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418810 mars 2015 – Ce troisième Glossaire.dde-crisis reprend le texte de dde.crisis du 10 avril 2012. Les conditions de cette politique de “reprise” des textes de divers numéros de dde.crisis sont explicitées dans le texte du 28 novembre 2014 dans cette rubrique. Dans le cas présent, nous avons modifié le titre initial du dde.crisis du 10 avril 2012 pour chapeauter l'ensemble, de “destin russe” en “opérationnalisation de la spiritualité” pour mettre en évidence le coeur de la démarche correspondant mieux à l'esprit de la rubrique Glossaire.dde, tout en conservant le titre initial (“Un destin russe”) du texte de 2012, pour le texte lui-même.
En effet, ce texte dde.crisis est extrêmement daté, ce qui le rend encore plus inhabituel par rapport à la formule générale de la rubrique Glossaire.dde : le thème du “destin russe” est développé à partir de l’élection de Vladimir Poutine à la présidence de la Russie le 4 mars 2012, il y a 3 ans à quelques jours près. Cet aspect très “événementiel”, donc très contingent, semblerait le disqualifier pour la rubrique Glossaire.dde; ce n’est pas le cas, nous semble-t-il, dans la mesure où le sujet de cet événement concerne l’“opérationnalisation” d’un concept qui est, lui, le contraire de l’événementiel et de la contingence. Il s’agit d’une tentative de notre part de décrire ce qui nous a semblé être l’introduction du facteur de la spiritualité dans la politique russe, à l’occasion de l’élection de Poutine.
Il ne nous semble pas qu’en trois ans les événements ait démenti cette hypothèse, et il nous semble effectivement que le facteur de la spiritualité est bien présent dans l’affrontement qui a lieu, plus que jamais aujourd’hui et e ce moment, autour de la Russie et à propos de la Russie. Il est présent notamment dans l’affrontement de type “sociétal”, ou de type “civilisationnel”, qui charpente l’antagonisme entre la Russie et le bloc BAO, dont la référence pourrait être aisément décrite comme un antagonisme entre la Tradition et la modernité. On observe effectivement de nombreuses références faites à “la tradition” d’une façon générale, contre la modernité (sous la forme de la postmodernité) perçue comme étant la définition générale de cet antagonisme, parallèlement à l’autre référence qui est celle de l’antiSystème versus le Système.
Un autre facteur qui s’est largement confirmé depuis la rédaction du texte, c’est le rôle absolument massif du système de la communication, sous toutes les formes possibles. Ce rôle permet effectivement d’évoquer une sorte d’“opérationnalisation de la spiritualité” comme il est proposé dans le texte, en même temps que le développement de formes absolument inédites de conflits, — ce que nous présentons en général comme “la guerre nouvelle”, – correspondant elles aussi à tous les caractères mentionnés.
Enfin, on notera la référence insistante, dès cette période fin 2011-début 2012, des possibilités de “révolution de couleur”, devenues depuis “Maidan-en-Russie”, contre la Russie. On voit ainsi la logique de l’enchaînement des faits à partir du retour de Poutine au pouvoir, logique qui n’est pas selon nous le produit d’une machinerie humaine accordé à une sorte de “Grand jeu” antirusse, mais de façon toute différente, le produit de l’activité du Système dans sa phase de surpuissance. Un plan humain aurait choisi des voies plus sécurisées, plus détaillées et mieux préparées, avec une subversion rampante plus élaborée comme l’ambassadeur McFaul avait tenté de faire lorsqu’il était à Moscou en 2012-2013, et n’aurait pas brutalement sauté à l’attaque fondamentale, frontale, extrêmement visible, contre la Russie. (Garder toujours en mémoire la véritable chronologie du tout début de la crise ukrainienne, rappelée notamment par Anatol Lieven, le , avec le rôle complètement erratique des USA, puis le brutal jaillissement de 2014.)
La crise dans ces conditions s’est immédiatement cristallisée en cet affrontement Système versus antiSystème déjà mentionné, et le texte publié ici nous rappelle que nombre de dirigeants et analystes russes en avaient eu la prescience, sans nécessairement identifier la forme et les circonstances du nœud crisique (de la crise). Dans ces conditions, l’appel à la spiritualité, son “opérationnalisation”, ne sont pas seulement un réflexe compréhensible de ce qu’on nommerait l’“âme russe”, il s’agit aussi de l’intuition qu’avec la spiritualité on peut effectivement se préparer à l’affrontement final, et l’appel à la spiritualité signifiant qu’effectivement l’affrontement qui se prépare sera l’affrontement final.
Le texte est suivi d’une partie spécifique dite “Notes du temps présent”, qui constitue notre appréciation critique minimale de ce texte d’avril 2012, en fonction des événements qui se sont déroulés depuis et, éventuellement, de l’évolution de notre pensée à cet égard. Ces notes sont réduites par rapport aux deux précédents Glossaire.dde-crisis parce que le sujet traité est effectivement moins conceptuel que les deux premiers, et donc lié à des événements qui n’ont pas besoin de mise à jours. Cette intervention est présentée de cette façon dans le texte référencé ci-dessus, du 28 novembre 2014 :
«Le texte sera retranscrit d’une façon générale tel qu’il fut écrit et publié à son époque (sauf pour une coquille traînant ici ou là, voire une maladresse formelle d’écriture qui demande réparation). Par contre, il y aura une sorte de “commentaire” venu du “temps présent”, – car la pensée évolue et la contraction du temps nourrit d’autant plus cette évolution, – sous la forme de notes sur tel ou tel point de détail, sur tel ou tel sens d’un jugement, montrant effectivement cette évolution et observant la façon dont cette évolution s’est faite. Il s’agit d’une “actualisation” dans le sens le plus large possible, puisqu’il s’agit aussi et surtout d’une volonté de poursuivre, d’élargir, d’enrichir, de transmuter éventuellement les différents concepts exposés, commentés et documentés. On ne se trouve donc nullement dans le cas systématique d’une reprise d’archives telles quelles, mais d’une reprise d’archives en relation directe avec les événements courants (de notre temps présent), et surtout en relation serrée avec l’évolution de la pensée depuis la publication de ces textes.»
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... Effectivement, c’est un fait extraordinaire qu’une élection qui s’est déroulée comme prévue (l’élection de Poutine en Russie étant archi-annoncée) puisse être qualifiée, par nous-mêmes, comme une “surprise extraordinaire” (1). Il est impératif que nous nous en expliquions.
Pour les commentateurs à l’Ouest, du bloc BAO, mais plus généralement pour les commentateurs du Système tant notre “centre de civilisation” est aujourd’hui totalement sous l’empire du Système, l’élection de Poutine ne pouvait être qu’une vaste fraude dans un univers corrompu, en faveur d’un homme diabolisé et stéréotypé en quasi-dictateur brutal et également corrompu. Notre littérature semble n’être jamais au meilleur d’elle-même que dans le lieu commun institué comme style et comme pensée, c’est-à-dire dans le lieu commun de sous-sol, d’une bassesse révélatrice. Par conséquent, l’élection de Poutine a suscité le commentaire pavlovien général d’un univers pétrifié dans le chaos immobile du Système. Aucune appréciation qualitative n’était à espérer, et nous ne fûmes pas déçu. Les habituelles manigances, type-“révolution de couleur”, exploitant la naïveté de la frange de l’opposition [russe] dite “pro-occidentale”, furent développées avec grand fracas...
