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275918 avril 2018 – Avant-hier en fin d’après-midi m’est venue l’idée étrange, pour meubler un temps de repos qui permet de penser à autre chose, d’allumer l’“étrange lucarne“ et de me rendre sur une chaîne française d’info pour tomber sur un débat de France-5, sur l’interview paraît-il surréaliste du Macron face à J.J. Bourdin et au cher Edwy, chevalier Plenel de Médiapart. Je vous passe les exclamations formidaaaaables sur les conditions sans précédent de cette interview du président et de ses deux tourmenteurs, qui correspond si bien à l’air du temps de cette étrange époque. Le “président” déguisé en premier communiant avec les manches trop courtes de son costume (ou les manches trop longues de sa chemise à poignets “mousquetaires”), face aux redoutables plumitifs que l’on sait, col ouvert et mise d’un négligé de bon aloi, l'interpellant comme dans une réunion du Café du Commerce.
(Le titre de l’émission : Macron et les tontons flingueurs, ce qui a dû faire se retourner de rire le brave Audiard, mort de rire dans sa tombe, de ce fait postmoderne qu’on puisse comparer ces deux louveteaux-causeurs, Bourdin-Plenel, aux bulldozers Blanche-Blier-Ventura... Tout de même, on ne joue pas dans la même catégorie...)
L’émission de la série C dans l’Air de 17H50, ce 16 avril 2018, réunissait quatre éminents personnages/personnalités de la communication (trois journalistes, un sondeur) qui sont de ceux qu’on ne cesse de voir en boucles sur toutes les chaînes TV depuis des mois et des mois : Yves Thréard, directeur adjoint de la rédaction du Figaro, Claude Weill, éditorialiste politique à Nice-Matin/ Var-Matin, Brice Teinturier, directeur délégué de l’institut de sondages IPSOS et dame Catherine Nay, éditorialiste politique à Europe 1. Ce qui m’intéresse n’est pas leur bavardage relevant des salons de la République mais le passage où l’on causa des déclarations du mini-Président sur la Syrie.
Je vous faire grâce du climat général, de cette extraordinaire unanimité concernant 1) la réalité de l’“attaque chimique” dont nul ne doute une seule seconde n’est-ce pas, puisqu'il n'y a pas de preuve du tout, et 2) la culpabilité du “régime Assad” que nul ne discute une seule demie-seconde malgré l’absurdité tactique et stratégique d’une telle action à ce moment précis de la situation militaire (comme la plupart des précédentes “attaques”, bien entendu). Il s’agit là de données immuables, communes à leur sens commun et à leur perception à l’unisson, – bref des données “objectives” pour eux. (Qualificatif extra-ordinaire dans la circonstance tant il est absolument orwellien pour le coup, mais bien dans la logique de la situation, montrant ainsi que la logique et sa mère-nourricière la raison ne doivent surtout pas échapper à notre suspicion d’identifier tout ce qui peut être absolument invertie.)
Pour mon compte, mon “objectivité” à moi, cela (la réalité de l’attaque chimique et de la culpabilité d’Assad) forme un cercle de réflexion de la sorte où vous entreriez, après une journée magnifique de printemps de près de 25 degrés à l’ombre et un soleil triomphant qui sentirait déjà l’été caniculaire, pour participer à un débat urgent qui est convoqué dans l’instant, dont le cadre extrêmement “objectif”, c’est-à-dire climatiquement réaliste puisque vécu et perçu par tous, serait : “Compte tenu de la vague de froid que nous traversons, ces moins dix degrés centigrades et ces chutes de neige dans un blizzard comme jamais vu, débattons sur la façon de s’habiller pour souffrir le moins possible de ces conditions climatiques” ; et tous les regards affreusement soupçonneux comme on met à l’index de se tourner vers vous, en manches de chemise, le teint déjà ensoleillé, avec presque la sensation du “il commence à faire chaud” comme l'on sent les premières flammes du bûcher de l'apostasie...
Il ne faut plus discuter, ni du climat général, ni de la météorologie des perceptions, ni du “cadre objectif” avec ces gens-là. Ils sont d’un autre temps, d’une autre chanson, d’un autre cosmos ... Il n’empêche qu’ils sont aussi du même pays que le mien, l’un et l’autre ne semblant plus “le nôtre”, – mais enfin, voilà qui pimente le débat, puisqu’il s’agit aussi du même débat ! Ce sera là mon sujet, qui me permettra, en contournant les effets les plus fondamentaux de l’hallucination qui les habite, de parvenir au constat de l’état je dirais “objectif” de leurs capacités de perception, de raisonnement et de jugement, à leur degré de culture politique également, à leur bon sens éventuellement.
