheney were saying Saddam Hussein was behind 9/ 11, experts were quite surprised that the White House could so recklessly spread such a far reaching lie. I mean, we have had more than 100,000 civilians killed so far in the war in Iraq, so this issue is extremely serious. Then we had the ''Niger Uranium'' story, yet another lie, as former U.S. Ambassador Wilson showed. And now the Kean report on 9/11, which looks like a coverup. All that is not reassuring at all.
» Academics in the U.S. and across the globe must make a real effort to break through such a web of lies, but that will be difficult, above all because many have simply settled for SURPRISE without knowing the debate at all. »
Un autre élément fourni par Ganser pour nous permettre d’apprécier le cas qu’il fait de l’administration Bush et de ce que celle-ci produit, c’est son jugement sur l’enquête officielle sur l’attaque 9/11, travail mené par Thomas Kean et Philip Zelikow : « So most of us waited to see how the official U.S. investigation into 9/11, the Thomas Kean and Philip Zelikow report, would deal with these three theories. But unfortunately, the 600 page report, published in July 2004 and accepted by Bush as the ''official story'' of what happened in respect to 9/11, does not even mention the LIHOP and INSIDEJOB theories! It presents SURPRISE as the only possible explanation.
» Now, Philip Zelikow is a respected professor of history; as a fellow historian I was therefore very surprised to find that his report is totally unbalanced. Of course, Zelikow is aware of the LIHOP and INSIDE JOB theories, no doubt. How can he author a book on 9/11, which claims to search for the truth, but which totally ignores these theories? He could of course have presented them to the reader and then deconstructed them with the facts available. That's the normal academic procedure; that would have been all right. But in the utterly unbalanced way this book has been written, it could not be accepted as a Ph.D. thesis or maybe not even as a Masters thesis at a university. »
Nous voici avertis: qui fait un travail de recherche sur 9/11 et ne mentionne ni LIHOP, ni INSIDE JOB, produira quelque chose qui ne serait même pas acceptable comme simple thèse universitaire. Cette façon de voir est totalement, radicalement différente de la vision courante. On le sait, cette “vision courante” conduit à considérer comme un fou, un gugusse ou un agent du terrorisme international, au choix, toute personne qui considérerait une autre version que la version officielle, estampillée par l’administration GW. C’est une surprise majeure de cette interview, qui doit être considérée comme un élément important pour considérer les événements de l’attaque du 11 septembre et depuis, compte tenu de la personnalité qui émet ces jugements.
A noter enfin, dernier élément, quelques mots à propos de EIR, qui publie l’interview. Cet hebdomadaire fait partie du groupe de Lyndon Larouche, personnage officiellement complètement discrédité, régulièrement traité de fasciste ou de fou, c’est selon. Premier constat : ce n’est pas la première fois que nous constatons la qualité du travail de EIR, quelle que soit la réalité du personnage de Larouche. Deuxième constat : si le jugement sur Larouche est de la même qualité que celui qu’on porte sur les opinions dissidentes sur l’attaque 9/11, à la lumière de ce qui a été dit ci-dessus, il y a beaucoup à penser.
L’appréciation qu’on a de ce texte doit donc être complétée par un dernier constat. Cette interview est à lire et à méditer comme un élément général très éclairant sur la complète déformation de la réalité historique qui règne aujourd’hui du côté de toute affirmation officielle, et du relais qui en est fait dans ce qui doit être justement nommé “la presse officielle” (comme on le disait de la presse type-Pravda du temps de l’URSS).
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