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610410 mars 2016 – Il s’agit ici de prendre pour base de travail un texte paru le 25 novembre 1999, à la fois sur ce site et dans la Lettre d’analyse (papier) dd&e, le même 25 novembre 1999 (Volume 15, n°06). Ce texte avait reçu le titre de “L’’empire de l’information’”, et le changement de mot que nous avons effectué (“communication” pour “information”) a une très forte signification. Il marque combien les temps ont radicalement changé, et combien le regard porté sur le sujet (les origines structurelles des USA du point de vue de l’information/de la communication) doit être complètement différent. Mais ce texte étant de nature historique, pour observer les origines des USA, il reste sur le fond absolument pertinent. D’autre part, il constitue également une très bonne référence pour mesurer l’évolution de la situation depuis 1999.
L’intérêt du sujet, sa profondeur, son universalité évidente pour mieux approcher la situation de notre époque et la situation du Système, lui donnent une valeur structurelle indéniable et lui font mériter sans aucun doute une place dans notre Glossaire.dde. On ajoutera à cette raison structurelle, l’observation conjoncturelle évidente et qui ne peut être ignorée, que ce travail intervient alors que la situation aux USA est en plein bouillonnement (une campagne électorale pour les présidentielles complètement révolutionnaire), et qu’elle l’est effectivement à cause de l’action de la communication, de différents point de vue. Il s’agit d’un élément d’une importance considérable, essentiellement parce que les deux éléments que nous traitons dans ce Glossaire.dde, – les USA et la communication, – sont complètement impliqués dans cette conjoncture-là.
Nous allons utiliser ce texte de 1999 “re-travaillé” selon les nécessités. Dans certains cas, nous reprendrons quasi-intégralement des passages de 1999, dans d’autres nous les intégrerons comme citation, en utilisant à ce moment les différences que nous identifions, ou bien les orientations prémonitoires, de façon à enrichir le texte actuel d’éléments de 1999 judicieusement utilisés. Dans tous les cas, les citations directes de 1999, partielles ou “d’un ensemble”, seront entre guillemets et en italique, avec nos interventions d’aujourd’hui entre braquets et en police normale.
En 1999, nous parlions d’“information” et citions plusieurs exemples qui nous faisaient juger que les USA étaient « saisis d'une extraordinaire fièvre de l'information, et des domaines associés (technologie de l'informatique, communication, techniques médiatiques, etc.) ».
• Nous observions que l’industrie de l’entertainment était devenue la première des industrie américaines, en entendant entertainment dans l’expression employée (“industrie du spectacle”) dans l’esprit des travaux de Guy Debord. Nous appuyions ce jugement sur un propos d’octobre 1996 de William Pfaff citant lui-même John K. Galbraith, à la même époque : « John Kenneth Galbraith [...] fait une observation frappante et préoccupante sur l'économie américaine. Il y a 75 ans, elle reposait sur l'agriculture, il y a 50 ans sur l'industrie manufacturière, aujourd'hui elle repose sur “l'industrie du spectacle” [entertainment]. L'agriculture et l'industrie sont liées à la réalité fondamentale de l'activité humaine. L'industrie du spectacle implique l'évasion de la réalité. On en apprend beaucoup sur les États-Unis aujourd'hui si l'on admet que nous fonctionnons désormais, au niveau national, moins en réaction à la réalité qu'en réaction aux images de la réalité fabriquées par l'industrie américaine du spectacle, principale force de l'économie américaine. »
• Il y a deux choses à retenir de cette citation. D’abord, le constat que cette situation où “l’industrie du spectacle” définit le développement économique des USA, a également une immense conséquence du point de vue de la psychologie : « ... L'industrie du spectacle implique l'évasion de la réalité. On en apprend beaucoup sur les États-Unis aujourd'hui si l'on admet que nous fonctionnons désormais, au niveau national, moins en réaction à la réalité qu'en réaction aux images de la réalité fabriquées par l'industrie américaine du spectacle. » La deuxième chose qui retient notre attention est que cette citation date d’octobre 1996, ce qui est symboliquement un point chronologique important puisque situant ce jugement après ce que nous avons historiquement identifié comme “la rupture d’Atlanta” de juillet 1996 (JO d’Atlanta), où les USA entrèrent selon notre appréciation dans une “bulle de la perception”, la communication de l’information devenant alors système de la communication sous la forme où nous l’entendons maintenant (nous reviendrons plus loin sur cette remarque).
