In extremis

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In extremis

12 avril 2012 – Nous avions déjà trempé notre plume, nous l’avouons, dans une encre goguenarde, un rien méprisante, à peine amère mais déjà haussant les épaules (c’est une encre aux capacités révolutionnaires), avant de nous mettre à un texte sur la campagne des présidentielles françaises. Nous avons dû changer d’encrier, – in extremis, certes, comme nous l’indique notre titre, – mais quoi, il ne faut pas bouder, sinon son plaisir, dans tous les cas son intérêt…

Il s’agit du vide jusqu’alors mesuré presque scientifiquement du non-débat en matière de politique extérieure, de politique de sécurité nationale, en fait de ce qui reviendrait à une “politique de la grande crise de notre contre-civilisation”, de notre “crise haute”. Ce vide s’est dissipé, grâce en soit rendu et quoique l’on pense de lui par ailleurs, au candidat Mélenchon, ci-devant meneur du Front de Gauche (FdG).

On connaît notre conception générale selon laquelle nous nous trouvons au cœur d’une situation caractérisée non pas par la succession d’une crise après d’autres, même si l’une ou l’autre crise peut avoir un aspect se rapprochant du fondamental, mais caractérisée simplement par la crise fondamentale de notre civilisation devenue contre-civilisation. L’affrontement dans cette crise se fait en termes de forces déstructurantes et de forces structurantes, de poussées du Système et de résistances antiSystème. Cette question de la crise fondamentale, ou crise haute, ne peut être pensée qu’en termes globaux, sans bornes ni limites économiques, géographiques et politiques ; et cette “globalisation”-là, catastrophique miroir brisé du rêve déchu de la globalisation vertueuse du Système, se fait sous la pression d’un système du technologisme agonisant et par le canal d’un système de la communication aux effets très puissants et très ambigus (Janus), qui constitue aujourd’hui le facteur principal de la puissance.

Toutes les crises nationales actuelles sont des succédanés nationaux, avec les caractères spécifiques qui vont avec, de la grande crise fondamentale, et elles sont, si l’on veut, “multidisciplinaires” ; par évidence du propos, aucun pays n’échappe à sa crise intérieure puisque l’influence directe de la grande crise l’implique nécessairement. Un pays qui ne débat pas sérieusement et prioritairement de sa politique extérieure et de sécurité nationale au sens le plus large ne débat pas de sa politique générale de crise, y compris des effets de la grande crise d’un point de vue intérieur, c’est-à-dire de sa propre crise soi-disant “nationale” ; il ne débat donc de rien de sérieux et abandonne sa seule priorité nationale aux autres, ou, plus justement dit, aux évènements eux-mêmes. (On ajoutera pour la France que les références du débat à l’Europe dans la campagne ne brisent rien de cet emprisonnement ; en débattant de l’Europe comme ils l’ont fait jusqu’ici, la plupart des candidats débattaient d’une Europe immuable, inchangeable telle qu’elle l’est actuellement et qui ne peut être changée, c’est-à-dire d’une Europe-Système qui est une de causes de la crise fondamentale qu’on s’interdit de mettre en cause ; c’est débattre de la crise selon les arguments d’une chose qui en est un des moteurs et une cause opérationnelle constante, – c’est-à-dire débattre de rien. Cela revient à élargir le vide du débat électoral de la dimension nationale à la dimension européenne…)

Ce vide, c’était l’impression qu’on avait dans les présidentielles françaises, interminables depuis les primaires socialistes de l’automne dernier, et par ailleurs marqués par un dégoût profond transcendant les partis du personnage-Sarkozy, amplement justifié par la correspondance entre ce personnage et sa politique d’abaissement systématique que le Système impose principalement aux pays du bloc BAO. Parmi les candidats principaux, Marine Le Pen avait bien essayé de présenter une politique de crise, ou disons une “politique de la grande crise” débordant le cadre national mais il est manifeste qu’elle ne maîtrisait pas la conception générale de la chose, non plus que l’orientation traditionnelle de son parti et de son électorat ; elle a échoué dans sa tentative et s’est finalement repliée sur la spécificité de son parti réduite à l’émigration et à d’autres causes similaires strictement intérieures. Le fait nouveau aujourd’hui est qu’il est possible que la position et l’appréciation de politique générale de Mélenchon, concrétisées par son discours au Cercle républicain, le 30 mars 2012, aient changé cela. Il est bien possible qu’ait été brisé ce cercle infernal de l’enfermement dans les querelles intérieures programmées, et cela grâce au développement d’une logique de rupture absolument nécessaire pour considérer une “politique de la grande crise”. Ce discours présentait «une défense souveraine et altermondialiste», mais le propos va très largement au-delà de la question de la “défense”.

