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23864 février 2016 – On constate qu’il y a sur le site dedefensa.org un regain d’intérêt pour cette planche absolument pourrie qu’est le JSF. Je me demande bien pourquoi, bien que je sois le premier concerné et que j’avais, quelque part autour de 2011-2012 je suppose, éprouvé une sorte de lassitude pour cette monstruosité, jusqu’à n’en plus écrire là-dessus qu’épisodiquement. Voilà que, d’une façon assez soudaine, il me semble que mon intérêt pour le monstre renaît. Comme souvent dans cette sorte d’occurrences qui n’est pas provoquée nécessairement par une pression extérieure (il y a déjà eu, depuis 2011-2012 des poussées de communication-JSF sans réveiller mon intérêt), elle donne ses effets avant que vous ne le constatiez et en analysiez la cause ; en d’autres mots, la cause s’est imposée à moi sans que je m’en avise. J’aimerais explorer la cause profonde de ce “revenez-y”, de ce “born-again” de la monstruosité-JSF, qui suscite en moi une re-mobilisation de mon attention.
...D’abord, je vais introduire ce propos par des nouvelles supplémentaires complétant le texte du 1er février, venues de diverses sources que je considère comme expérimentées dans ce domaine. Il y a ce texte de Patrick Turner, de DefenseOne.com, du 2 février, dont vous sentirez la terrible tonalité par le titre (« The F-35’s Terrifying Bug List »), et la première phrase : « The F-35 Joint Strike Fighter program, the most expensive military program in the world, is even more broken than previously thought. » Il y a surtout les mots venus de Bill Sweetman, d’Aviation Week, un des meilleurs journalistes sur le cas-JSF bien que Britannique (ce “bien que” dit tout de ce que je pense de la qualité de Sweetman), qui fut censuré en mai 2010, façon McCarthy, par les actionnaires bien-pensants de l’énorme groupe de presse (McGraw-Hill) qui l’emploie et sous l’amicale pression de Lockheed Martin, avant d’être réhabilité en juillet 2010 à cause de pressions de sa rédaction. (Notez également, pour revenir à notre temps courant, que ce regain d’intérêt de moi-même pour le JSF est renforcé par la généralisation de la crise, c’est-à-dire sa diffusion commre facteur essentielde crise dans la presse, Système et antiSystème cette fois, non-spécialisée. Voyez ce texte de Jonathan Marshall, sur l’antiSystème ConsortiumNews du 2 février, sur le “complexe militaro-industriel“ [CMI], où le CMI est ramené de manière significative au cas exemplaire du JSF, devenant ainsi la démonstration nécessaire et suffisante de sa représentation du CMI, dans toute sa puissance et l’inéluctabilité de sa chute.)
Venons-en donc à Sweetman, le 31 janvier sur le site d’Aviation Week ; il nous cite les nombreuses limitations d’emploi du F-35, toutes plus surréalistes les unes que les autres. Surtout, et pour résumer l’ampleur terrifiante du cas, il nous dit ceci avec une plume complètement flegmatique, comme s’il disait “ah tiens, il y a une petite tache ici, il faudrait l’essuyer” : « Overall, the report says, “the rate of deficiency correction has not kept pace with the discovery rate” – that is, problems are being found in tests faster than they can be solved. “Well-known, significant problems” include the defective Autonomic Logistics Information System, unstable avionics and persistent aircraft and engine reliability and maintainability issues. »
... C’est-à-dire, en une formule brève : “les nouveaux problèmes apparaissent plus vite et plus nombreux qu’on ne résout les problèmes identifiés”. C’est une formule intéressante, qui contient peut-être un aspect, une partie de l’explication de mon intérêt renaissant pour le JSF, – j’ai l’impression, le premier soupir, le premier clin d’œil de la cause que je recherchais plus haut. C’est-à-dire qu’il faut bien comprendre ce que nous dit ce membre de phrase qui n’a l’air de rien : « – that is, problems are being found in tests faster than they can be solved... » (“c’est-à-dire, les [nouveaux] problèmes apparaissent dans les tests plus vite qu’on ne les résout”) ; c’est-à-dire, “au plus vous résolvez des problèmes [but des tests], au plus vous en faites naître [conséquence des tests]” ; c’est-à-dire, “au plus vous avancez, au plus vous reculez”, ou encore “au plus vous montez, au plus vous descendez”, et ainsi de suite, – jusqu’au final absolument de type-“dédéfensien”, “au plus vous vous structurez, au plus vous vous déstructurez, au plus vous vous constituez, au plus vous vous dissolvez”... Le JSF, ou la formule-magique de l’entropisation, et ils s’accrochent tous à lui, ils ne peuvent pas le quitter ; c’est littéralement l’Amour-Fou-de-l’entropie ! Système-entropie-je-t’aime !
