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1803On sait depuis plusieurs années qu’il existe en Israël une opposition entre nombre de chefs militaires et d’organes de sécurité nationale, disons l’establishment de sécurité nationale d'une part, et le gouvernement Netanyahou d'autre part. La modération et le réalisme sont du côté des premiers, l’extrémisme et la radicalisation du côté du second. La récente nomination de Lieberman au poste-clef de ministre de la défense marque encore, si c’est possible, une inflexion vers la droite extrême et agressive du gouvernement Netanyahou. De l’autre côté, depuis ce tournant les déclarations et prises de position se multiplient parmi les généraux, les chefs des services de sécurité (Mossad, Shin Bet), le plus souvent à la retraite mais aussi certains en service actif, qui impliquent la marche vers une confrontation frontale avec le gouvernement.
On peut mesurer la gravité de cette situation lorsqu’on sait que le vice-chef d’état-major en activité, le général Hair Golan, a déclaré dans un discours récent pour la commémoration de l’Holocauste qu’il appréciait de récents développements en Israël comme des signes semblables à ceux qui accompagnèrent la montée du fascisme dans divers pays européens, et tout cela débouchant sur l’Holocauste. C’est dire la puissance du langage, mélangeant le symbolisme le plus brûlant pour Israël aux perspectives les plus extrêmes, Golan voulant signifier que l’évolution des sentiments actuels en Israël pourraient conduire à un Holocauste des populations palestiniennes. C’est cette déclaration qui a été la coup de grâce pour l’ancien ministre de la défense Ya’alon, qui a constamment défendu ses généraux, et son remplacement par Lieberman qui arrive essentiellement pour mener une confrontation face à l’establishment de sécurité nationale.
Le 31 mai, sur Antiwar.com, Jason Ditz résume cette situation israélienne qui a connu un autre sommet de tension avec la publication, le 29 mai, d’une déclaration commun pour établir la paix avec les Palestiniens de 200 anciens chefs militaires et des services de sécurité, tandis que se multiplient des interventions privées, y compris dans la presse étrangère, comme cette interview de l’ancien chef du Mossad (de 1998 à 2002), Ehpraïm Halevy, sur RT le 1er juin 2016 : « Yesterday, some 200 former top Israeli military and other security officials issued a policy paper proposing making peace with the Palestinians, including concessions that even the “center-left” political opposition would never dare to articulate. This is just the latest salvo in a growing war of words between an Israel that is shifting dramatically rightward, and a military that not only isn’t going along for the ride, but increasingly willing, past and present, to dissent from the nationalist line.
» Army Chief of Staff Lt. Gen. Gadi Eisenkot has come under growing criticism for saying the military needs to have moral standards, and many political officials have repudiated his comment that he would not want an Israeli soldier to empty a magazine into a Palestinian girl with a pair of scissors. His deputy, Maj. Gen. Yair Golan, sparked an even bigger uproar soon thereafter, when during a speech at one of Israel’s many Holocaust commemorations he warned that he saw similar developments in modern Israel to those which took place in Europe during the rise of fascism.
» Maj. Gen. Golan’s comments sparked a flurry of furious condemnations from Israeli officials, with Prime Minister Benjamin Netanyahu warning that it was inappropriate for military officials to express such opinions. Golan was defended by then-Defense Minister Moshe Ya’alon, which was seen as the “last straw” in the Israeli far-right government’s ouster of Ya’alon. The Israeli military has tended toward relatively pragmatic hawkishness over the years, and that used to be enough to keep them in the good graces of right-wing governments. The rightward shift has gone so far, however, that it can no longer brook any expression of pragmatism as it runs afoul of the ultra-nationalist, ultra-hawkish consensus. »
L’actuelle “révolte” n’est pas un feu de paille ; il s’agit même d’une “guerre de tranchée” ou d’une guérilla ouverte c’est selon, qui dure exactement dans son intensité actuelle, ouverte et publique, depuis juin 2011 et la sortie tonitruante de communication de Meir Dagan, qui venait (en 2010) de quitter la direction du Mossad. Depuis, la tension entre l’establishment de sécurité nationale et le gouvernement Netanyahou n’a cessé de grandir, avec une mise en cause par les divers chefs, à la retraite récente en général mais parfois en fonction active, d’une politique de plus en plus considérée dans un sens le plus large possible. Il s’agit d’abord de l’affaire palestinienne, où nombre de chefs dénoncent la brutalité opérationnelle et l’impasse politique comme le signe d’une sorte de nihilisme quasiment obsessionnel et maniaque, mais plus généralement d’un extrémisme psychologique également “obsessionnel et maniaque” conditionnant de plus en plus la population dans une mentalité d’assiégé et de peur intransigeante. La critique de certains de ces chefs porte également sur le développement de l’extrémisme religieux juif qui accroit cette tension interne et contribue à une dégradation inquiétante de la psychologie collective.
