La globalisation “qui fait pschitt”

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La globalisation “qui fait pschitt”

28 novembre 2015 – Au départ, c’est donc un texte de Robert Parry qui nous a mis la puce à l’oreille. Cet excellent journaliste s’est de plus en plus concentré, ces derniers temps sur son site ConsortiumNews, sur le phénomène de groupthinking à Washington. (Comme l’on sait, l’expression n’est pas neuve.) Pour la première fois, le 21 novembre, dans un texte sur les narrative dont se nourrissent les politiques et les élites-Système de Washington, il a employé le mot “bulle” (“bubble”) : « One way to view Official Washington is to envision a giant bubble that serves as a hothouse for growing genetically modified “group thinks.” »

Le mot “bulle” n’est pas seulement utile à cette marque de soda “qui fait pschitt” ; bien plus sérieusement, l’image qu’il véhicule venue en bonne partie de certains récits de science-fiction qui parlent aussi de “dômes”, désigne un monde fabriqué selon des données et des conceptions précises et humainement maîtrisées, séparé du reste par une bulle nécessairement transparente, cela faisant croire qu’on est du même monde alors qu’on se trouve dans des univers différents. (Le mot “bulle” peut aussi s’employer pour un individu, – “il est dans sa bulle”, – mais il a plus une valeur caricaturale qu’opérationnelle.) Jusqu’ici pour notre séquence historique, ce mot a été utilisé dans le langage courant de la politique générale pour désigner essentiellement des évènements techniques. On citera deux exemples :

• La “bulle financière”, faite pour exploser et entraîner un effondrement de quelque chose, – des cours boursiers ou des structures. On peut avoir une “bulle de l’internet”, une “bulle de l’immobilier”, une “bulle de la dette”, etc. Le phénomène est connu et décrit effectivement la construction d'une structure marquée par un décrochage d’un domaine ou d’un secteur de la réalité financière et économique dont elle dépend ou qu’elle est censée régir.

• La “bulle électronique” est une acquisition assez récente du langage courant. On en a un bon exemple avec les récentes conversations de l’internet à propos des systèmes que développent ou déploient les Russes, notamment en Syrie. Il s’agit de créer un espace donné sous la dépendance d’une puissance électronique qui en régit l’accès, le rangement, le contrôle, etc.

Le concept de ce que nous désignerions sans hésitation comme une “bulle psychologique” est, par contre, notablement nouveau, même si l’on en comprend bien le sens, l’usage et le contenu. Comme toujours, l’acquisition d’un langage nouveau sous forme de concept, même s’il désigne une situation connue, apporte un enrichissement supplémentaire et alimente la réflexion, souvent de manière originale ou inattendue. Ainsi, Parry, en parlant d’une “bulle géante”, en fait presque un organisme vivant sous la forme d’une “serre” pour le développement d’un produit artificiel qui serait une pensée spécifique, demandant certaines conditions d’environnement : « Une façon de voir le Washington officiel est d’imaginer une bulle géante servant de serre pour le développement génétique des modifications [de pensée] dues à une ‘pensée de groupe’. »

Voici l’introduction du texte de Parry qui explicite son idée : « One way to view Official Washington is to envision a giant bubble that serves as a hothouse for growing genetically modified “group thinks.” Most inhabitants of the bubble praise these creations as glorious and beyond reproach, but a few dissenters note how strange and dangerous these products are. Those critics, however, are then banished from the bubble, leaving behind an evermore concentrated consensus. This process could be almost comical – as the many armchair warriors repeat What Everyone Knows to Be True as self-justifying proof that more and more wars and confrontations are needed – but the United States is the most powerful nation on earth and its fallacious “group thinks” are spreading a widening arc of chaos and death around the world.

» We even have presidential candidates, especially among the Republicans but including former Secretary of State Hillary Clinton, competing to out-bellicose each other, treating an invasion of Syria as the least one can do and some even bragging about how they might like to shoot down a few Russian warplanes.

