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2632La sortie des USA du JCPOA (traité nucléaire avec l’Iran) est un événement attendu et également un grand événement formidablement déstabilisant ; comme tout “grand événement attendu”, ses effets prévisibles sont peu de choses à côté des vérités-de-situation qui vont se développer à travers les effets de la décision du président Trump.
La première chose à noter puisqu’il s’agit de Trump, est qu’il ne s’agit peut-être pas du Trump “normal”, c’est-à-dire l’hypomaniaque narcissique qui change d’avis et d’orientation comme on zape pour trouver une émission de téléréalité propre à votre désir de haute culture. S’il n’y a qu’une seule idée bien ancrée dans l’esprit de Trump, c’est celle de l’antagonisme avec l’Iran (même si cet antagonisme permet au passage de conchier Obama, il a pour Trump sa valeur propre). Cela s’est manifesté dès le départ, par exemple dans le choix de conseiller militaire du général Flynn (liquidé depuis par le Russiagate), excellent critique de la politiqueSystème US mais acharné adversaire l’Iran, et qui s’allia au neocon Michael Ledeen pour publier, le 21 juillet 2016, en pleine campagne électorale et marche triomphale de son patron, “The Field of Fight: How We Can Win the Global War Against Radical Islam and Its Allies”, une exhortation sans nuance à une attaque et une liquidation de l’Iran
Cette attitude trumpiste fut pourtant très largement occultée pendant la campagne électorale derrière son attitude d’American Firster assurant son intention de mettre fin aux engagements extérieurs, aux dépenses occasionnées par ces engagements, etc. Bien entendu, cette politique générale de Trump, dont on ne saura jamais s’il voulut vraiment l’appliquer et qui fut dans tous les cas boquée par l’inertie bureaucratique et les divers complots type-DeepState à “D.C.-la-folle”, se trouvait mise en contradiction complète dans le projet d’hostilités contre l’Iran, – car il s’agit bien d’hostilités dont on parle, avec la guerre en perspective.
Ses partisans les plus avérés l’ont notée depuis longtemps, certes contradiction, comme Patrick Buchanan le 2 février 2017 :
« Dans le second article, du 2 février, il [Buchanan] analyse les prises de position, de la veille et du jour même, de l’administration Trump vis-à-vis de l’Iran, et indirectement vis-à-vis de la guerre au Yemen. Manifestement, pour Buchanan, il s’agit dans ce cas, et complètement à l'inverse du précédent, d’une véritable catastrophe, qui met Trump en contradiction complète avec les grandes lignes de sa politique extérieure, dans tous les cas telles qu’elles avaient été affirmées durant la campagne. Avec ces prises de position, Trump se place devant la possibilité d’un conflit avec l’Iran, qui serait encore plus absurde, bien plus dévastateur, au moins tout autant injustifié et sans le moindre intérêt pour les USA, que la guerre contre l’Irak de 2003, qu’il [Trump]n’a cessé de dénoncer comme une erreur criminelle et une faute politique aux conséquences catastrophiques. Dans ce deuxième cas, Trump se trouve complètement en ligne avec le Système, selon le pire qu’on puisse imaginer de la politiqueSystème. »
En effet, c’est de ce point de vue de la guerre possible sinon probable qu’implique la décision de Trump qu’il faut se placer d’abord, nous semble-t-il, parce que c’est la dynamique qui est en cours aujourd’hui, notamment sous la poussée d’Israël. Les USA poursuivent l’Iran de leur vindicte depuis 1979 et dès 1980 il envisageait un conflit sur le territoire iranien, avec usage du nucléaire tactique, contre l’URSS dont ils envisageaient également qu’elle entrerait en Iran pour faciliter la prise du pouvoir par le parti communiste Toudeh. Depuis, ils n’ont cessé de manœuvrer pour “conflictualiser” leurs relations avec l’Iran. Pour les neocons les plus conséquent, dont Ledeen, co-auteur du livre de Flynn, l’Irak-2003 et son triomphe exceptionnel (c’était leur jugement à l'époque !) n’était qu’une étape vers une invasion de l’Iran.