(Dans Russia Today, le 2 mars, Tim Kirky définit ainsi cette frange de l’opposition : «A parler franchement, ces Russes ne sont pas très russes, en général ils n’aiment pas grand’chose de leur pays et ressentent un grand sentiment d’infériorité vis-à-vis de l’Ouest qui représente pour eux le modèle parfait de la façon de vivre. Vous seriez stupéfait de savoir combien parmi ces gens avec lesquels j’ai parlé aimeraient que les USA attaquent et contrôlent la Russie parce que “ils feraient un meilleur ‘job’”. [...] Selon mon opinion, tous ces gens qui accordent une très haute valeur à l’Ouest ne connaissent absolument rien de l’Ouest. [...] [Leur] point de vue est finalement une copie naïve et déformée du libéralisme occidentale.»)
Bref, tout cela n’est pas nouveau en soi, mais ce qui est nouveau est que la manigance fut effectivement activée, d’une manière spectaculaire, en Russie. Pour la première fois, il apparut possible qu’un mouvement type-“révolution de couleur”, bien manipulé et efficace, pouvait effectivement conduire à une rupture politique artificielle, s’apparentant à un “coup de force subreptice”. Cette idée-là, fondamentale à notre sens et qui a pris plusieurs semaines (depuis la campagne des législatives de décembre 2011) à maturer et à s’imposer, constitue un événement à la fois temporel et spirituel d’une extrême importance; il l’est pour la Russie, bien sûr, mais aussi pour les rapports de la Russie et du Système, pour le Système lui-même, pour la “crise haute” (2) qui, désormais, caractérise notre situation générale. Rien que cela, – mais certes, pas que cela, – mérite de constater qu’à l’Est, il y a “du nouveau”.
Nous n’entendons certainement pas ici faire le compte-rendu et l’analyse de ce qui serait une politique ou une doctrine précisément énoncées, – même si nous nous référons à des éléments épars qui pourraient eux-mêmes se référer à un tel corpus. Nous entendons exposer ce que nous percevons, par l’expérience de l’analyse certes, mais décisivement éclairée par une approche que nous croyons structurée par l’intuition, – et, nécessairement là aussi, l’intuition haute. Plusieurs points peuvent alors être dégagés, qui nous servirons de guides, de règles, de références dans notre parcours.
• Contrairement à ce qu’on pouvait attendre, et à ce que nous-mêmes pouvions attendre, l’élection présidentielle du 4 mars, qui a donné un résultat sans surprise, a constitué par sa forme une surprise considérable. La chose constitue dans sa forme un évènement considérable; l’évènement lui-même, l’élection présidentielle et le choix de Poutine quasiment acquis dans l’esprit de tous, n’a pas varié dans sa réalisation même; c’est la perception de l’évènement qui a complètement basculé, constituant un bouleversement psychologique considérable, qui influencera formidablement l’esprit et la pensée politiques... Il s’agit de la transmutation d’un évènement politique normal, voire banal (l’élection assurée de Poutine), en un évènement métahistorique aux effets considérables et encore inconnus.
• Dans les dernières semaines de la campagne présidentielle, dans un contexte général d’incertitude, d’apparence de contestation, de manifestations stridentes d’une “opposition” dont nul ne pouvait exactement définir la cohérence tout en soupçonnant certains de ses moyens et les intentions de certains de ses soutiens, la conduite du candidat principal et élu-par-avance a changé. Nous ne pensons nullement qu’il s’agisse d’un acte calculé et délibéré, c’est-à-dire d’un acte tactique, mais bien d’un basculement stratégique de l’esprit, comme l’on passe de l’histoire à la métahistoire. Là encore, il ne nous semble pas qu’il puisse être question de calcul, de conscience, etc., mais d’une poussée irrésistible des nécessités à la fois conjoncturelles et structurelles. Le résultat visible et illustratif en a été l’exposé d’une situation chaotique du monde, largement suscitée par la puissance dominante («La politique étrangère des USA, y compris au Moyen-Orient, est coûteuse, inefficace et largement imprévisible», selon Poutine le 25 février).
• Un autre élément marquant, qui est [évidemment] capital selon notre point de vue, c’est l’apparition d’une dimension spirituelle dans la dialectique de diverses personnalités russes, ou dans diverses circonstances. Il s’agit d’un élément spirituel de représentation de la position russe, de la motivation fondamentale de la politique russe basée sur une appréciation implicite, et parfois même explicite, selon laquelle on se trouve devant un danger représenté, au-delà des aléas des relations internationales caractérisées par l’activisme quasiment nihiliste des USA, par la modernité et les conceptions qui la caractérisent. Cette idée rejoint l’attitude marquée de la direction politique pour le maintien très ferme de principes tels que la souveraineté et l’autorité des gouvernements et des États.
Ayant présenté la scène d’une Russie d’un Poutine-II [sur laquelle nous avons l’intention de dérouler notre analyse de ce Glossaire.dde-crisis], il importe de fixer les règles de ce choix. [...] Notre démarche consiste effectivement à utiliser les évènements de ces temps exceptionnels comme l’on fait d’outils de convenance. Cela se comprend dans cette mesure grandiose où notre conception est que, désormais d’une façon irréfutable, de grandes forces sont à l’œuvre, que nous définissons comme métahistoriques; qu’elles sont à l’œuvre d’une façon presque directe, sans intermédiaire, sans le tamis de l’histoire terrestre parce que l’histoire terrestre tend à disparaître, parce que dans ces temps exceptionnels le temps presse; qu’ainsi, l’abord des évènements en s’en tenant strictement à leur domaine terrestre conduirait à s’attacher à ce qu’ils ont de plus pauvre, alors que la vérité du monde (3) nous conduit au contraire à l’exploration de la richesse de la dimension métahistorique.
Ainsi, aborder la question russe après l’élection de Poutine ne signifie rien de particulier qui aurait la couleur d’un engagement quelconque. Il se trouve, parce que cela est intuitivement évident selon nous, que la Russie a acquis à l’occasion de cet évènement, et à cause de lui, une position extrêmement particulière dans le cours des choses et que cette remarquable particularité la rend directement tributaire de la métahistoire. Ce constat doit être entendu, essentiellement sinon absolument, hors de tout engagement par rapport à l’évènement lui-même. Le fait est que nous en jugeons objectivement, parce que notre position métahistorique nous permet effectivement d’acquérir cette objectivité qui est la traduction “opérationnelle” de la vérité. (4) Notre point de vue à cet égard, explicité dans un texte du 22 mars 2012 sur notre site dedefensa.org, est sans aucun doute que l’objectivité et, par conséquent, la vérité, ne peuvent être rencontrées, ou reconstituées en un sens, qu’en adoptant une position hors du Système, et celle-ci ne pouvant se trouver qu’en épousant le point de vue métahistorique. Ceci rejoint cela (plus haut) : c’est dire que nous sommes, évidemment, loin de tout “engagement” politique terrestre.