» Though President Barack Obama has dragged his heels regarding some of the more extreme proposals, he still falls in line with the “group think,” continuing to insist on “regime change” in Syria (President Bashar al-Assad “must go”), permitting the supply of sophisticated weapons to Sunni jihadists (including TOW anti-tank missiles to Ahrar ash-Sham, a jihadist group founded by Al Qaeda veterans and fighting alongside Al Qaeda’s Nusra Front), and allowing his staff to personally insult Russian President Vladimir Putin (having White House spokesman Josh Earnest in September demean Putin’s posture for sitting with his legs apart during a Kremlin meeting with Israeli Prime Minister Benjamin Netanyahu). »

Comme on l’a déjà dit, le phénomène n’est pas nouveau, mais il s’est rarement manifesté avec une telle force aujourd’hui, au point qu’on peut parler d’un épisode spécifique. Nous disposons pourtant d’un précédent qui peut également apparaître par sa puissance comme un épisode spécifique, que nous avions largement documenté à l’époque, et qui affectait déjà Washington. Il s’agit de la période qui précéda immédiatement l’attaque de l’Irak de mars 2003, et qui rompit assez fortement avec une autre période tout à fait classique du débat  politique pendant laquelle avait été débattu le principe de l’attaque de  l’Irak. Cet épisode précédent avait culminé dans les mois d’août-septembre 2002, au cours desquels on avait assisté à des affrontements sévères entre partisans et adversaires de l’attaque, les seconds n’étant nullement en nombre et influence négligeables, avec notamment des personnalités marquantes (le général Scowcroft, James Baker) qui parlaient manifestement au nom du père du président. (On a pu connaître depuis la confirmation éclatante de l’opposition radicale de Bush-père au projet d’attaque de l’Irak de son fils GW : voir notamment notre texte du 13 novembre, avec le passage consacré à la biographie autorisée du 41ème président des Etats-Unis, Destiny and Power: The American Odyssey of George Herbert Walker Bush.)

Puis, au cours de l’automne 2002, assez brusquement pour qu’on puisse faire l’hypothèse d’un évènement collectif s’imposant impérativement de lui-même, ce débat s’éteignit et Washington entra dans ce que nous désignâmes nous-mêmes, déjà à cette époque, une “bulle”. (Pour nous, nommant cela “bulle de virtualisme”, en référence au concept que nous avions choisi pour cette époque.) Parmi plusieurs textes concernant cette période, nous jugeons intéressant de choisir celui du 13 décembre 2002, où nous commentions un autre texte de Timothy Garton-Ash du 12 décembre 2002 dans le Guardian. L’aspect remarquable de cet ensemble est que Garton-Ash constatait l’existence de cette bulle mais, au lieu de la dénoncer, conseillait au contraire d’y entrer au nom de l’allégeance à Washington.

« ... Mais nous ne parlons pas de l'existence de plusieurs perceptions de la réalité (cela s'est déjà vu) mais de l'existence de plusieurs réalités. En effet, le deuxième point important de ces étranges développements est qu'après avoir constaté cette situation étrange où une ville entière (D.C.) et le centre de pouvoir qu'elle abrite vivent dans une bulle de virtualisme et affirment une réalité dont le reste du monde (y compris l'Amérique sans D.C.) n'a pas la moindre perception, Garton Ash conclut que l'important est désormais pour nous tous de devenir tous des citoyens de D.C.

» Après la description des rêveries à la Perle et le reste, après avoir implicitement montré l'aspect grotesque de ce délire de re-manufacture du monde alors que rien n'a bougé depuis 14 mois, que les choses vont de mal en pis là où on a tenté quelque chose d'effectivement re-manufacturier (Afghanistan), notre auteur n'y va pas par quatre chemins : puisque Washington délire là-dessus, il est temps de prendre ce délire pour du comptant et de nous y mettre à notre tour (« ...World-weary Europeans, and people in the region itself, may doubt both the realism of this embryonic project and the United States's capacity to sustain it. We would better spend our time thinking how to complement and improve it. »). Il nous avertit dans ce sens, sans ambages, montrant ce curieux sens britannique du nihilisme qui fait comprendre exactement les choses et leurs travers, et recommande d'y sacrifier sans rien tenter pour les changer, les dénoncer, etc : « So whatever the analytical truth, and however remote this is from the reality of war as one saw it in Bosnia or Kosovo, Washington feels itself to be at war. That's a municipal fact of world importance. »

