La DIA et le premier cercle de BHO

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La DIA et le premier cercle de BHO

13 février 2016 – Cela fait un certain nombre d’années, – tiens, justement, quasiment une décennie, – que nous suivons les signes multiples de désaccords des militaires US avec la politique-Système suivie par le pouvoir politique, notamment les présidents et leurs cercles privilégiés de conseillers idéologisés à mort et caractérisés par des psychologies-Système hystériques et paradoxalement totalement psychorigides dans ce domaine pourtant si agitée de l’hystérie (les neocons pour GW Bush, les R2P pour Obama). Sans oublier les désaccords initiaux de 2002-2003, lorsque le chef d’état-major de l’US Army, le général Shinseki, s’éleva contre le format des forces décidé par Rumsfeld pour l’attaque contre l’Irak puis démissionna, il y eut d’abord, surtout en 2006-2008, les grandes manœuvres de l’US Navy pour éviter une guerre avec l’Iran contre les poussées bellicistes du groupe/de la secte-Cheney, notamment avec les amiraux Mullen (président du comité des chefs d’état-major en 2007, ou JCS) et Fallon durant son commandement à la tête de Central Command (CENTCOM, 2007-2008).

Plus récemment, depuis le développement diluvien du “printemps arabe” et de ses conséquences, c’est un autre groupe qui a pris la voie d’une semi-dissidence sans qu’il faille différencier le fondement de cet engagement par rapport à celui du groupe précédent, pour s’opposer autant que faire se peut aux projets guerriers, notamment en Syrie : il s’agit notamment du général Dempsey (président du JCS après Mullen) et de la DIA, comme on le sait abondamment depuis les sorties désormais très nombreuses du général Flynn, directeur de la DIA jusqu’en 2014, et avec l’article de Seymour Hersh de septembre 2015. On peut écrire, selon ces diverses considérations depuis 2006-2007 et jusqu’à celles que nous faisions encore en décembre 2015, qu’il existe au sein des forces armées US une sorte de “contre-pouvoir” fondamentalement quoique discrètement méfiant sinon hostile à l’actuelle culture du pouvoir civil, qui est assez diffus et insaisissable parce que son emplacement et sa composition précise évoluent selon les crises considérées et les armes impliquées.

On peut dire d’autre part que la puissante DIA (la CIA du Pentagone) tient une place permanente dans cette sorte de “contre-pouvoir” de type postmoderne (parce que dans un environnement postmoderne comme on va le voir),  parce qu’elle se trouve à la pointe de la connaissance à la fois des activités ordonnées par le pouvoir politique, à la fois des vérités-de-situation opérationnelles. Les révélations sensationnelles et qui ont rencontré l’écho du silence le plus complet (signe de l’importance considérable de la chose) sur les liens entre la DIA et le service de renseignement GRU des militaires russes montrent effectivement l’originalité de la position de la DIA. C’est cette même DIA, par la voix du général Flynn, qui se plaignait de l’hermétisme absolue de l’accès à la Maison-Blanche constitué, selon les mots de Flynn, par une “impénétrable narrative” (selon le colonel Pat Lang, ancien de la DIA : « Our colleague David Habakkuk remarked here that LTG Flynn and the DIA encountered in Obama's Borgist administration an “impenetrable narrative.” »)

(Ici, on placera une nuance qui précise mieux de quelles forces armées, de quels militaires l’on parle. Nous parlons effectivement des chefs militaires qui ont conservé des perceptions renvoyant à la culture militaire traditionnelle, fondées sur leur appréciation de la sécurité nationale, sur leurs conceptions stratégiques et surtout sur l’usage de la stratégie et de la sécurité nationale pour la constitution et la nourriture de leur culture ; enfin, ces chefs paradoxalement non-interventionnistes dans les affaires politiques alors qu’ils sont pourtant amenés à le devenir, on verra plus loin pourquoi et comment. On n’inclut pas dans ces chefs militaires le cas des  “généraux politiques”, c’est-à-dire ambitieux pour l’ambition elle-même quitte à sacrifier la culture et la tradition militaires, prêts à s’accommoder de n’importe quel pouvoir politique justement pour satisfaire ces ambitions. L’archétype de ces “généraux politiques” est évidemment l’inratable David Petraeus, à la retraite mais toujours actif, qui paradoxalement n’est pas militairement le plus mauvais des généraux mais qui a une ambition arriviste et opportuniste absolument dévorante.)