...Nous ne sommes pas [...] pro-russe, au sens temporel et rationnel (?) du terme [...]. Nous choisissons simplement les opportunités, là où les fissures les plus béantes dans la carapace et l’hermétisme du Système en plein bouleversement d’autodestruction permettent à la métahistoire d’y faire pénétrer sa lumière, d’éclairer l’évènement, de lui donner son sens le plus haut et, souvent, le plus dissimulé au regard courant. A partir d’un point du monde, d’un artefact, d’une situation, nous entrevoyons le destin du monde...
En nous référant à nouveau à notre dernière livraison où l’un des sujets abordés en tête de la réflexion était bien de nous interroger sur ce fait («Notre méthodologie devient-elle une doctrine?»), avec la réponse déjà évidente («...Poser la question, certes, c’est y répondre ; par conséquent, notre méthodologie vaut d’être expliquée»), nous développons ces observations pour mieux aborder le problème considéré, en même temps que la façon de l’aborder, comme nous abordons désormais tous les problèmes considérés pour les apprécier dans la situation qui importe... Déjà, nous esquissions ce que nous développons d’ores et déjà sur ce sujet, à propos de l’effacement de l’histoire courante, au profit d’une métahistoire directement impliquée, ou d’une “Histoire majusculée”, impliquant le phénomène de “l’accélération de l’histoire”:
«Il s’en déduit, pour notre compte, que cette “accélération de l’histoire”, qui est le résultat du phénomène décrit, transforme l’histoire en une Histoire majusculée, c’est-à-dire une histoire où intervient directement et sur le champ, et quasiment sous nos yeux et pour nos esprits, la métaphysique. L’histoire devenue Histoire est en fait une métahistoire, où les évènements terrestres et temporels, jusqu’aux plus bas, [acquièrent] aussitôt [...] une dimension métaphysique qui peut être distinguée. C’est à ce point, pensons-nous, que notre méthodologie peut prétendre être interprétée, et devenir effectivement une doctrine.»
Dans ce cas, l’exposition de “la question russe” telle que nous l’avons faite pour débuter cette chronique ne peut certes plus être considérée comme une analyse courante, alors que le cadre tracé, de facture très conventionnelle, y inviterait. Ce que nous voulons faire, justement, c’est nous attaquer à ces “cadres tracés” en plus des sujets inhabituels que nous abordons, et pulvériser la “facture très conventionnelle” qui y est associée, pour développer une approche complètement différente; c’est prendre les aspects les plus conventionnels de l’histoire courante et montrer combien, par l’intervention désormais directe de la métahistoire, ces “aspects les plus conventionnels” sont eux aussi complètement transmutés.
Ainsi en sera-t-il, pour le sujet de cette livraison, de “la question russe”, qui devra apparaître sous un jour complètement différent. On comprend alors que nous écartons résolument tous les aspects habituels de la politique et de la géopolitique, qui nous enchaînent à ce qu’il y a de plus terrestre et de plus temporel dans ces évènements, – c’est-à-dire, compte tenu de la situation présente où le Système hermétique domine tout, ce qu’il y a de plus bas. Il est impératif de nous tourner vers l’“intuition haute” pour travailler, en privilégiant l’outil du système de la communication, qui permet par certains de ses aspects (son phénomène de “Janus”) d’accéder à la multiplicité de la perception, à la psychologie décisive des actes, a leur vérité cachée.
Ce que nous voulons mettre en évidence dans le cas russe (nous en viendrons plus aux détails plus loin), c’est le constat, à l’occasion de l’épisode élections législatives (4 décembre 2011)-élections présidentielles (4 mars 2012), de “signes” convaincants, dans un climat russe très spécifique, dans le cadre d’une année qui apparaît comme symbolique d’une rupture, de signes suggérant l’apparition du facteur de la spiritualité dans la spéculation politique générale. Du coup, on le comprend, cette “spéculation politique générale” n’est plus spécifiquement politique, elle est haussée, elle devient métapolitique si l’on veut un pendant logique à la force métahistorique dont nous voyons la manifestation directe. Cela, évidemment, doit nous alerter considérablement, et oriente bien entendu notre réflexion dans le sens de l’hypothèse d’un “tournant profond” (pour reprendre le titre d’un livre de Victor Serge sur l’évolution stalinienne de l’URSS, mais nous-mêmes appréciant un sujet bien plus haut).
Bien entendu, le contexte, le champ de la réflexion est fécond. La Russie est un pays qui a des liens métahistorique puissants avec la Tradition. L’expression d’“âme russe” y a un rôle bien plus qu’anecdotique, voire même plus que symbolique; il s’agit presque d’un facteur métapolitique (métaphysique) qui a sa place naturelle dans le cours de la politique temporelle courante. Enfin, la psychologie russe est sensible à cette dimension, combinant un sens puissant des réalités du monde avec une considération courante pour la dimension mystique, – qu’elle soit fondée ou trompeuse, c’est selon, – qui lui fait considérer les affaires du monde selon une vision réaliste où peut s’intercaler sans aucun dysfonctionnement des éléments supranaturels considérés très rationnellement.
D’autre part, l’histoire tumultueuse et tragique du pays tout au long du XXème siècle, jusqu’à nos jours sans discontinuer, avec des expériences extrêmes où la Russie a côtoyé des manifestations évidentes du Mal en tant que production du “déchaînement de la Matière”, restituent également un cadre adéquat à la possibilité de l’évolution que nous explorons. La Russie a subi tous les effets de la modernité, par le biais de l’idéologie, de l’économie tordue pour correspondre à l’idéologie et de la terreur policière du communisme, de la rapine capitaliste qui suivit la chute du communisme et qui fut un choc peut-être aussi grand pour l’abaissement barbare de cette nation. On pourrait dire que la Russie fut le laboratoire de l’attaque du Mal issu du “déchaînement de la Matière” dans sa diversité, tout au long du XXème siècle, dans ses diverses formes, dans la diversité de ses attentats contre tout ce qu’il y a de structurant et de pérenne.
... La Russie tint pourtant et repoussa la dissolution d’elle-même, montrant par là la puissance exceptionnelle de sa substance historique et de son essence métahistorique. Alors, qui plus qu’elle, qui mieux qu’elle, serait désignée pour tenter de faire appel à la référence spirituelle, dans une réaction de résistance naturellement venue de sa capacité à ne pas se dissoudre dans le Mal? On comprendra que nous soyons particulièrement ouverts aux échos qui pourraient venir dans ce sens, et il nous semble que c’est, aujourd’hui, effectivement le cas.
Effectivement, nous prenons cette expression de “tournant profond”, d’après Victor Serge, pour observer l’histoire russe de ces sept derniers mois, ou, plutôt, la métahistoire russe... Depuis septembre 2011, où Poutine annonce sa candidature, dans l’ambiance délétère d’une sorte d’inévitabilité de son retour, assorti des commentaires venimeux, ou, mieux encore, persifleurs, à la manière qu’on connaît bien du XVIIIème siècle, en forme de leçons de démocratie des moyens du système de la communication des pays du bloc BAO. Il importe de dire qu’à ce moment-là de notre récit, on cherche en vain, de part et d’autre, y compris du côté russe, la moindre hauteur de comportement et de conception. Les choses vont changer.
