Hillary et l’hypothèse de la révolte du FBI

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Hillary et l’hypothèse de la révolte du FBI

Il y a, autour des élections US, plusieurs thèmes de polémique furieuse, parcourus de folles rumeurs. L’un de ces thèmes, c’est la possible inculpation de Hillary Clinton dans ce qu’on nomme l’emailgate. Le Washington Post a révélé que 147 officiers du FBI travaillaient sur le dossier, ce qui en fait effectivement une affaire colossale par le volume mais indique également le sérieux de l’enquête du point de vue du FBI. Du fait du volume énorme de correspondance électronique à examiner, – entre 30.000 et 50.000 messages selon les estimations, — une des meilleures façons d’enterrer l'affaire aurait été évidemment d’y affecter une équipe plus réduite : 14 officiers au lieu de 147 travaillant sur ce dépouillement mettraient au minimum minimorum dix fois plus de temps à conduire le dossier à son terme, et sans doute beaucoup plus à cause des interférences, des confrontations des messages, des recherches adjointes, etc… Effectivement, un enterrement de première classe. Ce n'est manifestement pas le cas, bien au contraire.

Jeudi, le département d’État, répondant à une injonction du FBI, a abandonné ses propres recherches sur l’emailgate. Le département avait entrepris ce travail selon des consignes afférant à une procédure  interne puis s’était adressé au FBI pour savoir s’il n’interférait pas légalement sur l’enquête. La réponse du FBI a été sans équivoque : c’est lui, le FBI, qui conduit l’enquête et personne d’autre ne doit être autorisé à le faire. Le département d’État a obtempéré. Cet épisode confirme la volonté du FBI de contrôler l’affaire exclusivement, et de n’accepter aucune interférence pouvant prendre la forme d’une manœuvre de freinage, sinon de sabotage. Quant au département d’État, on voit bien qu’il ne veut pas prendre de trop gros risque pour défendre Hillary Clinton : il a assuré un “minimum syndical” à cet égard, pour se couvrir en cas d’élection de Clinton, mais rien au-delà. Enfin, divers bruits indiquent que le FBI est en train de parvenir à ses conclusions et que s’ouvrira alors la phase cruciale au cours de laquelle il y a de fortes chances que la police fédérale demande au ministère de la justice l’autorisation d’inculper Hillary Clinton.

Un élément polémique nouveau est apparu avec une interview de l’auteur Ed Klein dans l’émission Varney & Co du réseau Fox Business. Le site Daily Caller en rapporte l’essentiel, ce 2 avril. Klein, “spécialiste” de Clinton, estime que le directeur du FBI, James Comey, est parfaitement conscient qu’on tente actuellement de le neutraliser pour qu’il ne fasse rien concernant Clinton avant la désignation démocrate, sinon l’élection elle-même. Klein estime que Comey va tenter de sortir de cette contrainte pour obtenir l’inculpation, d’ici six semaines. S’il ne parvient pas à se faire entendre, estime Klein, Comey pourrait démissionner, entraînant avec lui un grand nombre d’officiers du FBI.

Klein estime pour sa part qu’il y aura tout de même une inculpation d’Hillary Clinton. Il indique qu’il y a actuellement une tentative en cours pour parvenir à une inculpation “sans risque” et vider l’abcès du point de vue de Clinton, aux moindres frais et à risque réduit. Selon lui, les avocats de Clinton négocieraient avec le département de la Justice une inculpation pour des délits mineurs dans le cadre de l’emailgate, ce qui permettrait de parvenir à un simple blâme ou quelque chose de ce genre, permettant à Clinton d’être quitte de toute cette affaire avec de simples excuses publiques, promesses d’être plus attentive, repentir émouvant, quelques larmes s’il le faut, etc. Klein explique également qu’à son avis, un tel scénario ne peut marcher ... Suite du dialogue Varney (hôte de l’émission)-Klein :

Stuart Varney : « That wouldn’t happen? Because that would be a way around the political problem of indicting the likely Democrat nominee for the presidency. »