Très récemment, dans The American Conservative du 9 février, l’ancien officier de la CIA Philip Giraldi a publié un article sur l’opposition au pouvoir civil au sein du Pentagone. Giraldi est un bon auteur, avec les sources qui vont bien : il fait partie, avec des gens comme McGovern, etc., du groupe VIPS (Veterans Intelligence Professionnals for Sanity) regroupant une trentaine d’anciens officiers du renseignement US qu’on peut pratiquement apprécier comme “dissidents” mais qui gardent tous les contacts nécessaires avec les milieux d’où ils viennent.

Son article de The American Conservative s’attache surtout à donner une appréciation de la justesse de l’article de Hersh référencé plus haut, sur les activités de Dempsey et de la DIA, notamment vers les Russes, pour aider les Syriens d’Assad à combattre les groupes terroristes. Giraldi a tendance à minimiser cette action tout en estimant d’une façon générale que les renseignements et estimations donnés par Hersh sont fondés. Citant également Gareth Porter, autre excellent auteur qui a récemment révélé l’information selon laquelle le commandement pour l’Afrique des forces armées US (African Command) avait réussi à négocier la possibilité d’un compromis avec Kadhafi en Libye en 2011 (départ de Kadhafi, conservation des structures étatiques en place), qui aurait permis d’éviter le désordre actuel, – autre exemple d’initiative modératrice des forces armées qui se heurta à un brutal rejet de la secrétaire d’État Clinton qui préférait manifestement voir Kadhafi empalé (“We Came, We Saw, He died”), – Giraldi écrit :

« As both Hersh and Porter observe, the activity by the generals did not change policy one bit—and one might also imagine that it would be a brave flag officer who would jeopardize his career by engaging in activity that would be unlikely to have any real impact. I would suspect there is more than a touch of hyperbole in the tale of generals engaging in derring-do to tweak the nose of the White House and I would add that the rebellion by the Joint Chiefs, if it occurred as described, is really little more than a display of petulance.

» But it is nevertheless interesting to note the depth of unhappiness among professionals in government with the administration’s stop-and-go policies in the Middle East. »

Mais surtout, de notre point de vue, Giraldi révèle lui-même, dans ses recherches pour composer son évaluation de la position et de l’action “dissidentes” de ces milieux militaires, le résultat de contacts qu’il a eus avec deux sources du National Security Council (NSC) d’Obama, sur les méthodes de “travail” d’Obama. C’est l’occasion de voir comment fonctionne cette forteresse à l’“impénétrable narrative”, qui bloque toutes les informations venues des renseignements (de la DIA pour notre compte), au profit d’un cercle très rapproché essentiellement composé de trois créatures absolument hystériques, qui composent le cimier idéologique et théorique, sinon théologique, de la politique extérieure des USA selon le président Obama. Il s’agit d’une descente dans les abysses, également “absolument hystériques”, de la fonction absolue R2P (pour “Right To Protect”) animant toutes les variables interventionnistes de la politique-Système, avec comme instrument prioritaire de l’esprit l’affectivisme qui élimine toute incursion modératrice et logique de la raison et de l’expérience au profit de la poursuite d’une narrative hallucinée (Hillary Clinton fait partie de la même secte, bien entendu).