Il est manifeste que le bloc BAO, USA en tête, décida de lancer et de soutenir une offensive de contestation interne de la forme du régime russe, qui commença à faire pleinement sentir ses effets à l’approche des élections législatives, et avec ces élections qui virent un recul de Poutine. Le tout était, pourrait-on dire, “enveloppé” dans un package de manifestations et diverses marques d’activisme humanitaire, pro-démocratiques, etc., avec courroies de transmission dans le chef d’ONG plus ou moins d’origine douteuse, des soutiens officieux notamment des USA et de leurs relais habituels, tout cela caractéristique de ce qu’on nomma dans les années 2003-2005 “les révolutions de couleur”. Un point fondamental et sans précédent apparaît avec la Russie, qui fait de cette affaire l’inauguration d’une sorte de “guerre nouvelle”, “de basse intensité”, nommée par les Russes selon l’expression en anglais, difficilement traduisible, de “illegal instruments of soft power”, – que nous nommerions plutôt “guerre illégale d’agression douce”, ou bien “guerre d’agression de communication”; (5) ce point fondamental est que l’attaque se fait, avec la Russie, contre une nation à la forte identité, à la souveraineté historiquement affirmée et absolument légitimée. Dès lors, cette “agression douce” devient en même temps une agression fondamentale, déstructurante, qui rejoint l’affrontement fondamental dont le Système est la cause. Il devient alors complètement secondaire que cette guerre n’emploie pas d’armes, ni ne fasse guère de victimes; ses conséquences potentielles portent sur la référence à cette interrogation qui règle, d’une façon ou l’autre selon l’issue de la bataille, le sort de la civilisation (ou de cette contre-civilisation).
C’est une première courbe du “tournant profond”... Que l’on aime ou pas Poutine, qu’on juge ou non que la Russie est une caricature de démocratie, voilà qui ne nous importe en rien parce qu’il s’agit d’éléments accessoires, sinon dérisoires et sans le moindre intérêt. Il nous importe ceci que s’ouvre un conflit d’un nouveau genre, où l’on voit une force d’un nouveau genre, une force de communication d’un nouveau genre, dont le but n’est autre que la dissolution de principes fondamentaux.
En commentaire de ces élections de décembre 2011, au climat bien plus menaçant que les résultats eux-mêmes, nous écrivions, le 8 décembre 2011 sur dedefensa.org: «L’issue temporaire la plus prometteuse autre que cette simple lutte contre le désordre qui monte resterait pour Poutine, plus que jamais à notre sens, un appel du Premier ministre devenu candidat à la présidence à la mobilisation, à la dénonciation des dangers extérieurs qui sont moins géopolitiques que systémiques, – la vision de cet enchaînement irrésistible de la crise d’effondrement du Système... [...] [C]ela se nomme, en appeler à l’“âme russe” et, pour Poutine, cela lui donnerait la vertu de paraître comme le premier dirigeant à décrire publiquement l’ampleur de la crise qui conduit à l’effondrement de notre contre-civilisation.»
Cette idée ne nous a plus quitté et l’on a pu voir sa réalisation subreptice se faire tout au long des deux premiers mois de février... Simplement, ce que nous nommions “tactique électorale” en décembre 2011, et qui n’existait pas encore, en naissant s’est rapidement imposé, en février 2012, comme une “stratégie”, et même, plus encore, une orientation fondamentale, complètement nouvelle, de la grande politique russe. Les choses vont vite. Ce changement ne s’est pas fait sous une forme élaborée, consciente, par ceux qui l’ont exprimé. Il s’est dégagé de lui-même de leurs interventions, celle-ci avec un tour de plus en plus fondamental, portant sur des communications écrites, des entretiens, des réunions dont le contenu fut rendu public, où les problèmes de sécurité nationale étaient évoqués sous une forme de plus en plus large, de plus en plus fondamentale. Le 21 février, le commentateur Dimitri Polikanov pouvait constater, non sans une certaine surprise : «La campagne électorale en Russie a finalement atteint un stade où les questions de sécurité nationale sont à l’ordre du jour. Normalement, elles ne sont pas la priorité de la majorité des Russes et son laissées à des temps où une mobilisation du public s’avère nécessaire...»
...Le fait est que, sans qu’il y ait eu un évènement exceptionnellement grave justifiant “une mobilisation du public”, cet appel à la mobilisation s’est formé de lui-même, ou bien nous dirions qu’il a été entendu comme s’il avait été lancé alors qu’il ne l’avait pas été d’une façon explicite. Un proche de la campagne de Poutine expliqua que ce furent les premières réactions d’intérêt grave et mobilisateur saluant les premières publications de Poutine sur la question qui conduisirent le candidat et son équipe à modifier, presque naturellement, voire comme s’ils y étaient forcés par l’évidence, l’orientation de la campagne vers des thèmes plus spécifiquement concentrés sur les questions de sécurité nationale.
Ainsi en est-il de la véritable “surprise” de la campagne électorale russe... L’inévitable Poutine, l’élu-par-avance, devint soudain, par la grâce de la forme imposée à la campagne, un candidat naturel, évident, et, bientôt, un vainqueur légitimé dans sa fonction de président. Il s’agit moins de la gloire de Vladimir Poutine, sujet annexe, que de l’essence de la Russie.
Il y a certes des “petits faits” épars, qui ont leur signification et renforcent l’intuition, qu’on espère plus haute que jamais. Le 27 février, Dimitri Rogozine, actuel vice-Premier ministre et ambassadeur de la Russie à l’OTAN jusqu’en janvier dernier, intronisait un parti qu’il lance, nationaliste, et exprimant ouvertement son soutien à une armée et une industrie de l’armement puissantes. A première vue, rien que de la quincaillerie, tartinée d’une rengaine patriotique. Pourtant on trouve, parmi les orateurs, Cyril Ier, Patriarche de Moscou et de Toutes les Russie, et chef de l’Eglise Orthodoxe russe. Son intervention, si c’était pour appuyer le programme de Rogozine (chose déjà étonnante en soi), fut marqué par la recommandation de chercher à créer “un homme nouveau”...
Un “homme nouveau”, qu’est-ce à dire ? Un homme encore plus moderne ? Un homme tournée vers le Progrès, par conséquent ? Alors, c’est que Cyril a une notion du “progrès” qui se rapproche de celle de Joseph de Maistre et de Charles Baudelaire. (6) Il s’agit d’un «homme nouveau capable de résister à l’agression de l’information lancée de l’en-dehors... [...] Ceux qui succomberaient aux tentations [de la modernité] pourraient accéder au pouvoir et cela mènerait à la destruction de la souveraineté de la Russie... [...] C’est pourquoi les réflexions sur la défense de la nation doivent être accompagnées par des réflexions sur l’évolution spirituelle de ceux qui pourraient être conduits à défendre dans le futur la Mère-Patrie contre ses ennemis...»
