Hagel était-il au courant de “la révolte des généraux” ?

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Hagel était-il au courant de “la révolte des généraux” ?

Un court article de Sputnik.News du 23 décembre s’intéresse au cas de l’ancien secrétaire à la défense Chuck Hagel à la lumière de l’article de Seymour Hersh sur la “révolte des généraux” (une de plus). L’article est basé sur une courte interview d’une “lanceuse d’alerte”, Gwenyth Todd, qui était au Pentagone dans divers postes, et pour terminer dans l’US Navy jusqu’en 2007, lorsque sa carrière fut brusquement interrompue. Todd a depuis été l’objet de diverses enquêtes ainsi que de diverses controverses. Dans l’article de Sputnik.News, on dirait que “tout se passe comme si” elle sous-entendait nettement que Hagel n’était pas ignorant des agissements des “généraux” (indirectement, le général Dempsey et le général Flynn), ce qui constitue une hypothèse extrêmement acceptable.

« Former US Defense Secretary Chuck Hagel knew that the United States strategy to oust Syrian President Bashar Assad was a fool’s errand, former White House National Security Council advisor Gwenyth Todd told Sputnik.

» Top US military leaders deliberately opposed and tried to subvert the Obama administration’s policy to remove Assad, veteran journalist Seymour Hersh wrote in an article published in the London Review (LBR) of Books on Monday. “Hagel also understood that toppling Assad was insanely foolish,” Todd told Sputnik on Tuesday when asked about Hersh’s revelations. Hagel had carried the United States through the most dangerous times in Syria, illustrating how being Secretary of Defense is a “thankless job,” she added.

» Obama, Todd claimed, is trying to stave off intense pressure to call for Assad's removal during this election season because he does not want another Iraq. Todd noted, Hersh documented in 2014 how former Central Intelligence Agency (CIA) Director David Petraeus and others “nearly successfully dragged us into a war to topple Assad,” in an LBR piece entitled “The Red Line and the Rat Line.” »

En elles-mêmes, les observations faites sur l’intervention d’Hagel n’apportent pas une lumière décisive, sauf qu’elles rendent encore plus ambiguë et imprécise la position de Hagel concernant la politique syrienne des USA. Le rapprochement qui est fait entre la démarche des “généraux rebelles” et l’affirmation que Hagel comprenait aussi la nécessité de stopper la politique anti-Assad (« Hagel also understood that toppling Assad was insanely foolish... ») suggère effectivement que le secrétaire à la défense avait probablement quelques échos concernant les activités des “généraux rebelles“. Sa proximité, voire sa complicité avec le général Dempsey en “temps normal”, – qu'est-ce qu'un “temps normal”, aujourd'hui ? – la façon dont Hagel confiait souvent à Dempsey la tâche d’exprimer les conceptions du Pentagone au nom de lui-même, secrétaire à la défense, renforcent l’idée qu’Hagel devait être au courant et qu’il a laissé faire.

Dans tous les cas, il apparaît évident pour un esprit doté d’une raison en état de marche satisfaisant qu’il y a une curieuse coïncidence entre la publication de l’article de Hersh avec ses révélations sur la connexion Dempsey-Flynn/SR germano-israélo-russe/armée et SR syriens, et l’interview de Hagel qui est une dénonciation indirecte de la façon dont la politique syrienne des USA est aux mains d'une cabale, même si cette cabale ne parvient pas à imposer des prolongements décisifs pour cette politique, selon l’analyse que nous en avons faite hier (et dans laquelle d’autres constats et d’autres considérations interviennent). Certains trouvent d’autres facettes de coïncidence à propos de l’interview d’Hagel, notamment comme un moyen de venir en aide à Kerry contre la même coalition à l’intérieur de la Maison-Blanche que Hagel dut affronter durant deux ans, cela au moment où le même Kerry parvient lui-même à un certain degré d’arrangement avec les Russes. Enfin, il existe également le constat que l’article de Hersh, en même temps qu’il révèle un épisode d’un très grand intérêt, constate que cet épisode est clos, notamment par l’élimination, provoquée ou naturelle de ses protagonistes.

« The military’s indirect pathway to Assad disappeared with Dempsey’s retirement in September. His replacement as chairman of the Joint Chiefs, General Joseph Dunford, testified before the Senate Armed Services Committee in July, two months before assuming office. ‘If you want to talk about a nation that could pose an existential threat to the United States, I’d have to point to Russia,’ Dunford said. ‘If you look at their behaviour, it’s nothing short of alarming.’ In October, as chairman, Dunford dismissed the Russian bombing efforts in Syria, telling the same committee that Russia ‘is not fighting’ IS. He added that America must ‘work with Turkish partners to secure the northern border of Syria’ and ‘do all we can to enable vetted Syrian opposition forces’ – i.e. the ‘moderates’ – to fight the extremists. »