“Mon sujet” m’est donc apparu lorsque la modératrice ouvrit la page des explications du président-Macron sur la Grande Politique de la France, que l’on en vint à la “réussite” que Macron lui-même avait enregistrée dans son attitude médiatrice, et donc évidemment centrale, dans le trio infernal lancé à l’attaque de la Syrie trois jours plus tôt. Cela fut traduit par Weil de la sorte (passage, à 50’10”dans la vidéo), selon une formulation qui ne souleva aucune objection de quiconque (même pas de Trump ni de Macron), et traduisant ainsi la pensée de Macron : « Ce fut le moment le plus étonnant de cette émission d’hier soir pour moi, Emmanuel Macron nous a dit “J’ai réussi à convaincre Trump de rester en Syrie alors qu’il voulait partir, J’ai réussi à le convaincre de ne taper que ça alors qu’il voulait taper ailler...” Donc, il donnait l’impression d’avoir fait la leçon aux États-Unis d’Amérique. Et puis on a eu le démenti de la Maison-Blanche dans la journée... »
A partir de là, grande discussion, du type : certes les Américains ont démenti mais on sait bien pourquoi, ils ne veulent pas reconnaître, disons le génie français de l’arrangement et de la modération intelligente, de Talleyrand à Macron mis à égalité. En fait, nous révèle l’impérative Catherine Nay, Trump a reconnu la sagesse de Macron dans le clin d’œil si nuancé d’un de ses tweets de haute facture, et par là le rôle fondamental de la France dans cette affaire. La discussion s’est poursuivie dans ce registre, vraiment comme s’il s’agissait de la France, grande-puissance avec son mot à dire dont tout le monde attend la sonorité et vibre à l’éclat, – équilibre, ordre et harmonie selon les canons de la “Grande Nation”.
(Comme il ne fait pas moins dix dehors, que le blizzard s’est apaisé, qu’il fait grand soleil pour au moins le deuxième jour de suite et que je ne suis pas encore tout à fait fou, je vais tout de même faire ces quelques remarques sur leur bon sens, sur leurs jugements, sur leurs perceptions des choses en ne me cachant pas un instant que le cadre qu’ils ont eux-mêmes accepté est une complète inversion, un simulacre dont tout le monde autour de la table de l’émission est complice sans en rien savoir. Par ailleurs et pour fixer les limites et les formes du simulacre général, ou simulacreSystème disons [instituons l’expression pour en faire un audacieux néologisme bien dans ma façon], on sait bien ce qu’il en est : l’annonce d’un retrait de Syrie par Trump, aussitôt ravalé sous la pression du DeepState au grand complet, des neocons au Pentagone, cela bien avant notre vendredi-13 et la leçon de diplomatie-musclée de Macron ; le choix de l’option basse, très-basse, ultra-basse, de l’attaque de la Syrie pour le vendredi-13 sous la pression de Mattis qui a battu Bolton trois sets à zéro dans cette première rencontre de championnat. Voilà la piètre réalité, les amis... Lisez le court billet de Jason Ditz sur Antiwar.com pour mesurer l’accueil réservée par “D.C.-la-folle” à ces “révélations” de notre-président.)
C’était donc une atmosphère irréelle, même pas surréelle, même pas “hors-sol” comme ils affectionnent de dire, – non, “hors-monde”, ou bien “im-monde” si vous voulez. Ils parlaient tous comme si la France comptait, comme si elle avait une politique indépendante et souveraine parce que la France ne peut compter qu’avec une telle politique indépendante et souveraine, comme si Macron était un grand stratège avec une stratégie, un Talleyrand postmoderne quoi ; et d’ailleurs, Macron parlant dans un extrait-doc de sa performance de la veille, on ne distinguait nulle part chez lui la moindre trace de duplicité, il parlait de la façon dont il avait retourné Trump à deux reprises comme Talleyrand n’aurait pas une seconde osé parler de la façon dont il parvenait parfois à manipuler l’Empereur. Il a vraiment une stratégie, élaborée à La Rotonde au soir du premier tour, qui implique d’abord que la France existe et qu’elle brille des mille feux de sa diplomatie triomphante, et finalement c’est elle qui a pris la main de l’im-monde Trump pour le guider, Statue de la Liberté en bandouillère, et que cette France redevenue “la Grande Nation” eh bien il faut bien reconnaître, toute modestie bue jusqu’à la lie, qu’il n’y est pas pour rien, lui-Macron. Enthousiasme touchant de la jeunesse.
