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16236 juillet 2007 — Se référant à un des rapports dont nous avons déjà commenté la signification, William S. Lind, grand spécialiste aux USA de la G4G (Guerre de la 4ème Génération), estime que la défaite de Tsahal au Liban constitue un coup fatal porté à la RMA (Revolution in Military Affairs, rebaptisée Transformation sous Rumsfeld). (A noter que la RMA a déjà été l’objet d’attaques sévères. Celle-là l’est particulièrement, sinon décisivement quant à l’esprit de la chose.) Cela signifie effectivement que le type de guerre qui triomphe aujourd'hui, — la fameuse G4G, — a mis à nu la complète absurdité que constitue la doctrine de la RMA.
Lind observe dans un article du 4 juillet dans CouterPunch :
«In the 1989 Marine Corps Gazette article where I and four colleagues first laid out the Four Generations of Modern War, we foresaw two potential futures. One, the way the world has gone, was 4GW. The other, the direction the Pentagon has taken, became known as the Revolution in Military Affairs, or, more recently, Transformation. This vision of future war, a vision anchored in hi-tech, high-price “systems,” is, I am happy to report, militarily dead.
»While its corpse still twitches in Iraq and Afghanistan, its obituary was published in April, in Israel, when the Winograd Commission published its report (is Winograd, one wonders, the city in Galicia where old Polish generals go to die of cirrhosis?) On May 29, a summary of its findings by Haninah Levine was made available by the Center for Defense Information. The defense industry fat cats must have read it and wept.»
Utilisant cette analyse du Center of Defense Information sur ce rapport, Lind en cite les extraits qui lui paraissent essentiels :
«Speaking of the then-IDF Chief of Staff General Dan Halutz — Israel's first and, I suspect, last Chief of Staff drawn from the Air Force — Levine writes:
»“Halutz encouraged the civilian leaders to believe that Israel could launch a precision air and artillery offensive without getting dragged into a broad ground offensive. ... the failure of Halutz and the General Staff to appraise the enemy's abilities: correctly at the outbreak of the war stemmed not from incorrect intelligence or analysis, but from a willed denial of the limitations of the IDF's precision weapons.”
»In how many valleys of Afghanistan is the same sad lesson being taught? In how many towns of Diyala province in Iraq, or streets in Sadr City?
»Levine continues,
»“The Winograd Commission traces studiously the origins of the General Staff's error of judgment. The commission outlines the changes which took place in Israeli military doctrine over the preceding decade in response both to strategic developmentsand to technological developments — the so called “revolution in military affairs,” whose keystone is the advent of precision air-to-surface and surface-to-surface weapon systems.
»”The first lessen of the Second Lebanon War is that wishful thinking concerning the capabilities of precision weapon systems overpowered the General Staff' s analytical abilities.... Faith in advanced air and artillery systems as magical “game-changing” systems absolved the General Staff from the need to consider what capabilities (such as distributed and hardened facilities) the enemy possessed, and led the IDF into a strategic trap it had recognized in advance.”»
Enfin, Lind tire les conclusions de ces divers constats tels qu’ils sont faits par le rapport, ainsi que des enseignements à tirer pour la fameuse RMA. La RMA “is a bunk”, — emploi en argot d’un mot (littéralement “couchette”, “hamac”, ou “mettre les voiles” pour to bunk) signifiant quelque chose qui a été placé artificiellement en ajout pour créer une nouvelle situation, — une situation artificielle. La RMA comme cimier d’une situation de guerre complètement virtualiste… (Nous-mêmes avons donné de nombreux exemples de cette tendance, notamment à propos du conflit Israël-Hezbollah.)
«This lesson, I think, can be extrapolated in two useful ways in the American context. First, the strategic or more precisely doctrinal, trap set by the RMA has long been recognized. The trap, quite simply is that for the RMA to succeed, it had to contradict the nature of war.
»The RMA reduces war to putting fires on targets. It promises to use new technology to make everything targetable. But this means it also promises to eliminate uncertainty, to make war transparent, to eliminate the quality that defines war, the independent hostile will of the enemy. In other words, it is bunk. The fact that it is bunk was evident to a great many people from the outset, even people in Washington.»
L’attaque de William S. Lind est classique dans sa pensée habituelle et dans les constats qui s’accumulent autour de la forme des conflits en cours. Elle est révolutionnaire dans ses implications directes, au niveau intérieur du système. La mise en cause de la RMA, c’est la mise en cause de toute la pensée militaro-industrielle qui gouverne les USA depuis la fin de la Guerre froide, avec l’intense préparation qui a précédé.