C’est donc ainsi que “travaille” Obama, dont Giraldi nous précise qu’il ne s’intéresse pas vraiment à la politique étrangère, ce qui est éclairant après sept ans passées à la Maison-Blanche au cœur de l’époque qui connaît de furieux tremblements crisiques sans précédent dans l’Histoire et nous confirme le vide absolu caractérisant ce président particulièrement cool et postmoderne. Ses collaboratrices, ou “premier cercle”, sont trois personnes du genre féminin dont deux Africaines-Américaines, ce qui révèle un sens aigu à la fois du multiculturalisme et des quotas de “genre” ôtant dans notre esprit le dernier doute, s’il y en avait encore un, sur le caractère absolument postmoderne de l’entreprise. La politique d’Obama doit être définie littéralement comme une PC (“Politique Contemporaine”), comme l’on parle de l’AC (“Art Contemporain”), c’est-à-dire une “politique” dont la principale vertu est de ne pas exister en tant que telle mais bien d’être créée par les évènements eux-mêmes transformés en narrative convenue, et ce que ses conseillers (conseillères) interprètent de ces événements-narrative selon leur vision absolument et hystériquement postmoderne. (Ces “conseillères” sont, selon le classement de Giraldi Susan Rice, directrice du NSC ; Samantha Powers, ambassadrice US à l’ONU, à qui il arriva d’agresser physiquement au point qu’il fallut la retenir, en plein Conseil de sécurité, l’ambassadeur russe à l’ONU ; enfin, Valerie Jarrett, conseillère personnelle de BHO depuis 2008 et “copine” du type sociologue-postmoderne du temps de Chicago. Victoria Nuland ne fait pas partie du lot, elle est un simple satellite du “premier cercle”, n’étant que neocon, c’est-à-dire sans la noblesse inhérente à la fonction-R2P.)

Enfin, voici ce que Giraldi nous en dit, nous expliquant chemin faisant la différence référentielle qui sépare les hystériques-R2P des hystériques-neocon :

« As chance would have it, I have recently had candid discussions with two current members of the National Security Council who will have to remain nameless. The first one dropped a bombshell, to my mind, by observing that President Obama, like Bill Clinton, is largely indifferent to intelligence reports. He rarely reads the digests that are presented to him each morning and prefers to make decisions based on his own instincts and what he is being told by his advisers.

» The second official, who has been on the NSC since Obama took office, explained the Obama world view. He said that Obama has been convinced by his three closest foreign policy advisers—Rice, Valerie Jarrett, and Samantha Power—that the top U.S. foreign policy priority should be the “responsibility to protect,” or R2P as it is abbreviated. He described how the Obama team sees the Rwandan Genocide of 1994, in which at least half a million mostly Tutsi tribesmen died while the world looked on, as equivalent to the way in which neoconservatives view the Holocaust, leading them to act as if it’s always 1938 in Munich.

» The interventions in both Libya and Syria can be explained in those terms: a bid to prevent mass slaughter of civilians without any particular regard for what comes afterwards or what the strategic consequences might be. If Obama agrees in principle to keep substantial numbers of American troops in Afghanistan past 2017, the reasoning and possible consequences will be the same. »

Cet ensemble de constats et de divers rappels place l’opposition des militaires telle qu’on l’a rappelée sous une lumière nouvelle. Avec un certain soutien de deux secrétaires à la défense entre 2006 et 2014 (Gates et Hagel), mais certainement aucun de Ashton Carter (successeur de Hagel) qui s’est montré jusqu’ici sans la moindre personnalité sinon celle d’un bureaucrate obéissant, les forces armées n’ont pas organisé de contre-pouvoir actif, ni même de complot bien entendu, mais se sont simplement trouvées dans un état naturel de “légitime défense” par rapport à leurs conceptions, à leur pensée stratégique, et surtout par rapport à leur culture. C’est dire si cette opposition est profonde et transcende en vérité les conceptions habituelles de sécurité nationale qui, par exemple, pourraient les placer par patriotisme (vieux principe suranné) comme adversaire inconditionnel de la Russie comme ils le furent pendant la guerre froide. Le paradoxe ici, précisément sur ce point, est que ces militaires US sont conceptuellement et culturellement plus proches des Russes (les forces armées, le GRU, et même Poutine) que de leur président actuel. (La visite de trois jours à Moscou en juillet 2013, à l’invitation du GRU, du général Flynn, alors directeur de la DIA, est selon notre perception, outre l’exceptionnalité évidente de l’événement, un signe certain de cette proximité culturelle entre militaires russes et militaires US.)