Il ne fait aucun doute que l’Iran représente pour les USA l’objet fondamental de “la fascination pour la guerre” depuis quarante ans (alors que l’hostilité antirussiste représente “la fascination pour l’hégémonie” passant par l’élimination de tout concurrent qui pourrait prétendre à un excepttionnalisme qui est réservé aux USA). L’Iran n’est pas un concurrent des USA, il est un chiffon rouge agité devant le buffle furieux que sont les USA, ou disons le président Trump ; il est l’obsession majeure du faisant fonction d’hypomaniaque narcissique... L’équipe que Trump a rassemblée autour de lui, – Pompeo et Bolton surtout, – est absolument, religieusement acquise non seulement à l’hostilité envers l’Iran, mais à la doctrine de regime change portée à son accomplissement par la guerre.
Il ne faut pas non plus dissimuler ce qui est l’autre aspect de notre thèse, à savoir que cette obsession de la guerre contre l’Iran, par les énormes implications qu’elle porte, constitue également pour les USA un risque suicidaire compte tenu de la fragilité de leur situation interne et de la vulnérabilité de leurs forces militaires en pleine décadence. Cette situation, nous l’évoquions dès 2010, alors que la situation était infiniment meilleure pour Washington, et nous la rappelons régulièrement :
« “La perspective apparaît alors, du point de vue de la communication, extrêmement importante et sérieuse, et elle rejoint une possibilité qu’avait évoquée un néo-sécessionniste du Vermont, Thomas Naylor, en 2010, à propos de la crise iranienne : ‘Il y a trois ou quatre scénarios possibles de l’effondrement de l’empire [les USA]. Une possibilité est une guerre avec l’Iran…’” Après tout, certes, ce serait une bonne manière de régler la “guerre civile” qui fait rage à Washington D.C... »
Il est bien entendu que la décision de Trump précipite tous les acteurs (Iran, les pays de l’UE, Russie, Chine) dans des situations labyrinthiques où toutes les options présentent de graves inconvénients. En ce sens, Trump, même dans ces circonstances catastrophiques, joue plus que jamais le rôle de Grand Perturbateur. On verra les conséquences de cette intervention, les jours prochains, les semaines prochaines, tandis que, plus que jamais, la Syrie (et aussi le Liban) restent le théâtre de prédilection d’une soudaine diffusion d’un feu guerrier catastrophique.
Pour illustrer cette approche, nous nous permettons de citer un texte de Bill Van Auken, de WSWS.org, du 3 mai 2018, fortement orienté vers la possibilité d’un conflit avec l’Iran.
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Les événements des derniers jours ont montré que l'impérialisme américain – en étroite collaboration avec son principal allié au Moyen-Orient, Israël – se dirige vers un affrontement militaire direct avec l'Iran.
A peine une semaine et demie avant la date butoir du 12 mai où le président Donald Trump doit annoncer s’il allait ou pas revoir la suspension des sanctions unilatérales des États-Unis contre l’Iran inscrite dans l'accord nucléaire iranien de 2015, le premier ministre israélien Benjamin Netanyahou a organisé une présentation théâtrale prétendant avoir « la preuve » que «l'Iran a menti » sur son programme nucléaire. Il a ensuite exprimé sa confiance que Trump «ferait le bon choix», c'est-à-dire celui de saborder l'accord nucléaire – l’accord de Vienne sur le nucléaire iranien, ou JCPOA – conclu entre l'Iran et cinq grandes puissances: les USA, la Grande Bretagne, la France, l’Allemagne, la Chine et la Russie.
Trump a salué la présentation théâtrale de Netanyahou comme une confirmation qu'il avait eu « raison à100 pour cent » en dénonçant l'accord nucléaire comme un «horrible accord».
En réalité, les experts nucléaires internationaux, les représentants européens et même les anciens responsables du renseignement israélien ont tous rejeté la performance de Netanyahou comme une farce. Le gouvernement israélien, qui prétend avoir volé des centaines de milliers de dossiers à l'Iran, n'a produit aucune preuve que l'Iran ait participé à une forme quelconque de programme d'armes nucléaires depuis 15 ans, et encore moins qu'il ait violé les termes du JCPOA. Des rapports répétés de l'Agence internationale de l'énergie atomique, dont un datant de février, ont établi que Téhéran respectait les restrictions sévères sur l'enrichissement d'uranium et le régime d'inspections intrusives imposées par l'accord.