• Une seconde observation générale concernait la généralisation de la nécessité de l’information et de la communication, et par conséquent de leur importance stratégique sinon ontologique pour l’action des forces armées dans l’époque nouvelle que l’on décrivait. Encore n’était-il question que de l’aspect technologique et opérationnel, encore fortement dépendant de l’action opérationnelle classique. (Nous mentionnions notamment le fait que, durant les opérations aériennes de la guerre du Kosovo du printemps 1999, les opérations de seule communication [des satellites de communication aux avions de guerre électronique] avaient atteint le chiffre de 12.000 tandis que les missions offensives de guerre conventionnelles atteignaient le nombre de 10.000.) « La stratégie elle-même est influencée de façon décisive [par les activités tributaires de l'information et de la circulation de l'information] et, avec elle, les grandes options à caractère psychologique et politico-stratégique. » Nous ajoutions que la doctrine du “zéro-mort” alors en vogue et qui n’a cessé d’être appliquée, – doctrine disant qu’il faut réduire au maximum, jusqu’à zéro certes, le nombre de pertes humaines des militaires pour éviter un retour aux remous internes et civils du temps du Vietnam, – nécessitait une omniprésence de l’information, donc de la communication. « L'information (aliment de la communication) serait aussi essentielle que l'oxygène (respiration); mais, à la différence de l'oxygène, sa fonction a dépassé sa nécessité (nécessité de communiquer) et modifie des comportements qui ne dépendent pas que des simples moyens de communication. »
« La croyance générale est que cette situation d'omniprésence de l'information est un simple acquiescement au progrès. Le progrès passerait nécessairement par l’accroissement du volume de l’information et par l'accroissement de la circulation de l'information par la communication. A l’extrême, le progrès ne serait qu'information et communication. Ce n'est pas une thèse, et le conditionnel est inutile ; [il s’agit d’un axiome autant que d’une évidence qui n’ont nul besoin de démonstration]. Il nous faut accepter le progrès de l'information, ou ce qu'on nomme “révolution de l’information”, et par conséquent l'omniprésence de l'information, comme la caractéristique même de notre existence. [...]
» Voici une approche différente. Il s’agit d'envisager l’idée que, mise dans la perspective historique, et, évidemment, d’une certaine perspective historique, cette conception d'un progrès quasi-objectif imposé comme voie naturelle et unique du développement apparaît au contraire comme subjective, fortement influencée par une conception américaine retrouvée dans la structure socio-psychologique autant que dans la perception de l'Amérique : ce qui serait “progrès objectif” deviendrait un certain choix de progrès, fait par l'Amérique. Ces conceptions sont peu connues pour les situations que nous développons ; [au contraire,] il s'agit de conceptions historiques aisément reconnues pour le cas américain. Nous nous référons à l'histoire pour présenter une appréciation différente d'un phénomène complètement essentiel de notre époque.
» ... L'histoire, c’est-à-dire Alexis de Tocqueville débarquant en Amérique en 1831. Contrairement à l'appréciation suggestive faite en général, et essentiellement de la part des Américains (Tocqueville occupe une place centrale dans la politologie fondamentale de l'Amérique, aux USA même, et notamment pour donner à la démocratie américaine sa justification historique et sa gloire universelle), Tocqueville n'arrive pas en découvreur émerveillé d'avance. De même, ce n'est pas un homme conquis d'enthousiasme qui publiera, 5 ans plus tard, ‘De la Démocratie en Amérique’.
» Pour expliciter cette remarque en l'élargissant comme il convient, nous avancerons que le diagnostic de Tocqueville sur la démocratie américaine, bien que favorable au système, ne nous paraît l'être qu’avec une réticence qui transparaît dans divers domaines de son analyse ; certains aspects de cette réticence prennent, dans la perspective historique, des dimensions considérables. Nous serions conduits à penser de cette réticence, exactement de cette façon qu'on lit chez Sainte-Beuve lorsque celui-ci remarque à propos de Tocqueville, dans un article écrit pour la mort de Tocqueville : “Tocqueville m'a tout l'air de s'attacher à la démocratie comme Pascal à la Croix : en enrageant. C'est bien pour le talent, qui n'est qu'une belle lutte ; mais pour la vérité et la plénitude de conviction cela donne à penser.” Tocqueville aurait pensé de la démocratie, et plus précisément de la démocratie américaine, ce que [Gide] disait lorsqu'il entendait nommer “le plus grand poète français du XIXe siècle”, et qu'il répondait, désolé : “Victor Hugo, hélas!”
» Ce serait un Tocqueville lucide plus qu'émerveillé qui débarqua en Amérique en 1831. Voilà qui nous convient. Trois philosophes américains ont publié en 1989 un court essai qui tente d'interpréter et de dégager la signification de cette première expérience américaine de Tocqueville. Écrit par Artur et Mari-Louise Kroker, et David Cook, ‘Panic Tocqueville’ est sous-titré ‘An Essay on de Tocqueville's Pertinence Today’ ; ou encore, de façon encore plus significative, ‘Tocqueville Sees America First’. Les auteurs proposent l’idée que la puissance de l'Amérique est fondée, dès l'origine et indépendamment de l’état des technologies de l’information, sur la circulation de l'information, et qu'elle est nourrie et développée par elle, au contraire des pays européens où la puissance est organisée par la hiérarchie. Cette idée se réfère largement à une lecture du ‘Journal’ du voyage en Amérique de Tocqueville.