Ainsi l’“homme nouveau” est-il l’homme du retour à la Tradition, au sens le plus large; nos beaux esprits, dans les salons, jugeront bien étrange la définition; tout comme les dirigeants de Lockheed Martin ou de BAE, la présence du plus haut dignitaire de l’Eglise et ses exhortations à la spiritualité, à l’inauguration d’un mouvement qui prétend soutenir le complexe militaro-industriel du cru... Ce “mélange des genres” donne toute sa valeur à la circonstance et fait penser que, dans certaines circonstances, des instruments de perversion et de dissolution, comme l’est per se un “complexe militaro-industriel” (CMI), peuvent être manipulés et retournés contre leur orientation originelle.
Dans une autre occurrence, l’intervention dans un article de Russia Today du politologue Igor Panarine va dans le même sens. S’élevant contre l’entreprise signalée plus haut d’attaque contre les principes (la souveraineté), Panarine estime qu’il faut lui opposer une méthode de guerre spécifique («un mécanisme spécial pour contrer l’agression médiatique étrangère grâce à un ensemble de mesures administratives, médiatiques et de relatons publiques»). Il place dans ces mesures, comme facteur fondamental, un appel à la spiritualité... «Cela permettrait à la Russie d’un devenir un centre de gravité paneuropéen d’un point de vue à la fois économique et spirituel...»
Par ailleurs, ce “surgissement de la spiritualité” dans le discours et la posture russes n’a rien de surprenant, – ainsi nous diraient les érudits. Ils se réfèreraient, avec raison, à un mouvement d’idée nommé néo-eurasisme, après le premier “eurasisme” du début des années 1920, chez les exilés russes du bolchévisme en mal d’une doctrine qui pût à la fois expliquer la révolution bolchévique, en repousser ses aspects les plus matérialistes en privilégiant l’“âme russe”, ou, pour certains courants, en sauvegarder ce qui pourrait l’être dans ce mouvement général privilégiant effectivement cette “âme russe”. La définition politique en est aisée, hier comme aujourd’hui : un mouvement national fortement spiritualisé, fondé sur un refus des valeurs occidentales en tant qu’elle sont représentatives de la modernité. Certains en font une doctrine néo-impériale russe, et cela peut se concevoir. D’une façon générale, le néo-eurasisme est dans la Russie comme un poisson dans l’eau, comme le néoconservatisme US exprimant parfaitement l’“exceptionnalisme” américaniste, avec comme outil d’expansion la démocratie et les valeurs modernistes qui vont avec. En Russie, le néo-eurasisme touche de diverses façons les diverses tendances de la direction politique, en s’accordant assez bien aux tendances profondes du public russe ; un Poutine ou un Rogozine ont des liens ou des proximités avec lui... Il existe à son encontre les soupçons occidentaux, faits de réflexe-Système et du jugements pavloviens habituels de diffamation exprimés par l’habituelle technique de l’étiquetage idéologique, si possible diabolisé (néo-impérialisme, nationalisme autoritaire, fascisme, néo-communisme, etc.).
Décidément, ce n’est pas cet aspect politique qui nous intéresse. De ce point de vue, le néo-eurasisme entre dans le jeu des tendances et des orientations politiques à l’intérieur du Système, puisque la Russie est, de ce point de vue, partie intégrante du Système, – même si ni l’un ni l’autre n’aiment le Système, même si l’un et l’autre voient dans le Système un danger mortel. Parlant politique, nous parlons d’une situation où l’universalité et l’hermétisme du Système ne laissent aucune échappée pour construire quelque chose en dehors de lui.
Ce qui doit nous intéresser dans le néo-eurasisme, c’est ce caractère unique de la présence de la spiritualité dans son identité, non comme un élément latent, ou un élément indirect, mais bien comme un composant actif et décrit comme tel, sans la moindre ambiguïté. C’est autour de ce point que nous voulons utiliser cet instrument d’analyse et de compréhension de la situation russe; nullement ce point du spiritualisme comme facteur de déclenchement d’une situation, encore moins d’une politique; mais ce point du spiritualisme comme un sentiment général proche de la politique mais qui n’est pas elle, qui est plutôt un courant général, un mode de pensée échappé, lui, en tant que tel, de l’hermétisme du Système...
L’on comprend bien que notre démarche n’a rien de politique, en aucune façon; qu’elle est totalement orientée dans le but de trouver une échappée du Système, une fissure dans son hermétisme, pour pouvoir rejoindre les tendances inspirées par les forces métahistoriques qui nous importent. Par conséquent, tout le très lourd commentaire politique et idéologique qui accompagne la ligne de l’eurasisme et du néo-eurasisme n’a aucun intérêt pour nous. Nous dirions même que les intentions de ceux qui s’en réclament pourraient également n’être que d’un piètre intérêt, par rapport à l’importance d’une telle référence pour l’appréciation métahistorique de la situation-Système du monde. (Au reste, il est intéressant d’observer que le comportement de l’un des principaux inspirateurs du mouvement du néo-eurasisme, Alexander Douguine, va justement dans ce sens du désintérêt d’une finalité politique, ou d’un étiquetage politique du mouvement, comme le montrent ses variations politiques et sa recherche systématique d’une influence de ses thèses se réclamant d’une spiritualité conformée aux conceptions générales de la Tradition, ou de la philosophie pérenne. Douguine prête une grande attention à avancer comme une de ses références le métaphysicien français René Guénon, figure fondamentale du mouvement de la Tradition ; même si cette affirmation est contestée par des “guénoniens”, l’essentiel pour nous est qu’elle soit présente pour fixer la force et l’orientation des enjeux.)
L’important dans ce mouvement est essentiellement que sa référence s’articule fondamentalement et d’une façon très explicite sur une forte composante spécifiquement identifiée comme la spiritualité, c’est-à-dire la spiritualité en tant que telle. (Nous différencions cela de ce que seraient, par exemples, des attitudes ou des conceptions politiques qui seraient colorées de spritualité. Il s’agit bien d’identier le fait même de la spiritualité, sans qu’il y ait un contenu politique qui le précède.) Cette composante se situe, tout aussi nécessairement, comme poussée par la force des choses, dans une posture absolument antimoderne, exactement à la façon dont Cyril Ier va parler devant un parti qui défend le complexe militaro-industriel de la nécessité de créer un “homme nouveau” qui serait en fait un “homme ancien”, s’opposant avec de nouveaux moyens à l’homme moderne (et au CMI). Cette imbrication du moderne et de l’ancien est fascinante dans l’évolution dont nous tentons de rendre compte, et qui s’impose à notre esprit par démarche intuitive. La présence du courant néo-eurasiste est une représentation symbolique d’une évolution très spécifique à la Russie, mélangeant effectivement des moyens et des postures très modernistes, pour pouvoir continuer à figurer comme puissance dans l’agitation du Système, et une référence de plus en plus marquée à des valeurs relevant de la Tradition (encore plus que des “valeurs traditionnelles”, parce qu’il faut se garder des amalgames de récupération qui nous renvoient au Système).