Plusieurs lecteurs avaient remarqué ce discours. Nous l’avons écouté. Nous avons aussi regardé et écouté l’interview de Mélenchon sur BFM-TV, avec Le Point, le 8 avril 2012, où une bonne dizaine de minutes sont consacrées (avec référence au discours) aux questions de sécurité dans le sens le plus large du mot (défense, politique extérieure, etc.). L’impression générale est extrêmement favorable : il s’agit bien d’un discours de rupture, au sens général de l’esprit de la chose, présentant un programme fortement structuré et précisé dans ses options essentielles. Sans avoir changé radicalement le climat de la campagne, il a introduit les prémisses d’une dimension nouvelle d’un débat essentiel, non seulement électoral mais postélectoral, quel que soit le président élu.

Nous allons tenter de résumer les axes principaux de ces interventions. A notre sens, il y en a quatre : une critique générale extrêmement puissante des USA, de leur rôle, de leur évolution, etc., et des USA pris implicitement comme moteur du Système et en crise fondamentale ; la rupture nécessaire de la France avec l’Occident (en fait, à notre sens et si nous comprenons bien, avec l’“Occident anglo-saxon”, ou atlantiste, ou le bloc BAO dans notre jargon, ou le Système si l’on veut faire bref et définitif) ; l’ouverture à de nouveaux arrangements, vers les espaces hors-bloc BAO, ce qu’on nomme d’une façon générale “les pays émergents” ; l’affirmation souveraine de la France, ou l’affirmation implicite de principes structurants. (On trouvera un exposé beaucoup plus détaillé et placé dans une perspective précisée selon les conditions de la situation générale, dans une Analyse que nous publierons très vite.) Si quelqu’un trouve là-dedans un parfum de gaullisme, ou disons du “néogaullisme” pour ne pas faire trop vieillot, et faire “de gauche” (ou de Tartempion) pour rester ce que l’on croit que l’on est, on jugera qu’il ne faut pas l’en décourager. (Lors d’un commentaire, le 10 avril, sur BFM-TV, ce journaliste italien dont nous n’avons retenu que le prénom, – Alberto, – remarquait, avec un accent chantant et étonné de l’audace de son propre propos, et après que son interlocuteur ait évoqué quelques accents “à la Mitterrand” chez Hollande, qu’«il y a comme des accents d’oune de Gaulle de gauche [chez Mélenchon].» Pas si bête, l’Alberto à l’oreille fine.)

Incontestablement, il y a du nouveau… Mais précisons, d’ailleurs : non pas du nouveau mais un retour à des conceptions fondamentales qui s’exprimèrent régulièrement, en France, de période en période, et dans différentes époques. Certes, dans le cloaque actuel, cela sonne comme une nouveauté révolutionnaire, mais il faut savoir que cela retrouve une veine classique française, et même pérenne. La France a une tradition, à cet égard, et elle répond à la Tradition tout court au travers de l’affirmation de principes structurants fondamentaux ; contrairement à ce qu’affirme Mélenchon, il n’importait pas que le Siècle des Lumières vint pour que cela fut, – cela existait avant et, d’un autre point de vue que le sien, cela existe malgré le Siècle des Lumières (dont on sait qu’il est, tout de même, l’inspirateur direct du libéralisme, de l’individualisme déstructurant, de la modernité enfin, celle-ci considérée comme le cœur même du Système).