» Ce voyage de 1831-32 avait d'abord un but professionnel. Tocqueville et son compagnon de Beaumont étaient chargés par les autorités françaises d'une mission d'étude du système carcéral américain. Ils visitèrent longuement les prisons d'Auburn et de Sing-Sing. Ils constatèrent combien le système carcéral américain pouvait être considéré comme un reflet précis de la société américaine. Kroker, Kroker & Cook notent ceci : alors que “l’Europe aurait pu être appréciée comme ‘un musée sans les murs’ (où la force de l'ensemble social est distribuée par les résidus de culture qui forment un système guidant le déplacement des touristes, des artistes, et, de plus en plus, des capitalistes et de leurs gouvernements), [...] pour Tocqueville, l'Amérique était ‘une prison sans murs’, [... où] la puissance reposerait sur la quotidienneté technologique de la reproduction sociale, dans laquelle les deux pôles de la discipline et de la détente se nourriraient alternativement l'un à l'autre.”
» Les auteurs interprètent les premiers constats de Tocqueville en appréciant que l’Europe a son organisation sociale bâtie sur une organisation des traditions et des valeurs, exprimée par la hiérarchie en place ; de façon très différente, l'Amérique organise sa puissance sur la vitesse et la densité des échanges au sein du corps social, ces échanges allant de la tension de la discipline à l'apaisement de la détente, pour mieux recommencer le cycle, et tout cela fournissant un effet (une obligation) fondamentale d'émulation dans un cadre strictement contrôlé, et avec comme conséquence le renforcement constant de la puissance (généralement économique) générée par le corps social.
» La différence entre l'Europe et l'Amérique, que ne mentionnent pas Kroker, Kroker & Cook, se trouve dans la présence, dans le cours même du processus social européen, du fondement de l'effort demandé au corps social, [dans tous les cas jusqu’à très récemment, si l’on considère les changements essentiels opérés en Europe depuis 1985-1992]. C'est une proposition de communauté et de développement de destin fondée sur les traditions avec leur enracinement historique, qu'il s'agit de poursuivre et sur lesquelles on doit s'appuyer, et desquelles on doit s'inspirer. On accepte ou pas cette cause fondamentale, éventuellement on fait la révolution pour la changer (et établir de nouvelles traditions ?) ; mais elle est là et le corps social a la capacité, ou, dans tous les cas, l’impression d'avoir la capacité d'une influence sur elles.
» En Amérique, au contraire, le processus social ne dispose comme cause fondamentale pour justifier son activité que du seul perfectionnement de son fonctionnement (la cause fondamentale de l'existence et du développement du système serait hors du processus historique et donc du corps social, qu'elle se nomme Dieu, la Destinée manifeste ou la Constitution qu'on peut amender mais qu'il est hors de question de remplacer) ; on n'a pas à accepter ou ne pas accepter, parce que le fonctionnement du processus social est une donnée axiomatique de l'organisation générale : si le fonctionnement cesse, l'Amérique disparaît. L’Europe est une civilisation de choix, l'Amérique est une civilisation d'acquiescement, [et nous dirions même d’“acquiescement forcé”].
» Tocqueville note dans son ‘Journal’ (cité par Kroker, Kroker & Cook) : “On ne peut observer la prison de Sing Sing et le système de travail qui y fonctionne sans être frappé par l'étonnement et la crainte. Bien que la discipline y soit parfaite, on sent qu'elle repose sur des fondations très fragiles : elle est l'effet d'un tour de force qui est une renaissance permanente toujours plus puissante, et qui doit être reproduite chaque jour, sous peine de mettre en péril l'ensemble du système de la discipline.” Cette fragilité est, à notre sens, explicable évidemment par le fait que le processus social américain, qui n'a aucune assise historique (les traditions), n'est justifié que par son propre fonctionnement [qui est information et communication de l’information pures]. Il y a un enjeu nécessairement radical dans tout accident affectant ce processus : le moindre accroc dans son fonctionnement fait nécessairement craindre de compromettre l'ensemble. (C’est cette crainte, devenue rapidement panique, qui a touché l’élite américaine lors de la Grande Dépression et a suscité ce que nous avons baptisé de l'expression de ‘crise du caractère américain’.) On comprend également que l’aliment intellectuel, voire spirituel, de cette machinerie, par où passent l’explication, l’incitation, l'encouragement, la menace, la manipulation, toutes utilisées pour accompagner le processus social et prévenir ses à-coups, c'est évidemment l’information avec sa technique d'animation et de circulation qu’est la communication.
» Cela confirme et conforte, et renforce le schéma américain dès l’origine. En quelque sorte, l’essence précède l'existence : avant d'exister en tant que telle, et de s’affirmer [essentiellement après la Guerre de Sécession] comme une [puissance] indépendante régie par une Constitution, l'Amérique est une sorte de ‘démocratie absolue’ où le pouvoir est techniquement disponible au niveau des citoyens par le bas, ou bien par des processus subtilisés par les puissances diverses mais singeant nécessairement la démocratie du bas vers le haut ; par conséquent, la vigueur et le fonctionnement de l'Amérique dépendent effectivement de l’information et de la circulation de l’information. Pour définir l'Amérique, Kroker, Kroker & Cook proposent l'expression “empire de l’information [de la communication]” ; elle convient à ravir; elle n’a rien à voir avec telle ou telle révolution, le cinéma, la télévision, l’informatique ; elle précède toutes ces révolutions et ces révolutions ne sont rien d'autres, en un peu plus fortes, que des actes exemplaires de cette “renaissance permanente” dont parle Tocqueville. L’information est le fondement et l’essence de l’Amérique ; et l’“empire de l’information”, par la nécessité où il se trouve de faire circuler toujours plus vite cette information comme à la fois aliment et moyen de contrôle (incitation et discipline) de la cohésion sociale, s’est logiquement orienté vers la situation d’“empire de la communication” où on le voit aujourd'hui, avec sa puissance économique désormais fondée pour une part majoritaire sur ce que Galbraith nomme “industry of entertainment”. Nous sommes dans une situation (subjective) de nécessité structurelle, et non dans une situation (objective) de fatalité économique.
