La doctrine Shulz (suite) : regime change à Varsovie

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La doctrine Shulz (suite) : regime change à Varsovie

Le président du Parlement Européen, l’Allemand Martin Schulz, est bien une sorte de missile de croisière à tête semi-nucléaire de Merkel et accessoirement de l’UE, visage de l’Allemagne démocratique-et-européenne ayant mis au pas la Grèce et s’apprêtant à faire de même avec la Pologne. Sa doctrine est toujours la même, avec une référence évidente à l’esprit : regime change. Le 3 juillet 2015, nous notions ses interventions à propos de la Grèce qui allait voter par référendum, vainement d’ailleurs, dans un sens insatisfaisant pour le duumvirat Merkel-UE :

« Dans une interview au quotidien économique allemand Handelsblatt, Schulz espère 1) la victoire du “oui” en Grèce, ce qui n’est pas trop méchant dans le climat ambiant, 2) la démission immédiate du gouvernement Tsipras, ce qui est plus précis mais pas exceptionnel, et 3) son remplacement immédiat par un gouvernement de technocrates. Ce point (3) inaugure directement, officiellement à ce haut niveau politique et d’une façon bien plus claire le doctrine européiste type-IVème Reich du regime change. Plus de gouvernement démissionnaire quoique majoritaire à l’Assemblée expédiant les affaires courantes, mais son remplacement immédiat. Par qui, puisque Syriza est majoritaire ? Par la voie constitutionnelle shulzienne, certes... »  

Bien, comme chacun sait la Grèce est une affaire pliée, à la grande satisfaction de la volonté des peuples et dans le triomphe social et économique que l’on sait. Maintenant, il y a la Pologne, comme l’on sait également. Schulz est donc parti en croisade, avec tout le culot et l’arrogance qu’on lui connaît, à la fois ceux de l’Allemagne merkélienne et ceux de l’Europe standardisée. Ses interventions sont aussi impudentes et ahurissantes qu’elles l’étaient avec les Grecs, tandis que les parlementaires de la CDU de Merkel plaident pour des sanctions “européennes” contre la Pologne. Il s’agit donc d’une attaque concertée, dont on observera aussitôt qu’elle est beaucoup plus nettement allemande qu’européenne que dans le cas grec. (Par exemple, Juncker, président de la Commission, a déclaré le 8 janvier qu’il ne fallait pas “dramatiser” le conflit avec la Pologne, portant sur le contrôle des médias par le gouvernement, qu’il fallait éviter les sanctions, au contraire des députés de la CDU, parlant deux jours après Juncker.)

Ce qui est remarquable dans le cas de Schulz, et montre bien l’intention allemande, – Schulz n’agit pas sans l’aval de Merkel, – de véritablement réduire la Pologne, c’est qu’il recommence le même coup à 25 jours d’intervalle. L’impudence et l’arrogance sont manifestement soutenues par une volonté de provocation qui en dit long sur la volonté allemande, et déploie dans toute sa pseudo-sublimité la fine politique de cette grande nation au gouvernail de l’Europe : tout céder aux pressions de la globalisation, du Système si vous voulez (les USA, les migrants, le TTIP), être aussi dur que tel ou tel chancelier à la Croix-de-fer pour ce qui concerne les pays et courants européens affichant des velléités de souveraineté et d’indépendance (la Grèce, la Pologne, la posture anti-Russie). Il est difficile de trouver une démonstration plus convaincante du caractère veule de la politique allemande, – soumise face aux puissances diverses, impitoyables pour les plus faibles, – présentée pourtant par certains comme un modèle ; c’est dans tous les cas un reflet acceptable de l’époque...

Les deux interventions de Schulz méritent quelques petites illustrations. Ce sont des modèles de grossièreté, d’ingérence et d’irrespect, parfaitement dans le même esprit que ce qui avait été manifesté vis-à-vis de la Grèce. Le même impérialisme de communication, le même mépris pour les principes fondamentaux, tout cela qui fait mesurer une fois de plus ce que vaut “leur-Europe”, sorte de Reich, quatrième du nom, mis au goût du jour...