Ainsi en est-il de cette incursion du côté des néo-eurasistes. Il ne s’agit en aucun cas, ni d’une analyse politique, ni d’une observation géopolitique, fut-elle “sacrée” ; il s’agit de reconnaître les signes avant-coureurs d’une époque nouvelle.
Les deux questions de notre titre et sous-titre sont-elles bien posées ? Les termes employés, – “opérationnel”, “politique”, “orientations” , “choix”, (7) etc. – renvoient nécessairement à une époque révolue, celle qui s’éteint quelque part entre la fin de l’URSS et l’attaque du 11 septembre 2001, une époque qui n’a plus rien de commun avec celle de 2012, comme l’on ne cesse de le mesurer chaque jour. Ces termes présentent la même obsolescence s’ils ne sont pas spécifiquement définis. Ils ne peuvent s’accorder à la nouvelle dimension qu’on propose, parce qu’ils sont directement liés à ce qu’on nomme “géopolitique”, qui est la science de la puissance du monde du “déchaînement de la Matière”... Le facteur de la “spiritualité” ne peut, par définition, occuper quelque place que ce soit dans ce monde-là.
Nous sommes placés devant un problème dont les termes échappent à l’observation rationnelle courante, nullement parce qu’ils sont hors du champ de notre observation possible mais parce que notre raison s’est privée elle-même de ses capacités essentielles en acceptant l’asservissement de la Matière, aujourd’hui dans le chef du Système. (8) Cela fait qu’en général nous nions l’existence de ce qu’en vérité nous ne pouvons plus distinguer. Ainsi en est-il, notamment, si nous nous limitons aux termes exposés plus haut, considérés du point de vue de la géopolitique, selon l’exemple choisi; l’évocation du facteur de la “spiritualité” s’avère impossible, et comme cette raison subvertie repousse la notion d’impossibilité pour l’observation terrestre, elle en vient à ridiculiser l’objet qu’elle ne peut embrasser, puis à nier simplement son existence.
Le cas russe, que nous examinons ici pour nombre de raisons évidentes qui constituent le “matériel de base” de notre enquête, porte, on l’a vu également, sur la période qui court à peu près de décembre 2011 à mars 2012. Cette période embrasse les deux consultations électorales des législatives et des présidentielles russes. En même temps, exactement en même temps, elle couvre une accélération, un élargissement, une dramatisation d’une nébuleuse de crises extérieures et leur constitution en ce que nous avons nommé “crise haute” [...]. La proximité est presque une simultanéité “en temps réel”, elle se fait au jour près... C’est début décembre 2011 qu’un drone d’espionnage stratégique US RQ-170 est capturé par les Iraniens avec l’aide des Russes; à partir de là, la situation stratégique s’aggrave rapidement en Mer d’Oman, entre USA et Iran, aussi entre USA et Israël sur la question d’une attaque de l’Iran, qui concerne la Russie, certes; en même temps, la crise syrienne s’aggrave avec une poussée pour une intervention étrangère, une motion dans ce sens à l’ONU, un double veto russe et chinois (4 février 2012). La crise haute s’installe, avec la Russie en son cœur. La “spiritualité” est “opérationnelle”...
Ainsi sommes-nous effectivement conduits à parler de “spiritualité opérationnelle”... Ce sont la conjonction et le parallélisme des deux courants d’évènements, – les consultations électorales en Russie, avec l’évolution qu’on a vue, et les évènements constitutifs de la crise haute, avec la crise syrienne et la crise iranienne, – qui constituent cette “spiritualité opérationnelle”. Ce sont les deux courants d’évènements qui se lient entre eux, s’élèvent l’un l’autre, se renforcent l’un l’autre, où la Russie tient un rôle central renvoyant à l’appréciation que nous donnons de son action et de la puissance de son action, et du sens de cette action spécifique à cette nation dans ces circonstances. On croirait que les deux courants d’évènements se sont mis en place et se sont développés dans ce but d’influence entre eux deux, de chacun sur l’autre, pour finalement susciter et même enfanter l’action qu’on voit se réaliser dans le chef de la Russie, dans les circonstances qu’on décrit.
Le plus important à observer est qu’il n’y eut aucune connexion apparente, justement comme celle(s) que nous décrivons. A aucun moment, les évènements de la crise haute tels qu’ils se déroulaient au Moyen-Orient, de l’Iran en Syrie, n’ont été nominalement sollicités dans la campagne électorale russe, par exemple pour appeler à une mobilisation de l’électorat, ou à un regroupement national; c’est précisément ce qu’écrivait Dimitri Polikanov, lorsqu’il constatait que la sécurité nationale s’était installée au cœur de la campagne alors que cette circonstance est réservée aux temps de mobilisation ( «... et son laissées à des temps où une mobilisation du public s’avère nécessaire...» »), – impliquant qu’il n’y avait pas de cette sorte de mobilisation... D’où notre observation qu’il y eut en vérité une mobilisation, que celle-ci ne transita nullement par un schéma électoral, qu’elle imposa à la campagne son rythme et sa couleur sans se découvrir comme telle. Quant aux évènements du Moyen-Orient où la Russie figura de plus en plus fortement, ils ne semblèrent à aucun moment avoir le moindre rapport avec la situation intérieure (électorale) en Russie; pourtant, notre conviction est que ce rapport exista, et avec la plus grande puissance possible; cela nous semble notamment apparaître dans la chronologie, où l’on voit la Russie durcir sa position sur la Syrie malgré d’intenses pressions du bloc BAO, et notamment avec le veto du 4 février, justement au moment où la campagne électorale s’incurve vers un exposé fondamental sur les questions de sécurité nationale. Là non plus, pourtant, la connexion n’est absolument pas mise en évidence, ni utilisée de quelque façon que ce soit. Elle s’impose, dira-t-on, par sa propre force, hors des intentions et des manœuvres humaines. Le facteur haut de la spiritualité impose à la fois une soudaine gravité dans la campagne électorale et introduit dans la crise haute le facteur essentiel de la fermeté russe.
Ainsi, effectivement peut-on parler de l’“opérationnalité de la spiritualité”, ou comment la spiritualité devient un facteur de la politique du monde. On peut relever des signes de cette nouvelle situation, comme nous l’avons fait plus haut, mais ce sont des signes indirects ou bien symboliques, dont il importe de comprendre le sens par la voie de l’interprétation.
L’essence même de notre propos se ramène effectivement à ce paradoxe d’apprécier, dans le développement temporel que nous avons signalé, le rôle de la Russie comme “essentiel et accessoire”, dans cet ordre précisément. Il ne s’agit pas, en insistant sur cet ordre des appréciations, de suggérer un abaissement chronologique de la Russie au travers de son rôle ([la Russie] “essentielle” puis “accessoire”, suggérant qu’elle a perdu son essence ou que son essence ne signifie rien que d’accessoire); mais, au contraire, de suggérer que par son apport essentiel, la Russie contribue décisivement à mettre à jour une situation si considérablement modifiée, dans le sens de se hausser vers des régions d’une immense plénitude, qu’elle n’y tient qu’un rôle accessoire tout en conservant son essence totale; c’est-à-dire qu’elle “contribue décisivement à mettre à jour” une situation eschatologique, où le facteur de la spiritualité apparaît comme étant en position d’intervenir et de susciter un bouleversement considérable. Pour tous les acteurs temporels, dans une situation qui passe du domaine historique temporel au domaine métahistorique et eschatologique, cela signifie un abaissement de l’importance de l’intervention; d’acteurs du premier rang pour ceux qui le sont (comme la Russie dans ce cas), ce serait passer au second et au-delà, presque dans la posture de figurant.