» A ce point, nous proposons une remarque de méthodologie qui peut avoir une allure accessoire, mais qui est simplement fondamentale pour la cohérence et surtout la liberté du propos. Il s’agit de l’interprétation que nous faisons de l’idée avancée par les auteurs, et, au-delà, des développements que nous présentons à partir du constat de Kroker, Kroker & Cook, associés à Tocqueville. Il n’est pas question dans notre description d’une appréciation qualitative et/ou morale ; circulation de l’information du côté américain dans la “prison sans murs”, ou bien, côté européen, présence et fonctionnement de la hiérarchie dans le “musée sans murs”, — ce n’est a priori ni bon ni mauvais, ni recommandable ni exécrable.
» On distingue aussitôt l'importance de cette précision, tant, effectivement, dans les conceptions du sentiment général actuel et si largement répandu, il y aurait nécessairement un jugement de valeur dans le simple énoncé de ces caractéristiques, et qu’il tendrait sans la moindre hésitation à offrir ses faveurs à la circulation de l'information au détriment du fonctionnement de la hiérarchie.
» Il nous paraît impératif de tenter de soutenir cet effort d’‘objectivation’, même s’il en coûte beaucoup à notre fragile conscience morale. Il nous paraît impératif de nous en tenir à cette appréciation volontairement libre de tout jugement politique et moral de fond ; ‘volontairement libre’ : nous ne saurions trop attirer l'attention sur l’importance des mots employés, dont on n’ignore pas une seconde ce qu’ils veulent dire, et qui ont, dans cette circonstance, toute leur signification. Dans ce cas, la liberté est garante de la valeur et de la signification de l’effort d’‘objectivation’ que nous recommandons. Cela revient à dire aux lecteurs : acceptez ces règles, ou bien parlons d'autre chose.
» L'information est entendue, on le comprend en citant Kroker, Kroker & Cook, comme moyen et nullement selon son contenu. Elle n’apporte pas nécessairement la libération de l’esprit malgré qu’elle puisse être définie comme l’outil fondamental de ce qu’on nomme ‘démocratie absolue’. C’est que, considérée du point de vue technique du fonctionnement, la démocratie, absolue ou pas, n’est pas garante des vertus morales qu’elle prétend promouvoir ; c’est une technique, un système, et la forme morale et/ou éthique, voire esthétique, de ce qu’elle produit est fonction du contenu qu’on y met.
» L’Amérique n’a pas fonctionné selon cette affirmation morale, malgré ce qu’en dit l’information qu’elle dispense. C’est logique puisqu’effectivement elle trouve son fondement dans la mécanique même du système, sa justification dans le bon fonctionnement mécanique du système. Il n'y pas transmutation des valeurs selon une orientation avérée et maîtrisée, comme recommandait Nietzsche, mais transmutation de puissance par simple mécanique. Le mouvement lui-même engendre par sa mécanique des puissances nouvelles qui, bientôt, vont être proclamées pour justifier la poursuite et même l'accélération du même mouvement ; mais elles n’ont a priori rien de moralement ou d’esthétiquement vertueux. Le mouvement du système fondé sur l'information et la circulation de l’information crée la puissance, qui est notamment la puissance de l’Amérique aujourd'hui. Dans une pirouette dialectique confondant volontairement transmutation de puissance avec transmutation des valeurs, il est affirmé in fine que cette puissance considérable créée par le mouvement est aussi une vertu considérable. L’Amérique, sommet de la puissance, représente nécessairement le sommet de la vertu. En ce sens, la légitimation historique de l’Amérique (l’Amérique légitimée par l’histoire), qui n’existe pas puisque l’Amérique n’est pas née de l'histoire et n’entend pas s’y référer (tout système historique est un système d’autorité née des traditions et dispensée par une hiérarchie), a été remplacée par une légitimation par la ‘vertu’ née du mouvement de l’information qui l’anime et lui donne sa puissance. La puissance de l’Amérique, qui n’est qu’un produit de forces sans légitimité, devient une légitimité dès lors qu’elle a elle-même paru être transmutée en vertu.
» L’information charrie nécessairement, et par le plus court chemin pour la compréhension (celui du manichéisme par exemple, si prisé par le jugement américain), le jugement de valeur qui légitime l'Amérique. Lorsque Reagan, en mars 1983, qualifie l'URSS d’“empire du Mal” (il la qualifie plus qu’il ne la dénonce : c’est de l'information objectivée), le plus important est qu’il implique évidemment que l’Amérique est par antithèse “l’empire du Bien”. Ce n'est ni propagande, ni parti-pris, ni choix d’un esprit partisan ou simpliste, ni acte de guerre idéologique : c’est devenu, grâce à l'information et à sa circulation, la description d’une réalité objective. En d'autres termes, l'Amérique-“empire de l'information [de la communication]”, ça marche.