Ainsi apparaissent mieux les contours de la forme de la cause nouvelle de l'intérêt pour mon compte qu’il faut manifester pour le JSF, du concept qui donne à cette cause une forme si impérative qu’elle me pousse à revenir au JSF devenu pathétiquement F-35 presque comme si ce cas constituait chose nouvelle. Le JSF/F-35 est en train d’acquérir la fonction suprême d’archétype, de symbole, d’événement fondamental de la Grande crise. J’ai souvent écrit, et dans tous les cas espéré (je pèse ce mot, en antiSystème militant), qu’il évoluerait comme ça, qu’il évoluait déjà comme ça, puis je l’ai un peu abandonné, et le voilà qui resurgit, transformé, relifté, portant beau son impuissance totale et destructrice sous la forme sublimée de symbole, d’archétype, avec désormais la rude fonction d’être un des interprètes et représentant majeurs de la Grande Crise, si vous voulez à l’instar de Wall Street quand Wall Street s’effondre, de l’UE quand l’UE s’effrite, de la force militaire du bloc-BAO quand elle fait des coalitions anti-Daesh, de la presse-Système quand elle nous déroule comme des tapis-volants sa narrative sur la Syrie et l’Ukraine. Ainsi ne craint-on plus d’évoquer crûment le destin probable du programme F-35 qui serait d’être parqué par centaines d'exemplaires, impuissants, inutiles, bientôt poussiéreux, sous la forme d’appréciations officielles et non plus polémiques ou non-autorisées dans ce sens ; voici la députée Jackie Speier, une démocrate de Californie, disant « Au mieux, nous mettrons en service un avion instable, incapable de remplir nombre de ses missions essentielles pour de nombreuses années [...] Au pire, il mettra en danger des gens ou bien nous le rangerons dans des hangars et dépenserons des milliards pour [tenter de] le reconstruire... » (« “At best . . . we will be launching an unstable plane that cannot perform many of its core missions for years,” said Rep. Jackie Speier, a California Democrat, last summer. “At worst, it’ll hurt people or we’ll ground it in the hangar and spend billions on a retrofit.” »)
Me voici donc à nouveau sur le pont, à nouveau alerté et attentif sur le sort de JSF devenu F-35 dans ce qu’il peut avoir de symbolique du Système, comme représentation d’une puissance extrême comme facteur de déstructuration et de dissolution de la puissance US et du Système tout court, et plus précisément devenu variable essentielle de la courbe désormais négative et abyssale du parcours du système du technologisme (surpuissance-devenue-autodestruction). Je vais ajouter à ce point une dimension personnelle qui est l’explication naturelle de mon intérêt général, depuis l’origine (1993) pour ce monstrueux artefact aéronautique et technologique qu’est le JSF. Cela n’est nullement gratuit, ni simple pseudo-narcissisme ; au contraire, cela permettra de mieux comprendre à la fois mon intérêt, mon jugement et l’expérience sur laquelle tout cela est fondée.
Ma plus tendre jeunesse, au plus loin que je m’en souvienne, est marquée par un amour fou pour l’aviation. J’en acquis ensuite un intérêt documentaire foisonnant, qui devait se transformer en expertise appuyée sur une connaissance historique très large et assez profonde, que je conceptualisais plus tard encore par la considération que je me formais de l’aviation comme l’un des grands phénomènes du XXème siècle, et contenant de plus les contradictions mises en évidence par la bataille entre Système et antiSystème. L’aviation fut la matrice pour le système du technologisme équivalente au cinématographe comme matrice du système de la communication, – ces deux systèmes qui sont les bras armés du Système. Plus encore dans le symbolique, ces deux activités étant nés essentiellement dans leur véritable développement initial en France, où elles eurent aussi, à l’origine, une puissante dimension culturelle sinon artistique voire spirituelle, c’est-à-dire absolument non-industrielle et partant antiSystème (effectivement pour l’aviation, avec les premiers pilotes à l’esprit si particulier et leur inclusion active dans le monde culturel-artistique, comme on le voit par exemple dans l’amitié exemplaire de Roland Garros et de Jean Cocteau) ; mais ces deux activités très vite phagocytées par le grand concurrent de la France, les USA, où leurs orientations, comme on s’en doute, furent évidemment industrielles, avec la dimension mythique et exceptionnaliste propre à l’Amérique, c’est-à-dire subversion du vrai sens culturel-artistique.
