La “drôle de crise” iranienne...

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La “drôle de crise” iranienne...

Autant certains cas apparaissent lumineux de cohérence, – comme l’intervention de Trump face à O’Reilley de Fox.News, – autant certains autres signalent une confusion étrange dont on distingue mal le sens, – comme cette “drôle de crise” iranienne où il faut entendre “drôle” dans le sens de “phoney”, qui est bien plutôt “étrange” qu’“amusante” ou “désopilante” (“funny”). Sans doute se trouve-t-on là en présence des deux extrêmes de l’administration Trump, à l’image de Trump lui-même, entre des audaces inouïes dont l’effet dévastateur (antiSystème) est considérables, d’une part ; et, d’autre part, des emprisonnements de convention jusqu’à l’aveuglement qui ne profitent pourtant pas nécessairement au Système dans la mesure où la “ligne générale” de celui-ci est entièrement déployée selon une orientation extrême, caractérisée par un déchaînement de haine anti-Trump (comment peut-on soutenir Trump dans sa politique agressive contre l’Iran dès lors qu’il s’agit de Trump, déclaré par principe comme insupportable, illégitime, fasciste et ainsi de suite ?).

L’on sait que le Général Flynn a mis officiellement l’Iran “en garde” à la suite d’événements largement controversés dans le chef de l’interprétation qu’en donne l’administration Trump. Le président Trump lui-même semble estimer que l’Iran est “la mère de tous les terrorismes”, ce qui est une absurdité grossière lorsqu’on sait le rôle que tiennent les amis saoudiens, qataris, et la CIA elle-même, – cette CIA qui veut la peau de Trump, aux dernières nouvelles. L’hostilité de Trump à l’encontre de l’Iran constitue par ailleurs un problème de plus en plus sérieux à mesure que monte la tension, dans la mesure où la Russie annonce qu’elle soutient fermement l’Iran, notamment dans cette crise comme cela vient d’être dit par Lavrov et par le porte-parole de Poutine, mais aussi comme acteur important sinon essentiel, avec la Syrie, du verrouillage de la stabilité dans la région lorsque les entités terroristes seront suffisamment réduites pour permettre le départ de l’essentiel des forces russes, – et, suppose-t-on, puisque c’est le vœu du désengagement fait par Trump, des forces US et “alliés” également.

Nombre d’indications des observateurs européens plus ou moins intégrés dans les circuits du renseignement ne cessent d’ailleurs de noter combien les Russes intègrent et mettent à niveau de la guerre conventionnelle moderne les Syriens et les Iraniens, notamment dans les opérations en Syrie. « Nous sommes d’ores et déjà dans l’ère “post-S300”, signale une source. Les Russes ont livré ce système sol-air aux Syriens et aux Iraniens, mais ils les équipent de bien d’autres armes avancées, et surtout ils les entraînent massivement à la maîtrise de ces armes et à une évolution générale autonome, dans le champ des missiles, de la guerre électronique, etc., d'une façon qui devrait les mettre au niveau des puissances militaires occidentales... » Cette poussée russe serait donc faite pour préparer un rôle plus important dans la sécurité régionale de ces deux pays, Syrie et Iran ; mais, par le fait, elle renforce l’Iran et en fait un adversaire de plus en plus redoutable, y compris pour l’US Navy dont Trump vient de déclarer, dans une hyperbole dont il a le secret, qu’elle est au niveau de ce qu’elle était en 1914-1918. (Par ailleurs, imaginez une attaque aujourd’hui contre l’Iran, que les Russes, installés dans la région, regarderaient faire avec indifférence..) 

De toutes les façons, nous ne sommes pas au bout de nos interrogations, dans ce paysage où les pouvoirs sont flottants et en cours de dissolution, les politiques impalpables et insaisissables, et ainsi de suite. Ainsi l’US Navy modèle 14-18 monte-t-elle des manœuvres navales plus d’avertissement et de communication que de puissance réelle, à 70 kilomètres au large de l’Iran, auxquelles notamment participent des unités britanniques et françaises. Pour les Britanniques, on comprend, il s’agit de leur politique vermoulue et tenue par quelques sparadraps pathétiques des special relationships ; par contre, étonnement convenu et inévitable devant l’abîme de sottise que continue à explorer le tandem Hollande-Ayrault... Qui dira avec l’élégance et la légèreté qui conviennent ce que les Français viennent faire dans cette salade même pas russe, alors qu’ils s’élèvent avec vigueur contre l’agression constante de Trump et de ses envoyés contre l’UE et les principaux pays-membres ?