» Ce qui est intéressant dans l’aspect que nous venons de tenter de détailler, ce sont les conditions mécaniques bien plus que le contenu. Il y a une constante radicalisation dans les propositions de l'Amérique, en quelque sorte une sorte de jeu du ‘c’est à prendre ou à laisser’, un ‘tout ou rien’ permanent. (Les Américains jouent au poker, alors que l'histoire est un jeu d’échec.)
» Le triomphe actuel de l'américanisme (et aussi ses limites jusqu’à la menace de la chute, mises parallèlement en évidence) résulte de ce point fondamental que l’information dispensée par la communication ne peut être de la propagande, — même si elle paraît l’être, comme on peut le croire constamment. A partir du moment où il n'existe d'autre légitimité de l’Amérique que celle que crée la mécanique de l’information-communication, il ne peut s'agir de propagande puisqu’une telle affirmation enlèverait toute légitimité à l’Amérique et la soumettrait à la menace de l’effondrement. Le système fait une force de sa faiblesse ultime (mais faiblesse qui n’est jamais très loin, on le voit plus loin), effectivement du type ‘tout ou rien’ : vous êtes obligé de me suivre totalement, avec tout ce que je suis, sinon, si vous commencez à me contester, vous ouvrez la voie menant à l’effondrement. Ainsi s’explique l’entrave que connaissent nombre de hauts esprits américains, l’espèce de fragilité de nombre d’intellectuels américains: on sait bien, par intuition et par expérience constante, qu’à un moment leur belle démarche critique animée par leur liberté sera réduite à néant, parce que leur adhésion à l’Amérique, si normale et compréhensible (avatar de ce qui est en Europe une simple référence à la tradition), les obligera effectivement à abandonner la logique de leur critique pour ne pas mettre en cause la légitimité de l’Amérique, — puisque cette légitimité est fondée sur l'information, qui demande d’abandonner la démarche critique, et non sur l’histoire, qui existe et subsiste quelle que soit l'interprétation qu’on en donne.
» En Europe, où la légitimité est historique, on peut mener une démarche critique radicale et jusqu’au terme sans compromettre cette légitimité (le fait de dire ‘je condamne le système dès l'origine’ ne compromet pas la légitimité [d’une nation]). En Amérique, impossible, puisque la légitimité c’est l’information dispensée par le système, c’est le système lui-même, c’est l’Amérique elle-même. Dans ce pays, toute réelle dialectique d’opposition est impossible, et la véritable dialectique d’opposition devient dissidence et débouche sur le fractionnisme (resucée de la guerre de Sécession) ou le séparatisme (mouvement noir type Malcolm X ou ‘The Nation of Islam’ de Louis Farrakhan). Même si ces propositions paraissent farfelues (l’information en rajoute à cet égard), elles sont en réalité les seules marques sérieuses d'opposition.
» Ainsi ce système triomphal est, en même temps, proche de ses avatars les plus préoccupants. Ainsi danse-t-on continuellement, en autocélébrant son triomphe, sur un volcan dont on soupçonne qu’il a le sommeil léger. Or il se trouve que la technique du système, la filière information-communication de ‘l’empire de l'information [de la communication]’, a des failles béantes, des aspects pervers, dans le développement de la nécessité de l’efficacité triomphante. Au plus le système se développe, au plus il sécrète, comme un anticorps malin, l’outil de sa mise en cause fondamentale. Que se passe-t-il ? L'autorité n’ayant pas de légitimité ontologique qui lui permette de se passer des règles quand cela importe, elle doit suivre impérativement ses règles fondamentales de fonctionnement. Le système est placé devant une obligation contradictoire : il doit imposer un conformisme complet à ses conceptions, par le moyen de la liberté la plus complète (la ‘démocratie absolue’) par application des lois les plus libérales du monde (liberté de parole, liberté de la presse, etc., tout ce qui conditionne la circulation de l’information qui doit être très rapide, toujours plus rapide).