Mon enthousiasme initial pour l’aviation se caractérisait par deux traits : le goût de l’esthétique des avions, et une puissante fascination pour l’Amérique qui fut mon péché fécond de jeunesse. (Ce péché-là me permit plus tard de mieux asseoir puis de comprendre mon antiaméricanisme jusqu’à en faire un domaine essentiel de mon évolution intellectuelle : rien de mieux que regarder le monstre au fond des yeux par la fascination qu’il exerce sur vous pour mesurer sans la moindre entrave, quand vous en êtes quitte, son imposture totale). Ainsi admirai-je sans réserve l’aviation américaine (j’éviterais “américaniste” à ce point), notamment celle qui se développa au moment de l’entrée en guerre, où elle profita à plein des vertus temporaires de la modernité : l’imagination créatrice, l’initiative presque artisanale des premiers ingénieurs qu’on pouvait alors qualifier de “créateurs” encore immunisés contre la subversion totale du Système. C’était l’époque où quelques ingénieurs dotés de vertus inattendues pouvaient créer en quatre mois du début de 1940, pour la somme de $40.000, sans aucun soutien officiel (USAAF) mais sur contrat britannique, le meilleur avion de la guerre, et sans doute esthétiquement le plus beau. Il s’agit du Mustang, de North American (NA-73), que l’USAAF fut finalement contrainte d’adopter, d’abord dans son faux-emploi d’avion d’attaque au sol (A-36 Apache) avant de devenir P-51 sous son nom immortel de Mustang. (La justice de l’histoire invite à ajouter que le Mustang ne fut pleinement ce qu’il fut que lorsqu’on remplaça le moteur Allison un peu poussif par la merveille britannique qu’était le Rolls-Royce Merlin, prestement produit sous licence par Packard et installé en 1943 sur le Mustang à partir du modèle P-51B.) Je ne m’attarderai pas à l’histoire extraordinairement fournie du P-51, sinon pour dire ou répéter qu’il fut l’un des principaux instruments de la puissance donc de la victoire alliée, et que mon amour pour cet avion tenait pour beaucoup à l’exceptionnelle beauté de ses formes. (*) (C’était rencontrer la très simple formule de Marcel Dassault, à peu près “Un bon avion est toujours un bel avion”.)
C’est par ce biais que je reviens au JSF. Dans le développement esthétique des avions modernes et hyper-technologiques, et mis à part les premières monstruosités de la technologie furtive (F-117 notamment), le JSF représente par rapport à l’esthétique générale (les modèles Typhoon, F-22 Raptor, Rafale, les Soukhoi russes) une évolution brutalement faussaire et monstrueuse, – d’ailleurs en bonne partie exigée par la dictature mortelle de la technologie furtive à laquelle s’est soumise l’aéronautique militaire US (l’USAF). Ce n’est pas visible au premier coup d’œil car il y a tout un apparat qui le protège le temps de ce fameux “premier coup d’œil” mais très vite apparaissent ses impostures esthétiques qui le transforment en une caricature d’avion, en un fer à repasser postmoderne, en un esclave consentant de la technologie, en un monstre à peine dissimulé et sorti du Mordor. Il s’agit d’une succession de détails de forme qui donnent finalement ce résultat... Je compare cela à un château soi-disant hanté et produisant des effets mystérieux, bruits, craquements, mouvements étranges et effrayants, etc., qui était le héros du film de 1963 La maison du diable ; exploré par une équipe de chercheurs, il s’avérait que ce château avait été conçu selon des distorsions subversives des règles de la construction qui le rendaient monstrueux, presque vivant comme une créature diabolique ; des angles droits, ou ce que vous preniez comme tels, qui faisaient 85° et non 90° sans que vous vous en aperceviez, des escaliers à l’orientation trompeuse, aux marches d’une dimension insolites, des parquets en légère déclivité, imperceptible à l’œil nu, des portes sans position d’immobilité naturelle, etc. ; une addition de détails qui rendaient un effet monstrueux sans que les formes générales le signalassent au premier abord, – sinon par un malaise indéfinissable, – qui suscitait des mouvements spontanés des choses, avec des craquements mystérieux, des bruits incompréhensibles, presque comme une respiration satanique du bâtiment et faisaient du château une construction effrayante alors qu’elle aurait pu et dû être harmonieuse, et qui ne peut avoir été conçu que par une démarche diabolique... Celui qui la parcourait (sans parler de l’habiter) y perdait son sens de l’orientation, se perdait dans une sorte de labyrinthe trompeur, perdait son équilibre, devenait fou de terreur avec tous ses bruits et mouvements divers : il n’y avait donc pas de fantômes mais la conception, elle, ne pouvait venir que du Diable.
