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4138Dans les années 1990, l’USAF avait modifié son jargon et remplacé l’expression “supériorité aérienne” (air superiority) par l’expression “domination aérienne” (air dominance) pour marquer non pas une nouvelle étape dans sa supériorité-domination dans le domaine de la bataille aérienne, mais pour prendre acte d’une situation vieille quasiment d’un demi-siècle, et même plus si l’on établit une continuité, avec la période de supériorité US des années 1944-1945. Il y avait eu l’intermède de la guerre de Corée où, pendant plusieurs mois, une panique considérable avait saisi l’USAF à cause de l’arrivée de MiG-15 dans le ciel de Corée, établissant une supériorité incontestable avant l’arrivée des premiers F-86 Sabre en décembre 1950. L’USAF avait rapidement redressé la situation et établi cette supériorité rebaptisée “domination” qui ne fut jamais remise en question ... Dans un texte du 12 décembre 2008 qui doit nous servir de référence pour marquer le début d’une inquiétude gravissime qui semble se concrétiser aujourd’hui au sein de l'USAF, nous écrivions ce qui résumait bien cette puissance aérienne US :
« Dans son éditorial du numéro de décembre [2008], Robert S. Dudney, rédacteur en chef d’AFM, commence par une précision qui situe effectivement par un symbole l’importance stratégique et ontologique pour la puissance US de cette question de l’‘air dominance’ : “It was April 1953. ‘TV Guide’ was making its first appearance on newsstands. Young geneticists James D. Watson and Francis H. C. Crick were unveiling the so-called ‘double-helix’ structure of DNA. Singer Harry Belafonte was celebrating his first hit single, “Matilda.” And in that same month, enemy aircraft (in Korea) killed a US soldier. He was the last to perish in this way; because of USAF’s vigilance, there have been no fatal air attacks on American ground forces—zero—in some 56 years.” »
Il faut bien comprendre que le passage de l’expression de l’expression air superiority à l’expression air dominance signifiait également un changement conceptuel. Ce qui avait été établi par l’USAF, à part l’intermède incertain de la guerre du Vietnam mais exclusivement pour la partie des opérations au-dessus du territoire ennemi (le Nord-Vietnam), n’était pas la supériorité dans toutes les batailles aériennes, mais la maîtrise totale de l’espace aérien dans toutes les conditions possibles, – cela décourageant même l’adversaire d’engager une bataille aérienne. Il s’agissait d’une véritable dissuasion donnant à la puissance stratégique aérienne US une dimension politique formidable dont l’effet se faisait ressentir dans la politique extérieure de cette puissance elle-même, donc dans la stature hégémonique de cette puissance.
Le texte du 12 décembre 2008 offert comme référence détaillait une très forte inquiétude de certains experts pour cette position de maîtrise absolue de l’espace aérien par l’USAF, certes à cause de progrès éventuels d’adversaires hypothétiques, – la Russie en premier, bien entendu, – mais ces progrès restant encore, eux aussi, hypothétiques. Les causes de l’inquiétude exprimées concernaient la rapide détérioration de l’inventaire de l’USAF, aussi bien pour le nombre d’avions de l’ancienne génération (F-15 et F-16) dont certains devaient être retirés du service pour cause de vieillissement, que pour les incertitudes affectant la nouvelle génération (F-22 & F-35) à cause des coûts, de l’incertitude de leurs capacités, de l’inquiétude des pénalités performances dues au choix du “tout-stealth” (choix des technologies furtives dont les avantages semblaient de plus en plus mis en cause par les inconvénients en matière d’aérodynamique, de coûts et de complications considérables des systèmes électroniques assurant leur gestion). Comme on le sait, ces inquiétudes n’ont pas été apaisées, bien au contraire, le F-22 et le F-35 s’avérant des programmes catastrophiques de nombreuses façons, et les budgets du Pentagone, bien que colossaux (autour de $1.200 milliards réels par an), s’avérant insuffisants à cause de l’extraordinaire montée des gaspillages et des corruptions diverses.
Désormais, un autre point, extrêmement grave, apparaît d’une façon concrète, qui constitue cette fois une attaque directe venue de l’extérieur pour mettre en cause cette maîtrise absolue. C’est le général Gorenc, commandant l’USAF en Europe (USAFE) qui vient de le mettre en évidence le 15 septembre, lors du séminaire annuel de l’Air Force Association (AFA), le lobby institutionnel majeur de l’USAF. Le général Gorenc rapporte de bien mauvaises nouvelles pour la puissance des USA, venues du “front” établi entre les USA (l’OTAN) et la Russie avec la crise ukrainienne. RT, relayant Reuters, donnait hier 15 septembre quelques précisions à cet égard, mais encore d’ordre général...
« General Frank Gorenc, commander of US Air Forces in Europe, said he’s concerned about Moscow's push to increase the quantity and quality of its aircraft and unmanned aircraft, Reuters reported. “The advantage that we had from the air, I can honestly say, is shrinking,” Gorenc said at the annual Air Force Association conference. He went on to say that Moscow's investments in modernizing its air force and building formidable surface-to-air missile defenses are “alarming” moves.