» Jusqu’ici, le problème a été résolu par le mouvement en accélération, la fuite en avant, avec son effet mobilisateur, masse et poids imposant la conviction, dissimulant la coercition, et même décourageant l’enquête sérieuse pour savoir si le système est coercitif et trompeur. Mais les nécessités du profit (la loi fondamentale) et les prouesses technologiques (l’ivresse du système) font qu’arrivée à un degré donné d’accélération et de diffusion la vertu du système sécrète effectivement son contraire, poison et contrepoison. C’est le cas de l’internet, où, pour la première fois de façon aussi massive, un système d’information issu du système et enfant-chéri du système échappe au contrôle central et apparaît comme une formidable force de résistance à l’ensemble médiatique établi par le système. (*)
» L’américanisation a largement touché l'Europe, notamment les élites européennes qui ne sont plus intellectuelles mais informationnelles-médiatiques, et qui ont absolument accepté l’approche américaine de la légitimation (refus de la légitimité historique, donc de la hiérarchie comme système créateur d’autorité et de puissance). A contrario, montrant que la situation n'est pas explicable par les thèses sur la xénophobie et le nationalisme, et toutes ces pulsions émotionnelles agitées comme épouvantails par le système, certaines couches en Amérique sont touchées par le sens historique de la conception européenne initiale, notamment comme moyen de lutter contre le système de l’information-communication. D’où des alliances surprenantes, et des alliances anti-idéologiques. On ne s’étonne pas que ce mot de l'éditeur américain progressiste et d'origine française André Schiffrin (**), revenu en France, ait si fortement choqué les milieux libéraux bien-pensants de l’édition parisienne: “Certaines forces archaïques, comme le nationalisme et l’esprit de clocher, si éloignées qu’elles soient de l’idéal démocratique, peuvent être d’utiles alliés [des forces progressistes.]” Le système du progrès américain par l’information et la communication semble rencontrer ses limites, du fait de son propre fonctionnement. La raison en est qu’il est déstabilisant de nature : l'information et la communication comme ciments sociaux, sans hiérarchie ni autorité, sécrètent désordre et déstabilisation.
» Ce que recherche le système américain, c’est la légitimation d’une conception qui est fondamentalement porteuse de désordre, et, par conséquent, fondamentalement hostile à la légitimation qui suppose une permanence. C'est un grave problème pour nous, qui sommes confrontés aux pressions de ce système, mais encore plus pour les Américains eux-mêmes. »
C’est évidemment en ayant à l’esprit cette mise à jour sous forme de Glossaire.dde de ce texte de 1999 sur l’“empire de la communication” (les USA) que nous écrivîmes dans notre texte de 8 mars 2016, à propos de la perception recueillie que les USA se trouvent “dans une période nouvelle” née comme par génération spontanée d’une “insurrection populiste” pour l’instant virtuelle, c’est-à-dire véhiculée par le seul système de la communication et pourtant menaçant sinon condamnant à mort deux actes aussi importants que les traités TPP et TTIP : « C’est un point remarquable, très caractéristique d’un pays et d’une société qui vivent fondamentalement dans un environnement entièrement marqué par la communication et son caractère changeant et dynamique, hors de tout principe solide... »
Tous nos textes sur la crise actuelle aux USA sont d’ailleurs marqués par cette même référence à la communication (voir entre autres le 3 mars 2016 ou le 9 mars 2016) : c’est dire si ce Glossaire.dde, en même temps qu’il mérite sa place dans la rubrique par définition utilisable hors de l’actualité, lui est néanmoins très proche, – mais ceci ne contredit ni n’amoindrit en rien cela. L’“actualisation” du texte de 1999, qui est surtout l’occasion de préciser et d’approfondir le concept, est totalement justifiée par les événements depuis 1999, parce que ces évènements n’ont cessé de démontrer que l’Amérique est bien l’“empire de la communication”, et qu’elle l’est de plus en plus, et même qu’elle l’est éventuellement jusqu’à en mourir.
L’“actualisation” depuis 1999 revenant à préciser et à approfondir le concept concerne divers points de l’analyse de 1999 qu’il convient d’explorer de façon plus précise et plus entreprenante. On observera qu’en faisant tout cela, il apparaît que nous précisons et approfondissons un concept qui, pour être américaniste, est en fait universel. D’une part, c’est un concept qui caractérise le Système, si l’on veut aller au cœur de la matrice ; d’autre part, c’est un concept qui caractérise tout le champ de notre contre-civilisation, que ce soit le bloc-BAO ou le reste. La communication poussée à l’extrême, ou système de la communication, n’est plus un caractère spécifique de l’Amérique mais un caractère fondamental de la contre-civilisation, de l’époque postmoderne et du Système qui règle tout cela. Cela n’a rien à voir avec la signification classique du terme “empire” : les USA restent l’“empire de la communication” mais ils ne sont plus en rien impériaux (s’ils l’ont jamais été), ni hégémoniques, et ils seraient plutôt, au contraire, en état de dissolution accéléré avec une tendance à l’effondrement qui, en 2016, est fortement marquée par la crise qu’on sait.
Certes, il s’agit tout de même, toujours, d’un “empire” selon notre approche conceptuelle, – “empire de la communication” que nous nommerions plus volontiers “empire du système de la communication”. En effet, depuis 1999, la définition, la structure, le rôle, l’effet du système de la communication (faussement nommé jusqu’alors “système de communication” en donnant trop d’importance à l’information), ont totalement changé dans notre appréciation. Il s’agit d’un changement ontologique de nature, ou encore ce système atteignant à sa vraie nature à partir de ce que nommions plus haut “la rupture d’Atlanta” (JO de 1996).
