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17404 août 2011 – Nous avons préféré mettre des guillemets pour l’emploi du mot, pourtant fort bien admis par la langue française, et similaire en français et en anglais, – sauf les accents qui nous sépareront toujours. (Voir le Larousse : «féral, férale, férals ou féraux, adjectif, du latin fera, bête sauvage : se dit d'une espèce domestique retournée à l'état sauvage»…) La trouvaille, l’emploi de ce mot, est de Richard Murphy, auteur et commentateur du Guardian, ce 3 août 2011. Murphy emploie “féral” pour désigner l’économie retournée à l’état sauvage…
«As I'm explaining in my forthcoming book – The Courageous State – there is a two-part economy in this world. There's the real one – the one where you and I live and meet our needs, make and sell things (if only words on screens) and which is the measure of real well-being. Then there's the other one – the feral one, if you like…»
Le même Murphy, décidément habile dans l’innovation des mots pour désigner les situations, après avoir écrit un article, le 20 juillet 2011, où il compare juillet 2011 à juillet 1914 (le 19 juillet 2011, Martin Walker, de UPI, utilisait la même analogie), propose une autre analogie historique pour les jours d’aujourd’hui (4 août 2011). L’image est celle de Munich 1938 et, pour une fois, après tant d’utilisations grossières et abusives par les penseurs idéologiques type-neocons pour l’Irak et toute cette sorte de chose, elle a sa valeur. Elle désigne les deux très récentes grandes opérations de sauvetage (la Grèce et l’euro en Europe, la dette aux USA), comme une sorte de “Munich financier”, – avec la crise personnalisé par Hitler.
«And the effective interest rates Italy and Spain are paying have gone over 6% when Germany is paying 2.4%, while the US is being marked for credit downgrade by all major ratings agencies. Gold has hit a record price. Perversely, the cost of UK debt has fallen to new lows: we're now a safe haven. Anyone who thinks we are out of the crisis has to be seriously misguided. And as for those agreements, to shift world war metaphors, think of them as being something equivalent to Chamberlain's Munich deal with Hitler – simple exercises in staving off the inevitable.»
Autrement dit, mais fort précisément écrit par lui, non seulement nous ne sommes pas “en sortie de crise” mais bien sur le point d’entrer dans une “seconde” crise. (GFC2, ou Great Financial Crisis 2, comme l’acronyme est partout présent sur Internet et dans les milieux financiers depuis plusieurs mois, pour suivre GFC1, ou Great Financial Crisis 1 de septembre 2008.) «But does that mean a new global financial crisis is likely? My answer is a very simple “yes”. And the reasons are not hard to find.»
Aujourd’hui, 4 août 2011, il n’est pas difficile de trouver partout les exclamations, les alarmes, les indices boursiers, les fluctuations des marchés, les interventions rassurantes des majordomes du Système type-Barroso, etc., allant dans ce sens. Les dirigeants politiques pensaient, avec ces accords, “acheter” quelques mois d’une relative stabilité, sinon une “paix financière” temporaire ; la chose était valable en 1938, pas aujourd’hui ; c’est en jours, voire en heures pour les USA, qu’il faut compter le répit. Plus encore que “les choses vont vite”, nous dirions que le temps métahistorique ne cesse de se contracter avec une force d’accélération et une rapidité affolantes.
Les termes de la chose, avec chute continue des marchés, sont connus. Piquons au hasard Hamish McRae, le 4 août 2011 dans The Independent…
«European confidence has of course been damaged by the travails of the weaker eurozone members. You would expect that. But now the crisis has taken on a new and ugly twist. Fears that governments may not be able to service their debt have spread beyond the bailout countries to Spain and Italy. Even France has seen the cost of borrowing rise sharply just this week…. […]
»As for the US, there is not much point in adding to the mountain of comment about the events of the past few days. No one thinks this is a good way to do things. The even more substantial concern is that the US economy is only inching forward: growth is not nearly fast enough to attack unemployment, stuck at close to 10 per cent…»
La description de Murphy d’un monde financier divisé en deux, – disons, grosso modo, l’économie réelle et l’économie fictive, – n’a rien d’original. (A ce point du constat, effectivement, cela n’a rien d’original. Nous verrons plus loin que l’originalité se trouve lorsqu’on explore ces concepts plus avant que dans la seule dualité réalité-fictivité.) Le rapport est intéressant pour l’anecdote : Murphy le situe à 80-90% d’économie fictive pour certains grands établissements financiers. Mais le terme employé par Murphy, lui, est beaucoup plus intéressant lorsqu’il est poussé à l’entièreté de sa signification. Le langage suggère alors bien plus de réalité que celle qu’on a voulu y mettre, jusqu’à la vérité d’ailleurs. Il introduit deux idées sémantiques qui permettent de nourrir un commentaire.
• D’une part, il s’agit d’une économie “sauvage”, et non pas seulement d’une économie “fictive”. C’est opposer à un terme spécifique un terme plus général, parce que “sauvage” décrit aussi bien une situation générale et fondamentale, une situation de civilisation (ou de non-civilisation, ou de contre-civilisation), qu’une situation technique, caractérisée par les manipulations électroniques et les comportements corrupteurs et irresponsables. L’accent doit être mis sur le fondamental, cela va de soi.