Le problème pour les militaires US est que le départ d’Obama ne promet pas nécessairement de régler, ni même d’ouvrir une orientation nouvelle vers un changement de la situation à laquelle ils font face aujourd’hui, et qui n’a fait que s’aggraver depuis 2006-2007, sinon depuis 2002-2003. Le fait est plutôt qu’ils se trouvent, comme tout le monde, dans la plus complète incertitude. On connaît les conditions actuelle des présidentielles, avec ce phénomène considérable de la poussée des deux extrêmes, populistes et antiSystème, Sanders et Trump. De ces deux candidats-surprise et antiSystème, nul ne peut rien dire, ni sur leurs chances d’arriver à être désignés, ni sur leurs chances d’être élus, ni sur leurs politiques, ni sur leurs capacités à imposer des changements ou à faire changer l’orientation-Système de la politique s’ils le cherchent, ni des possibilités de troubles graves dans leur affrontement avec l’establishment s’ils arrivaient en position d’être désignés/d’être élus, etc. Comme pour nous, comme pour tous, Sanders-Trump c’est terra incognita...

On connaît également la logique de ces élections du point de vue de l’establishment en général, si l’hypothèque Sanders-Trump (l’un contre l’autre, ou chacun isolément) est écartée. Le courant le plus fort  considère Hillary Clinton comme le vainqueur idéal : une femme (bravo pour le postmodernisme sociétal), avec une posture progressiste un ou deux jours par an (en général les 30 et 31 février) et les doux yeux pour Wall Street le reste du temps, avec une expérience de politique internationale faite de tapage et de déplacements de rock-star, avec une casserole nommée Emailgate qui permet de la “tenir” en cas de nécessité. Surtout et par-dessus tout, il s’agit d’une Hillary avec une hystérie affectiviste dévastatrice qui promettrait de nous faire du super-Obama en guise politique extérieure, ce qui rencontre le vœu des franges extrémistes interventionnistes (neocon et R2P), c’est-à-dire de l’extrémisme-Système, et diverses forces capitalistes et mercantilistes (le Corporate Power, l’industrie de l’armement, la finance, les centres d’influence interventionnistes, etc.).

(A en juger par son comportement, notamment par rapport assez contrasté à ce qu’elle fut [dans les années 1990], ses excès, ses manifestations de communication débridées, ses déclarations parfois chaotiques et toujours marquées par l’extrémisme, sa vénalité sans vergogne notamment avec le montage de la Fondation Clinton avec Bill, Hillary Clinton est un esprit déséquilibré, une psychologiste épuisée et dévastée par l’influence du Système. En conséquence, il y a chez elle une absence totale d’une raison équilibrée au profit d’une raison-subvertie ; son cynisme pratiquée avec naturel, presque comme du business as usual, n’arrive évidemment pas à remplacer ce vide de la raison, en ne tempérant aucun de ses excès, mais au contraire en la conduisant à élaborer des narrative opérationnalisant justement ces excès, et que sa psychologie épuisée la conduit à prendre pour du comptant.)

Le rôle discret mais central de la DIA

Parmi les divers centres au sein des forces armées plus ou moins intéressés par un changement de politique, on trouve évidemment la DIA comme on l’a vu, et plutôt la DIA en tant qu’institution au travers d’un personnel assez stable, motivé par la forme de son travail, et soumis à beaucoup moins d’influence politique que ne l’est, par exemple, le personnel de la CIA. Même si sa direction joue un rôle important, comme on l’a vu avec le général Flynn, la DIA dispose d’une culture fondamentale, qui rencontre celle qu’on a décrite ci-dessus au travers de divers épisodes de la part des militaires en général. Cette orientation et cette situation ont déjà été mises en lumière à différentes reprises, historiquement comme dans l’actualité la plus récente. Il suffit de rappeler deux épisodes à cet égard.