Pour nous, les origines du système de la communication dans cette structure et cette dynamique qui mènent à sa nature postmoderne qu’on lui voit aujourd’hui sont liées à l’apparition de l’image-photographique (photos, cinématographe, TV, etc.), c’est-à-dire l’image à prétention informative sinon objective, soit approximativement durant la Grande Guerre, avec une première extension durant les années 1920 et 1930 (développement de la publicité et du cinématographe avec le système hollywoodien des “studios”) ; avec un premier paroxysme durant la Seconde Guerre mondiale (avec une activité de communication considérable où Hollywood tint un rôle de première importance : les fameux metteurs en scène John Ford et Frank Capra, notamment, tinrent des rôles de direction fondamentaux dans les services de communication des forces armées). Dans Censored War, le professeur Gorge H. Roeder, Jr., écrit : « La Deuxième Guerre mondiale fut le premier film dans lequel chaque Américain pouvait avoir un rôle. [...] La Deuxième Guerre mondiale offrit à chaque citoyen [américain] le double rôle de spectateur et de participant. »
Le système de la communication dans cette phase de développement vécut sur ces acquis jusque dans les années 1980, où s’amorça le changement fondamental de l’apparition et du développement des technologies informatiques de la communication dans son sens de plus en plus élargi (information sous toutes ses formes, jusqu’aux “réseaux sociaux” et la “presse” alternative/antiSystème). Cela conduit directement à la maturité du système et à la réalisation de sa complète ontologie que nous fixons symboliquement à la “rupture d’Atlanta”. (Comme l’on voit, tous ces développements, dès lors qu’ils prennent un aspects “systémique”, sont intimement intégrés dans le développement des USA, et donnent sa substance aux USA en développement. Parlant de communication ici, nous parlons effectivement, également, des USA.)
A partir de ce brutal événement d’Atlanta-1996, à la fois dynamique et symbolique, et par ailleurs complètement ignoré (ce qui est un signe encourageant), le système de la communication apparut à sa vraie nature comme constructeur d’ensembles, de bulles, de situations-narrative, tandis que la réalité se dissolvait rapidement jusqu’à ne plus exister. Nous disions plus haut à propos de cet événement “l’information devenant communication”, et nous ajoutons désormais “la communication” devenant “système de la communication”. C’est alors que les USA, incontesté leader dans cet exercice, nous abandonnèrent temporairement, – nous invitant peu après (9/11) à les rejoindre, – pour construire leur propre réalité... Et ce fut le temps du virtualisme dont l’un ou l’autre (Ron Suskind citant Karl Rove) nous expliqua obligeamment de quoi il retournait. C’est ainsi que le système de la communication prit une place et acquit une puissance qui tendent aujourd’hui à devenir proches d’être exclusives par rapport aux autres dynamiques en action.
Nous avons exploré depuis les nouvelles conditions ainsi apparues, – de l’effet-Janus du système de la communication à la mise en évidence des vérités-de-situation comme seul moyen, mais de quelle puissance, pour pallier, avec l’aide paradoxale (type-Janus) du système de la communication, à la disparition de la réalité. C’est cette évolution ultra-rapide que les USA n’ont pas pu suivre, pris à leur propre piège, victime d’un aveuglement produit par l’hybris de leur très courte histoire (non-historique) où ils firent de l’indispensable (pour eux) communication le véhicule producteur de leurs illusions et de leurs fantasmagories, “comme pour du vrai”.
L’extraordinaire puissance du système de la communication pose partout des problèmes nouveaux et offre de nouvelles opportunités. Mais les USA sont confrontés à quelque chose ce complètement différent, simplement parce que leur nature, leur ontologie, sont la communication elle-même. On renvoie ici à la description des USA à l’origine : si le “système” (de communication) à proprement parler n’existait pas, la communication de l’information existaient et constituaient l’essence même des USA, bien avant l’existence du système et créant elles-mêmes les USA (“l’essence précède l’existence”).
Lorsque, plus haut, nous écrivons (ou écrivions puisque le texte est de 1999) : « L’Europe est une civilisation de choix, l'Amérique est une civilisation d'acquiescement, [et nous dirions même d’“acquiescement forcé”] », nous devons préciser à ce point du propos que l’Amérique implique un “acquiescement” à quelque chose qui la précède, ou même qui lui dicte sa “façon d’être” en s’imposant comme cette essence qui précède l’existence. C’est dire si la précision de l’“acquiescement forcé” est d’une force irrésistible, – c’est cela ou rien, et sans cela il n’y a pas d’Amérique. La communication, sans racines, sans références historiques, sans continuité ni tradition ? C’est l’Amérique et l’Amérique est communication pure. (Et certes, nous parlons bien des USA en tant qu’entité fédérale fondée en 1787-88 et “sécurisée” de quelle façon en 1861-1865, – alors que ses composants sont, eux, d’une nature complètement différente. Les États constitutifs de l’Union, dans tous les cas ceux de la constitution initiale des USA, sont d’une autre essence, ce qui explique la tendance centrifuge constante des USA. Lorsqu’il lui fut proposé de devenir commandant en chef des armées du Nord, le 19 avril 1861, le général Robert E. Lee refusa en expliquant qu’il entendait être du côté “de son pays”, c’est-à-dire explicitement de la Virginie ; ainsi devint-il commandant-en-chef des armées de la Virginie du Nord et le plus grand général sudiste [et de l'istoire militaire des USA].)