Ainsi relève-t-on une ambiguïté dans l’attitude de Mélenchon, ambiguïté qu’il n’est pas le seul à porter, qui se marque le plus souvent quand surgit une personnalité politique qui entend affirmer une position de forte substance. Le décalage est considérable entre son discours socio-politique intérieur, fortement “idéologisé” et proclamé partout, et son discours fondamental de “politique de la grande crise”, celui qui nous intéresse, et qui est dit mezzo voce, pour des oreilles attentives ou incrédules. Le premier soulève peut-être les foules mais il est d’une pauvreté inhérente à l’“idéologisation” de notre temps (de droite, de gauche, ou du centre, ou d’où que vous le voulez). Malgré les apparences, il joue à fond pour le Système, en perpétuant les clivages artificiels qui empêchent les alliances antiSystème fondamentales. Les attaques de Mélenchon contre la FN font partie de ce folklore assez vain, réducteur et peu glorieux, et en plus complice du Système. (Cela nous rappelle une confidence désabusée de Régis Debray début mai 2002, alors que d’immenses manifs’, essentiellement de gauche, parcouraient la France contre un Le Pen assuré de ne jamais pouvoir gagner ce deuxième tour, et que nous nous interrogions sur la signification et l’héroïsme de cette mobilisation : «Qu’est-ce que tu veux, chaque génération a besoin de sa guerre d’Espagne…». Les temps ont changé, pour ce qui est de l’héroïsme.)

…Ce qui rend d’autant plus précieux et brillant, l’autre aspect de l'intervention de Mélenchon, sa “politique de la grande crise”. On comprend aisément que nous jugeons qu’il n’y a pas en Europe, et dans les pays du bloc BAO, un programme d’une si grande force antiSystème, – sauf peut-être, bien entendu et tenez-vous bien, celui de Ron Paul… Drôle, cette rencontre du dynamique vieillard libertarien (traduisez : d’extrême droite, non sans faire une moue comme devant quelque chose qui pue), accusé par les relais du Système de racisme (alors qu’il est le seul à réclamer la fin de “la guerre contre la drogue”, formidable machine raciste à remplir les prisons US, et lui notamment mais explicitement pour ce motif-là) ; et ce Mélenchon comme on l’a vu. Il est pourtant vrai que les grandes lignes de leur volonté de rupture se rencontrent, jusqu’à des aspects inattendus : lorsque Mélenchon déclare qu’«Il faut quitter au plus vite cette barque pourrie qui s’enfonce…» (le Système, c’est-à-dire pour ce cas le système de l’américanisme), il rejoint Paul qui attaque la Fed et la machine de guerre de l’Empire engagée dans ses folles aventures extérieures. Leurs critiques du rôle du dollar et de la dette sont absolument similaires. Ils parlent tous deux de la même “barque pourrie”.

On trouve la même similitude dans leurs attaques contre leurs propres “amis”. Mélenchon n’a pas de critiques assez rudes contre l’Internationale Socialiste qui s’aligne constamment sur les consignes atlantistes, et Ron Paul de même contre le parti républicain devenu un parti de la guerre perpétuelle, de l’alignement sur Israël, d’extravagances étatiques et impériales jusqu’à l’endettement également perpétuel. Tous deux, selon une logique assez similaire, sont l’objet d’attaques très violentes de ces mêmes “amis”, dont ils mettent en évidence les trahisons coutumières. Ron Paul fait l’objet d’un traitement épouvantable dans les primaires républicaines ; quant à Mélenchon, il suffit de lire l’interview de Cohn-Bendit dans Le Monde du 9 avril 2012, et le pauvre Mélenchon, pour une fois pris en flagrant délit de naïveté au nom de sa foi dans “la gauche”, – car c’est bien mal connaître qui est réellement Cohn-Bendit et ses acolytes, – Mélenchon presque douloureusement surpris de ces attaques (dans Le Monde du 10 avril 2012 : «Il a parfaitement le droit de ne pas être d'accord avec moi mais pour quelqu'un de gauche, l'urgence serait plutôt de taper sur l'extrême-droite, surtout au moment où moi, je fais tout ce que je peux pour la faire passer derrière moi [Marine Le Pen]. Il pourrait donner un petit coup de main utile mais il veut pas, il veut pas...»)