» US officials have often warned of China's developing military technology, particularly those aimed at defending against US stealth fighters and bombers, as well as increasingly capable surface-to-air missiles. But Gorenc says the concern does not just lie with China. “This is not just a Pacific problem; it is as significant in Europe as it is anywhere else on the planet,” he said. “I don't think it's controversial to say they've closed the gap in capability.” »
Gorenc a donné le 14 septembre des indications bien plus précises lors d’un briefing tenu en marge de son intervention publique, pour la presse spécialisée US. C’est le AFA Daily Digest qui donne ces indications, répercutant ainsi, de par son statut, la substance précise de que l'USAF veut faire l’USAF à la presse spécialisée US si importante pour sa communication. Les précisions données montrent que pour l’USAF, la situation en Europe, face à la Russie, est bien plus grave que la situation en Asie, face à la Chine. (Nous soulignons de gras les indications que nous jugeons les plus importantes.)
« The United States’s airpower advantage over Russia “is shrinking,” US Air Forces in Europe-Air Forces Africa Commander Gen. Frank Gorenc told reporters Sept. 14 at ASC15. After Russia’s August 2008 invasion of Georgia, Gorenc noted, “they didn’t like what they saw from the air.” Since then, a modernization and capacity building effort has taken place. Gorenc said Russian air defense and air forces have become more professional, received modernized equipment, and adapted to counter US and allied strengths. “The more alarming thing is their ability to create anti-access and [area-denial] threats is a challenge that we are all going to have to face up to and train to,” Gorenc said. He noted two examples that are clear illustrations in Europe: the Russian Baltic enclave of Kaliningrad and Crimea, both of which are locations where Russia is deploying surface-to-air missiles in order to create “layered” defenses. “Some of the array in Kaliningrad extends into Poland today,” Gorenc noted. “That’s a fact.” The US and its partners are going to have to develop tactics, techniques, and procedures to address these potential challenges. »
Ce que Gorenc met en évidence, c’est que la Russie est en train de mettre en place, en Crimée et surtout dans l’enclave de Kaliningrad, une défense antiaériennes de zone, nécessairement “multicouches” (avec plusieurs systèmes opérant en coordination, avec des caractéristiques de portée et d’efficacité différentes pour des positions et des zones spécifiques différentes à l’intérieur d’une zone de l'espace aérien). Les Russes investissent ainsi un espace aérien et le transforment en une zone qu’ils contrôlent entièrement et qui devient quasiment interdit à la pénétration de l’USAF à cause de la menace dévastatrice et destructrice qui caractérise cette zone. Cela constitue ainsi, effectivement, une destruction de la domination aérienne de l’USAF, évidemment dans des zones absolument essentielles de contact entre forces opposées. Pire encore (cas de Kaliningrad), certaines de ces zones interdites à l’USAF empiètent largement dans l’espace aérien de l’USAF, en pénétrant dans l’espace aérien de la Pologne. (Les capacités des missiles sol-air russes, notamment la série S-300/S-400/S-500, permettent cela, largement en profondeur dans l’espace aérien de l’OTAN.)
C’est la première fois de son histoire que l’USAF est confrontée à une telle possibilité ne pas pouvoir disposer de sa puissance aérienne en toute sécurité à l’intérieur même de son propre territoire (l’OTAN, dans le chef de la Pologne, où l’USAF est comme chez elle...). La même chose est en cours de développement en Crimée, où Poutine lui-même avait annoncé l’installation du système général de défense côtière Bastion et où l’on peut imaginer que les Russes sont en train de mettre en place une zone “interdite”, une “zone de dissuasion-interdiction-suppression” de l’espace aérien, aussi bien dans l’espace aérien terrestre (aéroterrestre) en Ukraine que dans l’espace aérien naval (aéronaval) en Mer Noire. (Les Chinois mettent en place de telles “zone de dissuasion-interdiction-suppression” dans l’espace aéronaval, ce qui conduit certains experts US à estimer qu’un groupe de porte-avions US, pour rester en zone de sécurité et protéger leurs énormes, sublimissimes et très rarissimes porte-avions d’attaque, devrait ne pas dépasser une ligne à 200/300 kilomètres des côtes chinoises.)