La performance de Netanyahou rappelait la mise en scène de Colin Powell en 2003 où ce dernier présenta ce qu'il a décrit comme une «preuve, pas une conjecture» d’«armes de destruction massive» irakiennes – inexistantes – dont on se servit pour justifier la guerre d'agression américaine contre l'Irak un mois plus tard. Powell raconta du moins des mensonges qui prétendaient étayer les fausses allégations américaines de méfaits irakiens; Netanyahou n'a rien présenté du tout.
La présentation israélienne, délivrée en anglais, a été orchestrée en concertation directe avec Trump, à qui Netanyahou avait parlé peu de temps avant sa diffusion, et avec le nouveau secrétaire d'Etat américain Mike Pompeo qui l'avait rencontré, avec d'autres responsables, à Tel Aviv la veille.
Derrière tout le chaos et les scandales de l'administration Trump, ce qui a clairement émergé à Washington c’est un gouvernement de guerre avec la nomination de John Bolton au poste de conseiller à la sécurité nationale et la confirmation de Pompeo par le Sénat – avec l’indispensable soutien des démocrates – en tant que secrétaire d'Etat. Tous deux sont de fervents défenseurs d’une guerre avec l'Iran.
Bolton a décrit l'accord nucléaire de 2015 comme une « erreur stratégique massive », insistant sur le fait que la politique américaine devait être de « mettre fin à la révolution islamique de 1979 en Iran avant son quarantième anniversaire » en février prochain. Le changement de régime à Téhéran, selon le nouveau conseiller à la sécurité nationale, devrait être réalisé par une action militaire directe. « Pour arrêter la bombe de l'Iran, attaquez l’Iran. » fut le titre d'un article qu'il avait écrit pour le New York Times peu de temps avant l'accord sur le JCPOA.
La guerre américano-israélienne contre l'Iran a déjà commencé. Les frappes menées par les avions de combat israéliens F-15 fournis par les Etats-Unis contre les bases militaires syriennes dimanche soir [30 avril] ont tué plus d’une vingtaine d'Iraniens. Cela porte à cinq le nombre d’attaques israéliennes contre la Syrie depuis septembre. Toutes ont pris pour cible les forces de l’Iran. Avec la Russie, Téhéran est le principal allié du gouvernement Assad, que Washington et ses alliés ont cherché à renverser par une guerre de changement de régime qui dure depuis sept ans.
Des informations en provenance d'Israël ont également indiqué un redéploiement important de chars, de troupes et des transport de troupes blindés vers les frontières nord du pays avec la Syrie et le Liban.
« Sur la liste de sites potentiels d’éclatement d’hostilités les plus probables dans le monde, le conflit entre Israël et l'Iran en Syrie figure en tête », a déclaré un haut responsable américain à NBC News mardi.
La collaboration intime entre Washington et Tel-Aviv dans la préparation d'une telle guerre a été mise en évidence par l'extraordinaire frénésie de réunions entre les hauts responsables militaires et de sécurité américains et israéliens qui se déplacent entrent les capitales des deux pays. Cela a été complété par l'envoi de Pompeo au Moyen Orient, avant même d’assumer ses fonctions au département d'État, où il a non seulement consulté Netanyahou et d'autres responsables, mais aussi rencontré des responsables saoudiens et jordaniens afin de forger un bloc de régimes arabes monarchiques réactionnaires derrière la campagne de guerre israélo-américaine.
Il n’y a derrière cette course à la guerre aucune inquiétude supposée concernant une menace nucléaire iranienne: Téhéran n'a pas de bombe et n'a jamais lancé de véritable programme pour en produire une, alors que l'arsenal israélien comprend lui, entre 200 et 400 têtes nucléaires. Au contraire, ce qui est en jeu, ce sont de purs intérêts impérialistes.
En tant que puissance régionale, l'Iran constitue un obstacle à la volonté de l'impérialisme américain d'affirmer son hégémonie sur le Moyen-Orient, riche en pétrole et stratégiquement vital.