Le 15 décembre 2015, Shulz suggérait de façon directe et sans la moindre précaution de langage que des mesures prises par le nouveau gouvernement polonais issu des élections d’octobre et de la victoire du PiS ne constituaient rien de moins qu’un “coup d’État”. La réaction polonaise, notamment de la nouvelle Premier ministre Beata Szydlo, fut évidemment très vive ; les Polonais parlent, sans trop forcer la vérité, de l’“arrogance allemande”. Le porte-parole de Schulz a précisé ensuite, aimablement, qu’il ne s’agissait de la part de son employeur, non pas d’un jugement définitif mais d’une préoccupation concernant l’application des “principes fondateurs” (nous dirions, nous : “des valeurs opérationnelles”) de la règle de la Loi de l’UE. Schulz exprime ses “préoccupations” sous une forme très remarquable.

« A row has broken out after the German President of the European Parliament described the new government in Warsaw of staging a “coup d’État” by making changes to its constitutional court, in an unusual diplomatic intervention. The European Parliament president, Martin Schultz told Germany's Deutschlandfunk radio station: “What is happening in Poland has the character of a coup d'état and is dramatic. I assume that this week or in January at the latest we will have to discuss this extensively in the European parliament.”

» His remarks, which are diplomatically-speaking outré, brought immediate condemnations from the highest levels in Warsaw, with Prime Minister Beata Szydlo describing them as “unacceptable” and demanding an apology. Her foreign minister, Witold Waszczykowski said Schultz's remarks were “unfounded and therefore irresponsible” and called on Poland's ambassador to the EU to meet with the European Parliament president. “He should at least know that Poland has recently seen a free and democratic election whose results are undisputed, and that now in Poland, as in many other democratic countries, we are simply having a normal political debate about institutional solutions,” said Waszczykowski. Schultz's remarks were “scandalous” and “another example of German arrogance.” »

• Hier, 10 janvier 2016, Shulz remet cela, cette fois avançant jusqu’à l’insulte suprême dans le chef d’un politicien allemand aussi borné et standard (pléonasme), dans le choix de la dialectique-Système : l’accusation de la “poutinisation” de la politique européenne de la Pologne (par subordination de l’État au Parti, comme au bon vieux temps).

« European Parliament Chief has repeatedly accused the Polish government of subordinating the interests of the state to those of the winning party, referring to the constitutional crisis in Poland. He specifically termed it the “Putinization of European politics,” but ruled out that his comments represent an interference into the internal affairs. “The Polish government considers its [October] election victory a mandate to subordinate the interests of the state to the interests of the winning party,” Schulz told Germany’s Frankfurter Allgemeine Zeitung, according the paper’s website. “That’s democracy carried out in the style of [Russian leader Vladimir] Putin and a dangerous ‘Putinization’ of European politics,” Schulz added, as quoted by the website. »

• On ajoutera une intervention polonaise, hier également, une réponse à une “proposition” du 3 janvier, de la Commission européenne, du Commissaire européen à l’Economie et à la Société Numérique, de mettre la Pologne “sous surveillance”. Bien entendu, le commissaire, Günther Oettinger, est Allemand, ce qui représente la position allemande à l’intérieur de la Commission, également aussi dure que ce l’on a vu précédemment. Le ministre polonais de la Justice Zbigniew Ziobro a répondu hier à Oettinger, sur RadioPolsha.pl :

« Vous voulez mettre la Pologne sous surveillance. De tels mots prononcés par un homme politique allemand provoquent les pires des associations chez les Polonais, y compris chez moi. Je suis le petit-fils d'un officier polonais qui a combattu pendant la Seconde Guerre mondiale contre la “surveillance allemande” dans les rangs de l'Armia Krajowa [armée de résistance polonaise pendant l’occupation allemande] »