» La conclusion ne fait pas un pli : devant ce « municipal fact of world importance. », il est temps de s'incliner. Puisque D.C. se sent en guerre, eh bien tout le monde est en guerre. (Puisqu'il pleut sur la Maison-Blanche, eh bien le monde doit bruisser du bruit des imperméables qu'on enfile ; et puisque GW a roté, voilà 6 milliards d'Alka Seltzer en train de pétiller dans des verres.) Transcrivons en termes provocants : puisqu'un asile d'aliéné baptisé D.C. dit que nous sommes en guerre, eh bien nous sommes en guerre. La situation est désormais si extrême qu'on ne parle même plus de l'establishment US, qu'il s'agit bien de D.C. contre le reste, et des centres de puissance tels que New York/Wall Street ou Hollywood et le cinéma sont, eux aussi, situés de plus en plus éloignés de la virtualité washingtonienne. (Seule la presse semble la plus proche de la vision virtualiste de D.C., certainement parce qu'elle en dépend pour nombre de facteurs qui la constituent.)

» Observez bien ces signes : ils marquent assez justement la marche des choses. Dans notre époque, ces questions de distances de perception, voire de ruptures de perception, jouent désormais un bien plus grand rôle que les questions classiques de la réalité des relations internationales (stratégie, géopolitique, etc). Cette part prépondérante ne cessera de grandir, face à une réalité qui ne cesse de se retirer et de s'effacer peu à peu. La phrase définitive de Garton Ash, qui a le mérite de clore avec autorité un éditorial, — «  this war — WI — is now a matter of when and how rather than whether », — nous l'avons entendue et lue vingt fois, trente fois, depuis qu'il est question de l'attaque contre l'Irak, et toujours à propos de cette attaque. Elle ne recouvre plus rien d'une réalité qui n'existe plus en tant qu'unicité, une réalité qui s'est fractionnée en des “réalités” concurrentes. La guerre peut éclater demain, un peu comme on fait tomber un pot de confiture. Le monde l'affrontera en étant dans le cas incroyable d'être désuni sur la réalité, c'est-à-dire en percevant des réalités différentes (ce qui est bien autre chose que le fait de perceptions différentes de la réalité). C'est une situation générale qui ne se compare à rien de ce qui a été vécu historiquement. »

En un sens, on pourrait dire alors que rien n’a changé ; c’est vrai et c’est complètement faux à la fois. Le D.C. Virtual (titre) que décrit ce texte, c’est un Washington D.C. qui était entré dans sa fulgurante narrative pour se préparer à l’assaut final. (Remember les phrases fameuses de Karl Rope, – on a identifié l’auteur depuis 2014, – dites à l’été 2002, là aussi avec les dates correspondantes : « We're an empire now, and when we act, we create our own reality. And while you're studying that reality – judiciously, as you will – we'll act again, creating other new realities, which you can study too, and that's how things will sort out. ») Ainsi, au bout de l’épisode virtualiste de l’hiver 2002-2003, il y avait la victoire et l’immense changement de l’histoire en une Histoire majusculée, mais selon une majuscule fournie par Washington D.C. ; et l’élégant Garton-Ash, comme toujours en première ligne de la capitulation devant l’hypermagie de l’hyperpuissance, conseillait de prendre sa dose d’Ecstasy et d’y aller plein pot. Au bout de la narrative, il y avait l’Histoire re-créée, c’est-à-dire la nouvelle réalité du monde transcendée en Vérité indépassable... On sait ce qu’il est advenu de la chose. Depuis, nous pataugeons dans la-gadoue-la-gadoue-la-gadoue, de narrative en narrative, de victoires-défaites en défaites-défaites, de terrorismes fabriqués-par-nous-mêmes en terrorismes retournés-contre-nous-mêmes. Et tout cela, sur le pont du Titanic qui continue inéluctablement, à chaque inspection, à gagner quelques degrés d’inclinaison de plus vers la verticales des abysses. L’élégant Garton-Ash avait confondu : au lieu d’hyperpuissance, lire hyperimpuissance...