• D’autre part, il s’agit d’un état dynamique dans la définition qu’on en donne, l’économie est re-devenue sauvage si l’on se réfère à l’exacte définition du mot. La signification installe la crise qui prétendrait n’être que financière dans la chronologie crisique, la structure crisique générales. Il s’agit certes de la Grande Crise de notre temps, un temps où la contre-civilisation, arrivée en phase terminale où l’autodestruction a pris complètement le pas sur la surpuissance, a déclenché un mouvement massif de transmutation vers l’état sauvage (donc, bien un “retour” vers cet état, par rapport à ce qui existait avant) qui semble une phase inévitable de l’effondrement en cours. Plus encore, et pour introduire un distinguo essentiel qu’on verra plus précisément, plus loin : “sauvage” n’est pas un terme économique, même si Murphy entend l’appliquer strictement à l’économie. (On verra, plus loin, que ce n’est pas du tout notre cas.)
(Inutile de nous attarder à la solution que propose Murphy, qui est rien moins qu’excitante et encourageante, malgré la bonne volonté qu’on y distingue. Compter sur des Courageous State, avec les “hommes politiques” courageux qui vont avec, c’est ressasser un espoir que plus rien, absolument plus rien ne justifie… – «Don't do it and the world of feral finance wins. It's a blunt choice. Will we have politicians willing to do this? That depends on whether or not we can recreate courageous states at a time when we desperately need them.»)
La “sauvagerie” de la situation se trouve certainement, d’abord pour le point de vue conjoncturel, dans l’extraordinaire échec à rétablir un simple vernis psychologique de confiance, attenant à une simple enveloppe temporaire de ré-stabilisation, avec les opérations “de sauvetage” (!!!) en Europe et aux USA, le mois dernier. Notre “global arrogance”, signalée le 24 juillet 2011, se colore d’une conjoncture extraordinairement dérisoire à force de pathétique exprimée par l’impuissance même de faire illusion avec le calendrier également dérisoire des effets qu’on constate. (“Confiance” rétablie pour quelques jours, voire quelques heures, pour des mesures colossales, quantitativement parlant, – entre €milliards et $trillions : le quantitatif d’un ordre colossal en masse d’argent a engendré un apport qualitatif, sous forme de confiance et de répit de la tension déstructurante, d’un ordre absolument dérisoire.) Tout cela exprime un fond de comportement et de pensée de nos directions politiques parfaitement à mesure, et qui s’exprime dans les schémas théoriques de la crise centrale du Système que nous privilégions. Jamais autant de puissance (la surpuissance de notre contre-civilisation, rassemblée d’abord dans le bloc BAO) n’aura produit autant de faiblesse et d’impuissance, à un point qu’on peut sans aucun doute parler d’une façon impérative du processus d’autodestruction définissant désormais à lui seul l’évolution des choses, avec le processus de surpuissance alimentant désormais directement ce processus d’autodestruction. (L’inversion par rapport à un processus civilisationnel normal caractérisant le Système sous la forme d’un processus de surpuissance déstructurant de la civilisation, est désormais à son tour victime d’une inversion totale en se mettant au service du processus d’autodestruction de lui-même [du Système].) On ajoutera évidemment que le “courage” espéré par Murphy pour des mesures héroïques, sur la forme desquelles nul ne s’entend évidemment, relève d’une complète fantasmagorie. On a la très forte impression que les directions politiques n’ont même plus la force de poursuivre, dans leurs discours, le simulacre qui, ces dernières années, leur tint lieu de politique. Elles sont épuisées, complètement vidées de leur substance.
Cette situation générale s’exprime bien dans le constat de l’“économie férale”, mais comme un début de constat. Murphy n’a pas été au bout de la logique impliquée par l’emploi juste de ce terme très approprié, qui différencie décisivement la GFC2 à venir sans doute très vite, de la crise dite GFC1 (septembre 2008). La crise de septembre 2008 est l’aboutissement d’une série de “bulles financières” éclatant les unes après les autres, ou bien les unes avec les autres, qu’importe car seules comptent les éclatements dès lors que tout cela provoque la chute du montage général. Lorsqu’il est question de “bulles”, il n’est pas question de “sauvagerie”. Les “bulles” sont construites d’une façon ordonnée, certes en pleine irréalité, en virtualisme-turbo, mais tout de même selon une structure qui a une certaine cohérence interne. L’économie fictive n’est pas sauvage, elle est virtualiste, donc faussaire selon des schémas qui ont une logique interne, par où existent à la fois une cohésion et une logique de faussaire, y compris des faussaires électroniques (la machinerie qui va avec, et aide à la constitution des “bulles”).