...Je veux dire par là qu’à l’intérieur du simulacreSystème où s’ébat le bloc-BAO, il y a divers petits simulacres qui s’ébattent comme des piranhas à la recherche d’une narrative à croquer pour continuer à exister, – chacun son simulacre à sa dimension si vous voulez, mais à peu près aux normes du Système. Les Français, eux, l’ont exceptionnel bien entendu ! Le simulacre à-la-française, il n’est à nul autre pareil.
Les Français, scribouillards en tête, ont donc montré à cette occasion qu’ils avaient leur simulacre, qui a finalement l’allure-midget mais jetset de Macron. On peut le critiquer, notre-président, lui crachouiller-dessus type-Bourdin et type-Edwyn enturbanné façon-Tariq Ramadan, mais il faut accepter le constat que tout le monde est finalement assez content-de-soi, et là-dessus content de lui, le président midget-jetset. “Finalement, se disent nos quatre finauds commentateurs, c’est un exercice de démocratie-vraie, et il s’y prête à merveille le président aux poignets-mousquetaires pour sa première communion”. (Avec en prime, pour poursuivre la tradition des prosternations parisiennes, Weil qui réussit à placer cette extraordinaire quenelle selon laquelle ‘nous autres’ journalistes-français, nous devons prendre exemple sur les journalistes américains, la façon dont ils sont incisifs... Incisifs today, les bidouillards-US ? Sans rire ? Et mourir de rire, en vérité...)
Ainsi s’est structuré durant cet entretien, – celui de Macron-Bourdin-Plenel et notre “table ronde“ de C dans l’air, – le simulacre bien tempéré mais néanmoins plein d’audace pour ressusciter les heures de gloire de “la Grande Nation”. Ainsi espére-t-on presque rêveusement, avec tout le sérieux de l’analyste de salon, orienter et inspirer la pensée générale et l’historiographie de la profonde signification qu’on trouve derrière la part française de la glorieuse équipe de la nuit du vendredi-13 :
• D’une part, la France comme honest-broker dans cette terrible et sanglante crise syrienne ; c’est-à-dire comme conciliateur impartial et mondial pour réunir les uns et les autres autour d’une table de la paix, entre réception de Poutine à Versailles suivie de remontrances à Poutine pour la complicité russe des attaques chimiques d’Assad, entre remarques critiques sur le comportement de Trump et conseil aimables et péremptoires pour ce même Trump dans sa politique syrienne. Certains des commentateurs de l’architecte-divin reconnaissent tout de même que la tâche est difficile (Weil : « ...mettre tout le monde d’accord dans ces conditions, cela me paraît encore, encore... un vœu pieux. ») ; mais quoi, l’on sent bien qu’il s’agit là d’une difficulté conjoncturelle qui ne découragera en rien l’ambition structurelle.
• ... Car la France a pour elle, dans sa grande tradition bien-connue, d’être splendidement souveraine et indépendante, même au cœur de l’OTAN et en supplétif de l’attaque, et ces vertus lui gagneront certainement l’estime stupéfaite des plus grands et le respect de tous. On s'imagine parler, me semble-t-il, sous le contrôle d’outre-tombe du général de Gaulle, dont la grande ombre se distinguait dans telle ou telle affirmation de son successeur Macron, et tel ou tel recoin du débat qui nous intéresse ici. C’est ce que signifia in petto Catherine Nay lorsqu’elle martela : « ...[E]t les Français y sont allés [en Syrie] avec leurs missiles, des missiles français... »
• Tout cela étant établi, on en conclut que, outre d’être une arrangeuse des affaires du reste du monde rassemblé autour d’elle, et splendidement, et sans compromission elle-même, la France entend également prendre en main l’essentiel de la relation transatlantique, la “special relationships” que les Britanniques dévastés et hors-Europe ne sont bien entendu plus capables d’assumer. L’américanophilie pédagogique de Macron et de tous les commentateurs qui expliquent sa pensée et son action même d’un point de vue critique mais jamais sur l’essentiel (l’américophilie), constitue un point absolument capital. (Dans ce cas, l’ombre de De Gaulle fait un peu trop d’ombre, elle est priée d’aller éclairer d’autres cénacles.) Ainsi en est-il des “conseils“ péremptoires que Macron donna à Trump concernant la politique US en Syrie et l’attaque de la nuit du vendredi-13. C’était rejoindre, à-la-française, sans nécessité que tous parlassent anglais et en conservant l’exclusivité du bon fromage et du meilleur vin, la “Grande Alliance” telle que l’avaient rêvée Churchill et quelques-uns de ses successeurs concernant ces “relations spéciales” entre les Britanniques et les Américains. Dans La Passion de Churchill, de 1995, John Charmley définit ainsi le modèle idéal et rêvé des Britanniques en 1944, qui a eu depuis trois-quarts de siècle pour démontrer sa vanité et son caractère de simulacre qui conviennent si bien aux élites-françaises d’aujourd’hui et d’autres temps :