Tous deux, enfin, ont leur aspect “idéologisé” intérieur (Mélenchon comme on l’a vu, Ron Paul comme hyper-libéral libre-échangiste, anti-étatiste, etc.), sur lequel il y aurait beaucoup à dire ; mais lequel, finalement, n’importe pas à côté de l’énormité de l’attaque qu’ils lancent contre le Système avec leur “politique de la grande crise”, désormais soutenue de facto par les masses populaires qu’ils déplacent… Tous deux constituent sans aucun doute des cas remarquables de comportement les apparentant à ce que nous nommons des “systèmes antiSystème”, par les effets fondamentaux de leurs actions, quelles que soient les définitions qu’ils se donnent d’eux-mêmes. En cette matière de l’appréciation des effets fondamentaux des choses, ce sont les évènements qui jugent, selon une logique métahistorique qui fait bon marché des appréciations que les sapiens se donnent à eux-mêmes, y compris leurs sondages, leurs éditos et même leurs votes... Seul compte l’effet “objectif” de la chose.

Inversion de la “politique fondamentale”

En effet, c’est là que nous voulons en venir… Il n’est nullement question, dans cette analyse interprétative, de s’attacher à la perspective d’une victoire ou d’une défaite, du premier ou/et du second tour, voire même des élections présidentielles elles-mêmes. (Tout cela vaut pour Ron Paul, nous le disons souvent.) Notre propos est différent. Nous tenons compte sans aucun doute du succès populaire, mais nullement pour le résultat des présidentielles… (S’il y avait un effet réel dans l’élection, si l’on en arrivait à l’“impensable”, Mélenchon au second tour, etc., on comprend que ce serait une toute autre situation et que la ferveur populaire aurait une importance autre, complémentaire en fait à celle que nous lui assignons. Pour l’instant, nous nous en tenons à la situation présente, qui est le fait de la ferveur populaire en elle-même, sans tenir compte des perspectives électorales ; c’est à cela, principalement, que servent aujourd’hui les campagnes électorales des vertueuses démocraties : à révéler des courants antiSystème hors des règles du Système.) Les choses étant ce qu’elles sont, comme disait le grand ancêtre, il se trouve que le programme de Mélenchon acquiert, grâce au succès populaire du candidat Mélenchon relayé et amplifié par le système de la communication, une sorte de légitimité qui le rend très dangereux pour le Système, quelle que soit la fortune électorale du candidat ; cette légitimité fait de lui, désormais, une référence (louable ou dangereuse selon le parti qu’on adopte) par rapport aux aspects fondamentaux de la politique française.

Il se trouve que c’est un événement considérable parce que c’est la première fois depuis de Gaulle que la politique fondamentale “en cours” de la France est mise en question d’une façon aussi structurée et argumentée. Si elle peut être ainsi mise en question, c’est parce que, depuis de Gaulle, cette “politique fondamentale”, qui était évidemment gaullienne à l’origine, n’a cessé de se pervertir ; et elle n’a cessé de se pervertir, non par son usure ou par son inactualité grandissantes (elle est par définition immunisée contre ces maux, puisque toute entière caractérisée par la pérennité) mais parce que les “opérateurs”, comme l’on dit en langage boursier, c’est-à-dire les dirigeants politiques, n’ont cessé de la pervertir, notamment d’une façon accélérée après la fin de la Guerre froide. Cette appréciation vaut notamment, et même surtout, à cause des occasions ratées de sa part, pour la présidence Chirac qui fonctionna comme un remarquable trompe l’œil à cet égard, à cause d’un personnage (Chirac) qui se croyait sincèrement gaulliste sans avoir jamais vraiment compris de quoi il s’agit, et par conséquent qu'il ne l'était pas. Il y eut l’occasion ratée en Bosnie, en juin-juillet 1995, de faire prendre en charge par les seuls Européens une opération majeure que les seuls Français avaient débloquée, au lieu de rameuter les USA ; l’engagement dans la guerre essentiellement américaniste du Kosovo de 1999, après un rapprochement de l’OTAN en 1997 ; enfin, grande et triste occurrence à cet égard, l’alignement sur les USA en 2004, après l’occasion exceptionnelle mais ratée de l’institutionnalisation de la rupture avec l’opposition triomphale à la guerre américaniste d’Irak, à l’ONU, au début 2003… Après l’épisode du référendum anti-européen de mai 2005 qui montra combien cette “politique fondamentale” était subvertie en se séparant d’une volonté populaire si affirmée et si sage, jusqu’à l’inversion complète, le processus se précipita avec la rupture de cette politique dans la chute et par la chute si l’on veut, de la présidence Sarko. Essentiellement, cette inversion décisive s’est faite et accomplie, à ciel ouvert et sans le moindre frein, depuis début 2009, la réintégration de l’OTAN, l’engagement renforcé en Afghanistan, les aventures néoconservatrices type-Libye, l’alignement satisfait et racoleur sur la politique-Système de puissance, etc. Tout cela fait que la mise en question de la politique fondamentale de la France aujourd’hui revient à une insurrection contre la perversion jusqu’à l’inversion de cette politique fondamentale, et constitue de facto, par logique antagoniste, une proposition de rétablissement de cette politique fondamentale. C’est pourquoi la démarche de Mélenchon pourrait être qualifiée de “néogaulliste”, que cela l’agrée ou pas. (Notre impression, à l’audition de ces accents de “De Gaulle de gauche” relevés par le gentil Alberto à l’accent chantant, est que cela ne doit pas vraiment lui déplaire, au fond de lui.)