• En décembre 2007, la communauté US du renseignement produisit un National Intelligence Estimate (NIE 2007) qui fit grand bruit. Nous avions même parlé à cette époque d’une sorte de « Coup d’État postmoderne », puisque la NIE-2007, se concentrant sur la crise iranienne, affirmait que l’Iran avait interrompu son programme de développement de l’armement nucléaire et se trouvait à au moins sept ans de produire une arme nucléaire si ce pays décidait sur l’instant de relancer ce développement (« La NIE 2007 met en évidence que l’Iran avait arrêté son programme de développement d’armes nucléaires en 2003, et, qu’au mieux [en cas où il reprendrait un tel programme] il ne disposerait pas d’assez d’uranium enrichi pour commencer à le mener à bien avant au moins 2015. possédait pas d’armement nucléaire, était loin »). Ces affirmations contredisaient totalement la politique conduite par l’administration GW Bush, et notamment les affirmations permanentes du vice-président Cheney, avec sa clique neocon qui régnait sur l’administration. Il est généralement admis que la DIA joua un rôle prépondérant dans cette analyse qui fut réalisée par une task-force composée d’une intégration des diverses positions des agences de renseignement et de sécurité nationale ; l’influence de la DIA permit notamment à la délégation de la CIA d’échapper à l’influence politique du pouvoir civil qui s’exerce constamment sur la grande agence centrale de renseignement. La NIE-2007 verrouilla décisivement la position de l’US Navy défavorable à un affrontement avec l’Iran et permit d’écarter tout risque sérieux d’attaque, comme l’auraient notamment voulu les Israéliens et leurs relais washingtoniens.

• Très récemment, en septembre 2015, il y a eu l’annonce d’une véritable “révolte collective” d’une cinquantaine d’analystes de la DIA détachés à CENTCOM (Central Command), qui ont dénoncé les pressions exercées sur eux par le commandement de CENTCOM pour produire des analyses favorisant le travail du commandement et satisfaisant le pouvoir politique dans le sens d’une déformation optimiste de la situation. Cette “révolte”, détaillée le 10 septembre 2015 par le site The Daily Beast (TDB), aboutit à une lettre collective demandant à une autorité interne légale du Pentagone d’examiner la plainte du groupe d’analystes. (On ignore ce qu’a donné cette intervention légale, et il est certain qu’elle a dû rencontrer nombre d’obstacles ; mais ce qui nous intéresse ici n’est pas l’affaire elle-même, mais ce qu’elle nous dit de la position collective du personnel de la DIA.) Nous écrivions à ce propos :

« Dans son édition du 10 septembre 2015, TDB va beaucoup plus loin en révélant l’existence d’une véritable “révolte des analystes” impliquant une cinquantaine d’officiers de renseignement, essentiellement des officiers de la DIA affectés à CENTCOM, ce commandement militaire US déjà signalé et qui a en charge les zones du “grand Moyen-Orient” jusqu’au sous-continent indien. Des précisions nombreuses sont données sur les méthodes employées pour exercer les pressions sur les analystes, avec la description du climat qui accompagne ces pressions définies par le terme de “stalinien”. L’articlé de TDB compare cette situation à celle de 2002-2003 où des pressions énormes furent exercées sur les analystes du renseignement (essentiellement la CIA dans ce cas), pour les forcer à produire des rapports concluant à l’existence d’armes de destruction massive dans l’arsenal de Saddam, au contraire de tout ce que ces analystes observaient, pour disposer d’un argument-postiche pour attaquer l’Irak. (“The accusations suggest that a large number of people tracking the inner workings of the terror groups think that their reports are being manipulated to fit a public narrative. The allegations echoed charges that political appointees and senior officials cherry-picked intelligence about Iraq’s supposed weapons program in 2002 and 2003.”) Une lettre signée par deux analystes et soutenue par une cinquantaine de leurs collègues a été officiellement adressée aux autorités compétentes sous forme de plainte ; cela implique l’ouverture d’une enquête officielle du Contrôleur Général du Pentagone qui, si elle est menée à terme et conclut dans le sens des plaignants, pourrait éventuellement produire des remous importants, selon l’évolution de la communication à cet égard. »