« Derrière la politique américaine de Churchill, on trouve la proposition que le crédit moral de l’action du Royaume-Uni en 1940-41 pouvait être converti en influence sur la politique américaine. Comme nombre d’américanophiles, Churchill imaginait que l’Amérique survenant sur la scène mondiale aurait besoin d’un guide sage et avisé, et il se voyait fort bien lui-même, avec le Royaume-Uni, dans ce rôle. Cela paraît aujourd’hui une curieuse fantaisie mais c’est bien le principe qui guida la diplomatie britannique à l’égard de l’Amérique pendant la période que nous étudions dans ces pages. En tentant d’exposer “l’essence d’une politique américaine” en 1944, un diplomate définit parfaitement cette attitude [dans une note interne du Foreign Office]. La politique traditionnelle du Royaume-Uni de chercher à empêcher qu’une puissance exerçât une position dominante était écartée : “Notre but ne doit pas être de chercher à équilibrer notre puissance contre celle des États-Unis, mais d’utiliser la puissance américaine pour des objectifs que nous considérons comme bénéfiques”. La politique britannique devrait être désormais considérée comme un moyen d’“orienter cette énorme péniche maladroite[les USA] vers le port qui convient”. L’idée d’utiliser “la puissance américaine pour protéger le Commonwealth et l’Empire” avait beaucoup de charme en soi, en fonction de ce que l’on sait des attitudes de Roosevelt concernant l’Europe. Elle était également un parfait exemple de la façon dont les Britanniques parvenaient à se tromper eux-mêmes à propos de l’Amérique. On la retrouve avec la fameuse remarque de MacMillan, en 1943, selon laquelle les Britanniques devraient se considérer eux-mêmes comme “les Grecs de ce nouvel Empire romain”. L’image de la subtile intelligence des Britanniques guidant l’Amérique avec sa formidable musculature et son cerveau de gringalet était flatteuse pour l’élite dirigeante britannique ; après l’horrible gâchis qu’elle avait réalisé à tenter de préserver son propre imperium, elle avait l’arrogance de croire qu’elle pourrait s’occuper de celui de l’Amérique. Même un Béotien aurait pu se rappeler que, dans l’empire romain, les Grecs étaient des esclaves... »
Voilà donc approximativement la position, latitude-longitude, de la France de Macron, lancée dans une expédition digne d’Alice in WonderLand, qui ne parviendra jamais à trahir le destin français aussi profondément qu’elle tente de le faire parce qu’elle en ignore tout de la profondeur. Mais ce qui m’apparaît extra-ordinaire plutôt, sans m’attarder à tel ou tel point de critique là où la critique est trop aisée, c’est leur incompréhension totale de la situation, leur stupéfiant anachronisme de conception des temps si étrange que nous vivons, leur inculture colossale de l’histoire récente et de l’histoire de notre Grand Passé... Il faut être moderne-tardif sinon postmoderne-anachronique pour regarder les évènements du présent comme s’ils étaient semblables à ceux du passé alors qu’on ne connaît rien du passé : un regard paralysé-moderne, bloqué sur le présent pour déformer le présent avec une référence à un passé faussaire où l’on enfourne toutes les références du pésent en les caricaturant. Je tiens la génération politique et intellectuelle au pouvoir, la transversale Sarko-Hollande-Macron, comme la plus bourgeoise au sens le plus balzacien du qualificatif qu’ait jamais produite l’histoire de France, – et évidemment prête à toutes les collaborations (celle de 1428 du temps de Jeanne comme celle de 1940 du temps de Montoire) comme l’on va à la messe.
Vous comprenez mon sentiment, c’est-à-dire que l’on ne peut oublier que cette critique pour désigner le simulacre-France de ce pays aujourd’hui s’inscrit dans un cadre qui est lui-même un simulacre, le simulacreSystème. Il y a donc toujours, sinon plus que jamais, un exceptionnalisme français, dit des deux-simulacres... “Heureux comme un Simulacre en France”, dirait aujourd’hui le dicton cité récemment.
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