Ed Klein : « Right, but James Comey is after all… the Eliot Ness of our time. He is really not going to let politics interfere with what he finally decides. »

Stuart Varney : « But it’s up to the judgment of the Justice Department to say ‘yes indict’ or ‘No, don’t indict.’ It is not James Comey’s call, is it? »

Ed Klein : « Well, it’s his call to make the referral and it’s up to the Justice Department. And if the Justice Department decides not to listen to what James Comey is suggesting, I think there’s going to be hell to pay. »

Stuart Varney : « Do you think James Comey would resign ? »

Ed Klein : « Yes, he already threatened to resign during the Bush Administration as you may recall when things did not go right... [...] Absolutely, I think he would resign and I think a lot of other FBI agents would go along with him. »

Ed Klein, journaliste et auteur, qui travailla à Newsweek et dirigea le New York Times Review of Books dans les années 1980 (il est âgé de 80 ans), est aujourd’hui chroniqueur au New York Post et, surtout, auteur de livres politiques à succès qui sont l’objet de très violentes critiques et polémiques. Ennemi acharné des Clinton, et surtout d’Hillary, il est considéré par les libéraux clintoniens (les R2P partisan de l’interventionnisme “libéral”, ou Right-To-Protect) et certains neocons comme n’ayant aucune crédibilité et inventant narrative et “sources anonymes“ pour ses travaux, surtout sur Hillary (deux livres sur elle, en 2005 et 2014). Il est vrai qu’en matière de narrative et d’inventions de sources anonymes, libéraux clintoniens, ou R2P dans ce cas, et neocons en connaissent un bout sur la question... Quoi qu’il en soit, la mauvaise réputation de Klein essentiellement alimentée par le couple Hillary-neocons est quelque peu atténuée par la conduite d’Hillary ces dernières années (depuis 2005 et la biographie de Klein particulièrement critiquée), par l’emailgate, par le sentiment général qui s’affirme de plus en plus contre elle, par le développement de la perception d’un personnage, non seulement machiavélique mais plus simplement satanique. La vérité-de-situation, ne serait-ce que par son incompatibilité ontologique avec Hillary Clinton, se rapprocherait de Klein en l’occurrence, notamment dans cette affaire.

Par ailleurs, l’hypothèse d’une “révolte du FBI” dans l’affaire Clinton-emailgate n’est pas une narrative du seul Klein mais bien une hypothèse très sérieuse et largement évoquée depuis quelques mois : des démissions massives, à commencer par celle d’Eliot Ness-Comey, équivaudrait très largement, en termes de perception et donc de communication, à une inculpation d’Hillary, et l’on peut même avancer que l’effet serait encore plus grave. De telles démissions seraient en effet perçues comme “offensives”, à caractère politique, et donc mettant en cause les autorités politiques (par exemple, à l’image de certaines démissions qui, durant l’affaire du Watergate, affaiblirent décisivement Nixon). Non seulement, elle désignerait, toujours en termes de communication, Hillary Clinton comme quasiment-coupable, mais elle introduirait un formidable événement de déstabilisation au sein de l’appareil de sécurité nationale, avec une sorte de “dissidence du FBI” qui prendrait des allures s’apparentant à un “coup d’État”, ou à une tentative de “coup d’État” par défiance de l’autorité conformiste, et au cœur même de l’establishment, dans un moment de surchauffe presque paroxystique avec une campagne présidentielle à tendance aussi fortement insurrectionnelle. C’est non seulement le processus de l’élection, mais le Système lui-même qui serait menacé par un processus explosif de dissolution interne.

Ce que fait Klein est simplement d’apporter son estimation chronologique de l’événement. Si cette estimation est exacte ou indicatrice de la période de plus grande tension de l’emailgate, elle alimenterait dangereusement une possibilité de paroxysme en intervenant avant les conventions de désignation des candidats des deux principaux partis, dans la fièvre de batailles en cours Système versus antiSystème, autour de Trump et de Sanders.

 

Mis en ligne le 3 avril 2016 à 10H53