Ce que nous suggérons ici n’a absolument rien d’une subversion d’un parti de militaires, ni rien qui puisse ressembler à un coup d’État. A notre sens, cette sorte d’action et de comportement est complètement dépassée. D’ailleurs nous ne suggérons rien du genre de la prospective, nous faisons certains constats, ici notamment à propos de la situation et de l’action de la DIA, que nous confrontons avec ce que nous jugeons être comme un conflit culturel cachée mais d’une intensité extraordinaire entre d’une part l’essentiel des tendances des militaires US et d’autre part l’influence politique prépondérante à Washington, autrement dit l’influence du Système dans le sens d’une déstructuration-dissolution de la psychologie avec ses effets autant sur les mœurs et les modes de pensée, que sur la politique elle-même. C’est notamment pour cette raison que l’hypothèse que nous faisons d’une proximité culturelle entre les militaires US et les Russes n’est, évidemment, nullement indifférente. D’une certaine façon, il s’agit d’une évolution parallèle avec celle qui touche tout un ensemble politico-idéologique, et bien entendu culturel lui aussi, notamment de la droite conservatrice traditionnelle, ou paléo-conservatrice, et qu’on illustra par exemple avec un jugement de Patrick Buchanan sur Vladimir Poutine où Buchanan disait de Poutine, pour son compte et celui de la tendance qu’il représente, qu’il était (qu’il est) “l’un des nôtres”.

Bien entendu, les services de renseignement, et surtout la DIA dans ce cas, ajoutent à cette proximité de culture une information et une analyse beaucoup plus avancées que la plupart des autres services et milieux, cela les mettant à l’abri des narrative et de leurs conséquences, comme le déterminisme-narrativiste. On le voit bien avec le groupement VIPS et ses diverses analyses et interventions publiques (notamment à l’intention du président, mais avec l’insuccès qu’on imagine), aussi bien que la facilité avec laquelle nombre de ses membres entretiennent des contacts à haute visibilité de communication avec la Russie.

...C’est-à-dire que nous montrons ici une situation générale, qui s’est formée en profondeur, depuis des années, au travers de diverses péripéties qui n’ont cessé d’en accentuer les caractères pour conduire à cette puissante occurrence structurelle qui correspond parfaitement aux clivages qu’on constate aujourd’hui, à l’intérieur d’ensembles (notamment nationaux) qu’on jugeait jusqu’alors soumis à une même légitimité et une même souveraineté. Le développement sur la DIA n’est pas indicatif d’une spécificité prévisionnelle concernant cette organisation mais bien le cas d’un exemple très spécifique qui relève à la fois de l’expérience des années passées et de l’évidence, – et avec cette seule caractéristique d’être cité comme un exemple.

Nulle prévision ni prédiction de notre part, par conséquent, mais la description de cette situation, avec l’identification de certains acteurs, et cette situation devenant nécessairement extrêmement sensible dans le climat général que suscite l’actuelle campagne électorale où des événements extraordinaires sont en cours, reflétant eux-mêmes, dans un autre domaine le même type de conflit postmoderne. L’hypothèse qu’on peut alors avancer est que, dans un tel climat, l’entité collective que tend à former une partie des cadres militaires supérieurs et certaines organisations à très forte implication d’information et de communication des affaires politiques ne peut être indifférente à l’évolution politique actuelle aux USA, potentiellement explosive et qui implique des questions fondamentales touchant effectivement cette entité.

Encore une fois, il nous faut insister, en guise de conclusion, sur le fait absolument central que cette situation n’est pas de type stratégique ou de politique militaire, mais bien plutôt, et fondamentalement, du type que nous qualifierions de civilisationnel ; concernant l’aspect culturel et sociétal, mettant en cause les aspects fondamentaux de la Grande crise d’effondrement du Système, participant ainsi à l’immense bouleversement dont nous sommes les témoins et, d’une façon ou d’une autre, sans préméditation nécessaire mais par la force des seuls événements, également les acteurs. Les habituelles spéculations et autres hypothèses dans cette sorte d’occurrence (coup d’État, coup de force, etc.) n’ont guère d’importance ni vraiment leur place sinon par accident dans cette description. Cela rend la situation absolument inédite.