Aux USA donc, il y a également une sorte d’“effet-Système” remarquable. Bien entendu, le durcissement considérable contre l’Iran devrait provoquer un regroupement général, y compris des démocrates et de l’essaim de neocons qui s’étaient ralliés à eux lors de la campagne présidentielles ; il devrait y avoir regroupement général si l’on était en 2007, mais il s’agit bien de 2017. La consigne étant effectivement celle d’une haine totale contre Trump et d’une guérilla permanente, il est bien difficile d’applaudir ce président-haï même si l’on cultive dans son arrière-cour une haine bien recuite, mais moins vigoureuse, contre l’Iran. Interrogée par Fox.News en tant qu'exception qui confirme la règle (l'expression prise dans son sens commun), la sénatrice Feinstein, une favorite de la NSA et de la CIA puisqu’elle préside la commission de renseignement du Sénat, a déclaré dans des termes un peu contraints et marqués “Secret-Défense” qu’elle soutenait Trump dans cette affaire, donc que Trump a raison... En général, les démocrates demandent à leurs amis journalistes, – ils sont nombreux, – de ne pas trop les interroger sur l’Iran, pour qu’ils ne soient pas obligés de dire que “Trump a raison”. Ni Soros, ni Hollywood, ni les minorités LGTBQ ne leur pardonneraient, et encore moins les activistes gauchistes de l’hypergauche, aile marchante de l’anti-trumpisme dont dépendent les démocrates, qui veulent (les gauchistes) rendre les USA ingouvernables...

Il y a d’autres sujets de méditation pour l’instant sans issue, comme cette intention de l’administration Trump de nommer le neocon Elliott Adams comme sous-secrétaire d’État, mais aussi l’intention du sénateur (républicain) Rand Paul de bloquer cette nomination qui doit être soumise à l’approbation du Sénat. Il y a des bruits de souris selon lesquels Trump ne tiendrait pas à s’embarrasser plus longtemps de Porochenko et du fardeau de l’Ukraine. On verra, pour tout cela qui est marqué du signe de l’incertitude et de l’hésitation, qui peut précéder aussi bien l’aggravation d’un désordre complet caractérisé par une absence de contrôle par absence de ligne générale, qu’une tentative de reprise en main et en perspective... On verra mais jusqu’ici on a vu que Trump est essentiellement intéressé par l’axe Washington-Bruxelles-Moscou, c’est-à-dire une attaque contre Bruxelles et une normalisation avec Moscou. Il s’apercevra vite qu’il y a des interférences incessantes des autres crises et qu’on ne peut espérer des progrès dans l’un (attaque contre Bruxelles) et l’autre cas (amélioration des relations avec Moscou) sans maîtriser, – si faire se peut, d’ailleurs, – l’ensemble crisique tourbillonnant que constituent aujourd’hui les restes de la politique étrangère US.

Dans l’attente de l’heureux événement, on peut lire l’article d’Alexander Mercouris, de TheDuran.com, qui donne une bonne perspective historique de la crise iranienne. L’argument de départ, selon lequel l’attitude agressive des USA répond à la crainte de voir l’Iran occuper une position dominante dans la région date d’une ou deux, ou trois décennies et rejoint les obsessions israéliennes (qui jouent leur rôle dans la politique US) ; tout cela ne débouche sur rien, sinon le risque, bien plus insupportable et indéfendable en 2017 qu’il ne l’était en 2007, d’un conflit majeur avec l’Iran. L’article d’Alexander Mercouris est d’hier, le 6 février 2017.

dedefensa.org

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Iran and Donald Trump: is war coming?

If since coming to office the new Trump administration has been making tentative moves towards repairing the US’s fraught relations with Russia, towards Iran it has been acting with heightened hostility.

It has blamed Iran for a missile attack on a Saudi frigate carried out by Yemeni forces, criticised Iran for its missile tests, and slapped more sanctions on the country.  President Trump has made no secret of his strong disagreement with the Iranian nuclear agreement Iran agreed with the Obama administration, and he has also called Iran “the number one terrorist state”.

What are the reasons for this hostility?

I should say first of all that I do not agree with the criticisms of Iran which are commonly made.  Many of these assume an Iranian grand strategic plan to take over or dominate the Middle East by supposedly manipulating Palestinian and Shia Muslim grievances, and by waging war on Israel.