On peut difficilement mesurer l’impact politique de cette déstructuration progressive de la direction israélienne, mais on pourrait lui attribuer un certain attentisme d’Israël dans les crises récentes qui prolifèrent autour de ce pays. Certains jugent que cette abstention, qui ne serait alors qu’apparente, n’empêche pas Israël d’être très actif au niveau des opérations clandestines, allumant partout où c’est possible des feux subversifs ; mais, justement, on peut s’interroger là-dessus, sur une telle hypothèse, en constatant que le Mossad et le Shin Bet, et l’armée évidemment, sont parmi les plus contestataires de la pratique générale de l’extrémisme dur du gouvernement, et par conséquent peut-on conjecturer, des opérations constantes de déstabilisation. D’autre part, il faut admettre que l’on ne se trouve plus devant un épiphénomène accidentel, tenant notamment à la personnalité de Dagan comme on pouvait d’abord le penser. La durée de cette fronde larvée, le nombre grandissant de chefs impliqués, y compris dans le service actif, l’incapacité du pouvoir civil de trouver des chefs qui lui soient complètement dévoués, montrent qu’il s’agit d’un mal profond et structurel, dépassant bien évidemment la personnalité de Dagan (lequel, décédé le 17 mars dernier après une longue maladie cardiaque, avait dû cesser toute activité depuis quelques années).
Il est certain que la nomination de Lieberman, ce réputé ultra-dur, a pour but d’abord de tenter de mettre au pas les généraux et les chefs des divers “services”. Il serait étonnant qu’il y parvienne, d’autant que ses méthodes brutales ne seront pas faites pour faire revenir ses adversaires à la raison type-Netanyahou parce que ces “adversaires”-là possèdent des pouvoirs intrinsèques et que, depuis maintenant près de dix ans, ils en ont vu d’autres sur le terrain de l’affrontement avec le pouvoir civil. On ne peut alors qu’observer pour décrire la situation, sans réelle surprise, qu’Israël est de plus en plus touché par le chaos (“chaos-nouveau”), qui s’étend d'ailleurs au monde globalisé et touche toutes les structures en place, notamment celles qui sont chargées des questions de sécurité.
Une observation assez remarquable et significative est que l’un des rares points sur lequel s’accordent la direction politique extrémiste et les chefs de la sécurité nationale est celui de la bonne entente avec la Russie et de la recherche de la coopération maximale avec cette puissance au niveau de la sécurité. Une affaire en cours le montre, d’une façon symbolique, parce qu’elle implique Netanyahou autant que l’armée, en même temps qu’une manœuvre symbolique qui est bien dans la manière de Poutine : il s’agit d’un char israélien capturé par le Syriens en 1982, livré aux Russes pour qu’ils examinent ses équipements de protection d’alors, puis transféré dans un musée militaire russe. Le sort de l’équipage n’a jamais été élucidé. Poutine vient d’annoncer que la Russie avait accepté la demande de Netanyahou de restituer le char, et Netanyahou en a fait un communiqué ému :
« I thank the President of Russia Vladimir Putin for responding to my request to return the Israeli tank captured in battle at Sultan Yaakub. The families of the disappeared of Zachary Baumel Tzvi Feldman, and Yehuda Katz have not known about the fate of their sons for 34 years, and don't know where their graves are. This tank is the only evidence of the battle, and now it will return to Israel thanks to President Putin. »
L’armée s’associe bien entendu à ces remerciement, et une délégation se trouvait en Russie dès le 28 mai pour mettre au point les conditions de rapatriement du char. Il semble qu’il s’agisse d’un vieux Patton M48 complètement rénové et transformé par l’armée israélienne. DEBKAFiles consacre une nouvelle à cet épisode, le 30 mai 2016, en en faisant le premier pas symbolique vers un arrangement que les Russes tenteraient de mettre au point avec Israël. Il s’agirait de verrouiller le Sud de la Syrie au profit du gouvernement syrien d’Assad, en échange d’un engagement selon lequel la Russie se porterait garante de l’absence d’attaque iranienne ou du Hezbollah contre Israël. L’armée israélienne favorise notablement ce genre d’accord, y compris avec le rôle de la Russie, et ainsi a-t-on là un exemple d’une tentative paradoxale puisqu’unissant le gouvernement et l’establishment de sécurité nationale en Israël d’établir un axe de stabilisation. Le chaos existe bien pour tout le monde, et il donne des effets divers, dont certains éventuellement stabilisateurs et structurants, au contraire du désordre qui l’avait précédé.
L’essentiel à retenir, de notre point de vue, est que personne n’échappe à cette dynamique nouvelle, y compris Israël... Cela doit conduire à des évaluations différentes et extrêmement souples des politiques des uns et des autres, en rupture avec l’approche idéologisante qui caractérisait la situation entre 2001 et 2010, avec une situation intermédiaire durant le désordre des années 2010-2014, jusqu’au chaos actuel où les lignes idéologiques n’ont plus qu’une utilité à peine parcellaire pour permettre la recherche des vérités-de-situation.
Mis en ligne le 1er juin 2016 à 12H50