L’effondrement de 2008 a été l’effondrement de cette architecture fictive-virtualiste, ou faussaire-virtualiste, entraînant l’intervention des Etats qui se sont mis dans la situation que l’on sait. Ce faisant, les Etats souverains ne sont pas entrés dans le système faussaire-virrtualiste qui avait éclaté comme toutes ses “bulles”, ils ont contribué d’une façon très différente en infectant l’économie réelle à transformer l’économie faussaire-virtualiste infectant l’économie réelle en une “économie férale”, qui n’a plus aucune cohésion, plus aucune logique, plus aucune architecture interne, fût-elle virtualiste-faussaire. C’est bien la sauvagerie à l’état pure, dans laquelle les Etats eux-mêmes ont été entraînés, trahissant ainsi leur fonction régalienne et souveraine fondamentale, se dissolvant par conséquent dans le processus.
Il ne s’agit alors plus d’économie ni de finance principalement sinon exclusivement, mais bien de civilisation. La crise qui se profile est celle d’un monde sauvage, où plus aucune logique courante et rationnelle à l’intérieur de notre Système, fût-elle virtualiste-faussaire, n’a cours. C’est un épisode où n’aura plus cours que la dynamique de l’effondrement qui caractérise une architecture de civilisation, fut-elle déjà perverse et virtualiste-faussaire. L’élargissement de la crise bien au-delà des domaines financier et économique, montrant que nous sommes complètement dans la crise de civilisation, se constate dans le fait que cette crise comprend notamment un volet fondamentalement politique avec la crise du pouvoir US, voire de la structure politique et fédérale des USA, et, dans des conditions différentes, une crise du “pouvoir” européen et des structures européenne ; il y aussi, en pleine activité, des crises sociales et de remise en cause fondamentale quoique encore très vague mais évoluant rapidement du Tout qu’offre le Système (les “indignés”, le “printemps arabe”, Gore et son “printemps américain”, etc.). On comprend bien la signification de ce constat en observant ce qu’a été la crise de la dette à Washington, censée être une crise budgétaire et financière, et qui n’a plus rien à voir avec cela, – la “dette”, une “bulle” de plus ou de moins dans un univers de “bulles” qui crèvent et où volent dans tous les sens les €milliards et les $trillions comme s’ils étaient l’argent de poche de la crise… Cette crise, très vite, n’a plus été la crise de la dette, mais la crise du pouvoir US, du système washingtonien, peut-être de la cohésion des USA, — nous sommes à l’étage supérieur. On mesure tout cela au fait que l’accord sur la dette n’a apporté aucune détente mais, au contraire, a aggravé aussitôt les spéculations, d’ailleurs beaucoup plus sur la crise du système washingtonien que sur l’état du budget fédéral ou la situation économique.
La première crise GFC1 de septembre 2008 était une crise de subversion d’un ordre (économique et financier), la subversion s’exprimant sous la forme des “bulles” nourries par la corruption, la cupidité, l’illégalité selon les formes ordonnées du crime organisé, la manipulation technologique, etc. L’intervention de pouvoirs disposant encore, alors, d’une apparence de légitimité (les Etats souverains) pouvait faire illusion, et elle fit une certaine illusion sur l’instant de cette intervention. Certains s’employèrent à prolonger cette illusion avec diverses vaticinations sur la “reprise”, l’“expansion”, les inénarrables “jeunes pousses” de printemps (2009) de l’humoriste Bernanke, etc.
La crise qui s’annonce (GFC2) et qui semble encore plus inéluctable que la première tant le mécanisme qui l’anime est puissant et général, largement au-delà du financier et de l’économique, sera nécessairement d’une toute autre substance ; ce sera une crise de dissolution, et là se trouve bien son aspect “féral”. Le monde organisé, après des à-coups de plus en plus brutaux et déstructurants, a perdu toutes ses structures civilisationnelles en devenant une contre-civilisation absolue, et il s’effondre avec le processus d’un retour à la sauvagerie. Il s’agit d’ailleurs d’une “sauvagerie” par rapport à la contre-civilisation qui se dissout, qui est elle-même une structure de complète subversion avec des aspects de “sauvagerie” qui vont avec, dont les règles entretiennent désormais un désordre inégal et cruel, absolument déstructurant ; par conséquent le terme “sauvagerie” pour la situation à venir, qui a valeur de logique théorique, n’a certainement pas, et de loin, toute la connotation négative qu’on serait porté à lui attribuer. L’analogie inévitable qui revient ces derniers jours avec la Grande Dépression, soit le krach de 1929, soit la relance de la crise en 1936-1937 pour les USA, cette analogie n’a plus aucune pertinence. Il s’agissait, dans les années 1930, de la crise d’un système spécifique et identifié (le système capitaliste), dont l’issue fatale fut écarté par la guerre. Aujourd’hui, c’est une crise de civilisation devenue une contre-civilisation, qui est déjà la chute de cet artefact monstrueux, ou la Chute tout court. Ce n’est pas une guerre qui nous attend, qui concerne un temps dépassé et obsolète, mais des événements bien plus fondamentaux.
Par conséquent, affutons nos acronymes… GFC2 n’est pas GFC2, mais bien GCC tout court, sans numérotation, – pour “Great Civilisationnal Crisis” (ou in French, les deux acronymes correspondant pour une fois, “Grande Crise Civilisationnelle”) ; ou encore, si l’on préfère la sophistication, GCCC (“Grande Crise de la Contre-Civilisation”, ou “Great Counter-Civilization Crisis”).
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