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2311Le site SouthFront.org publie ce 3 mai 2018 une carte et une description de la localisation actuelle des dix groupes opérationnels de porte-avions de l’U.S. Navy. (Un groupe est formé autour d’un grand porte-avions d’attaque, ou CVN [entre 90 000 et 100 000 tonnes, 70-80 aéronefs], avec quelque navires d’escorte et de soutien, en général un croiseur, et 3-5 frégates, parfois l’un ou l’autre navire de soutien logistique, et l’un ou l’autre sous-marin.) La situation est particulièrement frappante et constitue une bonne illustration de ce que nous jugerions être la “contraction”, – pour des raisons techniques ou pour des raisons stratégiques, c’est à voir, – du principal instrument naval de projection de force de l’US Navy.
Southfront.org, qui ne dit pas clairement s’il a l’intention de publier hebdomadairement une telle carte, donne cette explication générale et méthodologique : « Ceci est la nouvelle mise à jour de la carte de l’emplacement des Groupes de porte-avions d’attaque de l’U.S. Navy, indiquant la localisation approximative de ces groupes d'attaque des transporteurs américains effectuée sur une base hebdomadaire. “SouthFront – Analysis & Intelligence” suit l’évolution de la localisation des groupes de porte-avions en utilisant les informations disponibles en source ouverte. Aucune information classifiée n'a été utilisée dans la production de la carte. »
D’une façon générale, il y a deux sortes de situations de localisation : situation opérationnelle (“à la mer”) et situation disons de réserve ou de contrainte (croisière courte et escale près du port d’attache, immobilisation pour intervention technique). Situation générale actuelle :
• Deux groupes de porte-avions “à la mer” : d’une part, le groupe du USS Harry S. Truman, dont la localisation au 3 mai est le passage du détroit de Gibraltar pour entrer en Méditerranée ; d’autre part le groupe du USS Abraham Lincoln, “au large des côtes de Virginie”.
• Tous les autres (huit groupes) sont en positions quasi-stationnaires que nous qualifierions “de réserve” ou de contrainte : évolution restreinte ou situation d’escale dans un port de passage proche du port d’attache, relâche dans le port d’attache ; ou, d’autre part, immobilisation pour entretien y compris cale sèche, réparation, modification, modernisation, etc. Sept groupes se trouvent concentrés autour de la masse continentale US, – huit si l’on inclut le USS Abraham Lincoln, “à la mer” au large de la Virginie, donc pouvant être inclus dans “la masse continentale US”. Sur ces huit, cinq se trouvent sur la côte Est, trois sur la côte Ouest (y compris le USS Theodore Roosevelt à quai à Pearl Harbor). Le USS Ronald Reagan se trouve dans son port d’attache, à Yokosuka, au Japon, où l’US Navy dispose par traité d’un troisième port d’attache pour sa flotte en plus de ses deux ports d’attache sur ses côtes Est [Norfolk] et Ouest [San Diego].
(On notera que nous parlons bien entendu de cette catégorie des CVN qui sont les grands moyens stratégiques de l’US Navy. Les autres plateformes, essentiellement les porte-hélicoptères avec quelques avions restants à décollage vertical type Harrier aux très faibles capacités du Corps des Marines n’entrent pas dans cette catégorie. On en reparlera si un jour la version du JSF à décollage vertical F-35B devient une vraie machine opérationnelle et non une décoration de convenance, ce qui relève de la science-fiction.)
Faisant l’hypothèse que cet instantané du déploiement des groupes d’attaque de l’US Navy représente une situation courante dans ces temps pourtant intensément crisiques (Syrie, Corée du Nord, etc.), on en tire le constat que le déploiement opérationnel actuel de la flotte est dans une posture extraordinaire de repli, marqué par une sorte de phénomène auquel on pourrait donner le nom de “contraction”. Le mot est emprunté à James Howard Kunstler, pour d’autres circonstances certes, mais dans un esprit qui n’est pas à notre estime fondamentalement différent. Kunstler parle de l’effondrement du Système, nous faisons l’hypothèse que ces dispositions de l’US Navy correspondent au processus d’effondrement de la puissance US, dans sa dimension de projection des forces qui est (qui était) sa stratégie centrale dans la situation de l’hégémonisme mondial des USA.
Il y a deux options : ou bien le Pentagone estime que le porte-avions n’est plus le moyen privilégié de la projection des forces, – ce qui est hautement douteux sinon absurde du point de vue de l’US Navy qui continue son programme de grands porte-avions d’attaque malgré d’innombrables problèmes ; ou bien cette situation répond à un réflexe réel de contraction de l’hégémonie US. Dans tous les cas, la répartition actuelle des groupes de porte-avion, pour quelque raison que ce soit, n’assure plus du tout la sécurité des voies de communication, non plus qu’elles se situent dans l’hypothèse d’une possibilité de confrontation. Il n’y a aucun groupe de porte-avions en mode opérationnel dans les mers bordant la Chine, dans l’Océan Indien, voire même dans l’Océan Pacifique, et aucune présence dans la zone atlantique/Europe du Nord. La progression du groupe USS Harry S. Truman vers la Syrie est pour le moins marquée par une tendance à lambiner qui rappelle d’autres circonstances, si effectivement le groupe n’en est qu’à passer le détroit de Gibraltar. (On l’annonçait au large de la Syrie pour la fin avril.)
Mais n’y a-t-il pas finalement une hypothèse stratégique opérationnelle plus concrète, ce qui serait la représentation opérationnelle du phénomène de contraction ? Nous serions tentés d’y souscrire. Ce serait alors l’idée que les avancées technologiques stratégiques des Russes, annoncées par Poutine dans son discours du 1ermars et que de nombreux signes montrent que les chefs militaires US les ont acceptées, représentent désormais un risque trop grand pour exposer outremer les grands porte-avions d’attaque, – cible rêvées pour ces systèmes, – loin de la masse continentale US, hors de la protection d’une riposte nucléaires stratégique instantanée que les Russes ne voudraient pas risquer. (L’un de ces systèmes, le Kh-47M2 Kinzhal, est d’ores et déjà en service limité sur des avions MiG-31 évoluant à très haute vitesse et à très haute altitude.) Cela, c’est bien une forme d’effondrement de l’hégémonisme de la puissance militaire US.
Mis en ligne le 4 mai 2018 à 10H28