C’est dire qu’il n’y a de notre part ni choix d’un “parti russe”, ni apologie de la Russie, mais constat du rôle primordial de la Russie dans cette phase de la crise haute. Au reste, il ne faut pas s’étonner de ce choix-là de la Russie, qui a un destin dont les arrangements ne se préoccupent guère de nos diverses allergies idéologiques et autres enfantillages de notre système de la communication. Pour un Joseph de Maistre, implicitement ou explicitement, la Russie tient une place essentielle dans la grande tragédie métahistorique, que nous serions tentée de définir comme “à égalité avec la France”... (On comprendra que notre regret est d’autant plus grand de l’absence de la France, toujours embourbée dans sa période de basses eaux, évidemment de texture plutôt boueuse “les eaux”, comme la France nous en réserve la mauvaise surprise épisodiquement dans son destin.)
En réalité, dans la situation actuelle, la Russie, même si elle se trouve dans le Système, ne cesse de développer une perception et une conception antiSystème. L’essentiel dans cette évolution, et sa nouveauté (il y a déjà eu et il y a d’autres phénomènes antiSystème), c’est l’introduction de ce facteur de la “spiritualité” comme apport dans la critique du Système, – et l’on comprend que l’apport est essentiel puisqu’il nous fait passer d’une façon “opérationnelle” dans une situation eschatologique régie par la métahistoire. Cela ne signifie pas que la Russie assoit ainsi une stratégie temporelle quelconque, y compris d’une éventuelle supériorité, mais qu’elle joue un rôle essentiel d’outil déclencheur d’une nouvelle phase de la crise haute.
Si l’on veut, et en utilisant le terme d’une manière générique pour caractériser les sapiens dans ces phases eschatologiques où l’histoire courante se transmue en métahistoire, les Russes seraient les “scélérats” indiscutablement vertueux de la période. Joseph de Maistre avait utilisé ce terme pour désigner les révolutionnaires français, à qui il reconnaissant l’utilité fondamentale d’organiser l’opérationnalité de ce mouvement catastrophique de la Révolution Française, nécessaire au dessein eschatologique de la période. On l’utilisera ici pour les Russes, qui organisent l’opérationnalité de l’ouverture et de l’extension de la politique générale à la dimension de la spiritualité; “scélérats vertueux” par conséquent, puisqu’agissant directement, et non plus indirectement, dans le sens de la décisive transmutation.
Par conséquent, on comprendra que l’argument principal du propos se détache irrésistiblement de tous les sermons habituels du bloc BAO sur la moralité démocratique du système russe, de ses dirigeants, etc. Nous ne prendrons même pas la peine de les discuter: il ne s’agit pas de la même planète. Il suffit de rappeler ce que nous avons déjà noté à propos de la Russie, qui est une nation, historiquement et sur les plans culturel et spirituel, convenant parfaitement à cette sorte d’exercice. L’essentiel est que l’évènement somme toute anodin, et même assez médiocre, de l’enchaînement de deux séquences électorales, a permis d’élever brusquement la tension et l’esprit; il a ouvert effectivement l’esprit et l’intelligence, et même la raison si la raison est restaurée dans sa plénitude hors de la subversion qui la martyrise depuis deux et cinq siècles, à la possibilité, sinon à la nécessité du phénomène qu’on décrit.
Ce qui est remarquable est la mesure du phénomène (ce pourquoi nous mentionnons éventuellement la raison libérée en plus de l’esprit et de l’intelligence). Alors que la spiritualité est un domaine où la psychologie s’enfièvre aisément, où l’intelligence se laisse souvent gagner par des tentations irrationnelles, au contraire on a vu naître le phénomène dans une atmosphère psychologique extrêmement maîtrisée. On peut alors juger qu’il y a là la confirmation que le processus que nous décrivons est essentiellement et “rationnellement” politique, mais qu’il intervient dans un sens où il transforme cette politique en l’élevant. Nous ne passons pas de la politique temporelle à une exacerbation de la psychologie et de l’esprit selon un processus qui ferait du domaine spirituel nouveau venu un facteur conduisant à l’irrationalité, au fanatisme à tendance plus ou moins religieuse, etc. Non, la politique reste dans la forme de ce qu’elle est, c’est-à-dire éminemment opérationnelle, mais elle est élevée par l’ajout de la spiritualité selon un processus rationnel.
Il ne s’agit pas d’un processus d’exacerbation et d’excitation, dont la finalité conduit souvent à la déstructuration ou à la dissolution psychologique en activant notamment des [épisodes] maniaques. Il s’agit au contraire d’un processus de renforcement et d’élévation, dont la finalité conduit à un renforcement structurel, un processus fondamentalement structurant qui consolide la psychologie, qui la rend beaucoup plus résistante aux agressions pathologiques.
Le surgissement activiste du système de la communication ces dernières années, plus particulièrement depuis décembre 2010 (“chaîne crisique”), plus particulièrement encore pour ce qui nous concerne depuis décembre 2011 (le concept de “guerre nouvelle”), implique sans aucun doute une interférence majeure dans la question de la spiritualité. C’est de cette façon que nous voulons terminer cette réflexion, en avançant l’hypothèse que le système de la communication est le nœud de l’explication qui nous fait accepter l’idée qu’effectivement, la spiritualité peut s’incérer “opérationnellement” dans la politique, et s’y mettre en position pour jouer son rôle, peut-être décisivement. (Ce “décisivement”, on le devinera autant qu’on le comprendra, fait partie de l’arsenal de notre conviction, et fonde notre conviction elle-même.)
Cette approche est concevable dans le contexte de l’importance que nous donnons à la Russie dans cette chronique, notamment depuis la fin 2011 et la réalisation par la direction russe de l’importance du système de la communication, – et non pas seulement de l’information. A cet égard, il s’est produit une transmutation importante dans la conception russe. L’histoire récente nous montre que la Russie, notamment lorsqu’elle était dans l’emprise de cet artefact idéologique que fut l’URSS, n’était pas en reste lorsqu’il s’agissait d’apprécier l’importance de l’information. L’activisme de l’URSS et du communisme fut en grande partie fondé sur la propagande, sur la manipulation de l’information, sur la désinformation, etc. Il s’agissait bien d’une manipulation politique d’un matériel brut (l’information) par une direction politique au nom d’une idéologie bien précise. Tout aspect spirituel en était exclu, du fait même de l’idéologie, et l’on peut même dire que l’activité de l’information (propagande, désinformation, etc.), était en soi à la fois une bataille contre la spiritualité et un déni de la spiritualité. Il s’agissait implicitement de créer, par le fait de la manipulation, une réalité idéologique extrêmement puissante qui démentait par elle-même, par la source qu’elle constituait, toute référence à la spiritualité et notamment à ses moyens de diffusion, dont l’intuition haute en premier.