Ce que nous décrit Parry, c’est effectivement une séquence particulièrement intense, une nouvelle “bulle psychologique” sortie d’une atmosphère de constante narrative soudain devenue si forte, et qui constitue une avancée décisive et complètement contraire par rapport à la “bulle virtualiste” de 2002-2003, parce que cette fois tout est dans la tête et rien au-dehors, parce qu’il n’y a plus de Saddam que nous (Washington D.C. et tout le monde rassemblé dans sa pathologie) allions balayer en sachant bien pourquoi, mais un Assad qui résiste diablement et même, avec l’aide du Russe, ne cesse de tailler des croupières à Washington D.C. qui ne ressemble plus personne dans sa “bulle”, alors que Washington D.C. ne cesse de nous dire qu’il n’est pas question qu’il y mette “A boot on the ground” ; et cela, alors que personne, à part les mille-et-une nuits des théories sur les grandes ambitions géopolitiques, n’est capable de dire pour quelle raison on irait ainsi l’attaquer. La question devient alors de savoir à quoi correspond cette “bulle psychologique” du Washington D.C. d’aujourd’hui, constituant la pathologie d’une pathologie, la pathologie de la pathologie qu’était la “bulle virtualiste” de l’hiver 2002-2003, c’est-à-dire une hyper-pathologie qui n’a plus aucune réalité à proposer, et qui est désormais à la merci d’une vérité-de situation plus furieuse que les autres, qui peut jaillir du Grand-Désordre du monde et crever la bulle jusqu'à ce que mort s'ensuive.

La globalisation, ou le Système “qui fait pschitt”

Une partie de la réponse ne serait-elle pas que cette “bulle psychologique” de Washington D.C. n’est nullement, au contraire de la “bulle virtualiste” de 2002-2003, la seule “bulle” à laquelle tout le monde est convié à se rallier comme l’annonçait Garton-Ash, mais une “bulle psychologique” parmi d’autres, tant le Système, c’est-à-dire la globalisation, s’est fragmenté en autant de “bulles psychologiques”. Dès lors, la “bulle psychologique” de Washington D.C. ne vaut même plus son pesant de cacahuètes, et elle n’est ni un événement du monde, ni une entreprise historique, mais un signe très spécifique du destin du Système...

Notre perception de l’affaire du Su-24, par exemple, c’est d’abord et essentiellement que “le Calife à la place du Calife”, Erdogan, vit lui aussi dans sa “bulle psychologue”, et prend les mesures que lui inspire la surprenante “réalité” de son impérial palais ; notre perception est que les Qataris et les Saoudiens font de même pour leurs propres affaires qui s’effectuent dans le même quartier, et éventuellement les divers islamistes, avec leurs projets apocalyptiques ; et aussi bien, en élargissant le cercle vers la plus haute civilisation, nombre d’Européens, que ce soit les Français de Je-Suis-Charlie, que ce soit les Allemands du IVe Reich, très soft et très merkelien. Il y aussi les “bulles” de ceux qui constatent que le monde s’est constitué en “bulles”, et qui forment les leurs pour affirmer leurs causes, tambours battant, comme font les Russes qui constituent leur propre réalité, avec la quincaillerie qui va avec, autrement plus convaincante que les palinodies d’une OTAN grotesque qui n’est plus que l’ombre de l’ombre de son maître. Et ainsi de suite, cette fragmentation fulgurante de la globalisation et du Système qui l’instrumente, – car, peu ou prou, même en le haïssant et en le combattant, nous sommes tous tributaires du Système, qui pour l’encenser jusqu’à sa tombe, qui pour fomenter des révoltes sans fin contre lui, jusqu'à sa fin à lui. Ainsi la globalisation parvient-elle à l’extrême de l’inverse de ce qu’elle poursuit et de ce pour quoi elle a été faite : l’uniformisation du monde s’effectue par une sorte d’uniformisation de sa fragmentation. Dans cette fragmentation, on trouve, retournées contre lui dans l’élégance du “faire aïkido”, les ombres terribles de la déstructuration et de la dissolution.