Ce qui est particulièrement caractéristique dans cette situation, c’est que les USA eux-mêmes portent la responsabilité de cette évolution potentiellement catastrophique pour leur puissance aérienne si importante pour leur stratégie. L’USAF n’a cessé de pousser le développement des concepts dits “système de systèmes”, intégrant toutes les composants de la bataille (avions de combat, reconnaissance et identification, maîtrise électronique de l’espace aérien, emploi des ECM et ECCM [Electronic Counter/Counter-Counter Measures], etc.), tandis que les forces armées terrestres ne se préoccupaient que moyennement de la défense anti-air selon le postulat de l’infériorité aérienne adverse et de la supériorité aérienne de l’USAF comme couverture interdisant toute action aérienne ennemie contre elles. L’évidence dit bien entendu que cette formule implique une situation de complète domination de l’espace aérien, surtout lorsqu’on se trouve, particulièrement depuis la fin de la Guerre froide, en posture offensive/agressive générale comme c’est le cas de l’USAF et de toutes les forces armées US en général, en accord avec la politique de sécurité nationale expansionniste de ce pays... Si l’on n’a pas (plus) cette “domination aérienne” totale, on risque alors de tomber dans des situations d’extrême vulnérabilité lorsqu’on l’on se trouve dans une zone brusquement sous contrôle défensif intégrée efficace de l’adversaire ; c’est d’autant plus le cas pour les USA avec les doctrines dominantes offensives/agressives, et notamment la vieille politique dite de forward defense (défense de l’avant) de l’OTAN qui implique que les forces alliées (US essentiellement) dovent se trouver très proches de la frontière pour ne pas perdre de territoire allié. Que peuvent faire les USA et l’USAF contre une telle perspective, compte tenu de la maîtrise russe du domaine ? Déployer le F-35, ce catastrophique artefact que la narrative de communicatoion présentait comme “invisible” aux défenses adverses, dont nul ne sait en vérité quand et si il sera correctement opérationnel, et dont nul ne sait si les Russes n’ont pas la capacité de le détruire. (La technologie furtive ne les a jamais vraiment effrayés, d’autant qu’ils possèdent de nombreuses procédures pour leur repérage. L'USAF a annoncé qu'elle déploierait des F-22 en Europe mais l'on est largement en droit de se demander si elle oserait jamais les risquer dans une “zone de dissuasion-interdiction-suppression” anti-aérienne russe.)
De leur côté, les Russes, conscients de la puissance aérienne offensive de leurs plus importants adversaires, ont toujours privilégié la défense anti-air pour leurs forces terrestres. Depuis la fin de la Deuxième Guerre mondiale, ils ont recherché une intégration systémique de la défense aérienne dans la cadre de grandes unités terrestres (type-division) comprenant une forte composante anti-aérienne ; la chose fut largement utilisée lors de la Guerre froide, mais à une époque où l’ensemble restait très frustre, où les technologies n’avaient pas encore la capacité de permettre d’étendre une zone d’interdiction/suppression très en avant jusqu’à l’espace ennemi. Depuis, toujours à cause de la supériorité aérienne US supposée, les Russes ont continué à développer leur maîtrise défensive (sol-air), en suivant évidemment le développement technologique. Ils ont affiné et renforcé à la fois leurs défense avec de l’électronique avancée, élargissant et approfondissant de plus en plus leur systèmes en installant le concept de “défense de zone”, puis en l’étendant jusqu’au-delà de la frontière adverse, faisant ainsi de leur défense une sorte de “défense-offensive” qui devrait paradoxalement conduire les forces de l’OTAN qui sont toujours en posture offensive même lorsqu’elles prétendent n’être que de simple défense, à reculer leurs “bases avancées”. (Il faut noter que, si les Russes renforcent leur présence en Syrie, c'est certainement vers la créatin de telles zones qu'ils vont se diriger, retournant contre les pays du bloc BAO et autres divers figurants le concept de no-fly zone, maois cette fois avec une efficacité et une portée redoutable permettant à la situation terrestres d'évoluer à l'avantage de leurs alliés.)
La doctrine de l’USAF est une doctrine “de puissance”, une doctrine agressive qui suit le schéma de la politique générale des USA. On observe par exemple que, si les USA (l’OTAN) n’avaient pas suivi, au contraire de l’engagement du secrétaire d’État Baker en 1990, leur politique d’expansion de l’OTAN qui est la cause de toutes les tensions actuelles avec la Russie, il se serait créé de facto sinon de jure une “zone-tampon” (buffer-zone) entre l’OTAN et la Russie, qui aurait évité à l’USAF de risquer de se trouver en si mauvaise posture. Alors qu’aujourd’hui, l’OTAN (l’USAF) a la tâche de protéger les frontières de Pologne (question de prestige hégémonique, de ne pas perdre la face et toutes ces sortes de sornettes), tandis que ses forces aériennes se trouveraient assez rapidement quasiment empêchées d’une telle intervention par les zones de dissuasion-interdiction-suppression que les Russes développent selon leur doctrine de “défense offensive”. Mais l’USAF ne fait finalement que suivre la psychologie américaniste qui domine l’actuelle politique-Système adaptée aux USA : toujours dans son droit puisqu’elle dit le Droit (inculpabilité), toujours gagnante puisqu’une Nation bénie de Dieu ne peut pas perdre (indéfectibilité). La véritable “guerre hybride” des Russes, n’est-ce pas celle qui prend les USA au piège de leur hybris ? Par ailleurs cette évolution ne constitue-t-elle pas un double presque parfait de la politique-Système des USA, là aussi avec les résultats qu’on sait ?
Mis en ligne le 16 septembre 2015 à 11H44
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