Dans ce contexte et selon le constat de cette “expérience”, la “découverte” par la Russie, à l’occasion de la période électorale décembre 2011-mars 2012, de ce que nous avons qualifié de “guerre nouvelle”, montre qu’il ne s’agit plus du tout d’une “guerre de l’information”. Il s’agit de quelque chose de nouveau, de fondamental (“guerre nouvelle”), où apparaît le système de la communication en tant que tel, et où la réaction russe comprend notamment et particulièrement un appel à la spiritualité. (10) C’est le signe, effectivement, que la spiritualité peut jouer un rôle naturel et important dans cette “guerre nouvelle”, par le biais du système de la communication.
Le système de la communication est, comme on sait que nous l’estimons, bien plus qu’un “système de communication”, même exceptionnel. Le matériel brut du système de la communication est certes l’information sous toutes ses formes; c’est-à-dire pour ce qui est de l’information, dans ces temps où l’objectivité a disparu, qu’il s’agit de la perception et de la subjectivité lorsque nous nous en tenons à une vision “terrestre”, temporelle et séculaire de la chose... Pour cette raison que le matériel de son fonctionnement et même de sa substance est devenu la perception et la subjectivité, le système de la communication est devenu bien autre chose qu’un vulgaire “système de communication”. Sans référence objective terrestre, il se trouve devant un champ nouveau de création de lui-même; et il peut créer le pire ou le meilleur, selon la manipulation qu’on lui imposera.
Notre conviction à cet égard est que, pour espérer le meilleur, c’est-à-dire pour qu’il s’élève dans sa production, pour devenir antiSystème en essence puisque c’est la mesure de la vertu, – et il le peut effectivement puisque son “aspect de Janus” (11) nous dit qu’il est capable du pire et du meilleur, – il doit s’ouvrir à l’intuition haute qui permettra d’apprécier le matériel qu’il charrie, et de lui donner sa vérité. Nous avons souvent avancé cette thèse, qui soutient la méthodologie que nous utilisons dans notre travail, notamment notre “travail d’information” dans une époque où la disparition de l’objectivité se conjugue avec l’apparition d’un flot formidable d’informations sur l’état et la marche du monde. En prolongeant le propos à la lumière de notre réflexion, il devient évidemment logique, sinon impératif, d’observer que cette ouverture à l’intuition haute suscite aussitôt la référence à la spiritualité, voire l’accueil de la spiritualité comme composante de son travail d’évaluation de la situation du monde et d’influence sur la dynamique de cette évolution autant que sur les psychologies humaines. Il s’agit effectivement de l’“opérationnalité” de la spiritualité puisque celle-ci n’est pas présentée en tant que telle (notamment sous un aspect religieux aisément identifiable, mais également aisément critiquable), mais bien intégrée dans la production générale du système de la communication, comme un facteur qui a sa place autant qu’un autre (que l’économie, que la politique, que la géographie, etc.). Mais, ayant dit cela, on ne doute pas que la spécificité de la spiritualité, son rapport avec l’intuition haute, sa puissance d’influence enfin, introduits par l’intégration dans la vision et la perception du monde offerte par le système de la communication, bouleverseraient complètement cette vision et cette perception du monde.
On comprend que le système de la communication est d’abord une force de flux et d’influence psychologiques plutôt que de contrainte politique, voire physique. Dans ce cas, il s’agit du processus idéal pour participer, éventuellement d’une façon décisive, à la diffusion d’une dimension spirituelle qui se serait intégrée en lui. Pour cette raison, on peut avancer l’hypothèse que cette interférence du système de la communication, bien entendu loin d’être un frein, doit être perçue comme un accélérateur, voir un nœud décisif dans la question de la spiritualité telle que nous l’envisageons.
(1) Pour ce texte spécifique, et pour expliquer la première phrase, on notera que dans la version “papier” initiale se trouvait un sous-titre sous le titre “Un destin russe”, qui se lisait ainsi: «L’élection de Poutine, première surprise extraordinaire de cette année 2012, et perspectives à mesure». Cela, pour expliquer qu’on emploie de la façon qu’on le fait l’expression “surprise extraordinaire dans l’entame du texte.
(2) La notion de “crise haute”, qui avait été traitée dans le dde.crisis du 10 février 2012, et qui sera certainement reprise comme Glossaire.dde-crisis, peut être appréciée dans divers textes du site, notamment le 3 février 2012 et le 20 février 2012.
(3) Nous employons à plusieurs reprises ce concept de “vérité”, dont on comprend qu’il est à la fois extrêmement délicat, insaisissable et objet de toutes les interprétations et toutes les contestations. Depuis, notre approche sémantique a évolué et nous parlons plutôt de “vérité de situation”, et plus précisément d’“une vérité de situation” (ou “vérité d’une situation”). Ces différentes variations méritent des explications, et nous y viendrons un jour, assez rapidement. L’emploi du mot “vérité” est une façon de mettre en accusation, a contrario, l’extraordinaire distorsion de la réalité, jusqu’à l’agression terrible de l’essence et de l’ontologie du monde, du fait de l’action du Système. Cela justifie qu’on fasse usage du concept de “vérité”; encore faut-il s’en justifier précisément, ce qui sera fait...
(4) Voir note (3).
(5) Dès lors et depuis, ce concept a été très largement étudié, dans tous les sens, et il est d’une diversité extraordinaire ... Voir par exemple le 14 mars 2012, le 3 mars 2014, le 2 septembre 2014
(6) Il s’agit d’une citation reprise du numéro de dde.crisis du 10 février 2012, qui sera effectivement l’objet d’un Glossaire.dde-crisis, comme signalé déjà plus haut.
(7) Comme dans la note (1), “on notera que dans la version ‘papier’ initiale se trouvait un sous-titre qui se lisait ainsi: «...En d’autres termes: peut-on, dans une politique, déterminer des orientations et des choix en s’appuyant sur cette référence en tant que telle, d’une façon explicite?»
(8) Nous faisons allusion ici à ce que nous nommons ici “raison-subvertie”, ayant rajouté le tiret pour en faire un concept qui nous est apparu lors de la publication du Glossaire.dde-crisis du 28 janvier 2015.
(9) “Chaîne crisique”, concept employé par nous surtout dans les années 2010-2012, lors du “printemps arabe” (voir le 2 avril 2011).
(10) C’est une idée que vous avons beaucoup développé depuis, au travers de nombreux textes et analyse. La démarche la plus récente à cet égard, – la notion de cette “guerre” très centrale n’en est pas le thème mais elle est partout présente, – se trouve dans ce Glossaire.dde, dans le texte déterminisme-narrativiste...
(11) Pour l’aspect-Janus du système de la communication, capable d’être aussi bien un puissant auxiliaire du système qu’un facteur antiSystème de grand poids, voir notamment le 9 avril 2012 et le 14 décembre 2012.
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