C’est bien la psychologie, arme essentielle du Système pour la conquête et l’asservissement des âmes, qui est la première touchée. La psychologie asservie au nom de la surpuissance du Système se retrouve, étonnamment pour certains, évidemment logiquement pour d’autres, d’une infinie fragilité et d’une vulnérabilité sans fin.  Elle est manipulée par elle-même, au nom du Système, se forme en groupes (en “bulles”) dont la caractéristique est nécessairement le fait de la rupture ; non plus rupture avec la réalité qui n’existe plus, ni avec la Vérité qui n’intéresse personne parmi ces esprits, mais rupture avec ce quelque chose qu’on nommerait “la réalité du Système” (ou la grande narrative à laquelle tout le monde devrait se rallier comme cela avait été le cas en 2002-2003 [recette Garton-Ash]), cette “réalité-Système” qui n’a plus aujourd’hui ni orientation ni même légitimité-Système puisqu’ainsi ignorée, ce qui est un comble.

Certes, on pourrait répliquer que certains automatismes contredisent cette évolution, comme par exemple essentiellement le déterminisme-narrativiste, qui peut être aussi défini comme une sorte de mécanisme du Système pour imposer la logique de sa narrative. Mais si le déterminisme-narrativiste impose effectivement des orientations de communication qui pèse avec une force incroyable sur l’esprit et le jugement, le désordre sur lequel elles s’exercent là où elle intervient (dans les crises) rend extrêmement difficile de renforcer les psychologies de façon suffisante pour les garder alignées dans toutes les circonstances. Ainsi, les Français et les Allemands, avec l’aide des Russes, ont réussi à échapper un peu comme l’on s’évade d’une prison dialectique, des conséquences d’emprisonnement du comportement du au déterminisme-narrativiste dans le cas ukrainien, en faisant Minsk2 avec les Russes. (Cela donne cette situation grotesque de coopération active des deux pays avec la Russie, en même temps que les sanctions antirusses sont poursuivies et renouvelées : effectivement, cas où se poursuivent parallèlement les conséquences du déterminisme-narrativiste [les sanctions] et les conséquences de l’escapade des personnes citées [Minsk2].) Un cas assez similaire existe potentiellement et en cours de manufacture avec la Syrie, suite à 11/13 et avec l’évolution de plus en plus évidente de la position française, avec l’hypothèque nouvelle des effets de la destruction du Su-24 russe par les Turcs (coalition anti-terroriste avec une colonne vertébrale franco-russe, alors que les sanctions antirusses auxquelles souscrivent les Français selon le déterminisme-narrativiste restent actives).

Ainsi cette affaires de “bulles psychologiques” est-elle devenue un cas de dislocation du Système (déstructuration-dissolution) alors qu’elle était au départ (“D.C. Virtual”, 2002-2003) un moyen de rassemblement impératif du Système. Le cas des “bulles psychologiques” est paradoxalement un effet d’incommunicabilité à l’intérieur du Système du à l’hyperactivité du système de la communication, parce que chacun s’annexe le système de la communication à sa propre narrative grâce aux nouvelles armées de la guerre hyper-postmoderne, faite de “communicants” de toutes les sortes, constituant le “bruit de fond” qui forme en réalité la paroi transparente mais infranchissable de la “bulle” de chacun. Le Système, qui animait cette formule créée par lui-même à son avantage dans la période 2002-2003, a conduit dans son activité surpuissante à la formation systématique de “bulles” et contribué massivement, dans un effet d’inversion qui caractérise l’équation surpuissance-autodestruction, à une fragmentation de la perception. Il s’agit évidemment d’un effet de déstructuration-dissolution du Système paradoxalement à partir du premier cas de structuration globale que devait être la “bulle psychologique” originelle (“D.C. Virtual”, 2002-2003), manifestement conçu comme le facteur structurant absolument fédérateur dans lequel tous les autres, Timothy Garton-Ash en tête, étaient invités à pénétrer, éventuellement manu militari.