There is in fact extraordinarily little evidence of such a plan, and I don’t believe it exists.

As anyone who has had any dealings with Iranians knows, the central event in defining Iranian attitudes on foreign policy was the long and terrible war waged against Iran in the 1980s by Saddam Hussein’s Iraq.

This was a clearcut war of aggression, launched by Saddam Hussein in order to capture territory and to establish Iraq as the leading state in the Arab world.  Like all of Saddam Hussein’s adventures it miscarried disastrously, ending in a terrible war of attrition in which hundreds of thousands of people died, and which Saddam Hussein fought in his usual ruthless way, with chemical weapons, indiscriminate bombing of Iranian cities (including Tehran) and plans to develop nuclear weapons, which were only aborted as a result of the war he fought with the US over Kuwait in 1991.

For Iranians the war with Saddam Hussein remains a traumatising experience, just as the war against Hitler was a traumatising experience for the Russians who lived through it.  Not surprisingly the main objective of Iranian foreign policy since then has been to ensure that nothing like it happens again.

That explains the pattern of Iran’s alliances, and of its enemies.  Iran’s allies – Syria and Hezbollah – are the allies it made during the war.  Its enemies – first and foremost Saudi Arabia and the other Gulf States – are the countries that supported Saddam Hussein during the war, and which indeed egged him on.

In the case of Syria the alliance with Iran was not based on the fact that the then Syrian President – Hafez Al-Assad – was an Alawite, or that Syrian Ba’athism belonged to a different faction of Ba’athism to that supposedly practised in Iraq by Saddam Hussein.  It was because the Syrians were as alarmed by Saddam Hussein’s overweening ambitions as the Iranians were.

In the case of the hostility to Iran of Saudi Arabia and the other Gulf monarchies, it was not because Iran is Shia and they are Sunni (the differences between the two branches of Islam are in the West consistently overstated).  It was because following the Iranian Revolution of 1979 Iran introduced genuine democratic elements not just into its system of government but into its whole practice of Islam (thus “the Islamic Republic”) which is anathema to the reactionary autocracies of the Gulf.

This background also meant that once Saddam Hussein fell the Iranians could no more be indifferent to what happened in Iraq then the powers that had defeated Germany in the Second World War could be to the post-war situation in Germany.  As it happens most objective observers of the situation in Iraq since 2003 have tended to agree that Iran’s influence in the country since Saddam Hussein fell has been restrained and stabilising.  Certainly there is no sign of Iran trying to micromanage Iraqi politics in the way the US did during the period of its occupation, or of Iran aspiring to take possession of Iraqi territory.

In addition to these Arab allies Iran has more recently, and with some success, sought to forge close relationships with Russia and Turkey, and to integrate itself – though always on its own terms – in the Eurasian institutions.

The trouble with any system of alliances is however that the allies sometimes need defending.  In the case of Iran’s allies this has sometimes been against Israel – as for example in the 2006 Israel-Hezbollah war – and sometimes against Saudi Arabia and its Jihadi proxies – as during the present Syrian war.

Inevitably this has raised Iran’s profile in the Middle East, and provoked the hostility of the US – the ally of Saudi Arabia and Israel – whose actions Iran has been thwarting.

Beyond this there is the fact that Iran is a country against which the US itself continues to nurse a grievance because of the undimmed memory for some Americans of the US embassy hostage crisis, which followed the Iranian Revolution of 1979.

This alone is sufficient to explain the intense hostility to Iran of many powerful people within the US.

In Donald Trump’s case there appears also to be a personal factor.  On the one hand he seems to be personally offended by the over-generous deal he seems to feel Iran extorted from the Obama administration during the nuclear negotiations.  On the other hand, he seems to have very strong feelings for Israel, even going beyond those felt by most US politicians.

This creates a potentially very dangerous situation.  Iran is not going to back away from the alliances which it sees as essential for its security.  It already feels that it made important concessions to secure the nuclear deal, and is resentful of promises it made to the US which it feels the Obama administration failed to honour.  It is very difficult to see Iran making the kind of concessions that might satisfy Donald Trump.

The key question therefore is how far will Trump himself go?  He is still new to the Presidency and is on a steep learning curve.  If he hoped that by making overtures to the Russians he could turn them against Iran, then the Russians are now working hard to disabuse him.

Ultimately the question of war or peace between the US and Iran will depend on which Donald Trump wins out: the fervid supporter of Israel, or the pragmatic businessman.

Alexander Mercouris