De tout cela, il ressort que l’offensive contre le gouvernement polonais, eurosceptique, ultra-nationaliste, est d’une extraordinaire vigueur, qu’elle est même provocatrice et à la limite de la maladresse par sa brutalité. Il faut répéter qu’en plus de cela, ou bien est-ce ceci expliquant cela, elle est essentiellement, indirectement ou pas, allemande beaucoup plus qu’européenne. D’une certaine façon, l’offensive est beaucoup plus brutale, du point de vue de la communication et dans la chronologie, que contre le gouvernement Tsipras, il y a un an, en Grèce. Il y a là une marque, non pas de force mais de faiblesse, de la part de la direction allemande, parce que cette brutalité est inutile et contre-productive en soi. Il faut donc chercher une explication complémentaire que la seule sottise aveugle, la seule lourdeur disons, que l’on trouve dans la crise migratoire qui a pris des proportions épiques avec l’affaire du “Jour de l’An à Cologne”, qui concerne d’ailleurs beaucoup plus que Cologne, et même plus que l’Allemagne seule. Mais il n’y a que l’Allemagne, c’est-à-dire essentiellement Merkel, avec ses prétentions hégémoniques en Europe par les seules voies dont dispose cette énorme puissance de faux-semblant qu’est ce pays, qui sont celle de l’oppression économique et de l’agression de communication, il n’y a que l’Allemagne qui se trouve dans une position excessivement délicate à cause de cette crise des migrants.

L’Allemagne est d’autant plus dans cette position délicate qu’on observe que les suites de Cologne alimentent de plus en plus la narrative d’une organisation concerté, type-Daesh, pour expliquer les diverses violences et troubles collectifs sur la voie publique qui ont eu lieu. C’est donner à cette affaire une coloration extrêmement polémique, où Merkel peut se trouver accusée d’avoir, par démagogie et tendance sociétale si en vogue aujourd’hui (en plus d’éventuelles faveurs du patronat allemand), favorisé l’installation massive dans son pays d’un dispositif de déstabilisation de l’organisation terroriste, propre à produire tous les arguments qu’on veut pour mettre le gouvernement allemand dans une position très périlleuse. Par exemple, le site Bruxelles-2, pourtant d’excellente réputation européenne, écrit hier 10 janvier, sous le titre « Cologne. Un simple dérapage ou une nouvelle méthode d’intimidation ? » : « Les évènements survenus à la gare principale (HauptBahnhof) de Cologne dans la soirée du Nouvel an interpellent. S’agit-il juste d’un dérapage collectif de quelques individus, un peu éméchés, ou excités. Ou de quelque chose d’un peu plus organisée, orchestrée, par des mouvements qui ont intérêt à la déstabilisation ? Certains indices incitent à pencher en ce sens ou du moins à se méfier de toute leçon trop rapidement tirée et de s’interroger… » (Etc.)

C’est dans ce contexte qu’on ne peut faire autrement que lier les évènements autour de Cologne et l’offensive contre la Pologne, avec Shulz comme porte-flingue. Ainsi l’attaque provocatrice de Schulz d’hier, en même temps que les démarches européennes sous pressions allemandes venues depuis le 1er janvier, ont-elles une autre dimension et une autre signification que tout ce qui s’est passé contre la Pologne avant la fin de l’année. On remarque que le contenu de l’attaque du Schulz a changé, entre le 15 décembre et le 10 janvier, en passant des critiques théoriques à une dénonciation opérationnelle bien plus polémique, place la Pologne sur la trajectoire d’être très vite accusée de complicité, sinon de vassalité vis-à-vis de la Russie poutinienne, – ce qui est un comble et un paradoxe à bien des égards, notamment si l’on songe à l’antirussisme exacerbé du PiS des jumeaux, ou du jumeau restant Kaczynski.

Cela peut conduire à des extrêmes tout à fait instructifs : l’Allemagne en arriverait-elle, dans sa marche échevelée à une hégémonie qui produit en même temps une faiblesse et une vulnérabilité considérables, à placer la Pologne devant des choix extraordinaires : ou bien se soumettre complètement au diktat allemand à peine européanisé ou bien faire effectuer à sa politique un tournant à 180° en se tournant vers la Russie qu’elle fait pourtant profession de détester et contre laquelle elle s’es battue avec fureur lors de la crise ukrainienne ?... Là-dessus, encore, que faire et que dire des relations de tous ces pays avec l’OTAN et les USA, alors que les USA tiennent absolument à garder leur mainmise sur la Pologne et alors qu’ils ont sans aucun doute de très forts moyens de pression sur l’Allemagne (la chancelière en sait quelque chose) ; et alors (suite), que la campagne électorale bat son plein USA, avec un favori qui se dit ami de Poutine et qui n’apprécie certainement pas la politique de “portes ouvertes” à l’immigration musulmane de Merkel ?

 

Mis en ligne le 11 janvier 2016 à 10H41