Ce constat (la fin de l'épisode comme fin de toute possibilité d'une opération de cette sorte) n’est pas assuré. Si l’on lit le texte de Hersh d’un autre œil, en considérant le verre à moitié plein plutôt que le verre à moitié vide, on observe qu’il est souvent fait mention d’une source désignée comme un “ancien conseiller du Joint Chefs of Staff [JCS]” , soit un ancien conseiller de Dempsey certes, mais dans tous les cas une source venue de cette entité qui constitue l’État-Major général des forces armées US. Il s’agit alors d’une indication implicite, valant pour les candidats “lanceurs d’alerte”, “rebelles ”et autre “comploteurs” se trouvant au JCS, qu’ils peuvent eux-mêmes parfaitement mettre au point de telles opérations ; qu’ils peuvent le faire d’un point de vue technique, comme l’expérience l’a montré ; qu’ils peuvent également le faire d’un point de vue moral, ou étique, puisque le chef suprême (Dempsey) l’a fait pendant au moins deux ans.

Selon cette logique d'appréciation, le texte de Hersh serait au contraire un encouragement, sinon un blanc-seing rétrospectifs donnés à ceux qui partageraient les mêmes troubles de conscience et les mêmes critiques fondamentales de l’action de l’administration, et particulièrement de la Maison-Blanche. L’article de Hersh est d’ailleurs présenté d’une manière très technique justement, on dirait aussi “objective”, comme s’il voulait éviter d’émettre un jugement qui pourrait être délicat sur l’opération qu’il décrit ; par ailleurs, cette sorte d’“objectivité” permet de susciter une réaction de jugement du type “cela va de soi”, comme si la condamnation de la non-politique et des manigances de la Maison-Blanche, avec l’effet de favoriser les groupes islamistes et terroristes, était si évidente qu’elle justifiaient absolument un tel engagement. De ce point de vue, l’interview de Hagel est effectivement un utile complément, qui renforce ce sentiment de la justification d’agir de cette façon et raisonne comme un encouragement à l'intention des bonnes volontés, de reprendrele flambeau Dempsey-Flynn.

Il se déduit de tout cela que nous nous trouvons avec cette affaire, où les choses sont si précisément exposées, où l’implication des plus hautes autorités militaires US est si clairement mise en évidence, dans un territoire entièrement nouveau de la délicate problématique des rapports entre civils et militaires au sein du pouvoir US, des rapports entre départements (celui de la défense, d’une importance capitale) et autorité suprême (la Maison-Blanche et le président lui-même qui est pourtant explicitement et officiellement désigné comme “Président des États-Unis et Comandant-en-Chef des forces armées des États-Unis”). L’ensemble constitue une mise en cause de ces rapports, c’est-à-dire une mise en cause de la légitimité et de l’autorité suprêmes dans les conditions politiques extraordinaires que nous connaissons aujourd’hui.

A aucun moment dans l’article n’affleure l’impression que ce qui est décrit pourrait constituer une insubordination gravissime, voire une trahison des plus hautes autorités militaire, alors que le cas pourrait être perçu de cette manière. Mais non, décidément il ne l’est pas (perçu de cette manière). On en déduit ainsi que nous nous trouvons, dans ce domaine également, dans une époque sans précédent, sans rapport avec ce qui a précédé, où le désordre immense touche tous les domaines et tous les acteurs, y compris et même d’abord les producteurs de désordre, où les principes sont victimes de la déstructuration poursuivie par le Système ; il est alors logique d’admettre que sont détruits également les grands principes de légitimité et d’autorité auxquels étaient auparavant soumis les grands fonctionnaires et les grands chefs par rapport aux hiérarchies des structures gouvernementales.

Dans cet environnement complètement nouveau, inédit, sans précédent, etc., des notions comme “insubordination” et “trahison” deviennent insaisissables et soumises à des interprétations extrêmement changeantes. Puisque les principes ont été pulvérisées par le Système, les principes de subordination et d’obéissance par rapport au pouvoir le sont aussi. Un champ nouveau s’ouvre à cet égard, qui ne concerne plus seulement des situations extrêmement brèves d’exception (comme le moment d’une déclaration de guerre, d’une défaite ou d’une victoire décisive, d’une capitulation, d’une vacance de pouvoir, etc.) mais qui concerne bien la situation courante... Ou bien s’agit-il du fait, que nous tendrions à corroborer après tout, que nous sommes dans un temps qui constitue continuellement une situation d’exception, où l’exceptionnalité de la situation politique ne se conjugue pas avec la brièveté mais au contraire s’est installée sur le temps long lorsque le temps se contracte comme il le fait aujourd'hui, où elle s'est installée sur l’ensemble de la période jusqu'à en devenir un caractère même, sinon son caractère absolument central . C’est ce qui s’appelle “vivre des temps crisiques”, ou “eschatologiques” certes. Si l’analyse est juste, nous devons nous attendre à la multiplication d’évènements semblables à celui que décrit Hersh dans son article.

 

Mis en ligne le 23 décembre 2015 à 13H06