C’est l’effet esthétique que me produit le JSF, qui révèle et confirme immédiatement par son imposture et sa subversion si caractéristiques son maléfice technologique, industriel et stratégique. Vous pouvez alors vous dire qu’il été conçu par le Diable, sous la forme de la machinerie électronique devenue folle et transformée en un énorme filet inextricable, un nœud gordien monstrueux que personne n’aura la force ni le courage de trancher ; conçu par les machines laissées à elles-mêmes, pour tromper le sapiens de toutes les façons enivrés et aveuglé par son hybris, pour produire une sorte de virus monstrueux et absolument destructeur de ce qu’il prétend renforcer décisivement. Et c’est bien le cas, comme on commence à le sentir confusément, comme moi-même serait incliné à affirmer sans ambages : le JSF menace comme une monstrueuse termite la base technologique et industrielle des USA, ainsi que leur puissance stratégique, par les moyens énormes qu’il confisque, la paralysie qu’il impose, la dictature presque théologique qu’il exerce ... Mais alors, le Diable est vertueux, certes, et antiSystème, c’est-à-dire antiSystème comme lorsque l’équation surpuissance-autodestruction est accomplie. Le Système sait “faire-aïkido” pour le compte des antiSystème, sans que les antiSystème ait à lever le petit doigt.
Diable ! (C’est de lui qu’il s’agit.) Il me semble commencer à comprendre mon regain d’intérêt pour le JSF qui a si bien réussi à former le piège mortel nommé F-35. Superbe scorpion cosmique, le Système a fabriqué un dard d’une puissance exceptionnelle pour mieux se porter le coup de grâce. “JSF, toi-le-venin”...
*) Il y a dans L’empire du soleil de Spielberg, une séquence inoubliable. Dieu sait si je n’aime guère Spielberg, cinéaste absolument américaniste et pourri jusqu’à la moelle d’hollywoodisme, – mais soit, par inadvertance n’est-ce pas... Il est vrai que Spielberg adore l’aviation. Dans L’empire du soleil, le héros est un jeune adolescent britannique séparé de ses parents à Shanghai, capturé par les Japonais, allant de péripéties en péripéties. Il se retrouve dans un camp de prisonniers adjacent à une base aérienne japonaise, près d’une sorte de désert. Le gamin est fou d’aviation et se lie avec un pilote de chasse japonais. Puis on est à la fin de la guerre en Chine, quand les forces japonaises sont en lambeaux. Les prisonniers logent dans une ancienne tour de contrôle au milieu d’autres bâtiments, qui forment comme une rue devant eux. On est en été, il fait chaud. Soudain, une attaque US contre la base. Les pilotes US ont compris qu’il y a un camp de prisonniers adjacent. L’un d’eux décide alors de faire un passage très lent (tout de même, autour de 250 km/heure), à très basse altitude pour signaler aux prisonniers qu’il les a reconnus. Et l’on voit alors ce spectacle extraordinaire d’un P-51D Mustang passant à vitesse minimale, 10-15 mètres d’altitude, sous le sommet de la tour de contrôle/dortoir des prisonniers, cockpit ouvert avec le pilote faisant un signe de sa main gantée, et le gamin-héros du film regardant le P-51 en-dessous de lui et répondant au salut du pilote, et sautant, et hurlant de joie, “Hourrah ! Le Mustang, la Cadillac de l’air !”... Cela n’arrivera jamais avec un JSF.
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