Nous ne cessons pas d’observer, dans une sorte de fascination comme nous l’avons parfois pour l’idiotie pathologique dont le Système est effectivement le modèle, cette charge fantastique de surpuissance du Système pour organiser sa propre liquidation, à partir du coup d’envoi pour le sprint final du 11 septembre 2001. Le 2 novembre 2001, Jean Baudrillard écrivait dans Le Monde, et l’on comprend combien sa pensée peut être évidemment, naturellement, nécessairement, adaptée à tous les concepts (Système, surpuissance-autodestruction, etc.) qui se sont développés depuis :

« Pas besoin d'une pulsion de mort ou de destruction, ni même d'effet pervers. C'est très logiquement, et inexorablement, que la montée en puissance de la puissance exacerbe la volonté de la détruire. Et elle est complice de sa propre destruction. Quand les deux tours se sont effondrées, on avait l'impression qu'elles répondaient au suicide des avions-suicides par leur propre suicide. On a dit : “Dieu même ne peut se déclarer la guerre.” Eh bien si. L'Occident, en position de Dieu (de toute-puissance divine et de légitimité morale absolue) devient suicidaire et se déclare la guerre à lui-même. »

Il n’y a rien à retrancher. Simplement, il nous a été permis de contempler les moyens très originaux de ce suicide, que nous pouvons décompter aujourd’hui, dans cette fragmentation suicidaire du système, ou de la pseudo-globalisation qui devait nous fondre tous dans un même moule... Fragmentation, c’est-à-dire déstructuration-dissolution. Désormais, le phénomène donne tous ses effets sous nos yeux. Le Grand-Désordre règne car plus aucune coordination n’est possible, alors que le Système a absolument besoin de cette coordination pour poursuivre sa tâche de déstructuration-dissolution, mais complètement aveugle et stupide pour réaliser qu’il l’accomplit désormais à son encontre. Hollande va à Washington, pénètre dans la “bulle D.C.” et dit en même temps qu’Obama “AMG” (Assad Must Go). Le lendemain, il va voir Poutine à Moscou et fait dire par le pétulant Fabius que, finalement, tout bien réfléchi, il ne serait pas plus mal que les troupes de Assad-Must-Go fasse partie de la grande alliance anti-Daesh en formation. Obama s’est-il aperçu de quelque chose ? Question ridicule, puisqu’il se tient dans sa “bulle”, bien à l’abri du Rest of the Bubbles dont il n’a que faire, et que finalement dans son infinie cooltitude qu’admirent les salons germanopratins, – finalement il s’en fout.

Finalement (suite), cette affaire de “bulles” n’a guère d’importance en soi, non plus que l’on soit passé du virtualisme triomphant aux narrative cacophoniques dans lesquelles plus personne n’écoute plus personne et où les alliances se font et se défont selon l’évolution des narrative. Avec 11/13 et l’importance que lui a donné le formidable système de la communication, la narrative de la France a nécessairement changé puisque France oblige semble-t-il, et peut désormais songer à s’acoquiner à celle de Moscou. Quoi qu’il en soit, on maintiendra les sanctions, pour satisfaire la bonne vieille narrative commune du temps (si lointain déjà) de Kiev-2014, à laquelle oblige le déterminisme-narrativiste mais à laquelle l’accélération de l’Histoire ôte toute substance. Le Grand-Désordre règne, comme le maître du Temps. C’est lui qui détruira le Système puisqu’il est né du Système : Tu quoque, mi fili....

Et pendant ce temps, sorti du Temps où règne le Grand-Désordre ? Un jour, on découvrira BHO, seul à part quelques acolytes dans une belle campagne, criant Assad-Must-Go ! On dira qu’il crie dans le désert ? Erreur ! Ce sera au cours d’un joli parcours de golf, dont on sait que c’est le sport présidentiel qu’il affectionne le plus, parce que décidément le golf est un sport de président aux USA. Et son cri, incroyablement birdie comme à son habitude, c’est celui du “coup de l’albatros”, un coup de maître. BHO n’a pas eu Assad, mais il a eu ce putain de Green, comme un véritable Master, – Master du golf à défaut d’être Master of the Universe.