De ce point de vue chronologique, c’est un événement français d’une grande importance. La France vit, dans le cadre ronronnant de la Vème République, dans l’illusion d’être toujours sous l’aile de la gloire des années gaulliennes. A chaque élection présidentielle, on entonne le refrain à cette vieille gloire mitée, trahie et pervertie, en acclamant le “processus régalien” ; ne sont dupes que ceux qui le veulent bien, mais il y en a bon nombre… Il subsiste une complicité générale au sein des milieux-Système pour maintenir cette référence ; même si le sentiment à son égard (on parle de De Gaulle) est bien plus que mélangé et se caractérise majoritairement par une hostilité qui prend diverses postures, comme on est hostile, en période de basses eaux, à tout ce qui est grand, la référence subsiste vaguement pour le confort des discours électoraux et comme un maquillage pour masquer les ravages de l’imposture. Mélenchon introduit, qu’il en ait voulu ainsi ou pas, un élément perturbateur considérable dans cet arrangement. C’est une démarche du type “le roi est nu” : révéler qu’une politique n’existe plus en proposant de la rétablir dans ses grandes lignes, adaptée aux évènements du monde tel qu’il est devenu, c’est-à-dire rebaptisée en “politique de la grande crise”.

Tout cela, encore une fois, ne signifie rien, ni électoralement ni dans l’exercice du gouvernement. Si, par hypothèse extraordinaire, Mélenchon était élu, ce serait un tout autre champ de réflexion qui s’ouvrirait mais tout nous invite, pour l’instant, à travailler sur l’autre hypothèse de sa non-élection, qui est dans l’état des choses complètement acceptable. Dans cette hypothèse-là, il reste effectivement qu’est en train d’être installée, au cœur de la conscience politique française, et très vite comme se font les choses dans le temps du triomphe du système de la communication, une référence qui déchire l’illusion que la politique française actuelle est “fondamentale” au sens où on l’entendait il y a un demi-siècle, et la possibilité qu’elle soit par conséquent une “politique de la grande crise” ; une référence qui, par conséquent, éclaire le vide de cette politique fondamentale complètement dévoyée et réduite à son contraire. C’est un apport fondamental justement, déstabilisant, révolutionnaire pour la psychologie française habituée aux certitudes de l’exceptionnalité ; c’est un progrès si l’on veut, – et, conceptuellement, et ironiquement sans aucun doute, un “progrès” au sens où l’entendaient Maistre et Baudelaire (selon Daniel Vouga, auteur de Baudelaire et Joseph de Maistre) : «[P]rogresser, pour eux, ce n’est pas avancer, ni conquérir, mais revenir et retrouver... [...] Le progrès donc, le seul progrès possible, consiste à vouloir retrouver l’Unité perdue...»

…Et au-delà, – nous irions tout de même jusqu’à prendre date. La période est suffisamment explosive pour considérer que cette élection, si elle se clôt par un résultat conforme (élection d’un des deux “grands”), bien loin d’être un début, sera une suite crescendo d’une situation à l’instabilité extraordinaire. C’est dans ce contexte que la référence introduite par Mélenchon, désormais marquée et légitimée par la poussée populaire qui a marqué sa candidature, peut-être rejointe par d’autres tendances pour l’instant marginales ou non découvertes, peut jouer un rôle non négligeable, voire essentiel. Les choses vont vite dans ces temps incertains.