Les puissances européennes sont de plus en plus en désaccord avec Washington. Après les visites de Macron et d’Angela Merkel, un échec apparemment malgré leur servilité, à persuader le gouvernement Trump de ne pas déchirer l'accord nucléaire iranien, les discussions des dirigeants européens avec la premier ministre britannique May au cours du week-end ont semble-t-il porté sur la possibilité ou non de sauver l'accord sans les États-Unis. Il y a en jeu tant la crainte d’une guerre régionale majeure qui ne déborde sur l'Europe sous forme de violence, de crise politique et d'un nouveau flux de réfugiés, que des intérêts de profit bien précis.
Alors que les banques et les sociétés américaines ont été largement exclues du marché iranien par des sanctions économiques américaines non liées au nucléaire, les intérêts européens, notamment le conglomérat pétrolier français Total, ont signé des accords lucratifs. La plupart d'entre eux ont jusqu'ici rapporté peu de chose à cause de craintes que Washington ne remette en cause l'accord nucléaire et ne commence à pénaliser les entreprises étrangères qui font des affaires en Iran.
Montant dans la brèche, la Chine a tissé des liens économiques importants avec l'Iran, notamment une récente ligne de crédit de 10 milliards de dollars de Pékin pour faciliter le lancement de projets d’infrastructure par les entreprises chinoises, comme des centrales électriques, des barrages et des réseaux de transport. Pékin considère l'Iran comme un élément clé de son mégaprojet «Belt and Road», reliant la Chine à l'Europe et désire qu’une part croissante de ses importations pétrolières ne viennent plus de producteurs comme l'Arabie Saoudite, alignée sur Washington. En 2016, le président chinois Xi Jinping et le président iranien Hassan Rouhani avaient annoncé des projets pour porter le commerce bilatéral à 600 milliards de dollars au cours de la prochaine décennie.
En Iran comme ailleurs, l'impérialisme américain cherche à contrer le déclin de sa domination économique en se tournant vers l'agression militaire. Si les puissances capitalistes européennes se sont associées aux actions militaires américaines, comme le Royaume-Uni et la France lors du bombardement de la Syrie le 14 avril, leurs espoirs de récolter une part du butin de l'intervention impérialiste resteront vains tant qu’elles serviront de queue au chien américain. Inévitablement, elles doivent entreprendre leur propre réarmement pour une lutte de tous contre tous pour le partage du monde. Ce processus est déjà bien engagé.
Dans la mesure où Washington a cherché à apaiser l'Europe en reportant l’imposition de tarifs de guerre commerciale et où il a fait baisser temporairement les tensions sur la péninsule coréenne, c'est pour mieux se concentrer sur ses préparatifs de guerre au Moyen-Orient.
La marche vers la guerre entre Israël et l'Iran qui a commencé en Syrie se déroule parallèlement à l'intervention militaire américaine dans ce pays ; cette intervention évolue vers un affrontement avec les forces pro-gouvernementales soutenues par l'Iran et la Russie.
Le secrétaire à la Défense, le général James Mattis, a indiqué lundi que les plus de 2 000 soldats américains actuellement déployés en Syrie ne partiraient pas de sitôt. « Nous ne voulons pas nous retirer avant que les diplomates aient gagné la paix », a-t-il déclaré. « Vous gagnez le combat et ensuite vous gagnez la paix. »
La réalité est que la force militaire américaine, renforcée par les forces terrestres par procuration que sont les milices syriennes kurdes YPG, reste en place pour occuper une zone d'influence américaine sur environ un tiers du territoire syrien à la frontière nord-est avec la Turquie et l'Irak. La zone contient également les réserves de pétrole et de gaz du pays. Après sa prétendue mission de lutte contre l'Etat islamique, cette force américaine cherche maintenant à empêcher le gouvernement syrien, soutenu par la Russie et l'Iran, de reprendre le contrôle de ce territoire et de ses ressources.
Alors que la Russie discute aussi avec Damas de la fourniture de systèmes avancés de défense aérienne, la perspective d'un affrontement entre forces russes, américaines et israéliennes ne cesse de croître.
Les développements en Syrie et les menaces d’affrontement avec l'Iran constituent un grave avertissement pour les travailleurs des États-Unis et du monde entier. Poussé par la crise de son système, le capitalisme mondial, avec à sa tête la classe dirigeante américaine et son armée, se prépare à une guerre mondiale, une guerre qui serait menée avec des armes nucléaires.
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