Il se déduit de cette situation, comme on l’a déjà vu et compris, une extrême fragilité et une non moins extrême vulnérabilité de l’Amérique dans sa substance même, puisque cette substance ne repose sur aucune essence historique. D’où la profusion de contresens et de contradictions à son propos. L’extrême patriotisme que le jugement croit d’habitude déceler dans la situation américaniste est entièrement une symbolisation de patriotisme, et un simulacre de patriotisme par conséquent puisque ce symbolisme n’est qu’un acte de communication, comme une sorte d’exorcisme de l’inexistence historique de l’Amérique : profusion extraordinaire de drapeaux (dans tous les films, à toutes les boutonnières, au-dessus de l’entrée de chaque maisons, sur des voitures, etc.), les couleurs et dessins du drapeaux utilisés pour toutes sortes de vêtements, les chants patriotiques faisant partie du répertoire classique de l’entertainment (America the Beautiful), etc.
Comme on l’a vu également, cette fragilité et cette vulnérabilité ne sont en rien une circonstance politique, ou technologique, ou économique, mais d’abord une circonstance psychologique. Il ressort de l’évolution de ces dernières années, depuis 1999, que la puissance américaniste, cette fameuse “fuite en avant” dont nous parlions plus haut, a atteint ses limites, et est entrée dans le domaine paradoxal qui est illustré par ailleurs par l’équation surpuissance-autodestruction du Système : ce que nous avons nommé l’“hyperimpuissance de l’hyperpuissance” des USA. La psychologie a subi de plein fouet le contrecoup de cette situation qui est plutôt inconsciemment perçue qu’explicitement admise. Il y a, par mobilisation constante de communication, une impossibilité pour le jugement américaniste d’admettre quelque faiblesse que ce soit des USA. (Obama, sur le pont du Titanic, clamant à l’exceptionnalité des USA.) La faiblesse de la psychologie n’est donc nulle part protégée par une exploitation de l'expérience pour corriger ses faiblesses, mais au contraire exposée à des évènements qui menacent constamment, et de plus en plus souvent, et avec de plus d’insistance, de la faire céder brutalement.
Ce fut le cas pour la Grande Dépression, et il semble que l’on soit sur une voie telle que cela serait à nouveau le cas dans cette année 2016. Robert Kuttner, de The American Prospect, juge que 2016 développe une crise plus grave que celle de la Grande Dépression, et qu’elle n’aurait son équivalent qu’avec 1860 et la Guerre de Sécession (« L’année 2016 est en train de se constituer comme la plus sérieuse crise institutionnelle des USA depuis la Guerre Civile, – et le reclassement partisan le plus important depuis 1932, et peut-être même depuis 1860. ») Cela situe 2016 au niveau des très rares évènements totalement fondateurs ou totalement destructeurs des USA ; 1860 étant l’événement fondateurs des vrais USA, ceux que nous connaissons et qui produisent la politique et l’influence que nous subissons, – et 2016 étant... Quoi, au fait ?
La crise actuelle, à la lumière de ce que nous percevons de la formation de l’Amérique et de ses origines, confirme explicitement la puissance extraordinaire qu’a acquis le système de la communication, et la façon dont cette puissance peut organiser des situations d’insurrection, voire de révolution, sans aucun des schéma habituels de cette sorte d’évènements, comme on les a vus au XIXème et au XXème siècles. Ainsi doit-on comprendre que l’absence de violence physique qui a jusqu’ici marqué la crise aux USA dans l’épisode actuel n’est en rien une mesure de son importance, qui serait alors extrêmement faible ; de façon très différente, son effet, son importance, doivent se mesurer d’abord, sinon exclusivement, dans le domaine de la psychologie. Nous avons la démonstration en cours qu’une crise, même si elle n’a causé directement aucune mort, se révèle comme la plus grave possible de toutes les crises. Nous sommes à un point critique du sort de l’Amérique (et du Système par conséquent), tout entier du fait de l’action de la communication, du fait essentiellement que cette action s’exerce, très rapidement et avec une puissance inouïe, sur la psychologie.
Quelle forme vont prendre les effets de cette crise ? Prenons une analogie pour donner une réponse du type symbolique : c’est après la Guerre de Sécession, donc après la première crise fondamentale de l’histoire des USA, en 1860, que le langage anglo-américain passa du pluriel au singulier pour désigner les USA (écrire et dire “the USA is...” au lieu de “the USA are...”). Encore une fois une question de communication, et combien hautement symbolique avec cette évolution grammaticale exprimant l’accomplissement enfin réalisé de l’unité, même si par le fer et le feu des Grant, Sherman et autres Sheridan et au nom d’une cause des plus douteuses malgré la narrative régnante et les historiens type-Spielberg. Question : demain, à l’ombre de 2016 devenue l’année mimétique de 1860, passera-t-on à nouveau, sous la poussée des évènements qui ne peuvent être que centrifuges du “the USA is...” à “the USA are...”, pour terminer très vite, tour de passe-passe accompli, par une sorte de “the USA are nothing more” ? Entretemps, ou disons plus sereinement “parallèlement”, c’est tout le Système lui-même qui basculera dans la dissolution de lui-même.
Notes
(*) La guerre du Kosovo est le premier exemple du phénomène. Voir dd&e, Vol14, n°20, sur ce site à la date du 10 juillet 1999.
(**) Auteur de L'Edition sans éditeurs.
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