Sortie de ses prétentieux catalogues sur les hautes technologies, les systèmes de systèmes et autres merveilles qu'ils nous promettent, la RMA est une tentative d’une ambition inouïe de faire passer le modèle de la puissance US élaboré pendant la Guerre froide, qui était de type relatif puisque justifié paraît-il par la taille, la puissance et les ambitions de l’ennemi, à un modèle absolu capable d’imposer sa forme de guerre au reste du monde, — même si aucun ennemi ne justifie cette taille, même si l’ennemi ne veut pas mener cette sorte de guerre. De là, on enchaînerait en pérennisant absolument le développement et la production de tous les programmes du monde, bourrés de technologies, de performances théoriques et héroïques (bureaucratiquement parlant), et surtout chers, très chers, — et ainsi de suite, on connaît la musique… C’est dire si la bureaucratie du Pentagone n’a pas accepté l’idée même de considérer ses programmes de la Guerre froide comme obsolètes, sans plus d’utilité, complètement inadaptés. Au contraire, elle les a considérés comme très adaptés mais à moderniser, sophistiqués mais pas assez, coûteux mais pas assez coûteux, — et ainsi de suite, on connaît la chanson…
La RMA (ou la “Transformation”, nouveau mot pour la même chose, qui est une vieille ruse rumsfeldienne pour faire croire à sa vertu de réformiste), c’est aussi un sigle quasi-religieux. Il faut prêter une grande attention à ces enfantillages psychologiques qui tiennent un bien grand rôle dans les grandes décisions. Toute une génération de bureaucrates, de militaires, de presque- ou de d’ores et déjà-généraux a été nourrie au miel de ce sigle-miracle. (Cela vaut pour les armées européennes comme pour l’armée US, sinon plus… Les armées européennes, intégrées dans l’OTAN, sont totalement des copies conformes de l’armée US pour ce qui est de la pensée militaire. Nombre d’entre elles, surtout à l’Est, en sont encore au stade de découvrir la RMA comme des nouveaux disciples découvrent Jésus.) Proposer de revenir sur la RMA, de la réformer radicalement, voire de la liquider (voire de la proclamer morte, comme fait Lind), c’est se montrer absolument relaps et encourir une immédiate excommunication.
On ne donnerait pas une seule chance au parti des réformistes qui mettent en question un tel monument si, par ailleurs, les signes troublants et contraignants ne s’accumulaient. La chose concrète qu’on peut attendre de cette mise en cause, c’est qu’elle accentue le malaise qui, aujourd’hui, entoure et presse de plus en plus le Pentagone, avec d’une part ses budgets pharaoniques, ses énormes programmes hyper-sophistiqués et hyper-coûteux qui n’ont aucune utilité, et d’autre part les performances stupéfiantes de faiblesse et d’aveuglement de ses armées qui vont en campagne à coups de centaines de $milliards pour récolter des raclées qui feraient rougir de honte un pays africain de deuxième catégorie.
De ce point de vue, l’intervention de Lind constitue une nuisance de plus dans l’Himalaya de certitudes désormais plein de craquements que constituent la doctrine du Pentagone et tout ce qui l’accompagne. C’est peut-être même une nuisance d’importance, dans la mesure où elle vient d’un expert de grande réputation et qu’elle s’appuie sur une argumentation solide, voire irrésistible, dont bien des composants sont déjà officiellement admis. On sait qu’elle survient au moment où le Pentagone est accablé de surcoûts épouvantables dus aux aventures extérieures. En un sens, on pourrait dire que la ricanante critique de Lind renvoie à l’inquiétude désormais non dissimulée, même si elle paraît grotesque dans le cadre fiscal du Pentagone, du patron de Boeing.
On ajoutera le fait que, pour certains pratiquants zélés de la religion-RMA, la question de la sécurité nationale est en jeu. Cela peut ouvrir les yeux à certains et les convaincre que la persistance dans l’erreur recèle des risques insupportables. Est-ce le cas pour Israël? Lind semble le penser lorsqu’il écrit que Halutz est le premier et dernier général de la force aérienne israélienne à avoir été placé à la tête de toutes les armées. De ce point de vue, nous serions sans doute moins optimistes que Lind. On verra.
L’attaque de Lind n’est pas inutile. Il n’est jamais inutile d’aller joyeusement pisser sur une relique autour de laquelle se prosterne tout ce que le monde civilisé compte d’esprits conformistes dans les armées des experts, des généraux et des commentateurs qui ont la charge de l’encenser. L’attaque de Lind n’est pas inutile parce qu’elle a la force écrasante de la conviction et de la vérité, qu’elle est portée contre l’idole elle-même, le totem qui tente de rationaliser le destin le plus catastrophique que se soit jamais forgé une civilisation. Bref, une belle attaque contre la bêtise bureaucratique à l’état brut.
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